Jugement et prise de décision
Introduction
Jugement et prise de décision sont, pour des raisons obscures, souvent étudiés et présentés séparément par les auteurs. Néanmoins, à notre sens, ces deux thèmes sont sensiblement équivalents, dans la mesure où la prise de décision n'est qu'un jugement qui implique une action. Ainsi, les facteurs qui influencent le jugement sont forcément les mêmes que ceux qui influencent la prise de décision. Aussi, nous avons fait le choix de les présenter ensemble, sans suivre la distinction habituelle qui sépare ces deux thèmes. Il faut aussi noter que nous présentons ici une approche "psychologique", mais que le sujet de la prise de décision intéresse de très nombreuses disciplines, plus ou moins scientifiques, bien au-delà de la psychologie. En effet, la prise de décision peut également être vue sous l'angle des sciences politiques, de la médecine, du management, de la sociologie, de la finance, de la psychothérapie, du coaching, etc.
Dans le domaine de la psychologie, le sujet est généralement considéré selon deux approches. L'approche normative tente d'établir des lois afin de prévoir les décisions prises par les sujets. Cette manière de considérer la prise de décision est la plus classique en psychologie. L'approche cognitive quant à elle considère que la prise de décision est un processus continu intégré, en interaction avec l'environnement. Nous ne ferons qu'aborder cette dernière approche.
Dans notre vie quotidienne, nous sommes amenés à porter des jugements et, éventuellement, à prendre des décisions. S'il est théoriquement possible de porter certains jugements de manière parfaitement rationnelle, nous allons voir que ce n'est généralement pas le cas. En effet, pour des raisons de rapidité et d'économie psychique, nous utilisons généralement des heuristiques lorsque nous portons des jugements. Ces heuristiques sont des opérations mentales simplifiées, et fausses d'un point de vue purement logique, qui nous permettent de juger au quotidien. La prise de décision n'est pas plus rationnelle.
Une origine liée aux sciences économiques
En économie, on part généralement de la supposition que les humains sont rationnels et capables de prendre librement leurs décisions. C'est ce qu'on appelle la théorie du choix rationnel. Selon cette théorie, ce qui détermine la prise de décision est la probabilité d'un résultat bénéfique pour l'individu, combinée à l'utilité de ce résultat, cette dernière étant équivalente à la valeur monétaire du résultat. Ainsi, pour prédire une décision, il suffirait de multiplier ces deux valeurs. On peut donc prédire que si une personne a 50% de chances de gagner 20 frs ou 10% de chances de gagner 70 frs, elle choisira la première option. Néanmoins, nous verrons que ce n'est pas toujours le cas, et que la rationalité de l'être humain est très limitée. En outre, d'un point de vue psychologique, l'argument selon lequel valeur monétaire et rationalité sont équivalents est difficilement justifiable.
Décisions individuelles
La prise de décision basée sur les valeurs
La représentation de la valeur dépends de plusieurs facteurs:
- l'ensemble des actions possibles, autrement dit, il s'agit des alernatives (par exemple avoir le choix entre manger une pomme ou une orange)
- l'état interne de l'individu décideur (par exemple, a-t-il faim?)
- l'état de l'environnement (par exemple, quelle quantité d'effort doit-il fournir pour chaque alternative?)
En conséquence, les valeurs qui influencent les décisions des individus sont à la fois subjectives et contextuelles.
Quelques modèles théoriques
Selon les différents modèles théoriques de la prise de décision présentés ci-dessous, on estime que les individus tendent à maximiser leurs bénéfices et à minimiser leurs pertes.
Expected-value theory
L'expected-value theory, ou théorie de la valeur attendue, suppose que les individus, lorsqu'ils sont confrontés à différentes alternatives impliquant des récompenses (dans le cadre des études menées, il s'agit la plupart du temps d'argent) et des probabilités associées, alors ils choisissent l'option qui possède la plus grande valeur attendue, selon le calcul suivant:
EV (Expected Value) = ∑p¡ x M¡ p: probabilité d'un résultat ¡ M: Magnitude, (Quantité, montant) ¡
Petit exemple: Combien seriez-vous prêt à payer pour jouer à un jeu au cours duquel vous avez 40% de chance de gagner 50frs et 60% de chance de perdre 10frs?
EV= 0.4*(50) + 0.6*(-10) = 14
Selon la théorie et son calcul, vous ne devriez pas payer plus de 14frs si vous voulez être gagnant, selon la probabilité annoncée.
Expected-utility theory
l'expected-utility theory, ou théorie de l'utilité attendue, se base sur la théorie de la valeur attendue, mais considère que le gain n'est pas une chose objective. On considère en effet qu'il s'agit davantage d'une valeur subjective: l'expected utility (utilité attendue). l'expected utility est définie, selon Shizgal et Conover (1996), comme étant une estimation subjective concernant le potentiel de contribution d'un but. Selon cette théorie, on suppose que l'utilité de la récompense (l'argent) n'augmente pas de manière linéaire avec la quantité (le montant monétaire), selon le calcul suivant:
EU (Expected-utility) =Σ p¡ * u(x¡) p: probabilité d'un résultat ¡ u(x¡): la fonction variant selon les montants monétaire objectifs x¡
On obtient donc une fonction qui varie selon la récompense, certaines caractéristiques des individus (par exemple, leur attitude face au risque, leur personnalité, etc.)et leur état interne.
Prospect theory
la Propect theory, ou théorie des perspectives, à été proposée par Kahneman et Tversky (1979). Elle est construite sur la base de l'expected theory, mais elle permet de décrire la manière dont les individus évaluent de façon asymétrique leurs perspectives de perte et de gain en remplacant la probabilité objective avec une fonction non-linéaire de probabilité pondérée, et en introduisant une nouvelle fonction de valeur qui inclut l'aversion à la perte. Cette dernière notion rapporte le fait que les individus sont davantage sensibles à la possibilité de perdre quelque chose qu'à la possibilité de gagner la même chose (par exemple, une perte de 100frs est beaucoup plus aversive qu'un gain de 100frs n'est attractif).
Décisions sociales
Lorsque l'on parle de "décisions sociales", on fait référence au fait que les décisions des individus dépendent parfois de celles de leurs pairs. En effet, nous avons vu que les chois des individus sont influencés par le fait que ces derniers sont sensibles aux récompenses. Ces récompenses peuvent être de différents types: il existe de récompenses de type primaire (nourriture, sex, etc.), celles de type secondaire (argent, jetons, etc.) et enfin, les récompenses sociales (sourire, justice, reconnaissance, etc.).
Game theory
La Game theory, ou "théorie des situations sociales", a été développée par Neumann et Morgenstern (1944) et a pour objectif de décrire les interactions stratégiques entre les individus en termes d'équations mathématiques. Ces modèles mathématiques permettent de rendre compte des conflits et coopérations entre différents agents intelligents. En d'autres termes, cette théorie vise à expliquer la manière dont les individus devraient se comporterdans une situation de prise de décision en contexte social. Pour ce faire, différents méthodes (des jeux économiques) ont été développées.
Quelques méthodes utilisées pour étudier les prises de décisions sociales
Les jeux développés dans le cadre de cette théorie répondent à certains principes de base. On considère que chaque joueur va tenter de maximiser sa récompense en se basant sur les croyances qu’il a quant aux actions autres joueurs. Cela implique que les individus ont non-seulement un intérêt commun qui est celui de gagner le maximum possible, mais ils sont également dans une situation de compétition puisque chacun va faire en sorte de gagner plus que l'adversaire. Ainsi, cela implique que chaque individus va devoir anticiper les choix de son/ses adversaire(s).
Les différents jeux présentent certaines règles identiques. Premièrement, il y a au moins deux joueurs. Ensuite, chacun de ces joueurs se voit offrir un certain nombre d'actions possibles. Enfin, chaque action ou combinaison d'actions mène le joueur à un résultat différent.
Jeux séquentiels
Lors de jeux séquentiels, les individus doivent prendre des décisions de manière séquentielle, c'est-à-dire chaque joueur joue à son tour (pas en même temps). En voici quelques exemples (liste non-exaustive):
"Ultimatum game"
Lors de ce genre de jeux, il y a au moins deux joueurs: un "proposeur" et un "receveur". L'expérimentateur donne de l'argent au "proposeur". Ce proposeur doit donner un partie de ce montant au receveur (la somme de son choix) et peut conserver le reste pour lui. Le receveur doit alors décider s'il accepte ou refuse l'offre. Cependant si ce dernier refuse la somme, alors aucun des deux participants ne reçoit d'argent. Ainsi, le premier individu doit proposer une somme acceptable au second. Les études montrent que les proposeurs offrent en moyenne 40% de la somme de base.
Il existe plusieurs variante de l'ultimatum game, dont:
- Le "dictature game", : à la différence que le receveur n'a plus son mot à dire, il est obligé d'accepter la somme offerte. Les dictateurs donnent en moyenne 30 % de leur montant.
- Le "third party punishment game": Dans ce jeu Le receveur reste passif, mais il y a une troisième personne, le "punisseur" qui ne reçoit pas d'argent mai qui peut infliger des punitions au proposeur (par exemple lui soutirer de l'argent). Les études mettent en lumière une forme de "punition altruiste": les punisseurs punissent les offres au dessus de 50% de partage .
"Trust game"
Le premier joueur, l’investisseur, doit donner une somme à un second joueur, le receveur. La somme donnée sera alors multipliée par trois, et le receveur pourra choisir de rendre la somme de son choix à l’investisseur. En général, le receveur rend à l’investisseur la somme que ce dernier avait investi et conserve le reste. L’investisseur prend alors un risque car il ne sait pas si le receveur va lui rendre son argent. Cependant, s'il fait confiance au receveur, il a la possibilité de gagner davantage.
"Jeu du mille pattes (centipede)"
Le jeu du mille patte part du même principe que le trust game, mais cette fois-ci, il y a plusieurs tours. Plus précisément, le premier joueur est face à deux montants (par exemple 2Frs et 4Frs). Deux alternatives s'offrent alors à lui: il peut soit conserver la somme la plus importante et laisser la plus petite au second joueur, ou il peut "investir" en donnant les deux montants à l'adversaire, ce qui a pour effet de doubler les montants mis en jeu. Cet adversaire se retrouve alors dans la même position que le premier joueur, mais avec des sommes plus importantes (4Frs et 4Frs). Le jeu prend fin lorsque l'un ou l'autre des joueurs décide de conserver l'argent proposé. Ainsi, tour à tour, l'investisseur devient receveur et inversement. Ainsi, les deux joueurs ont tout intérêt à jouer le plus longtemps possible afin de maximiser leurs gains. Il est donc avantageux de coopérer. Mais la situation fait qu'ils sont tout de même en compétition, chacun doit donc arrêter le jeu et se saisir de l'argent avant l'adversaire pour gagner davantage.
Jeux simultanés
Lors des jeux simultanés, les individus doivent prendre leur décision en même temps. Chacun doit donc bien pouvoir anticiper la réponse de l'autre afin de faire le meilleur choix possible. En voici quelques exemples (liste non-exaustive)
"(Keynesian) Beauty contest game"
Dans ce jeux on demande aux participants de choisir un chiffre entre 1 et 100. Le gagnant sera la personne qui aura choisi le chiffre le plus proche de la moyenne. le gagnant est celui s'approchant au mieux du consensus global. Ainsi, pour remporter le jeu il n'est pas logique de faire un choix totalement aléatoire ou basé sur ses goûts personnels. Il faut en effet déterminer quel est le chiffre que les autres individus vont choisir, alors que ces ces derniers devront également prendre une décision selon ce qu'ils pensent que les autre vont choisir et ainsi de suite, selon plusieurs niveaux de raisonnement logiques. En effet Nagel (1995) décrit l'existence de ces différents niveaux sur un continuum allant du plus bas niveau de raisonnement (les individus qui choisissent simplement au hasard un nombre entre 1 et 100) à des niveaux de plus en plus élevés (ceux qui adaptent leur stratégie en fonction de ce qu'ils pensent que les autre individus pensent, etc.)
"Public good game"
Dans ce jeu, les individus doivent secrètement choisir une somme a placer dans un pot commun. Le montant total accumulé dans ce pot sont multipliés puis il est réparti uniformément entre les joueurs. Chaque sujet conserve les jetons qu'il n'aura pas investi. Ainsi les individus ayant donné le moins sont gagnants, mais il faut mettre le maximum pour que la somme augmente davantage.
Les heuristiques
Constatant que, même en économie, la théorie du choix rationnel comportait certaines limites, Herbert Simon, un économiste, est le premier à avoir introduit la notion d'heuristique. Simon propose la notion de rationalité limitée pour modéliser le comportement des humains et suggère que les individus utilisent des règles approximatives pour prendre des décisions plutôt que de considérer tous les paramètres d'un problème. Pour Simon, les heuristiques sont des règles rationnelles approximatives fournissant des réponses satisfaisantes, sans être optimales. En 1967, Harold Kelley prolonge les travaux d'Herbert Simon en développant la théorie de la covariation aussi appelée théorie de l'attribution causale. À partir des années 1970, la notion d'heuristique change avec Amos Tversky et Daniel Kahneman qui, en 1974, développent l’idée que les individus ne prennent pas toujours leurs décisions de manière rationnelle. Ils seraient soumis à des biais et peuvent commettre des erreurs. Leurs ressources cognitives ne leur permettant pas d’utiliser des règles rationnelles, les individus recourraient à des raccourcis cognitifs : les heuristiques, qui sont des opérations mentales « intuitives, rapides et automatiques ». Tversky et Kahneman sont les auteurs principaux ayant étudié et développé le concept d'heuristique de jugement. Ils sont par exemple à l'origine des heuristiques de représentativité, de disponibilité et d'ancrage et d'ajustement. Les interprétations résultant des heuristiques selon Tversky et Kahneman ne font cependant pas l’unanimité auprès de la communauté scientifique. En effet, selon eux, les heuristiques mènent à des raisonnements de qualité tandis que pour d’autres auteurs, ils aboutissent à de mauvaises réflexions. Les heuristiques sont appliquées dans de nombreux autres domaines, notamment dans le marketing, la santé publique, la politique et la justice.
Dans la prise de décision et le jugement, les heuristiques permettent d'effectuer plus simplement des jugements, de faire face à l’incertitude, de préserver les efforts des acteurs et de leur faire gagner du temps. Elles servent également à généraliser et à porter des jugements abstraits. Il existe de nombreuses variantes dans les heuristiques. Nous nous contenterons ici d’en mentionner les principales et d’offrir quelques exemples.
Heuristique de représentativité et biais associés
Tversky et Kahneman ont observé le phénomène suivant : plus une chose est typique d'une catégorie, plus les individus la classent dans cette catégorie. L’heuristique de représentativité est une règle qui «consiste à estimer la probabilité d’appartenance d’un objet à une classe d’objets à partir de sa ressemblance avec un cas prototypique de cette classe». Selon Tversky et Kahneman, cette règle est utilisée pour répondre à des questions de probabilité comme : « Quelle est la probabilité qu'A appartienne à la classe B ? ». Si A est très représentatif de B, l’individu jugera qu'A a une forte probabilité d’appartenir à B. Ils développent l’idée que l’heuristique de représentativité est aussi utilisée pour catégoriser socialement les individus en fonction de leur ressemblance avec les stéréotypes caractérisant ces catégories. Cette règle peut expliquer certains biais de jugement.
Ignorance des probabilités a priori (ignorance du taux de base)
Un premier biais expliqué par l’heuristique de représentativité consiste à ignorer les probabilités a priori (ignorance du taux de base). En 1973 Tversky et Kahneman ont étudié ce phénomène en demandant à des sujets de lire une brève description d’un individu pris d’un groupe de 100 personnes. La moitié des sujets étaient informés que le groupe de 100 personnes était composé de 30 % d’avocats et 70 % d’ingénieurs (le taux de base) et l’autre moitié que la composition du groupe était de 70 % d’avocats et de 30 % d’ingénieurs. La description lue par les sujets correspondait au stéréotype de l’ingénieur. La tâche des participants était d’estimer la probabilité de cet individu d’être un ingénieur plutôt qu’un avocat. Quel que soit le taux de base fourni aux sujets, ceux-ci ont estimé que l’individu décrit avait une grande probabilité d’être ingénieur : il n’y avait donc pas de différence significative entre les deux groupes de participants. Par contre, lorsque les sujets n'avaient pas de description à leur disposition, ils tenaient effectivement compte du taux de base. Tversky et Kahneman en ont conclu que, lorsque les sujets disposaient d'une description de l'individu, ils avaient utilisé l’heuristique de représentativité en ignorant le taux de base fourni. Lorsque les individus doivent estimer la probabilité d’obtenir un résultat particulier dans un échantillon, leur réponse est donc affectée par le fait qu’ils ne tiennent pas correctement compte de la taille de cet échantillon et de leur mauvaise compréhension du hasard.
Heuristique de disponibilité et biais associés
Selon les observations de Tversky et Kahneman, plus il est facile de se souvenir d’un événement, plus celui-ci est considéré comme fréquent et inversement. L’heuristique de disponibilité « consiste à juger la fréquence ou la probabilité d’un événement en fonction de la facilité avec laquelle on peut se remémorer des exemples de cet événement ». Ce phénomène est expliqué par le fait que les individus se rappellent mieux des exemples d’événements très fréquents que des exemples d’événements peu fréquents. Cette heuristique peut toutefois mener à plusieurs biais.
La facilité de rappel des souvenirs Un des biais énoncé par Tversky et Kahneman est dû à la facilité de rappel des souvenirs. Il arrive que la facilité d’accès en mémoire d’un événement ne reflète pas sa fréquence exacte d’apparition. Par exemple, les individus de l’étude de Slovic, Fischoff et Liechtenstein croyaient que mourir d’un homicide était plus fréquent que mourir d’un cancer de l’estomac. Or le décès par cancer de l’estomac est dix-sept fois plus fréquent que l’homicide. Cependant, les cas de meurtre sont plus facilement accessibles en mémoire grâce, entre autres, aux médias.
Heuristique d’ancrage et d’ajustement et biais associés
Afin d’estimer la grandeur (fréquence, probabilité…) d’un nouvel évènement, les individus ont tendance à utiliser l’heuristique d’ancrage et d’ajustement. Pour ce faire, aussi bien les enfants que les adultes se basent sur une quantité ou une information qui peuvent être pertinentes ou non (une "ancre"). Par la suite, ils l'ajusteront en considérant les particularités de ce nouvel évènement. Cependant, l’ajustement est en général insuffisant comme le prouve l’étude initiale de Tversky et Kahneman de 1974. Dans celle-ci, les sujets devaient tout d’abord tourner une roue de la fortune truquée. Ils recevaient alors un pourcentage qui était soit 10 % soit 65 %. Ensuite, ils devaient évaluer si le pourcentage était inférieur ou supérieur à celui du nombre de pays africains représentés aux Nations unies. Enfin, ils devaient en estimer le pourcentage exact. Les résultats montrent que l’estimation est influencée par le pourcentage fourni par la roue de la fortune. Les gens se sont donc basés sur celui-ci : ce nombre a été l’ancre de leur estimation. L’estimation de ceux dont l’ancre était de 10 % tournait autour de 25 % tandis que l’estimation de ceux qui avaient reçu 65 % était aux alentours de 45 %. L’effet d’ancrage apparaît dans de nombreux types de phénomènes tels que l’attribution causale ou encore la prédiction de la probabilité d’un évènement futur. Dans les situations sociales, les individus utilisent leurs propres points de références comme point d’ancrage sauf quand ceux-ci sont ambigus. Ils se baseraient alors sur les comportements et attributs des autres ou sur des détails non pertinents de la situation. De nombreux facteurs humains régulent l’influence des ancres comme l’humeur, la personnalité, l’expertise dans le sujet concerné et les habilités cognitives des personnes.
Autres heuristiques et biais associés
- Biais de confirmation (Scott Plous, 1993) – Les gens cherchent à réunir des arguments qui vont dans le sens de leurs conclusions, ignorant ainsi d'autres arguments qui amèneraient à d'autres conclusions.
- Arrêt prématuré de la recherche de preuves – les gens ont tendance à accepter la première alternative qui a l'air de marcher.
- Inertie cognitive – volonté de ne pas changer sa façon de penser malgré de nouveaux faits.
- Perception sélective – élimination de l'information que l'on juge peu importante.
- Wishful thinking – tendance à vouloir voir les choses sous une lumière positive qui peut distordre la perception et la pensée.
- Récence – tendance à se focaliser sur l'information récente et à ignorer ou oublier les informations plus anciennes.
- Biais de répétition – volonté de croire ce que l'on a entendu le plus souvent et par le plus grand nombre de sources.
- Pensée de groupe – pressions des pairs pour se conformer à l'opinion du groupe.
- Crédibilité de la source – tendance à rejeter les propositions d'une personne soit en raison d'un biais défavorable à son égard, soit en raison de son appartenance à un groupe.
- Asymétrie d'attribution – les gens ont tendance à attribuer leurs succès à des facteurs internes tel que leur talent mais expliquent leurs échecs par des facteurs externes tel que le manque de chance.
- Jouer un rôle – Une tendance à se conformer aux attentes des autres en ce qui concerne la prise de décision.
- Sous-estimation de l'incertitude et illusion de contrôle - les gens ont tendance à sous-estimer l'incertitude liée au futur parce qu'ils pensent qu'ils ont plus de contrôle sur les événements qu'ils en ont en réalité.
La perspective neuropsychologique
Le cortex cingulaire antérieur (CCA), le cortex orbitofrontal sont des régions du cerveau impliquées dans le processus de prise de décision. Une étude récente de neuro-imagerie a trouvé des patrons d'activation neurologique différents dans ces régions selon que les décisions étaient prises sur la base de la volonté personnelle, ou en suivant les directives de quelqu'un d'autre.
Les patients avec des dommages dans le cortex préfrontal ventromédian ont de la peine à prendre des décisions qui les avantagent. Une étude récente sur un choix forcé à deux alternatives impliquant des macaques rhésus a trouvé que les neurones dans le cortex pariétal ne représentent pas seulement la formation d'une décision mais signalent aussi le degré de certitude (ou de confiance) associé à la décision. Une autre étude récente a trouvé que les lésion du CCA chez le macaque avait comme résultat une prise décision altérée sur le long terme lors de tâches guidées avec renforcement. Cela suggère que le CCA pourrait être impliqué dans l'évaluation de l'information concernant les renforcements passés et dans la conduite d'actions futures.
Il semble que l'émotion aide au processus de décision; la prise de décision est souvent confrontée à l'incertitude concernant le fait que le choix d'une personne mène à un bénéfice ou à un préjudice. L'hypothèse du marqueur somatique est une théorie neurobiologique sur la façon dont sont prises les décisions face à un résultat incertain. Cette théorie soutient que ces décisions sont aidées par les émotions, sous forme d'états physiques, qui sont suscités durant la délibération sur les conséquences futures et qui marquent différentes options comportementales comme étant avantageuses ou désavantageuses. Ce processus implique une interaction entre les systèmes neuraux qui suscitent les états émotionnels et corporels et les systèmes neuraux qui élaborent ces états émotionnels et corporels.
Pour aller plus loin
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- Epley, N., & Gilovich, T. (2006). The anchoring-and-adjustment heuristic Why the adjustments are insufficient. Psychological science, 17(4), 311-318.
- Goldstein, E. (2010). Cognitive psychology: Connecting mind, research and everyday experience. Cengage Learning.
- Kahneman, D., & Tversky, A. (1984). Choices, values, and frames. American psychologist, 39(4), 341.
- Tversky, A., & Kahneman, D. (1974) Judgement under uncertainty : heuristics and biases, science, 185(4157), 1124-1131.
Exemples de cours portant sur la prise de décision pouvant être suivis à la FAPSE de l'Université de Genève:
- 751610. Affect et prise de décision (T. Brosch)
- 751239. Percevoir et Décider (B. Bediou)
Références
- Damasio, AR (1994). Descarte's Error: Emotion, reason and the human brain. New York: Picador. ISBN 0-333-65656-3.
- Neumann, J. V., & Morgenstern, O. (1944). Theory of games and economic behavior (Vol. 60). Princeton: Princeton university press.
- Kiani, R., & Shadlen, M. N. (2009). Representation of confidence associated with a decision by neurons in the parietal cortex. science, 324(5928), 759-764.
- Shizgal, P., & Conover, K. (1996). On the neural computation of utility. Current Directions in Psychological Science, 5(2), 37-43.
- Tversky, A., & Kahneman, D. (1974). Judgment under uncertainty: Heuristics and biases. science, 185(4157), 1124-1131.
- Tversky, A., & Sattath, S. (1979). Preference trees. Psychological Review, 86(6), 542.
Droits d'auteur
- Certaines parties de cet article s'appuient sur le cours "Percevoir et Décider" (751239) donné au semestre d'automne 2014 par le prof. Benoît Bediou à la FAPSE de l'Université de Genève.
- Certaines parties de cet article se basent sur des article provenant de Wikipédia. Articles originaux: