Psychologie sociale

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Tirés d'articles originaux disponible sur : http://deliriumstudens.org/wiki/index.php


Conformisme et soumission

Les thématiques du conformisme et de la soumission constituent l'un des principaux champs d'étude de la psychologie sociale. Les deux expériences présentées ici ont des implications qui vont bien au-delà du laboratoire et permettent, par exemple, d'interpréter certains comportements religieux.

Asch

Dans l'expérience réalisée en 1951 par Asch (1907-1996), on présente à des sujets une ligne (un trait) puis il leur est demandé de comparer cette ligne à trois lignes dont une seule a la même longueur que l'étalon afin de déterminer laquelle est de la même taille. Les deux autres lignes n'ont clairement pas la même longueur que l'étalon. Aussi, la réponse devrait être évidente.
Cependant, il se trouve que le sujet n'est pas seul à répondre, mais, tout comme dans un certain nombre d'autres recherches en psychologie sociale où l'on cherche à tester l'influence, le sujet est mis dans une situation de groupe, dans laquelle les autres sujets de l'expérience sont en fait des complices de l'expérimentateur (des compères).[1].
Dans l'expérience de Asch, les complices de l'expérimentateur ont reçu la consigne de donner 12 fois sur 18 une estimation fausse de la longueur de la ligne en désignant une ligne, systématiquement la même, de longueur différente de celle de l'étalon. Le sujet naïf est l'avant-dernier à répondre. Il entend ainsi les compères donner de mauvaises réponses. Le sujet naïf, quand vient son tour, doit donc choisir s'il va dire ce qu'il voit (à savoir qu'il va désigner la ligne qui, de toute évidence est de même longueur que l'étalon) ou dire ce qu'il a entendu (à savoir qu'il va désigner la même ligne que les compères). L'expérience est répétée plusieurs fois (on demande aux sujets d'évaluer la taille de plusieurs lignes à la suite). Les expérimentateurs considèrent qu'une seule erreur de la part du sujet sur l'ensemble des estimations est déjà à considérer comme étant le résultat de l'influence des autres sujets. La raison de cette faible tolérance à l'erreur est que dans la condition "contrôle" (la condition dans laquelle les compères disent ce qu'ils voient réellement) les sujets ne font presque aucune erreur.

Résultats

Sur les 50 sujets, 37 se trompent au moins une fois. Ainsi, au moins une fois, ils sont influencés de manière trompeuse par les autre sujets. Certains sujets se trompent même plusieurs fois. En considérant l'ensemble des réponses, on constate que 32% des estimations sont erronées (contre 0.4% en condition de contrôle).

Interprétation

A la lumière de ces résultats, on comprend que, lorsque tout le monde porte une affirmation fausse de façon consistante, un certain nombre de personnes vont se conformer à cette affirmation erronée, même si elles n'y adhèrent pas. Cela nous montre que certaines personnes (une majorité en fait), à l'intérieur d'un groupe, tiennent le même discours que le groupe, bien qu'elles n'y croient pas, afin de ne pas se mettre en porte-à-faux de l'ensemble et de se sentir ainsi acceptées. Ainsi, cette recherche montre que les réponses d'un individu peuvent être modifiées par le conformisme, donc par un groupe, là où il n'y a pas de contrainte directe, d'obligation de répondre d'une manière précise, si ce n'est le fait que tout le monde réponde différemment de ce que le sujet a l'impression de voir à tel point qu'il doute de lui-même.

Soumission à l'autorité

Un autre aspect important de la psychologie sociale est la question de la soumission à l'autorité. Le paradigme le plus important et le plus célèbre traitant de soumission est l'expérience de Milgram. Le but de l'expérience est de savoir à partir de quand les sujets refusent l'autorité et refusent d'obéir à des ordres qui violent la morale. Cette expérience viole un certain nombre de règles éthiques de l'expérimentation psychologique, et ne serait plus réalisable aujourd'hui.

Le paradigme

Les personnages de l'expérience:

  • l'expérimentateur (en réalité un comédien)
  • l'apprenant (un autre comédien)
  • l'enseignant (le sujet naïf de l'expérience sur lequel, de fait, l'expérience est réalisée)

On dit au sujet (l'enseignant) qu'il va participer à une expérience sur la mémorisation. Pour cela, il devra appliquer des chocs électriques gradués à un apprenant lorsque ce dernier se trompera (en réalité, les chocs électriques sont fictifs, mais le sujet ne le sait pas. L'apprenant est un comédien qui simule la douleur). Le sujet est placé devant une console avec différentes manettes sensées envoyer des décharges de plus en plus fortes. L'apprenant est placé sur une fausse chaise électrique et est séparé du sujet par une fine cloison. La souffrance apparente de l'apprenant évolue au cours de la séance : à partir de 75 V il gémit, à 120 V il se plaint à l'expérimentateur qu'il souffre, à 135 V il hurle, à 150 V il supplie d'être libéré, à 270 V il lance un cri violent, à 300 V il annonce qu'il ne répondra plus. Lorsque l'apprenant ne répond plus, l'expérimentateur indique qu'une absence de réponse est considérée comme une erreur. Au stade de 150 volts, la majorité des sujets manifestent des doutes et interrogent l'expérimentateur qui est à leur côté. Celui-ci est chargé de les rassurer en leur affirmant qu'ils ne seront pas tenus pour responsables des conséquences. Si un sujet hésite, l'expérimentateur lui demande d'agir. Si un sujet exprime le désir d'arrêter l'expérience, l'expérimentateur lui adresse, dans l'ordre, ces réponses :

   « Veuillez continuer s'il vous plaît. »
   « L'expérience exige que vous continuiez. »
   « Il est absolument indispensable que vous continuiez. »
   « Vous n'avez pas le choix, vous devez continuer. »

Si le sujet souhaite toujours s'arrêter après ces quatre interventions, l'expérience est interrompue. Sinon, elle prend fin quand le sujet a administré trois décharges maximales (450 volts) à l'aide des manettes intitulées XXX situées après celles faisant où il est écrit: "Attention, choc dangereux".

À l'issue de chaque expérience, un questionnaire et un entretien avec le sujet permettent de recueillir ses sentiments et d'écouter les explications qu'il donne sur son comportement. Cet entretien vise aussi à le réconforter en lui affirmant qu'aucune décharge électrique n'a été appliquée, en le réconciliant avec l'apprenant et en lui disant que son comportement n'avait rien de sadique et était tout à fait normal.

Résultats

Le résultat principal de cette expérience qui a beaucoup choqué à l'époque est que 65% des sujets sont allés jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'au choc administré à l'aide des manettes sur lesquelles il était écrit XXX (bien qu'il existe de nombreux autres résultats ainsi que de nombreuses variantes pour cette expérience).

Interprétation

Milgram (1933-1984) essayait de comprendre ce qui pouvait se passer dans certains régimes totalitaires, où une grande partie de la population est prête à exécuter des actions immorales pour autant que l'autorité soit suffisamment bien établie et convaincante. Milgram pense que, la personne étant soumise, elle se déresponsabilise de ses actions en se présentant comme un simple acteur (la personne se trouverait dans un "état agentique") d'un dispositif dans lequel elle est engagée mais dans lequel la responsabilité est placée du côté de l'autorité à laquelle elle est soumise.

Dans la question de la soumission, une personne a un statut d'autorité et pousse à agir le sujet d'une manière contraire à ce qu'il souhaiterait faire. Les questions posées après le test pour comprendre comment les sujets ont perçu ce qu'ils ont fait montrent que deux tiers des sujets disent être conscients de ne pas adhérer à ce qu'il font et pourtant le font (dans le paradigme précédent de Asch, cette proportion est d'un tiers).

On montre des jetons avec six intensités lumineuses différentes, du plus clair au plus foncé. Mais ces jetons sont toujours bleus. Deux compères font exprès de se tromper de temps à autres (en disant que les jetons sont verts, par exemple), mais quand ils le font, il disent la même chose. Ils sont ce qu'on appelle une «minorité consistante». La question est de savoir si le sujet naïf se met à suivre, un certain nombre de fois, le groupe minoritaire. Dire vert, même s'il n'a pas vu vert.
Figure 3. Expérience des jetons bleus et verts de Moscovici.

Influence minoritaire

Une interprétation possible de l'expérience de Asch (l'expérience sur l'estimation de longueur de lignes) serait que le sujet est poussé à modifier son jugement parce qu'il se trouve en minorité. C'est ce type d'interprétation qui était donné habituellement. Willem Doise ([2]) fait remarquer que, dans l'expérience de Asch, le groupe de complices de l'expérimentateur qui répond de façon erronée soutient en fait une position déviante et minoritaire si on le situe dans un contexte culturel plus large (même si le groupe est majoritaire au cours de l'expérience). Ainsi, au moment de l'expérimentation, par rapport au référant culturel global, le sujet devrait être capable de penser que la position du groupe est une position minoritaire et que, s'il se trouvait avec d'autres personnes, ces dernières estimeraient la longueur de la ligne de la même manière que lui.

Dans le but d'explorer l'influence minoritaire, d'autres expériences ont été menées, en particulier par Moscovici (figure 3) qui a travaillé sur l'influence minoritaire. Dans l'influence minoritaire, une minorité soutient une position différente de la majorité. Les sujets, à force d'être confrontés à cette position minoritaire, sont finalement influencés, même si ce que dit la minorité ne correspond pas à la réalité. Il y aurait une sorte de doute s'établissant dans l'esprit du sujet, comme s'il y avait une volonté d'essayer d'intégrer la minorité ou l'avis de la minorité, même si cela ne correspond pas à l'avis du sujet. On va essayer d'expliquer ce phénomène à travers des mécanismes simples de ne pas toujours être différent de l'opinion minoritaire.

Ensuite d'autres travaux ont essayé d'expliquer le conformisme (Kelman) et qui ont distingué trois attitudes de conformisme:

  1. Celle allant jusqu'à l'intériorisation où ce n'est plus simplement par convention, faire comme les autres pour ne pas être différent de l'ensemble du groupe, mais il peut y avoir une véritable intériorisation où le sujet fait sien le système de valeur, les actes qu'il adopte.
  2. Ce qui a été appelé l'identification où le sujet adopte les opinions de ceux qu'il aime, de ceux à qui il veut ressembler.
  3. Le suivisme est la situation dans laquelle pour ne pas être rejeté, pour éviter les inconvénients, la personne fait comme tout le monde.

Quand une influence est majoritaire, quand on est confronté à la majorité des opinions des autres, il y a peut-être une tendance à se conformer par suivisme, parce qu'il est désagréable d'être différent, exclu, pas intégré. Par contre, quand il y a une source minoritaire consistante, on pourrait avoir des changements d'attitude qui vont dans le sens d'essayer d'intégrer ceux qui sont différents. Un ouverture à l'opinion d'une minorité consistante qui sont appelés des «effets de conversion» au niveau de la réélaboration d'une opinion (et non d'une identité comme discuté lors du cours précédent).

La soumission est expliquée par le contexte où le sujet est placé dans un état où il n'est plus qu'un exécutant et où il a tendance à se déresponsabiliser. Par la légitimité attribuée à une figure d’autorité à l’intérieur d’un groupe. Dans l'expérience Milgram (qui était médecin, statut extrêmement valorisé dans notre société à l'heure actuelle, la préservation de la vie apparaissant comme une des valeurs la plus précieuse et tout le monde est prêt à y adhérer) ???[3].

Conformisme et soumission en contexte religieux

Les mécanismes de conformisme et de soumission sont utilisés pour expliquer les phénomènes de soumission idéologiques vécus par les membres de groupes religieux. Une personne qui intègre un groupe religieux par mariage, par amitié, par convention, ou lors d'un changement d'environnement culturel subit de fait une influence.

Influence du milieu

Les opinions religieuses peuvent être nuancées par l'influence de l'environnement culturel et religieux. Ainsi, les convictions des catholiques dans un canton suisse à minorité protestante ressemblent plus aux convictions des protestants de ce canton qu'aux convictions des catholiques polonais. Un environnement à tradition religieuse mixte influencera différemment les croyants qu'un environnement monoreligieux.

Soumission

La soumission nous permet d'expliquer la dépendance vis-à-vis d'un gourou, ou d'un chef de groupe religieux. En effet, dans un groupe religieux, plus particulièrement dans un groupe sectaire, les membres du groupe sont soumis à une personne présentée comme ayant l'autorité et la capacité d'interpréter, de savoir ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas.

Lien avec Milgram

Cette situation est similaire à la situation rencontrée dans l'expérience de Milgram (chocs électriques). Dans le cas d'un groupe religieux ou sectaire, vu que les membres du groupe prêtent de la légitimité et de l'autorité au gourou, ce dernier a la possibilité de leur enjoindre de se comporter de la manière qu'il souhaite, réduisant les membres du groupe à un "état agentique". Aussi, les personnes ayant adhéré à la religion pourraient être amenées à faire un certain nombre de choses contraires à l'éthique. En effet, les individus se considérant comme des agents adhérant à une autorité, ils se peut qu'ils considèrent qu'il n'est pas de leur ressort de déterminer si leur conduite est légitime ou pas.

Milgram et le théologien

Dans l'expérience de Milgram il y avait, entre autres, un professeur de théologie enseignant l'Ancien Testament. Cette personne est l'un des sujets ayant refusé de poursuivre l'expérience, en disant que c'était contraire à ses convictions et que l'autorité de Dieu était supérieure à celle de l'expérimentateur. Nous trouvons ici le même type de "raisonnement" que celui des sujets ayant continué à administrer les chocs, à savoir la soumission à l'autorité, transférée cette fois vers une entité plus légitime que l'expérimentateur (Dieu). La soumission à l'autorité rend certaines opinions indiscutables. Dans ce cas, il y a un conflit d'autorité. L'autorité attribuée à Dieu est placée au-dessus de l'autorité de l'expérimentateur et la personne se sent ainsi capable de résister aux demandes parce qu'elle se soumet à une autorité plus haute.

Soumission à Dieu et politique

L'autorité de Dieu permet de résister à des autorités humaines. C'est la revendication d'un certain nombre de groupes qui ont défendu la liberté de conscience à certains moments de l'histoire. il est possible d'expliquer de cette façon que, peu avant la chute du mur de Berlin, les églises en Allemagne de l'Est ont été, pour les gens souhaitant résister au régime, un lieu pour revendiquer au nom d'une autorité spirituelle supérieure la liberté de ne pas suivre les injonctions de l'autorité officielle. Cependant, cette même référence à une autorité supérieure peut être, dans d'autres cas, la raison d'actes terroristes au nom de Dieu.

Autorité et capacité critique

Dans ce type de situation, la difficulté consiste pour la personne à conserver sa capacité critique à l'égard de l'autorité sous laquelle elle se place. Ainsi, dans le cas du professeur de théologie, ce dernier se contente de se référer au religieux afin de critiquer une autorité humaine qu'il juge immorale. Ce type de d'argument peut se révéler problématique lorsque la personne ne se contente plus seulement d'être critique, mais qu'elle se met à agir afin de modifier le réel parce qu'elle en aurait reçu l'injonction de la part d'une autorité supérieure, dont elle serait capable d'être l'interprète légitime sans regard critique face à cette soumission.

Spécificité de l'influence religieuse

Il faut être attentif au fait que nous sommes devant des processus d'influence non spécifiques au champ religieux. Ainsi, la soumission à un chef peut être d'ordres politique, ethnique, syndical, social, ou autres. Cela nous éclaire quant à ce qui peut se passer dans un groupe religieux, mais ce n'est pas propre au groupe religieux.

Notes & Références

  1. Les compères sont des «acteurs», des gens au courant du but véritable de l'expérience et qui jouent un rôle prédéterminé. Les véritables sujets, ou "sujets naïfs" ne savent pas, eux, qu'ils participent à une expérience de psychologie sociale (dans un cas comme celui-là, on les informe qu'ils vont participer à une expérience sur la perception des longueurs). C'est sur ces sujets naïfs que se construit, en général, la recherche.
  2. professeur de Psychologie sociale à l'Université de Genève
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Bibliographie

Références bibliographiques

  • Bailly, Nathalie (2008). Vieillissement, religion et spiritualité, in Nicolas Roussiau (dir.) Psychologie sociale de la religion. Rennes: Presses Universitaires de Rennes, p.173-188.
  • Bailly, Nathalie, Roussiau, Nicolas, & Fleury-Bahi, Ghozlane (2011). Etude des liens entre les croyances religieuses et spirituelles, la santé et l’âge, Bulletin de Psychologie 64, n°512, p.149-154.
  • Deconchy, Jean-Pierre (2011). La psychologie sociale expérimentale de la religion: état des lieux, Bulletin de Psychologie 64, n°512, p.117-132.
  • Psychologie de la religion, perspectives psychosociales: dossier (2011). Bulletin de Psychologie n°512, p.99-168.
  • Py, Yves & Roussiau, Nicolas (2008). Conformisme, radicalisations idéologiques et phénomènes religieux, in Nicolas Roussiau (dir.) Psychologie sociale de la religion. Rennes: Presses Universitaires de Rennes, p.137-155.
  • Roussiau, Nicolas (dir.) (2008). Psychologie sociale de la religion. Rennes: Presses Universitaires de Rennes.
  • Saroglou, Vassilis & Crommelynck, Delphine (2011). De la dangerosité sectaire: perceptions et déterminants, Bulletin de Psychologie 64, n°512, p.155-168.