STIC:STIC III (2018)/Répartition-des-richesses
Physicalisation de données | |
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Module: STIC:STIC III (2018)/Projets | |
⚐ à finaliser | ☸ débutant |
⚒ 2019/02/05 |
Apports théoriques, artistiques, etc.
Les inégalités de richesse
En 2006, le milliardaire Américain Warren Buffet déclarait dans les colonnes du New York Times : "Il y a une guerre des classes, c'est un fait, mais c'est ma classe, la classe des riches, qui la mène, et nous sommes en train de la gagner"[1]. Depuis, la répartition des richesses a continué à bénéficier aux plus riches et rien - ou presque - n'a été mis en place pour y remédier.
Selon un rapport d'Oxfam qui date de 2018[2], malgré le souhait de nombreux-ses citoyen-ne-s de vivre dans des sociétés plus égalitaires, le nombre de milliardaires a connu sa plus forte hausse de l'histoire en 2017. Aujourd'hui, on compte plus de 2'000 milliardaires - en dollars - dans le monde, et neuf sur dix sont des hommes : "82 % de la croissance des richesses créées dans le monde l'année dernière ont bénéficié aux 1% les plus riches.[...] D'après les nouvelles données du Credit Suisse, 42 personnes détiennent à elles seules autant que les 3,7 milliards de personnes les plus pauvres, et la statistique de l'année dernière a été révisée de 8 à 61 personnes possédant à elles seules autant de richesses que les 50% les plus pauvres.".
La réduction des inégalités économiques fait aussi partie de l'un des 17 objectifs de l'ONU dans le cadre du développement durable. C'est l'objectif numéro 10[3].
En dehors de son importance, ce sujet me paraît intéressant à intégrer dans le cadre d'un projet sur la physicalisation des données. En effet, les ordres de grandeurs en jeux sont tels qu'il est difficile d'en avoir une vision concrète. Sans oublier que la majorité des gens n'ont pas accès aux personnes qui comptent parmi les plus riches de leur ville, de leur pays ou du monde (et en dehors des médias), ce qui les éloignent encore plus de cette réalité. Passer par une représentation géométrique/matériel de ces données offrirait une expérience originale.
L'art dans la recherche
L'art est de plus en plus utilisé dans la recherche et existe en trois catégories : les recherches à propos de l'art, l'art comme recherche et l'art dans la recherche[4]. Dans notre cas, on se situe vraisemblablement dans la deuxième, à savoir "l'art comme recherche". Car cela implique de voir l'art comme un moyen d'enquêter autour d'un sujet de recherche, et c'est le partit que j'ai pris pour réaliser ce projet. Après avoir fixé le thème des inégalités de richesse, j'ai utilisé une démarche artistique pour sonder ce thème et trouver des données adaptées à une visualisation artistique.
De plus, j'ai souhaité dès le départ apporter une dimension symbolique à l’œuvre finale. Avec pour objectif de donner à ses potentiels spectateurs un sens, au-delà de simplement leur exposer des données représentées physiquement.
Visualisation des données
L'évolution des moyens de visualisation des données a soutenu l'évolution humaine. On pense notamment aux premiers supports pour les dessins et l'écriture qui ont permis d'organiser la vie en communauté : récoltes, impôts, etc. Mais si cette évolution des médiums est aussi passée par des artefacts aux données tangibles comme les bouliers, dans notre société actuelle elle a majoritairement aboutit a une visualisation dans un plan en deux dimensions : papier, écrans d'ordinateurs, de smartphones, etc. Et on imagine difficilement comment les remplacer car "les ordinateurs graphiques ont réintroduit la manipulabilité à travers l’interactivité qui, couplée au traitement automatique, offre des possibilités infinies pour l’exploration de données.". Cependant, poursuit l'auteur "[...] les visualisations interactives demeurent virtuelles, emprisonnées dans un espace à deux dimensions, et les manipuler nécessite un apprentissage préalable." (Yvonne JANSEN & Pierre DRAGICEVIC, 2015)[5].
Ce qui est très intéressant dans ce domaine et qui reprend ma remarque sur la difficulté qu'on les gens à se représenter concrètement les données, est bien décrit ici : "De plus en plus de données sont disponibles, mais leur compréhension et leur exploitation par le grand public restent un problème. Les représentations physiques étant attrayantes, elles peuvent constituer une porte d’entrée." (Yvonne JANSEN & Pierre DRAGICEVIC, 2015)[5]..
S'appuyant sur la démocratisation des outils de fabrication numérique, notamment à travers le mouvement des fablabs, la visualisation physique des données est en plein essor.
Méthode
La méthode se situera dans le champs artistique, du moins pour une partie du projet :
- Recherche d'un sujet en partant du principe qu'il va falloir représenter des données sous la forme d'une œuvre artistique
- Une fois le sujet validé, faire un état de l'art, trouver des études existantes, statistiques, données sur ce thème
- Parmi les documents, sélectionner les données qui seront représentées
- Processus artistique pour la création de l’œuvre sur la base de ces données
Solution trouvée (éventuellement le parcours, difficultés, etc.)
Le sujet sur les inégalités de richesse entre êtres humains a orienté mes recherches sur le coefficient de Gini[6]. Le problème est qu'il est calculé d'une manière qui ne prend pas en compte la répartition des revenus, comme l'indique son article Wikipédia : "L'indice de Gini ne permet pas de tenir compte de la répartition des revenus. Des courbes de Lorenz différentes peuvent correspondre à un même indice de Gini. Si 50 % de la population n’a pas de revenu et l’autre moitié a les mêmes revenus, l’indice de Gini sera de 0,5. On trouvera le même résultat de 0,5 avec la répartition suivante, pourtant moins inégalitaire : 75 % de la population se partage de manière identique 25 % du revenu global d'une part, et d'autre part le 25 % restant se partage de manière identique le 75 % restant du revenu global.". Et : "L'indice de Gini ne fait pas de différence entre une inégalité dans les bas revenus et une inégalité dans les hauts revenus.".
Après avoir réfléchis à des solutions utilisant cet indicateur, je me suis rendus compte qu'il n'était pas assez parlant. Il me fallait un point d'entrée plus simple. Je suis donc partis sur la répartition des richesse entre les citoyens d'un pays. Le chiffre des 1% étant assez évocateur, j'ai sélectionné trois pays pour permettre un point de comparaison : Suisse, États-Unis et Chine. Je trouvais intéressant de comparer la Chine et les États-Unis qui sont respectivement la 1ère et la 2ème puissance économique mondiale. Et la Suisse car c'est le pays dans lequel ce projet prend place, et qu'elle est considérée comme un pays égalitaire.
Dans mes envies, je souhaitais aussi une œuvre interactive. Que les spectateurs puissent la toucher, voir la modifier, afin de sentir encore mieux les données. Car la physicalisation des données permet de manipuler en plus de visualiser, ce qui offre une dimension sensorielle supplémentaire bienvenue pour l'apprentissage - le but étant quand même que les gens comprennent et retiennent mieux l'information qu'avec un support uniquement visuel.
À force d'essais et de réflexions, je suis arrivé sur l'idée d'utiliser une balance pour représenter une tension entre équilibre et déséquilibre. La notion de répartition aussi prenait tout son sens avec cet objet. De plus, il a une dimension symbolique forte : la justice. Et les inégalités de richesses sont tout sauf juste.
Pour le design, j'ai fais de nombreux croquis, passant d'une balance traditionnelle avec de petits bonhommes pour les poids, à une forme plus épurée et conceptuelle toujours en déséquilibre, même à l'équilibre. J'ai non seulement voulu appuyer son aspect symbolique, mais aussi sa forme pour que l'objet puisse interpeler sans expliciter directement sa raison d'être, tout comme une œuvre d'art. Une fois la version finale terminée, j'ai commencé la conception 3D sur Fusion 360. Finalement j'ai découpé les pièces au laser avant de les assembler.
Au niveau de données, j'ai eu beaucoup de peine à trouver quelque chose de fiable. Je m'en suis donc remis à des sources un peu douteuses :
- Pour les États-Unis : "En 2016, 1 % des Américains détenaient 63 % de la richesse du pays selon le Boston Consulting Group."[7]
- Pour la Chine : "Ces richesses sont toutefois de plus en plus inégalement réparties. En 1980, les 1% les plus aisés détenaient 6,4% de la richesse nationale tandis que 26,7% des revenus étaient détenus par les 50% les plus pauvres. En 2015, la part des plus aisés s'établissait à 13,9% des richesses contre 14,8% pour les plus pauvres."[8]
- Pour la Suisse : c'est environ 40% qui est détenu par les 1% les plus riches d'après le graphique sur cette page : https://99pourcent.ch/wp-content/uploads/2018/04/99_INITIATIVE_Argumentarium_fr.pdf
Techniquement parlant, la plus grande difficulté à résidé dans le dimensionnement du système pour qu'il puisse représenter la situation des trois pays selon son positionnement, tout en gardant des proportions justes.
Fonctionnement du système
Ci-dessous se trouve le projet finalisé en images. Le fonctionnement est le suivant :
- On se trouve face à une balance déséquilibrée. Le point de pivot (demi-cercle) peut être déplacé de gauche à droite - il coulisse grâce à un mécanisme avec des aimants - afin de sélectionner le pays souhaité. À noter que les encoches des pays n'apparaissent pas sur l'image mais il y a des encoches indiquant où positionner le pivot pour chaque pays. Cela permet de régler le nombre de billes qui seront nécessaires pour compenser celle sur la gauche.
- La bille de gauche représente le 1% des personnes les plus riches du pays. Celle de droite, qui peuvent aller jusqu'à 10, représentent les richesse sur une échelle de 0 à 100 %, donc chaque bille vaut 10% des richesses du pays.
- Une fois le pivot réglé, l'utilisateur commence à déposer des billes jusqu'à ce que la balance s'équilibre. Lorsque c'est fait, le nombre de billes placées sur la droite indiquent le pourcentage des richesses détenues par le 1% des personnes les plus riches du pays choisit.
- On peut recommencer l'opération avec les deux autres pays afin de pouvoir comparer.
Fabrication du système
Évaluation de la solution (utilité, utilisabilité, attractivité)
En terme d'attractivité, je pense que l'objet en vaut la peine. Avec de meilleurs matériaux et de belles billes de couleurs pour représenter les richesse, le design serait intéressant. Son utilité concernant le sujet qu'il met en avant est aussi, à mon sens, pleinement justifié. Cependant, son utilité en terme d'apprentissage et de compréhension de l'information me paraît plutôt limitée. Cela est dû à mon approche artistique qui revendiquait dès le départ un objet plus conceptuelle. J'aurais quand même aimé avoir un peu plus de pertinence dans la représentation, mais symboliquement je trouve que l'objet est fort. Comme je le disais plus haut, le déséquilibre, la balance, la justice, tout cela donne une dimension supplémentaire à l’œuvre. On peut aussi prendre le point de vue de la parole : on dit souvent de manière métaphorique qu'elle "pèse" pour désigner une personne qui a de l'argent. Cela nous ramène donc à la notion de balance.
Son utilisabilité est clairement à revoir. Le système fonctionne mais les pays ne sont pas bien indiqué ce qui fait qu'une personne non avertie ne comprendra pas le principe. Et le fait qu'il faille déplacer le pivot n'est pas explicite. mais cela pourrait se résoudre avec de belles gravures indiquant les manipulations par des symboles. Le plus embêtant tient dans le fait que l'équilibre sur la balance ne se fait pas tout seul, il faut l'accompagner un peu pour l'aider à trouver sa stabilité. De nouveau quelques essais supplémentaires auraient permis d'arriver à un produit plus aboutit à ce niveau.
Conclusion
Je considère que ce projet n'est pas aboutit au niveau de la fabrication du produit final, car il mériterait encore quelques ajustement. Par contre, toutes les réflexions qui m'y ont amené sont une base assez solide. Pendant tout le projet, j'ai pu réfléchir sur les notions de physicalisation des données et de l'art dans la recherche, mais aussi sur les inégalités dans la répartition des richesses et ces différentes formes de calculs qui ne vont pas sans complications.
Concernant la fabrication, il est intéressant de savoir que la simplicité de mes pièces est vraiment un aboutissement de longues réflexions et séances de croquis, car j'était partit sur des systèmes bien plus complexes au départ. Comme quoi la simplicité n'est pas toujours facile d'accès.
Bibliographie, Liens
Oxfam sur la répartition des richesses : https://www.oxfam.org/fr/rapports/partager-la-richesse-avec-celles-et-ceux-qui-la-creent
Crédit Suisse (2017), Global Wealth Databook 201
ONU : https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/inequality/
Art et recherche : https://journals.library.ualberta.ca/ari/index.php/ari/article/view/27370/21443
La concentration des richesses : https://www.bastiat.net/la-concentration-des-richesses/
- ↑ https://www.lemonde.fr/livres/article/2008/11/19/la-guerre-des-classes-de-francois-ruffin_1120486_3260.html
- ↑ https://www.oxfam.org/fr/rapports/partager-la-richesse-avec-celles-et-ceux-qui-la-creent
- ↑ https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/inequality/
- ↑ https://journals.library.ualberta.ca/ari/index.php/ari/article/view/27370/21443
- ↑ 5,0 et 5,1 https://www.cairn.info/revue-i2d-information-donnees-et-documents-2015-2-page-37.htm
- ↑ https://fr.wikipedia.org/wiki/Coefficient_de_Gini
- ↑ https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_des_%C3%89tats-Unis
- ↑ https://www.bilan.ch/economie/lexplosion-economique-de-la-chine-en-chiffres