L’échec d’un groupe : à qui la faute ?

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Résumé

À partir de différentes ressources bibliographiques, ce texte vise à apporter des éléments théoriques visant à nourrir la réflexion quant à l’attribution de responsabilités suite aux mauvaises performances, aux mauvais résultats ou à l’échec d’un groupe de travail.

Introduction

Afin d’évaluer des apprentissages, il est courant de mettre au travail des groupes d’apprenants. D’après Molinari et al. (2021), «les recherches qui adoptent une approche cognitive de l’apprentissage collaboratif considèrent le groupe comme un moyen pour chaque apprenant d’atteindre l’objectif individuel d’acquisition et de développement». En effet, selon Tricot (2017), plusieurs recherches sur la charge cognitive ont permis de mettre en évidence un effet positif du travail collectif sur cette dernière : «quand une tâche est complexe, le travail en groupe est plus efficace que le travail individuel». Par ailleurs, l’importance prêtée à l’interaction sociale entre les apprenants rappelle une approche socio-constructiviste de l’éducation, où l’apprentissage vise le conflit socio-cognitif et la co-construction de la réalité (Bourgeois, 2011, Vienneau, 2005). Pour autant, force est de constater que la modalité du travail collectif est loin d’être la garantie d’apprentissages solides ou de performances accrues ; chacun d’entre nous a certainement déjà pu faire l’expérience de difficultés, de déceptions et d’échecs en groupe.

Développement

Les responsabilités individuelles

Après l’insuccès (si cela n’a pu être fait avant), il ne paraît pas déplacé de s’interroger sur les causes qui ont mené aux déboires du groupe, car ces réflexions peuvent être des sources d’apprentissages re-mobilisables dans le futur. Pragmatiquement, puisqu’un groupe est constitué de plusieurs individus, on peut considérer qu’une approche réflexive logique consisterait à chercher à identifier les responsabilités individuelles. À ce titre, Cosnefroy (2010) propose de nombreux éléments de réflexion en abordant le concept d’apprentissage autorégulé, qu’il définit comme «l’ensemble des processus par lesquels les sujets activent et maintiennent des cognitions, des affects et des conduites systématiquement orientés vers l’atteinte d’un but (Schunk, 1994)».

En matière de cognition, Tricot (2017) développe la théorie de la charge cognitive et explicite le lien entre surcharge cognitive et difficultés d’élèves. En matière d’affects, Cosnefroy (2010) évoque le poids des émotions en faisant appel au modèle de Boekaerts, qui «considère que la façon dont est évaluée la situation d’apprentissage [par l’apprenant] a une influence déterminante sur les processus d’autorégulation». Enfin, le terme de «conduites» renvoie aux stratégies d’autorégulation, «c’est-à-dire des règles générales d’action qui orientent l’activité en vue de la rendre optimale par rapport au but visé» (Ibid). En somme, selon l’auteur, l’autorégulation d’un individu requiert quatre conditions : une motivation initiale suffisante, la définition d’un but à atteindre, un répertoire de stratégies d’autorégulation et l’observation de soi. Le concept de volition résume bien l’enjeu : «le passage de l’intention à l’action n’est pas automatique, tout comme l’initiation de l’action ne garantit en rien qu’elle sera poursuivie jusqu’à son terme. Tout apprenant est ainsi confronté à un double problème, se mettre au travail et y rester» (Ibid). On comprend ainsi que chacun des membres d’un groupe peut contribuer au succès ou à l’échec collectif en fonction de l’autorégulation individuelle mise en œuvre.

La responsabilité du groupe

À l’école, à l’université ou en entreprise, il est très fréquent que des travaux de groupes soient évalués sans tenir compte des participations potentiellement inégales de certains membres. Si l’analyse de la responsabilité à l’échelle individuelle est pertinente, il paraît toutefois donc intéressant de considérer le groupe comme une unité, un système cognitif à part entière (Dillenbourg et al., 1995).

Outre l’autorégulation individuelle, Cosnefroy (2010) distingue l’autorégulation groupale pour les raisons suivantes :

La volition est moins nécessaire en groupe car les apprenants se protègent mutuellement. Les processus métacognitifs de contrôle sont répartis entre tous les membres du groupe (Corno, 2001, 2004). Le partage des fonctions de contrôle est une spécificité de l’autorégulation groupale. Une autre différence tient au fait qu’en groupe la comparaison sociale est omniprésente.

On perçoit dans cette approche de la collaboration l’héritage du socio-constructivisme, tout comme chez Molinari et al. (2021), pour qui «les apprenants doivent s’engager mutuellement à construire une représentation partagée du problème à résoudre (espace cognitif) et à gérer leurs relations interpersonnelles de sorte à maintenir un climat de travail positif et engageant (espace relationnel)». Ainsi, la littérature scientifique suggère qu’au-delà d’une somme de performances individuelles, l’échec d’un groupe peut être expliqué par les difficultés et les lacunes du collectif en matière de co-construction du sens, de stratégies d’autorégulation groupale ou de relations interpersonnelles.

La responsabilité des variables de l’environnement

Un troisième axe d’analyse est celui des multiples variables du contexte et de l’environnement. En effet, Dillenbourg et al. (1995) expliquent le concept de cognition partagée, selon lequel l’environnement (à la fois le contexte physique et le contexte social) impacte considérablement un groupe et les personnes qui le composent. En substance, les auteurs identifient trois catégories de variables : celles liées à la composition du groupe, celles liées aux caractéristiques de la tâche, et celles qui relèvent du contexte de collaboration et du support de communication disponible (Ibid). On comprend donc que l’échec d’un groupe peut également puiser sa source dans un dysfonctionnement au niveau de variables sur lesquelles les membres d’un groupe n’ont que peu d’emprise. Ces informations, mises en parallèle avec le texte de Tricot (2017), permettent d’aller plus loin et d’affirmer que l’enseignant peut lui-même avoir une responsabilité non négligeable dans l’échec d’un groupe. En effet, comme l’expose l’auteur, l’enseignant dispose d’un grand pouvoir sur les variables de l’environnement ; non seulement il peut intervenir dans la composition des groupes pour qu’ils soient équilibrés, mais il est surtout responsable des caractéristiques de la tâche, qu’il devrait adapter pertinemment à ses élèves et à leurs difficultés, sans quoi l’échec sera probable.

Conclusion

Loin d’être une démarche mesquine visant à pointer du doigt un bouc émissaire, l’analyse des responsabilités après un échec en groupe peut représenter une véritable opportunité d’apprentissage, d’autant plus lorsque l’on considère la pluralité des variables qui conditionnent la collaboration avec autrui. Pour s’améliorer, il convient donc d’appréhender l’échec avec une démarche réflexive incluant à la fois les variables propres à l’individu, au groupe et à l’environnement.

Références bibliographiques

  • Bourgeois, É. (2011). Chapitre 1. Les théories de l'apprentissage : un peu d'histoire.... Dans É. Bourgeois (dir.), Apprendre et faire apprendre (p. 23-39). Presses Universitaires de France.
  • Cosnefroy, L. (2010). L’Apprentissage autorégulé : Perspectives en formation d’adultes. Savoirs, 23, 9-50.
  • Dillenbourg, P., Baker, M., Blaye, A. et O'malley, C. (1995). The evolution of research on collaborative learning. In E. Spada et P. Reiman (dir.), Learning in Humans and Machine: Towards an interdisciplinary learning science (p. 189- 211). Elsevier.
  • Molinari, G., Muller Mirza, N. et Tartas, V. (2021). Regards croisés des approches cognitives et socioculturelles sur l’apprentissage collaboratif : quelles contributions dans le domaine de l’éducation ?. Raisons éducatives, 25, 41-64.
  • Tricot, A. (2017, mars). Quels apports de la théorie de la charge cognitive à la différenciation pédagogique ? Quelques pistes concrètes proposer pour adapter les situations d'apprentissage [communication]. Conférence de consensus Différenciation pédagogique, Paris, France.
  • Vienneau, R. (2005). Apprentissage et enseignement : théories et pratiques. Montréal : G. Morin.


Rédigé par Thomas Goffin dans le cadre du cours ADID en octobre 2022.