BASES:Cours BASES 2021-22/Serious Games et évaluation

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Auteur-e (à modifier à votre username) : Kelly Weibel Thome, Florent Dupertuis et Lorain Freléchoux

Notre groupe de travail

Notre groupe de travail, composé de Kelly Weibel Thome, Lorain Freléchoux et Florent Dupertuis, est le groupe PEYTON. Nous avons choisi de nous intéresser au Serious Game éducatif et à son potentiel évaluatif.

Problématique et questions de recherches

Problématique

Perrenoud (2010) affirme que l'être humain a une tendance naturelle à évaluer ses pairs. Dans le domaine de l'éducation, l'évaluation occupe une place centrale tout en cristallisant d'importantes tensions. Elle repose en effet généralement sur des évaluations formalisées et critériées dans le but de garantir une certaine objectivité des résultats mesurés, indicateurs explicites des performances de l’apprenant. Néanmoins, certains types d’évaluations, comme les tests standardisés, bien que faciles et rapides à administrer, sont parfois d’une efficacité limitée pour mesurer les capacités de résolution de problèmes complexes, de communication ou encore de raisonnement, et n’ont pas la flexibilité nécessaire pour s’adapter à certains profils d’apprenants tels que les très, ou au contraire très peu performants (Bellotti et al., 2013). En outre, faire de l’école obligatoire une période marquée par des réalisations et expériences positives est considéré aujourd’hui comme un enjeu important. Les élèves sont en effet confrontés à des situations stressantes, des pressions, des critiques et des comparaisons, notamment avec les évaluations qui « sanctionnent » l’apprentissage par des notes, ce qui influence au fil des ans la perception de soi. Selon Vitaro & Gagnon (2000), un niveau élevé d’anxiété lié à ces situations et la difficulté à les gérer peuvent engendrer des problèmes de comportement ou d’apprentissage, allant parfois jusqu’au décrochage scolaire (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2009) ceci générant, entre autres, des débats sur le rôle et la légitimité de l’évaluation. Partant de ces constats, notre groupe de travail s’est interrogé sur les alternatives possibles aux formes habituelles d'évaluation en s’intéressant à des outils ayant récemment émergés dans un contexte d’hybridation des enseignements-apprentissages avec le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC). Ceci nous a amenés à poser la question suivante suivante : « Quel rôle le serious game éducatif peut-il prendre dans le processus évaluatif ? » Cette question est peu abordée dans la littérature du fait d’une idée reçue attribuant principalement au serious game un but d’enseignement-apprentissage (Sanchez, Romero & Viéville, 2020). Les études menées sur le sujet ont tendance à porter sur l'évaluation du jeu plutôt que dans le jeu or, pour que sa validité pédagogique puisse être reconnue, il doit reposer sur des objectifs pédagogiques et permettre à l'élève de les atteindre, à priori en performant dans le jeu, mais également en démontrant sa capacité à transférer ses apprentissages dans son quotidien. La légitimité du jeu vidéo est ainsi souvent remise en cause par sa nature ludique, une caractéristique considérée moins essentielle dans l'apprentissage bien que reconnue comme une composante de la motivation (voir à ce propos la revue systématique de Dicheva et al. (2015) sur l’intégration du principe de gamification dans l’éducation).

Questions de recherche

Question de recherche Justification Dimension principale
Quelles sont les mécaniques et fonctionnalités des jeux vidéo éducatifs pouvant être assimilées à des formes d’évaluation ? Nous partons du postulat que les interactions entre le joueur et le jeu vidéo sont assimilables à une communication indirecte entre l’apprenant et l’enseignant (qui a choisi et parfois contribué à concevoir le jeu en question à des fins didactiques). En ce sens, nous nous interrogeons sur la possibilité d’associer ou non cette communication à des formes d’évaluation. Nous nous intéressons i) aux traces laissées par le joueur dans le jeu, ii) aux niveaux de difficulté croissante dans le jeu et iii) aux rétroactions (ou feedbacks) faites au joueur par le jeu. Numérique
Quelle complémentarité pédagogique le serious game éducatif peut-il apporter à l’apprenant et à quel coût ? Comme en fait mention la littérature autour de la thématique, deux problèmes conséquents se matérialisent lorsque l’on évoque l’utilisation de jeux vidéo pédagogiques en dehors de l’aspect purement évaluatif. Le premier, plutôt pragmatique, questionne l’origine même des jeux, de leur justification pédagogique d’une part jusqu’à la prise en compte du facteur économique. Le deuxième concerne la manière dont l’enseignant va intégrer l’outil à son scénario pédagogique et les finalités qu’il va lui attribuer. Pédagogique
Comment l'utilisation de jeux sérieux comme méthode d'évaluation peut-elle contribuer à réduire la pression et la tension associées aux méthodes d'évaluation traditionnelles ? Nous partons de la perspective que l'utilisation de jeux sérieux comme outil d'évaluation peut accroître l'engagement des élèves en stimulant leur motivation intrinsèque. Dans ce sens, nous nous essayons à une définition des caractéristiques des jeux sérieux pouvant contribuer à augmenter la confiance de l'étudiant en ses capacités et, par conséquent, à améliorer l'apprentissage. Psychologique

Elaboration des questions
Rédaction

Réponses aux questions de recherche

Définition du serious game

Développés dès les années quatre-vingt par l’armée américaine et devenus populaires il y a une vingtaine d’années (Egenfeldt-Nielsen, 2007 ; Prensky, 2001 ; cités par Sanchez et al., 2011), les serious games sont aujourd’hui définis de manière assez large et non consensuelle. D’après la revue de littérature réalisée par Berry (2011), ce terme désigne un « ensemble extrêmement hétérogène de produits vidéoludiques » utilisant les mêmes supports médias que les jeux développés à des fins récréatives (Klemke et al., 2015) et permettant de simuler des situations critiques ou pratiques (Rodrigues et al., 2014). Il peut servir plusieurs types d’intérêts : l’apprentissage d’une part, mais aussi le développement de compétences transversales, l’expérimentation, la sensibilisation, l’incitation à faire de l’exercice, le diagnostic et le traitement médical, le recrutement, le marketing, etc. (Dörner et al., 2016). Notre réflexion porte sur le serious game éducatif – appelé aussi educational game (EG) – et se centre sur son potentiel pour l’évaluation des apprenants.

Quelles sont les mécaniques et fonctionnalités des jeux vidéo éducatifs pouvant être assimilées à des formes d’évaluation ?

Les traces

Learning analytics
Fig.1 : Objectifs des learning analytics (source : Dörner et al., 2016, p.285)

Les jeux vidéo offrent la possibilité, moyennant une conception adéquate, de collecter des traces de l’activité des utilisateurs (joueurs-apprenants). Le traitement de ces traces peut servir à adapter le jeu aux besoins de l’élève ou à générer des données potentiellement utiles à l’enseignant dans son action pédagogique Dans leur ouvrage dédié aux fondements, concepts et pratiques du serious game, Dörner et al. (2016) – chercheurs et praticiens en science informatique, éducation, sociologie, économie, psychologie et game design – distinguent ce qui relève de l’online assessment – dans le jeu – et de l’offline assessment – en dehors du jeu. Les traces correspondent aux données issues de l’online assessment et leur analyse et interprétation ont fait émerger des disciplines telles que les learning analytics (LA) et l’educational data mining (EDM), consistant à explorer des données issues de contextes éducationnels. Il convient de préciser d’une part que la quantité de données collectées dans le cadre de ces recherches est souvent colossale et nécessite des outils de modélisation afin de les rendre lisibles et de pouvoir faire des inférences sur les apprentissages des apprenants. D’autre part, les LA en particulier visent des retombées pratiques devant contribuer à soutenir l’enseignant dans son travail, mais la nature ouverte des jeux vidéo rend la collecte de données probantes difficile. Certains auteurs, tels que Beloti et al. (2013) ou Chatti et al. (2012) cités par Dörner et al. (2016) évoquent en effet les difficultés à prouver que les mesures obtenues correspondent à celles souhaitées, en raison notamment de l’importante hétérogénéité des types d’évaluation utilisés qui nécessitent d’être corrélées avec des formes d’évaluation plus standards visant à démontrer les capacités de transfert de connaissances de l’apprenant dans “le monde réel”. Les auteurs s’accordent donc à dire que, pour être pertinente, l’évaluation par analyse de traces nécessite un dispositif de recherche relativement complexe et difficile à mettre en place par l’enseignant seul.

Les niveaux

Pour progresser dans un jeu vidéo éducatif, l’apprenant doit a priori développer des connaissances et compétences, mais la progression prouve-t-elle l’apprentissage? Dörner et al. (2016) rattachent l’évaluation dans un jeu à la mesure de la performance du joueur. Le passage de niveaux de difficulté croissante donne, entre autres, une indication sur la progression de la performance du joueur (Arnab et al., 2015 ; Belotti et al. 2013). L’évaluation peut reposer ici sur l’observation par l’enseignant de l’apprenant en train de jouer et le debriefing après avoir joué. Si nécessaire et selon les jeux, il peut notamment adapter le niveau de difficulté aux besoins des apprenants (adaptability) (Dörner et al. (2016). En outre, certains jeux adaptent directement leur niveau de difficulté selon le profil du joueur (adaptivity), par exemple en générant ou en retirant des indices, ou encore en effectuant des modifications de scénario. Un jeu trop facile ou trop difficile suscitant l’ennui et/ou la frustration, les paramètres de personnalisation du jeu constituent un enjeu central pour optimiser le potentiel impact de du jeu sur l’apprentissage. Toutefois, les processus cognitifs à l’origine des actions du joueur-apprenant sont multiples et parfois non visibles et, comme le soulignent Dörner et al. (2016) : « pour que l'adaptabilité soit efficace, cela requiert une évaluation valide et ciblée au cours du jeu des aspects tels que l'état émotionnel et cognitif du joueur ou les difficultés qu’il rencontre » (p. 10, traduction libre). La démarche expérimentale mise en place dans le cadre du travail de thèse de Bugmann (2016), qui a porté sur l'observation de la relation entre les apprentissages issus de la pratique d'un jeu vidéo par des enfants et le socle commun de connaissances et compétences du programme officiel français, a en outre montré que l’effet est variable selon le profils des joueurs. L’évaluation proposée a par exemple mis en évidence que ceux défavorisés et jouant habituellement peu aux jeux vidéo sont aussi ceux qui ont le plus progressé.

Les rétroactions (ou feedbacks)

Dicheva et al. (2015) montrent que les « réponses » données par un jeu vidéo selon les choix et actions d’un joueur lui fournissent des informations quantitatives et qualitatives sur sa performance, le guident vers l’atteinte d’objectifs et stimulent sa compétitivité. L’octroi de récompenses ou pénalités (badges, points, etc.) et les feedbacks audios ou textuels sont ainsi susceptibles d’influencer des aspects liés à l’estime de soi tels que la capacité à faire face aux difficultés, le sentiment d'efficacité ou la volonté d'apprendre. Nous y reviendrons dans la partie consacrée à la question de recherche centrée sur la dimension psychologique. En termes d’évaluation, les feedbacks permettent à l’apprenant de recevoir de manière plus ou moins explicite un retour formatif sur ses actions et performances, ce qui peut être qualifié d’ « évaluation furtive » (Shute et al. 2009, cité par Bellotti et al. 2013). L’enseignant est ainsi dissimulé dans l’environnement du jeu, notamment dans les personnages avec lesquels il interagit (Sanchez et al., 2011). Tout l’enjeu ici est d’être capable de prévoir des feedbacks pertinents pour intégrer l’évaluation formative des apprenants de manière appropriée dans leur expérience de jeu (Shute et al., 2009, cités par Belloti et al. 2013). En ce qui concerne les mécaniques de récompense et de pénalité, il faut toutefois tenir compte des limites de leur « valeur globale qui ne donne pas d’indications détaillées sur les actions correctes ou erronées du joueur » (Sanchez et al., 2011). De plus, la mise en compétition des joueurs générée par ces mécaniques – intensifiée lorsque leurs performances sont classées – peut être à la fois source de motivation pour certains et source d’émotions négatives pour d’autres. Il faut aussi mentionner que la place des feedbacks qualitatifs varie selon l’approche pédagogique privilégiée par les concepteurs de jeux. Elle est par exemple limitée dans une approche behavioriste ou cognitiviste alors qu’elle est centrale dans les approches socio-culturelles (Egenfeldt-Nielsen, 2006). Enfin, pour pouvoir considérer le jeu vidéo éducatif comme un outil de communication interposée entre l’enseignant et ses apprenants, il est indispensable que l'enseignant soit mis à contribution dans la conception du jeu afin qu’il indique quelle rétroaction prévoir à quel moment et sous quelle forme, en faisant un compromis entre réalisme, apprentissage et jeu (Sanchez et al., 2011). Bien que certains jeux offrent la possibilité aux enseignants de donner ponctuellement un feedback direct à leurs apprenants – par exemple dans des jeux de réalité virtuelle (voir à ce propos le projet nextREALITY) – l’échange reste plus limité dans le temps qu’en conditions réelles. Il semble donc pertinent de préserver, en dehors de l’environnement technologique, un temps de débriefing sur l’expérience d’apprentissage.

Quelle complémentarité pédagogique le serious game éducatif peut-il apporter à l’apprenant et à quel coût ?

Le rôle de la machine au sein de la relation pédagogique

Le jeu pédagogique offre une potentialité encore inédite dans le domaine éducatif, notamment parce qu’il permet de collecter quantité d’informations sur le travail de l’apprenant et, grâce à celles-ci, de restituer des feedbacks individualisés là où un enseignant n’est pas en capacité de se démultiplier. Les traces de l’activité de joueurs offrent des perspectives intéressantes mais restent encore largement sous exploitées selon Buenaño Fernández & Luján-Mora (2016), car plutôt envisagées dans le cadre de learning management systems (LMS) que de jeux pédagogiques. Selon eux, ces collectes de données visent généralement la modélisation de l’apprenant par rapport à ses caractéristiques individuelles (âge, background éducatif, genre,..) mais également par rapport à ses actions sur la plateforme ou - dans le cas que nous envisageons - dans un jeu. Si le premier type de données est déjà largement répandu hors du monde éducatif et de ce fait transférable, l’utilisation des données issues des LMS ou des jeux pédagogiques nécessitent de définir des méthodologies de traitement mais également les finalités visées. Celles-ci pourront ainsi constituer une réelle plus-value pour l’apprenant grâce à des feedbacks personnalisés, essentiels pour sa progression (Shute et al.2009, cités par Belloti et al. 2013).

Potentialité du jeu éducatif en milieu scolaire primaire

Le principal intérêt relevé concerne la motivation. En effet, hormis la motivation extrinsèque induite par le game play motivant l’élève à performer, il est également constaté que les jeux numériques influencent positivement l’engagement des élèves dans une activité d’apprentissage (Papadakis Kalogiannakis, 2017). L’aspect social n’est pas à négliger également car le jeu peut également engendrer des échanges entre élèves et du travail d’équipe en établissant des stratégies (Allal-Charif & Bajard, 2011). Le serious game peut également, dans une démarche évaluative dont les finalités nécessitent d’être préalablement définies, représenter une alternative favorable à une évaluation formalisée d’un type plus conventionnel, génératrice de stress pour les apprenants. Cette proposition qui sera détaillée dans les lignes suivantes se heurte néanmoins à plusieurs contraintes: d’ordres

  • pédagogique dans la mesure où son utilisation doit être réfléchie, scénarisée et portée par l’enseignant ;
  • technique car une solution numérique pertinente doit être disponible ou prête à être développée ;
  • économique car son coût doit rester raisonnable par rapport aux bénéfices escomptés.

La conception du jeu (tâches, épisodes, événements, actions) doit être alignée avec la proposition pédagogique, le programme académique et, clairement, le contenu éducatif à travailler (Moizer et al., 2019). Ainsi, une mise en correspondance complexe entre les actions du jeu, les principes pédagogiques et les composantes du programme d'études doit être élaborée. La configuration de cet alignement est un exercice laborieux. Il faut construire un matériel qui précise comment chaque tâche du jeu est alignée sur des principes et des objectifs d'apprentissage particuliers. Le moindre détail négligé peut rendre le jeu incomplet et inefficace à des fins éducatives ou d'évaluation. (Graesser, 2017). Si de nombreux jeux ont été développés ces dernières années pour compléter les méthodes d'enseignement et d'évaluations scolaires traditionnelles, leur insertion dans des routines scolaires s’avèrent difficiles. En effet, un obstacle considérable à l'intégration des serious games dans le curriculum serait le "mismatch" entre les compétences et les connaissances développées dans les jeux et celles validées au sein du système scolaire (McFarlane et al., 2002 ; Papanastasiou et al., 2017 ; Papadakis, 2018). La question du financement se pose, particulièrement dans le secteur public. Selon Alvarez et al.(2012) les coûts de développement d’un serious game par une entreprise spécialisée sont de l’ordre de 150’000 €. A titre individuel, un enseignant est généralement contraint d’investir du temps pour chercher des outils déjà existants susceptibles de répondre à ses besoins et de considérer la plus value pédagogique qu’ils représentent.

Typologies d’usage de jeux vidéos pédagogiques

Si l’utilisation des données issues de plateformes de formation en ligne ou de jeux vidéo pédagogiques s’avère prometteuse, elle nécessite préalablement d’imaginer comment celles-ci peuvent être exploitées. Actuellement, deux types de perspectives apparaissent dans la littérature. La première est une visée prédictive s’appuyant essentiellement sur les interactions qu’a l’apprenant avec l’interface, telles que le nombre de clics, le temps passé sur les pages, etc. Si ces données sont susceptibles d’être récupérées de manière analogue dans un LMS ou dans un jeu vidéo pédagogique, leur pertinence pédagogique dans le cas d’un jeu reste davantage à nuancer que dans le cas d’un LMS car elles nécessitent le pilotage et l’intervention d’un enseignant ou, à minima, d’une personne ayant le rôle de tuteur en temps réel afin de pouvoir proposer de l’aide à l’apprenant. Le deuxième type de perspective relève du potentiel de correction évoqué par Aberkane (2016) permettant à l’apprenant d’être régulièrement corrigé par l’ordinateur, décuplant ainsi le “temps humain” que nécessiterait un suivi aussi soutenu. Cependant, cette possibilité ne se prête pas à n’importe quel type de travail et nécessite au préalable un important travail de définition des typologies d’erreurs possibles, puis d’une mise en œuvre technique dans le jeu des différentes réponses envisagées. Si certaines logiques algorithmiques permettent d’implémenter un repérage des erreurs et une adaptation du contenu en vue de proposer à l’apprenant des exerciseurs gamifiés, celles-ci restent basées sur des enseignements très procédurés où la plus-value apportée par l’outil est très onéreuse au regard de formes d’enseignement plus traditionnelles. D’autre part, le jeu vidéo permet également de proposer un apprentissage expérientiel et authentique comme évoqué précédemment (Sanchez et al., 2011), en amenant l’élève à vivre virtuellement des situations dans un environnement protégé et exempt de conséquences réelles dans des domaines dans lesquels il n’est généralement pas possible de s’entraîner afin de réaliser des simulations (pour rappel, les premiers jeux vidéos étaient issus du monde militaire).

Comment l'utilisation de jeux sérieux comme méthode d'évaluation peut-elle contribuer à réduire la pression et la tension associées aux méthodes d'évaluation traditionnelles ?

Le potentiel des jeux sérieux pour accroître l'engagement et la motivation

Comme déjà évoqué, les jeux numériques sont considérés comme des environnements numériques puissamment motivants (Papadakis et al, 2014) en raison de leur capacité à accroître l'engagement et la motivation des élèves dans l'apprentissage (Papadakis & Kalogiannakis, 2017). Bien que cela ne fasse pas l’unanimité parmi les chercheurs, ces jeux engagent les participants dans des apprentissages immersifs pouvant être transférés à d’autres environnements (Gee, 2007). Selon Olombel et al. (2021), les serious games peuvent être utilisés comme moyen alternatif pour réduire la pression inhérente aux moments évaluatifs traditionnels. Pour que les jeux soient acceptés par les élèves et ne déclenchent pas de tensions, il est essentiel qu'ils aient un objectif et un ensemble de règles qui permettent au joueur d'évoluer dans son environnement et le guident tout au long de son apprentissage (Salen & Zimmerman, 2004). L'efficacité des jeux sérieux a été associée à la notion de plaisir et de motivation intrinsèque suscitée lors de l'interaction entre l'élève et le jeu. Selon Lepper & Hodell (1989), la motivation intrinsèque des étudiants est influencée par quatre facteurs : la curiosité, le contrôle, le défi et la fantaisie. Si les jeux sérieux sont développés en tenant compte de l'expérience de l'utilisateur, en spécifiant un objectif à atteindre et en parvenant simultanément à accroître la confiance de l'étudiant dans ses propres compétences, en lui permettant de se fixer de nouveaux défis, la motivation intrinsèque sera maintenue. Quant à la notion de plaisir, Berg (2021) évoque le besoin de disposer d'outils permettant d'évaluer la charge cognitive des apprenants en limitant un certain nombre d'effets délétères liés aux pratiques d'évaluations traditionnelles. Ces pratiques peuvent être longues et répétitives, nécessitant un recours à des professionnels formés ou encore ne reflétant pas la vie réelle des apprenants. Le but de cette recherche était donc de proposer un outil palliant ces éléments tout en étant plus motivant pour les élèves et restant valide d'un point de vue évaluatif. Trois jeux éducatifs ont ainsi été testés avec des élèves de première et deuxième année du primaire. Dans ses conclusions, l’auteur mentionne le fait que le plaisir ressenti par les apprenants est souvent corrélé à leur performance dans le jeu.

Caractéristiques des jeux sérieux favorisant l'apprentissage

Les caractéristiques inhérentes aux jeux sérieux favorisent l'apprentissage par leur système basé sur l’exploitation des erreurs, ainsi que par l'évocation des sentiments de " flow " et d'immersion (Marne et al., 2011 ; Cohard, 2015). Le "flow" suppose un état de concentration élevée sur une activité donnée, où l'individu s'engage à atteindre le but qui anime sa motivation (Ndao et al., 2017). L'immersion serait également une caractéristique psychologique associée aux serious games. Selon Witmer & Singer (1998), l'immersion est un état psychologique dans lequel on entre dans un système stimulant, ce qui entraîne une motivation et un engagement accrus pour atteindre des objectifs préalablement établis. Ainsi, les serious games pourraient modifier positivement l'environnement évaluatif et renforcer la motivation des étudiants grâce aux concepts de flow et d'immersion (Ndao et al., 2017). L'apprentissage, en tant que processus actif et constructif, pourrait être évalué positivement par l'insertion de serious games en raison de la stratégie "learning by doing", car l'étudiant, constructeur de sa propre réalité, établit des liens cognitifs entre les connaissances déjà intégrées et celles en cours d'acquisition (Lombardo & Dumas, 2006). Ainsi, en réduisant le facteur de stress inhérents aux évaluations (Galois-Faurie & Lacroux, 2014), l'élève peut effectuer une plus grande prise en charge de son apprentissage et mieux orienter ses actions ; de plus, dès lors que les serious games ont des objectifs bien définis, ils peuvent susciter une plus grande concentration de l’élève et un sentiment de contrôle face à la tâche à réaliser (Cohard, 2015). Certains jeux sérieux permettant d’introduire une certaine liberté dans le choix des tâches proposées à l’élève, l'amusement et la fantaisie dans l'environnement scolaire s’en trouvent favorisés. Ils peuvent ainsi permettre une connexion ludique et originale entre une situation quotidienne commune et le contenu travaillé dans l'environnement scolaire, favorisant l'apprentissage en classe (Knoerr, 2005). Il est important de considérer que l'expérience psychologique de l'apprenant est affectée par le niveau de fidélité du jeu au monde réel. Certaines dimensions doivent être structurées avec précision pour susciter l'engagement et créer une expérience significative. Une attention particulière doit en effet être portée à ce que le jeu ne surcharge pas inutilement la cognition de l’apprenant, par exemple avec des sons ou musiques superflues (Nadolski & Hummel, 2016). Il faut aussi tenir compte du fait qu'il existe plusieurs types de serious games et que, selon le modèle retenu, certains avantages sur les méthodes d'évaluation traditionnelles sont négligeables voire inexistants. Selon la méta-analyse réalisée par Wouters et al. (2013), trois facteurs pourraient être à l'origine de cette situation : les limites de temps imposées par certains serious games, qui s'apparentent aux formats des évaluations traditionnelles où la variable temps agit comme un agent stressant ; la priorisation de la structure pédagogique sur la structure ludique ; et l'utilisation de questionnaires pour évaluer l'état affectif et estimer la motivation.

Discussion

Si de nombreux indices permettent de considérer les vertus du jeu vidéo dans le milieu éducatif, que ce soit du point de vue de l’apprentissage pour sa composante motivationnelle ou dans une perspective d’évaluation détournée en réduisant le stress de l’élève évalué, de nombreux points de tension subsistent. Une réelle réflexion est nécessaire autour du bien fondé de l’utilisation de ces artefacts digitaux et, pour que celle-ci puisse être reconnue comme pertinente, il faut considérer un certain nombre d’éléments. Le jeu peut en effet tout à la fois être un collecteur de traces de l’activité de l’apprenant, un tuteur intelligent capable d’adapter le contenu à son utilisateur ou une interface de pilotage voire d’évaluation pour l’enseignant. De ce fait, de nombreuses disparités peuvent apparaître entre les différents travaux de recherche, les méthodologies et hypothèses de recherche étant parfois diamétralement opposées. Des difficultés majeures sont également présentes dans le triptyque financement-développement-usage et une action coordonnée des pouvoirs publics, des équipes de développement et des futurs utilisateurs du système est indispensable à la production de contenus pédagogiquement enrichissants et pertinents. Cette synergie et ce travail mutualisé sont essentiels à la mise en place de jeux vidéo pédagogiques pensés et structurés pour collecter une information exploitable, que ça soit par l’outil lui-même ou par ses utilisateurs potentiels. La collaboration nécessaire à la réussite de ce travail titanesque d’architecture induit donc une vision préalable des finalités en début de conception et une bonne compréhension des attentes et possibilités d’y répondre de chacune des parties en présence, enjeu central des plans d’études actuels en termes de communication. Pour conclure, l'identification, parmi les jeux éducatifs disponibles, de ceux qui répondent aux besoins et aux attentes des enseignants ainsi qu'aux exigences des programmes d'enseignement est un point d’attention à l’intégration des jeux sérieux aux méthodes actives d'enseignement et d'évaluation. Si de nombreux titres de jeux éducatifs sont proposés sur le marché depuis des années, leur adoption dans le monde éducatif reste très marginale et les recherches s’intéressant à leurs apports très nuancées. Il semble inévitable qu’il faille plus de temps et davantage d’études menées avant que les jeux sérieux ne deviennent une réalité ancrée dans le quotidien scolaire et encore davantage un outil d’évaluation reconnu comme tel.

Références

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