Communauté de pratique
Bases psychopédagogiques des technologies éducatives | |
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Module: Introduction aux théories psychologiques | |
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Définitions
- Dans son ouvrage La théorie des communautés de pratique (2005), Wenger développe le concept de communauté de pratique comme un groupe de personnes qui travaillent ensemble et qui sont en fait conduits à inventer constamment des solutions locales aux problèmes rencontrés dans leurs pratiques professionnelles. Après un certain temps et au fur et à mesure que ces personnes partagent leurs connaissances, leurs expertises, ils apprennent ensemble. Cet apprentissage collectif informel produit des pratiques sociales qui reflètent à la fois l’évolution de la résolution des problèmes et les relations interpersonnelles qui s’ensuivent. De plus, elles contribuent également à créer des mots de vocabulaire nécessaires à l’accomplissement de tâches. En outre, ces pratiques détournent la dimension monotone et routinière du travail en développant une atmosphère agréable faite de rituels, d’habitudes, d’histoires partagées.
- Pour Dillenbourg et al. (2003) : « une communauté de pratique [re]groupe des employés d’une même organisation ou de plusieurs organisations qui collaborent en dehors des cadres établis par leur organisation » (p.5)
Une communauté de pratique virtuelle groupe, à travers une plate-forme Internet constituée d'outils d’information et de collaboration (courriels, forums, vidéoconférences, CSCW, etc.), des employés ou professionnels disséminés géographiquement sur un territoire plus ou moins vaste (bureaux, bâtiments, départemental, régional, inter-régional, national, européen, international).
La participation à la communauté de pratique est basée sur le volontariat ou plutôt sur la spontanéité, et les procédures de fonctionnement interne sont décidées collectivement, sans mandat officiel et en dehors des cadres établis par l’organisation hiérarchique où les membres réalisent leurs activités.
Leurs échanges informels pour résoudre des problèmes concrets de la réalité professionnelle de leur métier permettent à chaque membre d’expliciter la pratique, de l’améliorer et même de la transformer. Elle est le moyen de maintenir le savoir-faire commun nécessaire à l’exercice efficace de la profession, de pérenniser les pratiques jugées souhaitables (à travers des documents relatifs aux domaines d’intervention, guides méthodologiques, schémas de procédures, rendus d’expériences, …) et d’assurer l’intégration de nouveaux membres. Ces échanges également peuvent contribuer à l’innovation, à l’anticipation et à la réflexion prospective dans le domaine d’intervention concerné.
La communauté de pratique n’a pas une durée prescrite d’avance ni de projet unique qui canalise son énergie. Elle à une évolution lente et une grande capacité d’accueil de nouveaux membres (Henry et Pudelko, 2006, p.117).
Dès que le problème est résolu, la communauté de pratique se disperse et ses membres ne restent liés que par leur amitié et leur respect mutuel. En revanche, les employés qui possèdent la même fonction se regroupent parfois en communauté pour garder contact entre pairs et partager leur expertise (Dillenbourg, P., Poirier, C. & Carles, L.,2003, p.5).
- Nous avons vu que l’approche des communautés de pratique développée par Wenger (2005) se place en ligne droite de la notion de « pratiques collectives ». Cette approche sociale de la « pratique » où se négocient les significations relatives à l’action, lui permet d’introduire ensuite sa vision de la « théorie de l’apprentissage situé ».
En référence à cette théorie, Wenger parle de « pratique sociale » (social practice) :« Le concept de pratique est associé à « faire », mais pas strictement en tant que tel. C’est « faire» dans un contexte historique et social qui donne une structure et une signification à ce qu’on accomplit. En ce sens, une pratique est toujours sociale. » (Wenger, 2005, p.53)
Ce concept de pratique inclut à la fois le champ de l’explicite (le langage, les outils, les documents, les symboles, les procédures, les règles que les différentes pratiques rendent explicites) et le champ du tacite (relations implicites, conventions, hypothèses, représentations sur le monde). On remarque que la plupart de ces éléments ne peuvent être verbalisés clairement, mais ils sont fondamentaux pour l’existence d’une communauté de pratique.
L’action et la connaissance ainsi que les processus par lesquels elles ont été construites et qu’elles mettent en œuvre sont également des composantes de la pratique.
Un parallèle
On retrouve ici la distinction proposé par Giddens (1984) entre la conscience discursive qui représente tout ce que les acteurs peuvent exprimer de façon verbale sur les conditions sociales de leur propres actions et la conscience pratique qui recouvre tout ce que les acteurs savent ou croient savoir des conditions de leurs actions tout en ne l'exprimant pas de manière discursive.
Les dimensions d’une pratique
Wenger (2005) décrit par la suite les dimensions fondamentales d’une pratique, celles qui contribuent à la cohérence d’une communauté :
- Un engagement mutuel (mutual engagement) de la part de tous ses membres. Il est basé sur la complémentarité des compétences, et sur la capacité de chaque membre de mettre en lien ses connaissances avec celles des autres. Les membres de cette communauté sont amenés à s’aider mutuellement, et la compétence qui consiste à savoir aider et se faire aider est en réalité plus importante que le fait d’être capable de répondre soi-même à toutes les questions. Les relations de cette structure sociale sont fondées sur la réciprocité, la confiance et l’ouverture.
- Une entreprise commune (joint enterprise). Wenger souligne la nécessité de créer une entreprise commune au sein d’une communauté qui sera le sujet d’attention. Une entreprise commune ne se limite pas à accomplir un objectif ou un projet préalablement établi, mais recouvre davantage les actions collectives dans ce qu’elles ont d’immédiat comme la négociation, la révision, la confrontation des positions pour avancer dans la constitution d’un produit commun.
Au cours du cycle de vie de la communauté, l’entreprise commune évoluera en fonction des enjeux nouveaux qui se présentent et des problèmes ou sujets nouveaux qui surgissent. - Un répertoire partagé (shared repertoire). Il s’agit de l’élaboration des ressources qui constituent la base pour l’action, la communication, la résolution de problèmes, la performance et la responsabilité. La création de ces ressources - des mots, des outils, des routines, des procédures, des gestes, des symboles, des concepts, des humours, … ainsi que des valeurs et des règles de fonctionnement que la communauté se propose de respecter – renforce le sentiment d’appartenance des membres, facilite la constitution de l’identité de la communauté, génère des connaissances nouvelles et coordonne l’activité.
Ces ressources vont servir seulement comme points d’ancrage à la création de signification pendant les interactions dans l’instant, et ne doivent donc pas être confondues avec des modèles mentaux communs.
La pratique comme apprentissage
Wenger (2005) défend l’idée que «la pratique doit être interprétée comme un processus d’apprentissage. (p.55)» Ce dernier est le moteur de la pratique et la pratique en représente l’histoire. Ce chercheur continue en disant que les communautés de pratique se forment, se développent, évoluent et se dispersent selon le moment, la logique, la dynamique sociale et le rythme de leur apprentissage. Il affirme également qu’un apprentissage significatif influence les trois dimensions de la pratique mentionnées ci-dessus : notre capacité d’engagement, la compréhension de pourquoi nous nous engageons et du sens de l’activité commune, et le développement d’un répertoire adapté à la pratique.
Exemple: la communauté professionnelle des enseignants
Pour Charlier, B., Peraya, D. (2003) :
La communauté professionnelle des enseignants est alors constituée des éléments discursifs comme les relations d’expérience, les études de cas, permettant de rendre explicite une expérience qui risquerait de rester tacite. Il ne s’agit pas là uniquement d’un processus individualisé d’apprentissage réflexif, car c’est ici que se définit le rôle du réseau d’enseignants comme support à la mise en œuvre des nouvelles pratiques communes d’enseignement. Cet apprentissage réflexif est un processus partagé par une communauté d’acteurs et facilité par cette communauté.
Pour Dillinbourg & al., (2003) l’émergence spontanée de ces communautés d’enseignants indépendants de réseaux officiels, permet d’envisager une évolution dans les rapports entre les enseignants et leur hiérarchie. Ces communautés varient en taille (nombre de membres), en dispersion géographique (régions ou pays différents), et en durée de vie (selon la tâche à accomplir). Les interactions au sein de ces communautés incluent parfois la mise en pratique d’activités collectives entre les classes d’étudiants de ces enseignants.
Ce groupe de chercheurs soulignent le changement radical entre la formation continue traditionnelle des enseignants (séminaires, ateliers) et ces nouvelles approches qui visent à développer de nouvelles compétences, voire une nouvelle dynamique professionnelle.
La possibilité d’interagir à grande distance est un facteur de motivation dont les richesses inter-culturelles contrebalancent les difficultés communicationnelles (langues diverses, décalage d’horaire,…) et surtout les distances sociales comme les vieux clivages privé/public ou toute autre forme de ségrégation sociale.
Risques de la communauté de pratique
Les principaux risques sont ceux inhérents aux communautés hermétiques au monde extérieur et qui fonctionnent en « circuit fermé » :
- Rejet des critiques et les idées externes non-conformes à celles en vigueur au sein du groupe
- Développement d’un sentiment de supériorité vis-à-vis de ceux qui à l’extérieur de la communauté travaillent sur les mêmes thèmes et problèmes.
- Instauration d’un certain « impérialisme intellectuel » envers ceux qui n’ont aucune connaissance sur le centre d’intérêt concerné.
- Inexistence des objectifs (production, innovation, apprentissage). La communauté existe seulement pour la convivialité.
- Intervention du système hiérarchique extérieur à la communauté dans le contrôle et le suivi des activités et du fonctionnement.
- Une forte « instrumentation » de la communauté pourrait conduire à sa disparition ou à l’appauvrissement de ses échanges, à cause du manque de motivation et d’implication des membres.
- L’absence de coordination (activités, planning, …) et d’animation (échanges, diffusion d’informations, relances concernant des engagements individuels, …) met rapidement en péril le fonctionnement d’une communauté.
- La faiblesse du partage et la pauvreté des idées débattues rendront la communauté inutile et chaque membre ira chercher ailleurs des solutions à ses problèmes.
- La concurrence entre individus dans certaines professions (par exemple les métiers du bâtiment, les délégués médicaux, les courtiers en Bourse…) peut jouer un rôle négatif important dans la constitution de communautés professionnelles, même si une certaine solidarité existe dans ces métiers.
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Références
Charlier, B., et Peraya, D. (Éds). (2003). Technologie et innovation en pédagogie. Dispositifs innovants de formation pour l’enseignement supérieur. Ed. De Boeck Université. Bruxelles.
Dillenbourg, P., Poirier, C. & Carles, L. (2003). Communautés virtuelles d’apprentissage : e-jargon ou nouveau paradigme ? In A. Taurisson et A. Sentini. Pédagogiques.Net. Montréal, Presses.
Henri, F., et Pudelko, B. (2006). Le concept de communauté virtuelle dans une perspective d’apprentissage social in Daele, A., et Charlier, B. Comprendre les communautés virtuelles d’enseignants. Pratiques et recherches. Ed. L’Harmattan. (p. 105-126)
Lave, J., et Wenger, E. (1991). Situated learning: legitimate peripheral participation. Cambridge: Cambridge University Press.
Wenger, E. (2005). La théorie des communautés de pratique, apprentissage, sens et identité. Les Presses de l’Université Laval. Canada.