« Broker et brokering » : différence entre les versions
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Le ''brokering'' est l'un des éléments clés du modèle théorique de transposition métadidactique, qui décrit les dynamiques créées au sein de la recherche collaborative orientée par la conception (Sanchez et Monod-Ansaldi, 2015, cité par Monod-Ansaldi et al., 2019). Les notions de ''broker'' et de ''brokering'' sont parmi les cinq piliers du modèle, aux côtés des aspects institutionnels, des praxéologies métadidactiques, de la double dialectique et de l'internalisation (Aldon, 2020). Dans ce modèle, les échanges entre les différentes communautés s'articulent autour d'un dispositif appelé [[objet frontière]], et au fur et à mesure que les concepts sont transférés d'une communauté à l'autre, une compréhension partagée se construit dans le processus de franchissement des frontières (ang. ''boundary crossing'') (Arzarello et al., 2014). | Le ''brokering'' est l'un des éléments clés du modèle théorique de transposition métadidactique, qui décrit les dynamiques créées au sein de la recherche collaborative orientée par la conception (Sanchez et Monod-Ansaldi, 2015, cité par Monod-Ansaldi et al., 2019). Les notions de ''broker'' et de ''brokering'' sont parmi les cinq piliers du modèle, aux côtés des aspects institutionnels, des praxéologies métadidactiques, de la double dialectique et de l'internalisation (Aldon, 2020). Dans ce modèle, les échanges entre les différentes communautés s'articulent autour d'un dispositif appelé [[objet frontière]], et au fur et à mesure que les concepts sont transférés d'une communauté à l'autre, une compréhension partagée se construit dans le processus de franchissement des frontières (ang. ''boundary crossing'') (Arzarello et al., 2014). | ||
[[Fichier: | [[Fichier:brokering_schema.png|490px|thumb|right|Fig. 1. Schématisation de la transposition métadidactique (d'après Aldon, 2020). Le ''broker'' joue un rôle de médiateur alors que les chercheurs et les enseignants construisent des praxéologies partagées, tandis que les composantes externes sont internalisées dans les pratiques des deux communautés.]] | ||
Selon Trompette et Vinck (2009, cité par Monod-Ansaldi et al., 2019), ce processus se déroule par le biais de trois activités : | Selon Trompette et Vinck (2009, cité par Monod-Ansaldi et al., 2019), ce processus se déroule par le biais de trois activités : | ||
* '''Le transfert''' : dans cette situation, les frontières de l’objet restent stables. Les échanges se font autour d’éléments concrets. | * '''Le transfert''' : dans cette situation, les frontières de l’objet restent stables. Les échanges se font autour d’éléments concrets. | ||
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=== Le ''broker'' “professionnel” === | === Le ''broker'' “professionnel” === | ||
Certains auteurs décrivent des expériences de ''brokering'' qui se déroulent avec un ''broker'' clairement identifié, et désigné pour expressément jouer ce rôle dans la négociation. Dans certains domaines, les ''brokers'' peuvent même être des professionnels, dont le rôle sert exclusivement à faire la médiation entre les communautés en présence pour atteindre des consensus. C’est le cas par exemple en recherche pharmaceutique ou médicale, où une personne est nommée spécifiquement pour ce rôle. Un autre aspect est décrit dans certains domaines, où le courtier (''broker'' en connaissances) sert d’interface entre une université et ses partenaires, | Certains auteurs décrivent des expériences de ''brokering'' qui se déroulent avec un ''broker'' clairement identifié, et désigné pour expressément jouer ce rôle dans la négociation. Dans certains domaines, les ''brokers'' peuvent même être des professionnels, dont le rôle sert exclusivement à faire la médiation entre les communautés en présence pour atteindre des consensus. C’est le cas par exemple en recherche pharmaceutique ou médicale, où une personne est nommée spécifiquement pour ce rôle. Un autre aspect est décrit dans certains domaines, où le courtier (''broker'' en connaissances) sert d’interface entre une université et ses partenaires, ou entre des ''brokers'' professionnels (Phillips, Johnny et Wedlock, 2015). Leur rôle est alors d’analyser et d’interfacer les partenariats entre université et projets partenaires, en analysant les demandes, organisant la collaboration et en facilitant les réunions de travail de recherche collaborative. | ||
Les deux exemples suivants sont plus représentatifs du rôle du ''broker'' dans les processus de recherche collaborative en sciences de l’éducation. | Les deux exemples suivants sont plus représentatifs du rôle du ''broker'' dans les processus de recherche collaborative en sciences de l’éducation. | ||
=== Le ''broker'' “situationnel” en recherche collaborative === | === Le ''broker'' “situationnel” en recherche collaborative === | ||
Dans ce domaine, le rôle du ''broker'' n’est pas forcément attribué à une seule personne, mais peut être endossé par différents participants, en fonction de la teneur et de la tournure des discussions. C’est le cas notamment dans l'exemple ci-dessous pris dans l’analyse d’un projet collaboratif de collège virtuel, issue de l’article de Monod-Ansaldi et al. (2019) | Dans ce domaine, le rôle du ''broker'' n’est pas forcément attribué à une seule personne, mais peut être endossé par différents participants, en fonction de la teneur et de la tournure des discussions. C’est le cas notamment dans l'exemple ci-dessous pris dans l’analyse d’un projet collaboratif de collège virtuel, issue de l’article de Monod-Ansaldi et al. (2019) qui soulignent, dans les échanges entre les participants, des épisodes de ''brokering''. Au sein de ces épisodes, ils identifient ainsi le rôle des différents participants, les sujets abordés et les activités touchant les frontières des objets frontières. | ||
Dans l’exemple, la discussion se “bloque” sur les difficultés techniques. Dans un premier temps, l’intervention d’un chef d’établissement qui mentionne qu’une réunion spécifique aura pour objet cette question, puis celle du référent informatique qui évoque une solution possible, correspondent à des épisodes de ''brokering'' qui ont pour effet de faire aboutir l’activité de transfert à un consensus sur le fait que cette question est centrale et concerne toutes les communautés participantes. Ceci permet d’expliciter la composante technique de l’objet frontière. | Dans l’exemple, la discussion se “bloque” sur les difficultés techniques. Dans un premier temps, l’intervention d’un chef d’établissement qui mentionne qu’une réunion spécifique aura pour objet cette question, puis celle du référent informatique qui évoque une solution possible, correspondent à des épisodes de ''brokering'' qui ont pour effet de faire aboutir l’activité de transfert à un consensus sur le fait que cette question est centrale et concerne toutes les communautés participantes. Ceci permet d’expliciter la composante technique de l’objet frontière. |
Dernière version du 14 décembre 2021 à 20:31
Le rôle du broker
Dans la recherche collaborative, et notamment dans les collaborations de recherche orientée par la conception impliquant des membres de différentes communautés - comme les enseignants et les chercheurs - les brokers facilitent la création de nouvelles connexions et le partage inter-communautaire de pratiques et de savoirs. C'est l'acte de créer des connexions à travers "les interventions de médiations entre points de vues de différentes communautés" que l'on nomme brokering (Aldon et al., 2017 ; Monod-Ansaldi, Vincent et Aldon, 2019). À ce titre, le terme broker désigne une personne (ou plusieurs personnes) connaissant suffisamment bien les deux communautés pour pouvoir jouer le rôle de "courtier de connaissances" et transférer des éléments d'une pratique entre elles, favorisant ainsi leur compréhension mutuelle (Wenger, 1998, cité par Monod-Ansaldi et al., 2019).
Le brokering dans le modèle de transposition métadidactique
Le brokering est l'un des éléments clés du modèle théorique de transposition métadidactique, qui décrit les dynamiques créées au sein de la recherche collaborative orientée par la conception (Sanchez et Monod-Ansaldi, 2015, cité par Monod-Ansaldi et al., 2019). Les notions de broker et de brokering sont parmi les cinq piliers du modèle, aux côtés des aspects institutionnels, des praxéologies métadidactiques, de la double dialectique et de l'internalisation (Aldon, 2020). Dans ce modèle, les échanges entre les différentes communautés s'articulent autour d'un dispositif appelé objet frontière, et au fur et à mesure que les concepts sont transférés d'une communauté à l'autre, une compréhension partagée se construit dans le processus de franchissement des frontières (ang. boundary crossing) (Arzarello et al., 2014).
Selon Trompette et Vinck (2009, cité par Monod-Ansaldi et al., 2019), ce processus se déroule par le biais de trois activités :
- Le transfert : dans cette situation, les frontières de l’objet restent stables. Les échanges se font autour d’éléments concrets.
- La traduction: effet de la recherche d’un sens commun aux communautés. C’est une négociation sémantique, qui déplace les frontières de l’objet vers un sens acceptable pour les deux parties.
- La transformation : les auteurs parlent d’une médiation sociale, qui permet la transformation des connaissances, aboutissant à la création d’un nouveau savoir partagé par les communautés participantes.
Le broker, en facilitant les négociations entre représentants des communautés, permet de réaliser ces différentes activités sur les composantes de l'objet frontière. Aldon (2020) souligne que l'action d'intermédiation est nécessaire pour clarifier, d'une part, la position de chaque communauté et, d'autre part, pour s'assurer que le dialogue se déroule avec succès ; le rôle de l'intermédiaire est de reformuler les idées exprimées d'une manière compréhensible pour les différents acteurs impliqués, et de faire des liens entre les points de vue en jeu. Le broker va donc promouvoir la compréhension approfondie d'objets frontières parmi les représentants des différentes communautés et faciliter le partage de praxéologies. La Fig. 1 illustre le rôle du processus de brokering dans le modèle de transposition métadidactique, où enseignants et chercheurs construisent des praxéologies partagées à travers un échange et une négociation de concepts appartenant à chaque communauté (Aldon, 2020).
Le brokering et la communauté
Si l'un des principes de base de la recherche collaborative est de constituer des groupes où se croisent différents points de vue, le rôle du processus de brokering est de faciliter la rencontre et la négociation de ces différentes perspectives, afin de favoriser la construction de savoirs partagés par les membres de différentes communautés (Monod-Ansaldi et al., 2019). En particulier, lorsque certaines préoccupations exprimées par une communauté ne sont pas nécessairement reconnues par une autre, il revient au broker d'identifier ces éléments et de focaliser l'attention du collectif sur ceux-ci, souvent par le biais de questions et de reformulations pertinentes qui aident à la construction d'une compréhension partagée (Monod-Ansaldi et al., 2019).
En effet, selon Rasmussen et al. (2009, cité par Arzarello et al., 2014), un broker va typiquement appartenir à plus d'une communauté ; par exemple, un enseignant de mathématiques représente non seulement la communauté de ses collègues enseignants, mais aussi celle des experts en mathématiques et enfin sa communauté de classe, apportant ainsi déjà une perspective variée à la collaboration. De plus, Monod-Ansaldi et al. (2019) soulignent que le rôle du broker peut être assumé par différentes personnes au fur et à mesure que le travail collaboratif progresse, ce qui conduit à différents épisodes de médiation. En fait, c'est ce processus de négociation lui-même - plutôt que l'aboutissement de la négociation - qui joue un rôle clé dans le fonctionnement du groupe et l'engagement des différents acteurs. C'est au sein de ce processus, facilité par le broker, que les membres des différentes communautés discutent de certaines composantes de l'objet frontière, construisant progressivement une culture et une compréhension communes, nécessaires au travail de conception collaborative (Monod-Ansaldi et al., 2019).
Exemples de situations de brokering
La littérature décrivant des séquences de recherche collaborative propose des exemples analysés de brokering, pour illustrer concrètement le rôle des brokers dans le courtage de connaissances.
Le broker “professionnel”
Certains auteurs décrivent des expériences de brokering qui se déroulent avec un broker clairement identifié, et désigné pour expressément jouer ce rôle dans la négociation. Dans certains domaines, les brokers peuvent même être des professionnels, dont le rôle sert exclusivement à faire la médiation entre les communautés en présence pour atteindre des consensus. C’est le cas par exemple en recherche pharmaceutique ou médicale, où une personne est nommée spécifiquement pour ce rôle. Un autre aspect est décrit dans certains domaines, où le courtier (broker en connaissances) sert d’interface entre une université et ses partenaires, ou entre des brokers professionnels (Phillips, Johnny et Wedlock, 2015). Leur rôle est alors d’analyser et d’interfacer les partenariats entre université et projets partenaires, en analysant les demandes, organisant la collaboration et en facilitant les réunions de travail de recherche collaborative.
Les deux exemples suivants sont plus représentatifs du rôle du broker dans les processus de recherche collaborative en sciences de l’éducation.
Le broker “situationnel” en recherche collaborative
Dans ce domaine, le rôle du broker n’est pas forcément attribué à une seule personne, mais peut être endossé par différents participants, en fonction de la teneur et de la tournure des discussions. C’est le cas notamment dans l'exemple ci-dessous pris dans l’analyse d’un projet collaboratif de collège virtuel, issue de l’article de Monod-Ansaldi et al. (2019) qui soulignent, dans les échanges entre les participants, des épisodes de brokering. Au sein de ces épisodes, ils identifient ainsi le rôle des différents participants, les sujets abordés et les activités touchant les frontières des objets frontières.
Dans l’exemple, la discussion se “bloque” sur les difficultés techniques. Dans un premier temps, l’intervention d’un chef d’établissement qui mentionne qu’une réunion spécifique aura pour objet cette question, puis celle du référent informatique qui évoque une solution possible, correspondent à des épisodes de brokering qui ont pour effet de faire aboutir l’activité de transfert à un consensus sur le fait que cette question est centrale et concerne toutes les communautés participantes. Ceci permet d’expliciter la composante technique de l’objet frontière.
Le broker médiateur
Dans leur étude, Monod-Ansaldi et al. (2019) soulignent également le rôle du broker dans la mise au jour des composantes “aveugles” de l’objet frontière. Elles représentent des dimensions, qui peuvent être envisagées par une communauté et non par une autre, ou des composantes sous-jacentes des négociations, qui ne sont pas explicitement évoquées dans les débats, soit parce que non mises en lien avec la thématique, soit parce que certains participants ne sentent pas leur point de vue entendu. Le rôle du broker est alors celui d’un médiateur, qui par ses questions, sa reformulation des dires de chacun, son analyse de l’attitude des uns et des autres, facilite les négociations. Dans l’article, c’est l’exemple d’une négociation autour d’un objet frontière jeu qui est évoqué. Dans la séquence de brokering, le broker capture schématiquement les points de vue et guide la discussion avec des questions, permettant ainsi à chacun de s’impliquer et de donner son point de vue. Ceci aboutit finalement à l’explicitation du désaccord, puis à un transfert de connaissance sur la composante jeu de l’objet frontière, et permet d’entamer l’activité de traduction, alors que les négociations n'aboutissent initialement à aucune des trois activités sur l’objet frontière.
Références
Aldon, G. (2020). Collaboration between teachers and researchers: a theoretical framework based on meta-didactical transposition. 25th ICMI Study Teachers of Mathematics Working and Learning in Collaborative Groups, Lisbonne, février 2020. Accès https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02469014/document
Aldon, G., Cusi, A., Morselli, F., Panero, M., & Sabena, C. (2017). Formative Assessment and Technology: Reflections Developed Through the Collaboration Between Teachers and Researchers. Mathematics and Technology, 551–578. https://doi.org/10.1007/978-3-319-51380-5_25
Arzarello, F., Robutti, O., Sabena, C., Cusi, A., Garuti, R., Malara N., & Martignone, F. (2014). Meta-Didactical Transposition: A Theoretical Model for Teacher Education Programmes. In Clark-Wilson, A., Robutti, O., & Sinclair, N. (eds), The Mathematics Teacher in the Digital Era: An International Perspective on Technology Focused Professional Development (pp. 347-372). Springer.
Monod-Ansaldi, R., Vincent, C., & Aldon, G. (2019). Objets frontières et brokering dans les négociations en recherche orientée par la conception. Éducation et Didactique, 13–2, 61–84. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.4074
Phillips, D. J., Johnny, M., & Wedlock, J. (2015). An Institutional Process for Brokering Community-Campus Research Collaborations. Engaged Scholar Journal: Community-Engaged Research, Teaching, and Learning, 1(1). https://doi.org/10.15402/esj.v1i1.39