Mesure

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Autrices : Sandra La Torre, Anne-Lise Bouscail-Hardy et Tatiana Armuna

“ L’action de mesure se situe à la jonction des deux grandes étapes de la recherche, la formation des hypothèses, d’une part et leur vérification d’autre part.” (B. Gauthier et al., 2009)

Définition de la mesure

Dans une recherche, la mesure doit permettre de vérifier les hypothèses générées par la question de recherche grâce à des indicateurs précis. Elle permet d’opérationnaliser et d’analyser un concept dans un cadre défini afin de permettre une généralisation de l’interprétation. La mesure est la conjonction de la formulation de l’hypothèse et la vérification de cette dernière; c’est le passage d’un langage abstrait (hypothèse, qui est basée sur un ou plusieurs concepts) à un langage concret fondé sur l’observation empirique. “La mesure est définie comme l’ensemble des opérations empiriques, effectuées à l’aide de un ou plusieurs instruments de mise en forme de l’information, qui permet de classer un objet dans une catégorie pour une caractéristique donnée.” (Durand et Blais, 2009)

Figure 1 Les deux mouvements de traduction associés à l’opération de mesure (Durand et Blais, 2009)

Processus de mesure

Objectif

L’objectif étant de pouvoir faire rentrer chaque objet de l’étude dans une catégorie grâce aux indicateurs, afin de traduire le plus précisément possible le concept qui doit être mesuré.

Il existe 3 types de catégorisation :

  • La catégorisation nominale
  • La catégorisation ordinale
  • La catégorisation numérique

Le choix de la catégorisation dépend du concept mesuré. Certains concepts se prêtent plus à des mesures qualitatives que quantitatives.

Afin d'illustrer ces catégories, prenons par exemple certaines données récoltées dans le cadre de la recherche Digital seniors 2020 (Seifert, Ackermann et Schelling, 2020). Ainsi la possession d'appareils TIC constitue une donnée nominale, la fréquence d'utilisation d'appareils TIC (mesurée selon une échelle de Likert) comme catégorie ordinale et enfin le groupe d'âge comme catégorisation numérique.

Étapes de réalisation

Pour la réalisation du processus de mesure, les étapes sont les suivantes : (Durand et Blais, 2009)

  • Recensement de l'ensemble des indicateurs possibles
  • Évaluation de chacun des indicateurs recensés
  • Collecte de données
  • Vérification de la validité et de la fidélité des mesures

Les indicateurs

Le choix des indicateurs ne peut se faire que lorsque le concept est clairement défini. Ce processus est l’opérationnalisation du concept et permet de catégoriser l’objet de l’étude, de déterminer les dimensions qui le constituent et au travers desquelles il rend compte du réel. Ainsi un indicateur ne devrait mesurer qu’un élément du concept, qu’une composante. Les différents indicateurs choisis par les chercheurs doivent permettre de mesurer le concept dans son intégralité, de manière exhaustive et exclusive. La construction des indicateurs dépend de certains choix faits par les chercheurs et les chercheuses.

Figure 2 : La décomposition d’un concept d’après Campenhoudt et al. (2017)

Les instruments de mesure

Dans le travail de recherche, l’opérationnalisation des concepts n’est pas “pure spéculation” (Campenhoudt et al, 2017, p.166), mais a pour objectif de conduire au réel et permettre de s’y confronter. Ainsi pour mesurer un concept et obtenir les indicateurs, il est nécessaire d’avoir des instruments qui sont capables de recueillir ou de produire l’information indispensable. Ces instruments de mise en forme de l’information sont au nombre de trois : l’observation directe, l’analyse de contenu, et le questionnaire. Ils reposent sur de l’observation que ce soit des comportements, des documents ou des réponses à des questions. Le chercheur peut utiliser l’un ou l’autre des instruments, ou même une combinaison. Cette observation présente trois grandes étapes. En premier, la construction de l’instrument de mesure avec l’établissement de son protocole d’utilisation au travers par exemple de grilles d’observation ou d'analyse, de la formulation des questions et du codage des réponses. Ensuite vient le test de l’instrument afin de vérifier la compréhension des questions, la façon de mener l’entretien. Et en dernier la collecte des données avec le mode d’administration, l’échantillonnage, le taux de réponse (Campenhoudt et al, 2017). Ce processus de mesure a pour objectif de placer chaque objet d’étude dans une catégorie, d’établir des règles d’assignation. Il est donc nécessaire que chaque instrument ainsi que le processus en lui-même soient les plus précis possibles. Cette précision est en lien avec la conception que la communauté scientifique se fait de la connaissance.

La validation des instruments de mesure se fait souvent par consensus et le choix repose sur la cohérence avec les utilisations antérieures dans des recherches similaires. Ainsi un questionnaire pourrait soit reprendre un modèle existant ou encore être validé par les pairs, par exemple sous la forme d'une validation inter-juge.

Les critères d'appréciation

Il est nécessaire de respecter les critères d’appréciation des indicateurs qui permettent de considérer la recherche comme scientifiquement crédible par la communauté scientifique. Afin de mener cette vérification, la recherche est analysée au travers du filtre de divers critères de scientificité. Dans le cas spécifique de la mesure, cette appréciation porte, entre autres, sur la méthodologie de travail, mais aussi le choix des indicateurs, éléments centraux de la mesure.

Les deux critères d’appréciation qui sont le plus souvent utilisés sont la fidélité et la validité.

Le critère de fidélité a pour objectif de s’assurer que la mesure empirique du concept donne des résultats identiques et constants. “La fidélité est un indice de la qualité de la mesure « en soi ».” (Durand et Blais, 2009) Ce critère analyse essentiellement l’adéquation des indicateurs choisis. En conséquence, si des mesures faites selon les mêmes procédés portant sur des indicateurs précis ne donnent pas des résultats constants, les indicateurs concernés ne répondent pas au critère de fidélité et doivent être rejetés. Idéalement, cette étape de vérification des critères doit se faire en amont de la recherche pour s’assurer que ceux utilisés permettent de prendre des mesures empiriquement fidèles.

Le processus de vérification de la fidélité des indicateurs est souvent lourd. Il s’agit notamment de la répétition des expériences avec un changement de paramètres ne devant pas influer sur les résultats, comme par exemple, un changement d’observateur. La fidélité est également mesurée en prenant en compte la consistance interne des mesures lorsqu’un concept est opérationnalisé par plusieurs indicateurs. Cette démarche est réalisée par le calcul de l'alpha de Crohnbach.

Le critère de validité a pour objectif de vérifier l’adéquation de l’indicateur avec le concept qu’il mesure. Élément crucial de la mesure, la validité porte à la fois sur la validité des contenus mesurés par l’indicateur en adéquation avec le concept, la validité apparente ou logique, la validité de construit, indiquant la validation de l’opérationnalisation des concepts, et la validité reliée au critère confirmant les présomptions de liens entre divers concepts ayant influencés l’opérationnalisation.

La validité des indicateurs va de pair avec la fidélité des indicateurs. “L’appréciation de la validité et de la fidélité d’un indicateur est en partie qualitative et subjective. Il subsiste une part d’arbitraire que l’on ne peut éliminer.“ (ibid.) Afin de réduire cette part de subjectivité ou d'arbitraire souvent sujet aux attaques de la communauté scientifique, l’ancrage scientifique des choix joue un rôle prédominant. Ainsi, une stratégie du consensus est adoptée, ou certaines opérationnalisations d’un concept sont acceptées par la majorité et reprises dans les recherches.

Les sources d'erreurs

Parmi les sources d'erreurs principales se trouve la contamination. Ainsi, l’instrument de mesure utilisé peut aussi avoir une incidence sur le résultat et empêcher de valider le critère de fidélité. Cette incidence est souvent difficile à évaluer, mais peut être évitée par la manière dont sera utilisé l’instrument de mesure. Il est donc nécessaire que lors de l’observation, le chercheur le fasse dans les conditions qui soient les plus proches possibles de la normalité, pour que l’objet observé soit le moins possible influencé par l’instrument de mesure. Le chercheur est amené à s'interroger sur la pertinence des questions qu’il pose lors de l’observation, de leur neutralité pour éviter d’influencer l’observation et la précision, de telle sorte que la question soit comprise de la même manière par tout le monde.

La mesure dans la recherche orientée conception

En décalage face aux critères de scientificité habituels, la recherche orientée conception (RoC) ne prétend pas “contrôler les variables ou être en mesure de les reproduire. On peut néanmoins prétendre à en identifier les éléments signifiants, à caractériser leurs relations et à en inférer non pas des lois, mais des éléments de compréhension qui, formalisés dans des modèles, donnent du sens aux observations effectuées.” (Sanchez et Mondo, 2015) Par ce fait, l’objectif des mesures devient autre en intégrant une approche systémique. “ La RoC s’inscrit donc en rupture avec les méthodologies de type comparatiste, dont les critères de scientificité sont la reproductibilité ou la prédictibilité des résultats. De tels critères ne peuvent pas être retenus pour la RoC qui s’inscrit dans un paradigme méthodologique systémique. Ses critères de scientificité sont des critères de validité interne.” (ibid.)

Outre cette validation interne, une validation externe est nécessaire pour inscrire la recherche dans l’ensemble des recherches et avancées du domaine. Se détachant des critères habituels par la nature même de sa méthodologie, la RoC a alors recours à des critères comme la cohérence de la recherche, la validation des sources théoriques, la praticabilité ou encore la pertinence de la recherche. (ibid.)

En conclusion, les objectifs de mesure de la RoC sont “ de parvenir à s’abstraire des contextes étudiés et à permettre une généralisation des résultats en identifiant des invariants et en s’assurant de la validité externe des résultats produits.” (ibid.)

Bibliographie

  • Campenhoudt, V. L., Marquet, J., et Quivy, R. (2017). Manuel de recherche en sciences sociales - 5e éd. DUNOD.
  • Durand, C., et Blais, A. (2009). La mesure. Dans Gauthier, B. (dir),  Recherche sociale : de la problématique à la collecte des données (5e éd., p. 227‑250). Presses de l’Université du Québec.
  • Sanchez, É., et Monod-Ansaldi, R. (2015). Recherche Collaborative Orientée Par La conception. Éducation Et Didactique, (9-2), 73–94. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.2288
  • Seifert, A., Ackermann, T., et Schelling, H. R. (2020). Digital seniors 2020 Utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) par les personnes de 65 ans et plus en Suisse Pro Senectute Suisse.