Le groupe, recette miracle pour l'apprentissage?

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Gaëtan C. Basset - Volée Baldur

Le groupe, recette miracle pour l’apprentissage?

Résumé

Dans ce court article nous allons aborder la question de l’influence du groupe sur l’apprentissage. En commençant par présenter la place de l’autorégulation dans l'apprentissage collaboratif puis comment le groupe influence la charge cognitive. Pour finir nous verrons que l’apprentissage en groupe ne possède pas seulement des effets positifs sur l’apprentissage.

Introduction

Le groupe est-il une recette miracle pour ceux qui souhaitent apprendre ? L'approche individuelle de l'apprentissage est souvent placée au premier plan lorsqu'il s’agit d'étudier les processus sous-jacents à l’acquisition de nouveaux savoirs, mais qu'en est-il de l'apprentissage en groupe? Les approches socio-constructivistes ou socio-culturelles semblent assez élogieuses quant à ses potentiels effets bénéfiques (Dillenbourg et al., 1995). Nous allons tenter de faire un bref résumé, à la lumière des trois articles de Cosnefroy (2010), Tricot A. (2017) et Dillenbourg et al. (1995), des quelques bénéfices que l'on peut tirer d'un apprentissage collaboratif.

Nous commencerons par exposer les caractéristiques positives du groupe pour l'autorégulation des apprenants puis nous aborderons son potentiel effet "réducteur" sur la charge cognitive. Pour finir, nous montrerons qu’il n’est pas seulement bénéfique et qu’il dépend beaucoup de l’interaction entre participants.

Développement

L’autorégulation et le groupe

L’autorégulation est une composante importante pour mener à bien tout nouvel apprentissage. L’autorégulation est définie comme des processus (stratégies) qui doivent être activés pour maintenir des cognitions, des affects et des conduites systématiques pour atteindre un but précis (Shunk, 1994 cité par Cosnefroy, 2010, p.13). Tout apprentissage dépend de deux obstacles : le passage à l'action et le maintien de celle-ci, d'où le besoin de mettre en place des stratégies pour y parvenir. La motivation et la volition sont deux éléments indispensables pour faire face à ces obstacles (i.e., les potentielles distractions). La motivation donne l’intention pour le passage à l'action et la volition s’assure de protéger cette intention (Corno, 2001 cité par Cosnefroy, 2010).

L’autorégulation au sein du groupe pourrait apporter un soutien supplémentaire à la motivation et la volition. En effet, la volition est moins nécessaire au sein d’un groupe car les apprenants se soutiennent mutuellement. «Les processus métacognitifs de contrôle sont répartis entre tous les membres du groupe» (Corno, 2001, 2004 cité par Cosnefroy, 2010 p. 37). Le groupe peut aussi avoir un impact positif sur la charge cognitive qui, si elle est trop importante, diminue la motivation de l’apprenant. Par exemple, lors de l'enchaînement d’activités qui demandent un effort de contrôle, les ressources cognitives du participant peuvent se retrouver épuisées (Cosnefroy, 2010, p.33) . Cette charge peut être divisée entre les membres du groupe lorsqu’ils coopèrent.

La charge cognitive au sein du groupe

Lors de l’apprentissage d’une nouvelle compétence (non adaptative, i.e. le codage), l’élève est soumis à une forte charge cognitive, sous entendu, celui-ci doit faire preuve de beaucoup d’efforts pour ancrer les nouvelles connaissances qu'il souhaite emmagasiner (Sweller, 2015, 2016, dans Tricot A., 2017)

Trois différentes sources de charges cognitives sont distinguables (Sweller, Van Merrienboer et Paas, 1998 cités par Tricot, 2017, p. 1):

  • «la charge intrinsèque, liée aux informations à traiter pour réaliser la tâche» ;
  • «la charge extrinsèque, liée aux informations inutiles pourtant présentes sur les supports» ;
  • «la charge essentielle, liée à l’apprentissage lui-même, c’est-à-dire à la transformation de connaissances».

Owen et Sweller (1985, cités par Tricot, 2017), à travers une séries d'expériences, ont pu faire ressortir certains effets qui peuvent être associés à des recommandations pour réduire la charge cognitive extrinsèque (parfois aussi intrinsèque). En lien avec le travail de groupe, “l'effet de mémoire de travail collectif” montre que lorsque la tâche est difficile, le travail en groupe permet une plus grande efficacité (Tricot, 2017). Cet effet est souvent présent dans l’apprentissage à distance lorsque les étudiants choisissent un type d'engagement interactif, de par sa composante groupale et des interactions qu’il permet (Tricot, 2020).

Que de bénéfices à l'apprentissage collaboratif ?

On pourrait donc intuitivement penser qu’il est indéniable que l’apprentissage collaboratif a des effets bénéfiques sur la cognition et la métacognition. Cependant, bien que certaines études ont montré en majorité des effets positifs (Slavin, 1983; Webb, 1991 cités par Dillenbourg et al.,1995), d'autres comme celle menée par Salomon and Globerson (1989) et Mulryan, (1992) (cités par Dillenbourg et al.,1995) ont fait ressortir certains effets négatifs (e.g., les personnes performant le moins bien finissent par ne plus performer du tout en se reposant sur celles qui performent le mieux). Ce qu’il faut retenir c’est que la collaboration n’est ni efficace, ni inefficace, mais qu’elle fonctionne sous certaines conditions (Dillenbourg and al., 1995) :

  • l’hétérogénéité du groupe ;
  • les particularités prérequises de chaque individu ;
  • les caractéristiques des tâches à effectuer. (Dillenbourg and al., 1995)

De ces 3 paradigmes émerge un quatrième qui est central pour parler de l’efficacité du travail collaboratif : les interactions sociales au sein des groupes (Dillenbourg and al., 1995, p.12). Cress et kimmerle, (2017 cités par Molinari et al., 2021) nous disent, que le langage (au sein d’une interaction sociale) est ce qui permet le couplage structurel entre le système cognitif et le système social et qu’ils co-évoluent par l'intermédiaire de ce médium. Dans l'interaction, les apprenants communiquent leurs connaissances et leurs représentations entre eux et les traitent en les comparant à leurs propres connaissances et représentations.

L’apport positif du groupe pour l’apprentissage dépend donc de l'interaction de ces participants. Pour comprendre la façon dont deux apprenants collaborent, la nécessité de comprendre leurs émotions s'impose (Andriessen et al. 2011 cités par Molinari et al., 2017). En effet, pour Andriessen et al., la coordination de l'espace cognitif (pour la résolution de tâches et la compréhension épistémique) et l’espace relationnel (pour une compréhension mutuelle et un climat interpersonnel positif) sont indispensables à la collaboration dans l’apprentissage.

Cependant, des tensions peuvent émerger entre les participants concernant la tâche ou les relations entre eux. Si ces tensions deviennent trop importantes, l’attention devra être mobilisée pour résoudre les conflits émotionnels plutôt que pour l’accomplissement de la tâche (Andriessen et al. 2011 cités par Molinari et al., 2017). De même, au sein d’un groupe, la comparaison sociale en rapport avec les compétences de chacun, menace l’estime de soi des participants et oblige à se concentrer sur la régulation des relations, endommageant l'efficacité du groupe (Buchs et al., 2008 cités par Cosnefroy, 2010). Toujours dans le même registre, l’effet de mémoire collective détaillé plus haut n’est pas efficace dans toutes les configurations. Il doit être manié avec précaution. En effet, si la tâche abordée est facile, alors il faut préconiser un apprentissage individuel, car si la tâche est faite en groupe, elle implique alors une charge cognitive inutile (Tricot A., 2017, 2020). Ces trois situations aux effets négatifs renvoient toutes à une mauvaise distribution de la charge cognitive.

Conclusion

Nous avons brièvement parlé de la place de l’autorégulation dans des situations de groupe et vu certains de ces potentiels bénéfices sur la motivation et la volition. Ensuite nous avons introduit le concept de charge cognitive et comment celle-ci pouvait être atténuée par le travail de groupe. Bien que le groupe semble être une solution miracle pour l’apprentissage, nous avons vu qu’il ne fonctionne que sous certaines conditions. Son efficacité dépend grandement de l’interaction à l’intérieur du groupe.

Comme mentionné, les disparités à l'intérieur du groupe peuvent être sources de conflits et impacter l’efficacité de l’apprentissage collaboratif. Pour aller un peu plus loin, certaines solutions ont été proposées comme celles évoquées par Järvenoja et Järvelä (2013) dans Molinari et al. (2017). Les auteurs proposent six stratégies pour réguler l’équilibre émotionnel lors d’interactions au sein du groupe : le renforcement social, la discussion orientée vers les buts, l’augmentation de l’intérêt, la structuration de la tâche, l’auto-handicap, et la gestion du sentiment d’efficacité. Nous aimerions relever tout de même que la limite n'est pas claire. Le groupe doit-il être considéré comme un individu émergent à part entière? Les stratégies de régulation que proposent Järvenoja et Järvelä (2013) suggéreraient que c'est le cas, car : «ces stratégies ont la particularité d’être socialement partagées dans le sens où elles sont situées dans le groupe et ne peuvent pas être attribuées à un seul individu.» (Molinari et al., 2017, p.180)

Références

littérature primaire

  • Tricot, A., (2017).« Quels apports de la théorie de la charge cognitive à la différenciation pédagogique ? Quelles pistes concrètes proposer pour adapter les situations d'apprentissage.» Conférence de consensus "Différenciation pédagogique : comment adapter l'enseignement pour la réussite de tous les élèves ?"
  • Pierre Dillenbourg, Michael J. Baker, Agnès Blaye, Claire O’Malley. « The evolution of research on collaborative learning ». Spada, E. and Reiman, P. Learning in Humans and Machine: Towards an interdisciplinary learning science., Elsevier, Oxford, pp.189-211, 1995. hal-00190626
  • Laurent Cosnefroy, « L'apprentissage autorégulé : perspectives en formation d'adultes », Savoirs 2010/2 (n° 23), p. 9-50. DOI 10.3917/savo.023.0009

littérature complémentaire

  • Tricot, A. (2020). « Enseignement à distance et niveau d’engagement des élèves ». Animation & Éducation, 277-278, 26-27
  • Molinari G. et al., « Les émotions dans les situations de collaboration et d’apprentissage collaboratif médiatisées par ordinateur », Raisons éducatives 2017/1 (N° 21), p. 175-190. DOI 10.3917/raised.021.0175
  • Molinari, G., Muller Mirza, N., & Tartas, V. (2021). « Regards croisés des approches cognitives et socioculturelles sur l’apprentissage collaboratif : Quelles contributions dans le domaine de l’éducation ?»: Raisons éducatives, N° 25(1), 41‑64. https://doi.org/10.3917/raised.025.0041