La conception et l'utilisation d'un EIAH: qu'est ce qu'ils apportent aux enseignants?
Résumé
Cet article aborde les changements apportés par l’implication des technologies dans l’enseignement sur les enseignants, plus précisément sur leurs responsabilités, rôle, compétences et métier.
Introduction
L’enseignant est l’acteur essentiel dans une situation d’apprentissage par enseignement. Un des éléments à définir pour concevoir une situation d’apprentissage par enseignement, comme évoquent Tchounikine et Tricot, est « des acteurs soit, a minima, un enseignant et un apprenant ». (Tchounikine et Tricot, 2011). Selon la vision actuelle du mécanisme d’apprentissage, inspirée par le constructivisme, le rôle des enseignants dans l’enseignement est manipulateur de l’environnement d’apprentissage afin de susciter les interactions entre l’apprenant et l’environnement qui favorisent la construction des savoirs, soit l’apprentissage. Quand les technologies interviennent dans les situations d’apprentissage par enseignement, quels sont les changements apportés aux enseignants au niveau du rôle, de la compétence, de la responsabilité, du métier etc. ? Quelle est la relation entre les enseignants et les technologies adoptées ? Cet article tente d’illustrer ces points en mettant en liens les trois capsules vidéo et plusieurs lectures concernant les Environnements Informatiques pour L’apprentissage Humain (EIAH).
Développement
De nouvelle responsabilité et exigences imposées
Différent des apprentissages adaptatifs tels que ceux qui s’inscrivent implicitement dans notre environnement quotidien et ont le but d’optimiser nos interactions avec l’environnement, l’apprentissage par enseignement s’organise sous une modalité de transmission non adaptatif, caractérisé par quatre contraintes : le temps, le lieu, les savoirs à apprendre et la manière de les apprendre. Tricot indique que ce que font les enseignants est d’aménager ces contraintes pour permettre aux apprenants d’apprendre. L’évolution numérique et son utilisation dans l’apprentissage par enseignement a bien changer cette responsabilité des enseignants. Premièrement l’utilisation du numérique tels que les téléphones, les tablettes etc. permet aux apprenants d’apprendre à n’importe quel moment et n’importe où, ce qui a déplacé la responsabilité de gérer les contraintes du temps et du lieu des enseignants. Comme Tricot a relevé, « Il semble que le numérique permette d’assouplir la contrainte temporelle…mais il ne fait pas sauter la contrainte temporelle : apprendre des connaissances scolaires requiert du temps. C’est la responsabilité de cette contrainte qui est déplacée : elle ne relève plus de l’enseignant ou enseignante, mais de l’élève » ; « la contrainte de lieu ne disparaît pas : elle doit être autogérée par l’élève ». Bien qu’à l’aide du numérique les enseignants se déchargent de l’arrangement du temps et du lieu d’apprentissage, l’implication du numérique dans l’apprentissage par l’enseignement leur impose une nouvelle tâche : toujours prendre en compte les difficultés que certains élèves peuvent rencontrent face à cette exigence imposée par l’utilisation du numérique, soit l’autogestion du temps et du lieu.
Secondairement Comme Tricot évoque, « les connaissances scolaires présentent souvent un rapport bénéfice/coût négatif : elles ne sont pas utiles immédiatement ». Donc l’inadaptabilité de l’apprentissage par enseignement se manifeste aussi dans la contrainte des savoirs à apprendre. Le numérique permettant à chacun de trouver les ressources de ce qu’il a besoin d’apprendre au moment où il en a besoin semble d’avoir ouvert la porte de l’autodidaxie à tout le monde. La présence des enseignants semble d’être affaiblie dans une large mesure. Mais est-ce que les ressources offertes par le numérique, même si riches, gratuits et de bonne qualité, peut vraiment remplacer le rôle des enseignants ? En effet, selon Tricot, tout comme les bibliothèques, le numérique rend disponibles des données pas les connaissances. Geary (2008) insiste aussi « les sociétés avec école forment des élèves qui deviendront des savantes et savants, des artistes, des créatrices et des créateurs, qui innoveront, créeront des connaissances, rendant l’école de plus en plus nécessaire. » Donc on pourrait comprendre que même si le numérique permet l’accès aux savoirs plus adaptatifs et utiles aux moments où l’on en a besoin, un simple « accès » ne garantit pas l’apprentissage. Le rôle des enseignants est quand même essentiel parce que ce sont eux qui construisent les ponts entre les savoirs et leur apprentissage chez les apprenants.
Dernièrement le numérique a doté les enseignants de nouveaux outils permettant d’envisager de nouvelles mises en œuvre des tâches scolaires. On peut dire que les compétences des enseignants sur la gestion des manières d’apprentissage ont été étendues. Cependant en même temps, des nouvelles exigences leur imposent sur comment appliquer ces outils numériques en sorte de « soutenir le traitement cognitif actif au cours de l’apprentissage (traitement essentiel et traitement génératif) sans surcharger les capacités cognitives de l’apprenant » (Mayer, 2010).
Une relation de partenariat
Comme Georgy et al (2013) ont illustré, grâce à la possibilité de tracer les apprenants lors de leur usage d’un système informatique pour l’apprentissage, « les systèmes sont alors conçus pour être adaptatifs, c’est-à-dire dotés de capacités d’adaptation à l’utilisateur sans intervention explicite de celui-ci ». Ainsi quand l’enseignement est bien précis ou l’activité est bien délimité, le système informatique utilisé pour l’apprentissage tel qu’un tuteur intelligent est capable de comprendre les actions des apprenants pour agir en conséquence. Les enseignants en ce cas ont été remplacés. Mais quand il s’agit des environnements d’apprentissage plus ouverts caractérisés par avoir plusieurs apprenants, plus d’interactions entre eux et plus de contrôle sur l’environnement laissé à eux, le traçage réalisé par le système informatique devient beaucoup plus difficile et limité. Donc les enseignants ici en utilisant des traces enregistrés (même si pas exhaustives) collaborent avec le système informatique pour réguler et assister les activités des apprenants. Comme Georgy et al évoquent, l’enseignant dans ce cas « devient un acteur à part entière de l’EIAH » ; « L’assistance pendant les activités peut ainsi être apporté par un enseignant ou par le système, dans une relation de partenariat ».
Usagers ou bien aussi concepteurs d’un EIAH
Dans le vidéo concernant la recherche orientée par la conception, Sanchez a relevé l’importance de la participation des enseignants dans la conception d’un EIAH. « Les enseignants ne sont pas des simples usagers mais des acteurs, concepteurs qui vont être amenés à reconcevoir l’EIAH lorsqu’ils l’adaptent à leurs pratiques ». (Sanchez, 2018). En plus, comme a évoqué Michel C. dans le vidéo intitulé « Adaptation : Analyser l'appropriation pour analyser l'adaptation », lors d’usage d’un système, les utilisateurs peuvent modifier le système, le contexte et les objectifs professionnels donc il faut prendre en compte cette évolution pour pouvoir concevoir un système qui s’y adapte ou co-évolue ensemble. Dans l’enseignement assisté par les technologies, les enseignants, en tant qu’utilisateurs du système informatique sont des sources très importantes d’informations qui peuvent contribuer à la conception d’un EIAH. Dans ce cas, leur métier n’est plus limité dans l’enseignement mais s’élargit à la conception et la recherche d’un EIAH.
Conclusion
Dans l’apprentissage par enseignement, le numérique a apporté beaucoup des changements aux enseignants. Leur responsabilité d’aménager le temps, le lieu a été déplacée. Les manières à apprendre qu’ils peuvent adopter sont bien augmentées et diversifiés grâce à l’utilisation du numérique. Mais en même temps, avec ces bénéfices, des nouvelles exigences leur sont imposées tels que prendre en compte les difficultés des élèves qui doivent autogèrent le temps et le lieu d’apprentissage, utiliser les outils numériques de manière qu’ils puissent favoriser l’apprentissage au lieu de le détériorer. En plus, le numérique ne réussit pas, au moins pour l’instant, à remplacer les enseignants. Les enseignants dans l’acquis des savoirs, dans la régulation des situations plus ouvertes d’apprentissage sont encore indispensables et leur travail se complète avec l’utilisation des outils numériques. La pratique qu’ils font avec le numérique leur rend aussi une partie signifiante dans la conception et la recherche d’un EIAH.
Ressources
Caron, T. ATIEF : Ressources sur les EIAH (2018, 18 décembre). Analyse de Traces : Objectifs de traçage [Vidéo]. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=aQMnhcq4HBM&t=10s
Michel, C. ATIEF : Ressources sur les EIAH (2018, 15 décembre). Adaptation : Analyser l'appropriation pour analyser l'adaptation [Vidéo]. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=9soVe48UClo&t=1s
Sanchez, E. ATIEF : Ressources sur les EIAH (2018, 14 décembre). Méthodes de conception : Recherche orientée par la conception [Vidéo]. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=iiN3Axy5a9c&t=2s
George, S., Michel, C. et Ollangier-Beldame M. (2013). Usages réflexifs des traces dans les environnements informatiques pour l’apprentissage humain. Intellectica, 59, 205-241. 10.3406/intel.2013.1091
Tchounikine, P. et Tricot, A. (2011). Environnements informatiques et apprentissages humains. In C. Garbay & D. Kayser (Éd.), Informatique et sciences cognitives (p. 153 186). Éditions de la Maison des sciences de l’homme. https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.13926
Tricot, A. (2021). Le numérique permet-il des apprentissages scolaires moins contraints ? Une revue de la littérature: Éducation et sociétés, n° 45(1), 37‑56. https://doi.org/10.3917/es.045.0037
GEARY D.C. 2008 “An evolutionarily informed education science”, Educational Psychologist-43(4), 179-195
Mayer, R. E. (2010). Apprentissage et technologie. In H. Dumont, D. Istance, & F. Benavides (Éds.), Comment apprend-on ? (p. 191‑211). OECD. https://doi.org/10.1787/9789264086944-10-fr