L’impact des TICs dans l’enseignement primaire : entre acceptabilité et appropriation
Résumé
Le texte suivant présente une mise en lien entre trois articles issus de revues scientifiques concernant l’acceptabilité des technologies et les apports de la théorie instrumentale de Rabardel (1995) afin de discuter de la position des enseignants et des impacts qu’ont les technologies dans leur métier. Nous nous appuierons également sur des expériences partagées avec des enseignants sur l’usage des TICs (Technologies de l'information et de la communication) et vécues en stage dans diverses classes primaires genevoises.
Introduction
A Genève, les technologies arrivent progressivement dans les classes de primaire même si des disparités existent encore aujourd’hui. Certaines classes sont déjà équipées de tableau blanc interactif (TBI) depuis quelques temps, alors que d’autres sont encore dotées des tableaux noirs classiques. Il en est de même pour les tablettes numériques, qui sont encore peu utilisé et peu intégré aux pratiques enseignantes selon les quartiers. Selon Villemonteix et Khaneboubi (2012), ces derniers sont généralement utilisés pour « réaliser des recherches documentaires ou pour des exercices d’entrainement avec des exerciseurs ». La position des enseignants vis-à-vis de ces outils numériques est telle que, malgré que leur classe dispose de ce matériel, seulement une petite proportion des enseignants en fait un usage régulier et innovant, décrivant une position relevant du traditionnel (Rinaudo et al., 2008) ; (Khaneboubi, 2009). Plusieurs raisons existent pour expliquer ce phénomène et nous nous baserons sur les concepts d’acceptabilité et d’appropriation pour tenter de les comprendre.
Développement
1. Comprendre le processus d’appropriation des dispositifs engageant les TICs et leurs usages pédagogiques dans l’enseignement
Concept d'appropriation
Pour comprendre les raisons pour lesquelles les enseignants utilisent ou non les technologies dans leur pratique professionnelle, il convient de définir le concept d’appropriation. Le concept d’appropriation est défini par le « processus d’intériorisation progressive des compétences techniques et cognitives à l’œuvre chez les individus et les groupes qui manient quotidiennement une technologie » (Proulx, 2005, p.9). Il est également décrit comme une « acquisition du sens et de la familiarité de l’artefact au cours de l’apprentissage » (Haué, 2004, p. 178). Millerand (2002, p.199), de plus, souligne que « le processus d’appropriation ne peut être appréhendé qu’en tant qu’activité et ne peut être saisi que dans le cadre d’un processus temporel continu durant lequel l’usager choisit ou redéfinit les fonctionnalités du dispositif pour donner un sens à son usage ».
Une construction longue et évolutive
En ce sens, il s’agit d’un mécanisme interactif et évolutif avec l’activité à but pédagogique qui touche les conceptions de l’enseignement. L’utilisation d’un nouvel outil numérique demande en effet, une réflexion et un temps d’adaptation à celui-ci - comprendre ses fonctionnalités, étudier ses aspects techniques - pour en ressortir les éléments jugés utiles à la pratique pédagogique. Il ne signifie pas seulement de savoir manipuler l’outil, mais d’étudier également sa dimension culturelle, autrement dit, comment celui-ci est intégré dans la société, et alors questionner son usage dans un contexte scolaire avec des élèves. En somme, l’appropriation est un processus long et évolutif qui « transforme [la] pratique [de l’enseignant], fait évoluer ses compétences, mais [le professionnel] ajuste également la technologie à son activité en fonction de ses besoins » (Decortis ; Nogry ; Heurtier ; Sort ; 2013, p.2).
Activité médiatisée et genèse instrumentale : de l’artéfact à l’instrument, une transformation par l’activité de l’enseignant
L’activité de l’enseignant est tout aussi complexe à décrire. Elle consiste à créer les conditions pour faire agir les élèves sur la ou les tâche(s) à accomplir, résultant d’un apprentissage qui transforme les apprenants (Roglaski, 2003). Goigoux (2007) met en exergue que l’activité est « le résultat d’un compromis à trouver entre les objectifs didactiques et pédagogiques des enseignants, leurs propres buts subjectifs, ainsi que les contraintes et les ressources de leur milieu de travail ». Il s’agit d’un travail complexe dépendant de nombreux facteurs contextuels et culturels.
Ainsi, lorsque la technologie devient un médiateur entre le sujet et l’objet à enseigner, il devient un instrument (Rabardel, 1995) dont la fonction sera définie par l’enseignant et capable de transformer et de réguler l’activité de l’utilisateur (médiation réflexive). Par conséquent, la médiation de l’activité par un instrument transforme profondément les fonctions psychologiques : « the use of artificial means, the transition to mediated activity, fundamentally changes all psychological operations just as the use of tools limitlessly the range of activities within which the new psychological functions may operate » (Vygotsky, 1939).
2. Tendre vers une acceptation des technologies dans les classes par une approche située
Acceptation située
Par ailleurs, il est essentiel que les enseignants puissent explorer et expérimenter différents outils numériques pour donner un sens à leur usage. Il convient donc d’analyser la technologie dans son contexte d’utilisation afin d’évaluer ses apports et ses limites. Par une approche située, nous regardons concrètement comment la technologie influe sur les actions de l’utilisateur.
L’utilisation des TICs dépend de nombreux facteurs sociaux, culturels et personnels
L’utilisation des TICs dans les classes dépend en premier lieu, de l’environnement institutionnel. En effet, dans le cas de Genève, il existe encore beaucoup d’écoles non équipés de TBI et dont l’accessibilité aux tablettes numériques reste difficile. Les enseignants ne sont alors pas habitué à utiliser ces technologies et par conséquent, l’école de proposera pas de formation spécifique à leurs usages simplement car le matériel n’est pas disponible. En deuxième lieu, encore beaucoup d’enseignants restent réticent à l’arrivée des technologies dans les écoles et peuvent parfois les percevoir comme une menace. Enfin, le manque d’expériences professionnelles et de pratique influent grandement sur la motivation et le sentiment de compétence des enseignants et tend à une diminution de l’acceptabilité des technologies.
Les dimensions de l'acceptabilité
Les recherches de Bobillier Chaumon (2015) relèvent 4 dimensions de l’acceptabilité :
- individuelle ;
- organisationnelle ;
- relationnelle ;
- professionnelle et identitaire.
Ces dimensions permettent de mettre en avant les éléments qui amènent les enseignants vers une acceptabilité positive ou non des outils numériques. Elles questionnent l’efficacité de ces outils - si elles diminuent ou au contraire, augmentent la charge de travail -, leur capacité à s’intégrer dans les contraintes du contexte professionnel, leurs avantages et désavantages dans le travail collaboratif, ainsi que leur adaptation à l’individu, notamment en ce qui concerne le pouvoir d’agir et la valorisation du métier de ce dernier (Bobillier Chaumon et al., 2014 ; Drutel & Bobillier Chaumon, 2014).
Conclusion
Nous avons pu voir à travers ces articles que l’acceptation des TICs en classe primaire passe avant tout par les conceptions que les enseignants ont de ces outils et de la position de l’institution vis-à-vis des ressources mis à disposition pour les enseignants. Un temps d’appropriation d’un outil est souvent long mais nécessaire pour comprendre comment ce dernier transforme l’activité du professionnel. Ces recherches montrent ainsi l’importance d’une formation plus approfondie aux technologies numériques.
Références bibliographiques
Bobillier Chaumon, M.-E. (2015). L’acceptation située des technologies dans et par l’activité : premiers étayages pour une clinique de l’usage. Psychologie du travail et des organisations, 22, 4–21. DOI http://dx.doi.org/10.1016/j.pto.2016.01.001
Decortis, F., Nogry, S., Heurtier, S., Sort, C. (2013). Apports de la théorie instrumentale à l’étude des usages et de l’appropriation des artefacts mobiles tactiles à l’école. Sticef, 20.
Folcher V., Rabardel, P. (2004). Hommes, artefacts, activités : perspective instrumentale. In P. Falzon (Eds) L‘ergonomie, PUF, 251-268.
Rédigée par Sokcheata Khieu, étudiante du MALTT, volée DRAKKAR, Université de Genève, le 7 décembre 2023