Echantillonnage en méthodes qualitatives
Manuel de recherche en technologie éducative | |
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Module: Recueil de données qualitatives | |
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⚒ 2022/06/13 | ⚒⚒ 2015/08/27 |
Introduction
En technologie éducative (ainsi que dans la plupart des autres sciences sociales), on travaille avec toute une variété de données qualitatives. Puisque la recherche qualitative se focalise le plus souvent sur des données "riches", l'échantillonnage est plus difficile que dans une recherche quantitative.
Souvent, on ne travaille qu'avec 1 ou 2 grand cas (i.e. une ou plusieurs classes d'écoles; une institution éducative) car l'analyse qualitative demande beaucoup de travail. Il faut d'autant plus réfléchir soigneusement à la question de l'échantillonnage pour chacun des cas! Par exemple, lorsqu'un chercheur en innovation observe des organisations, il peut interagir avec différentes personnes et étudier/observer différents processus:
- informateurs au sein de l'organisation
- experts externes (experts/professionnels du domaine/sujet)
- clients et autres organisations en interaction
- processus observés (e.g. analyse du "workflow" ou flux de travail)
- textes (e.g. décisions écrites, fichiers, ...)
Un autre exemple serait une étude qui examine l'impact d'une initiative sur un espace public (e.g. salles informatiques accessibles au public). Le chercheur pourrait s'intéresser:
- aux décideurs externes et groupes d'intérêt
- aux groupes locaux organisés (e.g. associations de parents)
- à la population de la zone
- aux évènements et comportements associés à cette initiative
L'échantillonnage se fait souvent par étapes multiples (par vagues): l'analyse des données recueillies durant une première vague peut faire apparaître de nouveaux phénomènes qui requièrent une investigation et donc un nouvel échantillonnage. Ces nouveaux phénomènes peuvent par exemple apparaître lors de l'application d'un échantillonnage grâce au snowball effect. Noy (2008) fait par exemple apparaître de nouvelles dynamiques relationnelles en sous-groupes de répondants à travers ce type d'échantillonnage.Autrement dit et pour résumer: "L’échantillonnage est crucial pour l’analyse future des données. (…) Vos choix – qui observer, qui interroger, où, quand, sur quels sujets, et pourquoi – limitent toutes les conclusions auxquelles vous aboutirez et la confiance que vous et le public pourrez leur attribuer. (…) Les chercheurs qualitatifs travaillent habituellement avec des petits échantillons de personnes, nichés dans leur contexte et étudiés en profondeur. (…) Les échantillons qualitatifs tendent à être orientés, plutôt que pris au hasard (…). Les échantillons en analyse qualitative ne sont habituellement pas entièrement pré-spécifiés mais peuvent évoluer lorsque l’on a débuté le travail de recherche". Miles & Huberman (2003, pp. 58-60) [1].
Morse (2000) propose différentes variables qui sont susceptibles d'avoir une influence sur la taille de l'échantillon qualitatif :
- type de problème (spécifique ou général)
- type de sujet (abstrait / concret)
- la probabilité de recueillir l'ensemble de l'information auprès d'un répondant unique (cet aspect est particulièrement pertinent pour les études qualitatives en B2B qui requièrent de parler à plusieurs interlocuteurs au sein d'une même entreprise afin de saisir les différentes perspectives)
- qualité des données
La plupart des auteurs s'accordent sur un nombre d'entretiens minimum de 20 à 30 en fonction du sujet. L'étude de 2533 thèses de doctorat utilisant une méthodologie qualitative a ainsi montré que la moyenne se situait à 31 et la médiane à 28 (Mason, 2010). Le nombre minimum d'entretiens qualitatifs peut être estimé via ce prototype de calculateur.
Marshall et al. (2013) ont distingué les différentes approches qualitatives afin d'approcher la taille des échantillons qualitatifs. Les valeurs obtenues varient entre 23 pour les études de cas simples et 40 pour les études de cas complexes.
Types de stratégies
Miles & Huberman (1994:28) présentent les stratégies générales d'échantillonnage suivantes:
Type de cas | Utilisation | Grandes catégories |
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variation maximale | améliorera l'étendue de vos résultats (mais nécessite des modèles plus complexes!) |
stratégies principales |
homogène | Permet une meilleure focalisation et les conclusions sont plus "sûres", puisqu'il sera plus facile d'identifier les variables explicatives et de tester les relations | |
critique | Illustrer une théorie avec un exemple "naturel" | |
selon la théorie, i.e. vos questions de recherche | vous apporte une meilleure garantie que vous serez capable de répondre à vos questions… | |
confirmatif / infirmatif | teste les limites d'une explication | validation |
cas extrêmes et déviants | teste les frontières de vos explications, cherche de nouvelles "aventures" | |
typique | montre ce qui est normal, moyen ou caractéristique | |
intense | complète une étude quantitative avec une étude en profondeur | spécialisation |
selon la dimension | étude de phénomènes particuliers | |
boule de neige | selon les informations reçues durant l'étude | approche inductive |
opportun | suit de nouvelles pistes | |
tout | (rarement possible) | représentativité |
quotas | sélection de sous-groupes | |
selon la réputation | recommandations d'experts | |
méthode comparative | selon les variables opérationnelles | |
selon les critères | selon les critères que vous voulez étudier | |
commode | ceux qui veulent bien... | mauvais |
politique | exclusion/inclusion pour raisons politiques |
Tableau 2: stratégies générales d'échantillonnage pour la recherche qualitative
Le tableau, dans sa forme originale dans la traduction de 2003 est le suivant:
Type d’échantillonnage | Objectif |
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Variation maximale | Rend compte de différentes variations et identifie des « patterns » ou thèmes communs importants. |
Homogènes | Se concentre sur, réduit, simplifie, facilite les entretiens de groupe. |
Cas critiques | Permet une généralisation logique et une application maximale de l'information recueillie auprès d'autres cas. |
Représentativité théorique | Cherche à trouver des exemples d’un construit théorique et ainsi à élaborer ce construit et à l’examiner. |
Cas validants et cas invalidants | Se fondent sur l’élaboration d’une analyse initiale, la recherche d’exceptions et de variations. |
Effet boule de neige ou chaîne | Identifie de bons cas grâce à des personnes qui connaissent d’autres personnes qui connaissent des cas riches en information. |
Cas extrême ou déviant | Permet l’apprentissage à partir de manifestations inhabituelles du phénomène étudié. |
Cas typique | Souligne ce qui relève de la norme ou de la moyenne. |
Intensité | Cas riches qui expriment le phénomène avec intensité mais sans caractère extrême. |
Cas important d’un point de vue politique | Attire l’attention souhaitée ou évite d’attirer une attention non souhaitée. |
Cas orienté, aléatoire | Accroît la crédibilité de la procédure d’échantillonnage lorsque l’échantillon potentiel est trop large. |
Cas orienté, stratifié | Illustre des sous-groupes, facilite les comparaisons. |
Critères | Chaque cas doit respecter des critères ; utile à l’assurance de qualité. |
Opportuniste | Cherche à suivre de nouvelles pistes ; tire partie de l’inattendu. |
Combinaison ou mixité | Triangulation, flexibilité, répond à des intérêts et à des besoins multiples. |
Convenance | Épargne du temps, de l’argent et de l’effort au détriment toutefois de la qualité de l’information et de la crédibilité du cas. |
Tableau 3: Typologie des stratégies d’échantillonnage en recherche qualitative (Kuzel, 1992 ; Patton, 1990) in Miles & Huberman 2003, p. 60.
Quelques conseils
Il n'existe pas de règles générales en ce qui concerne l'échantillonnage, mais nous pouvons formuler quelques pratiques heuristiques et recommandées! Utilisez ce tableau pour réfléchir au type d'échantillonnage dont vous avez besoin pour votre propre recherche. Bien choisir vos cas vous permettra d'éviter les problèmes plus tard...
- Evitez d'adopter une stratégie d'échantillonnage par induction (plus difficile)
- Examinez vos questions de recherche! Pouvez-vous répondre à chacune d'entre elles (mesurer les concepts, trouver les causalités, etc.)?
- Comprenez l'étendue de la tâche que représente l'échantillonnage: échantillonner les rôles (organisation des fonctions), groupes, organisations, institutions, "programmes", processus…
- Revoyez vos ambitions à la baisse (questions de recherche) lorsque vos listes d'échantillonnage deviennent trop longues.
- Vous pouvez toujours ajouter des cas (stratégie de la boule de neige).
Pour l'échantillonnage intra-cas:
- Identifiez les types d'informations dont vous avez besoin.
- Echantillonnez toutes les catégories (activités, processus, évènements, dates, lieux, agents…).
- Encore une fois, pensez aux questions de recherche auxquelles vous voulez répondre et à leur champ.
Pour l'échantillonnage inter-cas, une bonne stratégie consiste à adopter une sorte de design à systèmes similaires:
- Sélectionnez des cas similaires qui ont une bonne variance parmi vos variables opérationnelles (dépendantes et indépendantes).
- Pour tester les variantes des designs de formation à distance, sélectionnez des domaines relativement similaires, ou des populations cibles relativement similaires.
- Vous pouvez alors ajouter des cas contrastés (extrêmes) afin de tester la validité externe (potentiel de généralisation) de votre analyse.
Souvenez-vous que la recherche qualitative est très gourmandes en termes de temps et de ressources:
- 2-3 grands cas (e.g. formations, écoles, designs), selon l'étude, peuvent suffire.
- 12-30 cas au sein de tous les cas (e.g. personnes, processus) peuvent suffire.
- En outre, vous pouvez envisager de compléter les stratégies qualitatives avec des approches quantitatives.
- ↑ Miles, M. B., & Huberman, A. M. (2003). Analyse des données qualitatives. De Boeck Supérieur