Design & métadesign

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Page rédigée dans le cadre du cours Conduite de la recherche (2022-2023) par Hélène Parmentier, Kenneth Rioja et Larissa Santos Vieira

Définition

"Le Meta-design caractérise les objectifs, techniques et processus pour créer de nouveaux médias et environnements permettant aux "possesseur·euse·s d'un problème" / utilisateur·trice·s finaux·les d'agir en tant que designer·euse·s" (traduction libre, Fischer et al., 2004)

Le métadesign est donc une méthode qui va permettre d'inclure l'utilisateur·trice dans la conception même du produit attendu. Cette approche se distingue design centré utilisateur·trice dans le sens où elle met au centre l'acteur·trice actif·ve au sein de la conception.

L'enjeu de la méthode du métadesign est double. D'une part, il consiste, en pratique, à "concevoir le processus de conception" (Fischer et al., 2004) afin de faire des utilisateur·trice·s d'un système leurs concepteurs à part entière. Toutefois, le métadesign est également un concept qui repose sur une abstraction dont les enjeux sont forcément politiques, et même revendiqués comme tels (Fischer et al., 2017). Il s'agit notamment de "démocratiser l'innovation" (Van Hippel, 2005 dans Fischer et al., 2017), mais aussi de "changer de paradigme culturel" (Fischer et al., 2017). Cette pratique est utilisée depuis les années 1970 dans des domaines aussi variés que la philosophie, la biologie et la conception de systèmes informatiques (Nold, 2022).

Approche pratique

Dans son acception concrète, le métadesign implique, de manière active, les utilisateur·trice·s finaux·les dans le processus de conception ainsi que tout long de la phase d'utilisation du système (et donc potentiellement de sa durée de vie). A l'inverse du design centré utilisateur·trice qui nécessite la contribution quasi passive de ces dernier·e·s avant ou après l'utilisation du système (ex. analyse des besoins, évaluation). Un des objectifs fondamentaux selon Fischer et al. (2004) est de :

"Créer des environnement socio-techniques qui responsabilisent (empower) les utilisateur·trice·s en les impliquant activement dans le développement continu des systèmes, plutôt que de les restreindre à l'utilisation des systèmes existants"

Ceci permet aux utilisateur·trice·s de concevoir les solutions adaptées aux problèmes qu'ils/elles rencontrent en temps réel (Fischer et al., 2004). De fait, l'habituelle "phase de test" se confond avec la période d'utilisation et d'ingénierie du système, ceci dans un processus entièrement collaboratif au cours duquel l'utilisateur·trice est considéré·e comme un·e concepteur·trice actif·ve à part entière. Malgré de nombreux objectifs communs, le métadesign se distingue de la conception centrée utilisateur·trice et du design participatif par sa volonté de transmettre le contrôle à l'utilisateur·trice (Fischer et al., 2004).

Fischer et al. (2004) proposent une métaphore pour ce processus : les développeur·euse·s initiaux·les plantent une "graine" (le système), les utilisateur·trice·s font "pousser" la graine (évolution du système), puis les développeur·eurse·s et les utilisateur·trice·s réensemencent le système ensemble, dans une boucle itérative de développement continu.

Approche théorique

Pour Baudrillard en 1981, le métadesign représentait "l'idéologie politique du design" (Busbea, 2009). Il est vrai que proposer aux utilisateur·trice·s de concevoir eux-mêmes leur environnement, les délestant au passage des contraintes de systèmes devenus obsolètes, de services informatiques surchargés et d'impératifs budgétaires est forcément un brin révolutionnaire. Pourtant, l'idée semble aller plus loin que le simple affranchissement des contraintes structurelles ou organisationnelles.

Fischer et collaborateurs (2004, 2017) revendiquent le métadesign comme une méthode visant à changer de paradigme culturel. Cette dernière serait à même de créer de nouveaux modes de pensée, de nouvelles sources de créativité, de démocratiser l'innovation. Finalement, ils/elles affirment que "l'objectif premier du métadesign est de permettre aux humains d'être et d'agir en tant que concepteurs dans des activités personnellement signifiantes". Pour Le Guennec (2016), cette méthode de conception peut "faire apparaître la pensée" et pose la question de la "responsabilité de ses propres désirs". Dans leur article de 2017, Fischer et al. utilisent à quatorze reprises le concept de "empowerment". Le métadesign cherche à empouvoirer (empower) les utilisateur·trice·s finaux·les en leur donnant les outils et les opportunités d'agir sur le produit, et ceci le plus tôt possible tout en faisant partie de l'équipe de développement, à égalité avec tout autre acteur·trice. On note dans l'acception théorique du concept de métadesign un positionnement politique résolument "démocratique", qui dans la pratique correspond à la volonté de rendre les utilisateur·trice·s souverain·e·s.

Méthode

Rôle du concepteur·trice et rôle de l'utilisateur·trice

"Empouvoirer" les utilisateur·trice·s finaux·les permet d'encourager leur motivation à l'utilisation pour un système défini et co-construit par et avec l'utilisateur·trice.

"Le futur succès du développement basé sur l'utilisateur·trice final (End-User Development) dépend de la manière à créer des outils que les utilisateur·trice·s sont motivés à apprendre et à utiliser dans leurs pratiques quotidiennes. (...) La motivation de l'utilisateur·trice doit être encouragée pendant les étapes initiales d'adoption du produit grâce à la gestion du soutien, l'entrainement, et les groupes de travaux afin de leur transmettre expertise et meilleures pratiques du domaine'." (traduction libre, Fischer et al., 2004)

Dans le métadesign, le rôle du/de la designer·euse "habituel·le" est de qualifier la durée de l'expérience et tenter de lui donner un sens, un pouvoir de modification des états des acteur·trice·s. Sa mission consiste à permettre et favoriser l'émergence du dispositif de métadesign. C'est-à-dire qu'il/elle devra s'effacer pour laisser apparaître la créativité et les intentions de l'ensemble des acteur·trice·s du système (Le Guennec, 2016). L'initialisation d'un processus de méta-design s'opérerait dans cette nécessité d'effacement du/de la designeur·euse.

"Underdesign" : la sous-conception comme opportunité de concevoir

Fischer (2007) explique que dans tous les processus de conception, il existe deux étapes fondamentales : le temps de la conception et le temps de l'utilisation. Au moment de la conception, les développeur·euse·s de systèmes créent des environnements et des outils afin d'anticiper les besoins et les objectifs des utilisateur·trice·s. Au moment de l'utilisation, les utilisateur·trice·s peuvent utiliser le système, mais comme leurs besoins et leurs objectifs ne peuvent être anticipés qu'au moment de la conception, le système doit souvent être modifié. (Fischer, 2007)

Pour faire face aux problèmes inattendus au moment de l'utilisation, au lieu de proposer aux utilisateur·trice·s des solutions complètes et potentiellement inadaptées aux utilisateur·trice·s finaux, le métadesign propose des artefacts très basiques et non finalisés, qui vont ainsi laisser la possibilité aux utilisateur·trice·s de les adapter selon leurs besoins et leurs usages.

Créativité partagée

Les connaissances nécessaires à l'amélioration du système étant distribuées parmi les utilisateur·trice·s, l'objectif est d'atteindre une compréhension commune du système (Fischer et al., 2004).

Dans cette perspective, l'open source, la possibilité de modifier librement le code source, les moyens techniques de partager ces changements et le soutien spontané des utilisateur·trice·s sont des conditions de réussite pour la construction collective d’un système. Fischer et al. (2004) citent le succès des systèmes open source comme un exemple de métadesign (code incomplet, sollicitation et prise en compte des contributions des utilisateur·trice·s, accès direct au code source...).

L'open source encouragerait donc les aspects de compétence, d'autonomie et d'appartenance sociale (Deci & Ryan, 1985). En dehors d'une construction matérielle et technique d'un système, le métadesign joue sur l'aspect collaboratif et social encourageant ainsi une reconnaissance de la valeur de chacun·e par sa contribution explicite. Un apprentissage mutuel sur les systèmes de conception est possible grace à cette communauté de membres / contributeur·trice·s. (Fischer et al., 2004)

Enfin, l'open source dans le métadesign permettrait d'avoir un coût de développement distribué sur un large nombre de participant·e·s. Les contributions individuelles étant partagées, ceci permettrait une charge cognitive et monétaire amoindri pour chaque utilisateur·trice. (Fischer et al., 2004)

Applications

Systèmes informatiques

Fischer et al. (2017) proposent plusieurs domaines d'application possibles pour le métadesign. Nous citerons par exemple, dans le domaine médical, le besoin pour des patient·e·s présentant des handicaps cognitifs et/ou physiques de disposer d'outils technologiques entièrement personnalisés, qu'il soient destinés à la remédiation ou à la réhabilitation. Pour les auteur·trice·s, en effet, la condition essentielle (mais pas suffisante) du métadesign est d’inclure dans le système des options avancées offrant aux utilisateur·trice·s des outils de personnalisation et d’extension complexes.

EIAH, serious games et métadesign

Bien qu'encore peu présent dans le domaine des EIAH, le métadesign a été utilisé comme méthode de conception d'un learning game par Vermeulen et al. (2018). Marchant dans les pas méthodologiques de Bertrand Marne (2014), les auteur·trice·s ont co-conçu leur jeu pédagogique avec les enseignant·e·s chargé·e·s de "l'administrer". Leur processus leur a permis d'extraire des traces d'apprentissage utilisables par les enseignant·e·s afin de mener à bien une étape de réingénierie du jeu (avec l'objectif d'une meilleure appropriation du jeu par les enseignant·e·s). Les auteur·trice·s concluent que leurs travaux "peuvent mener à la mise en place d’une approche Meta-Design des activités ou dispositifs pédagogiques avec ou sans usage du numérique" (Vermeulen et al., 2018).

Perspective : changer de paradigme ?

Pour Fischer et al. (2017), l'objectif premier du métadesign est de permettre aux humains d'être et d'agir en tant que concepteur·trices dans des activités personnellement signifiantes. "a culture of cooperation shares the responsibility for developing accurate and effective solutions" (Fischer et al., 2004). Le métadesign se veut ici comme un symbole démocratique, un vecteur méthodologique de redistribution du pouvoir. Or, d'après la méta-analyse de Nold (2022), bien que le concept soit original et ambitieux, les études de cas n’étudient pas l’impact réel de l’implémentation du métadesign, partant du principe que parce que le concept est démocratique, il est positif “en soi”. Et d'avertir :

“Yet as research in other fields such as international development has shown, these kinds of affirmative claims can enable a range of emancipatory as well as neoliberal projects in practice" (Green, 2010)

Nold exprime une inquiétude vis-à-vis du métadesign qui pourrait renforcer la politique épistémique prévalente en occident de vénérer la connaissance immatérielle plutôt que les pratiques. D'après ses recherches, ce sens du “top-down” est présent dans plusieurs textes. Ainsi, nous trouvons : métaphore du/de la métadesigner·euse comme “rameur·euse sociétal·e” qui conçoit la réalité ; considération du/de la metadesigner·euse comme créateur·trice de paradigme de haut-niveau, au-dessus des designer·euse·s qui créent des solutions concrètes pour résoudre des problèmes liés au climat, etc. Dans un article traitant du métaverse, Ian Bogost (2022) écrit justement ceci :

"Despite its slipperiness, going meta has another, firmer meaning. In Greek, the prefix meta (μετα) refers to transcendence. About-itselfness, the way ironists and epistemologists use the term today, offers one interpretation. But meta- also has a more prosaic meaning, referring to something above or beyond something else. Superiority, power, and conquest come along for the ride: A 1928 book on eugenics is titled Metanthropos, or the Body of the Future. A metaverse is a universe, but better. More superior. An überversum for an übermensch. The metaverse, the superman, the private vessel of trillionaire intergalactic escape, the ark on the dark sea of ice melt: To abandon a real and present life for a hypothetical new one means giving up on everything else in the hopes of saving oneself. That’s hubris, probably. But also, to dream of immortality is to admit weakness—a fear that, like all things, you too might end."

Selon Nold (2022), il est ironique que le metadesign revendique l’ouverture, l’inclusion et la démocratisation, sans toutefois avoir développé une conscience des politiques épistémiques de la connaissance, en particulier de la manière dont le langage peut renforcer les hiérarchies et exclure un public plus large. Pour lui, un virage depuis l'abstraction vers un "métadesign basé sur la pratique" est nécessaire au domaine pour que le concept réalise son potentiel.

Références

Bogost, I. (2021, octobre 21). The Metaverse Is Bad. The Atlantic. https://www.theatlantic.com/technology/archive/2021/10/facebook-metaverse-name-change/620449/

Busbea, L. D. (s. d.). Metadesign. Consulté 17 octobre 2022, à l’adresse https://www.academia.edu/28695994/Metadesign

Deci, E. L., & Ryan, R. M. (1985). Intrinsic motivation and self-determination in human behavior. New York, NY, US: Plenum

Fischer, G., Fogli, D., & Piccinno, A. (2017). Revisiting and Broadening the Meta-Design Framework for End-User Development. In New Perspectives in End-User Development. https://doi.org/10.1007/978-3-319-60291-2_4

Fischer, G. (2007). Meta-design : Expanding Boundaries and Redistributing Control in Design. In C. Baranauskas, P. Palanque, J. Abascal, & S. D. J. Barbosa (Éds.), Human-Computer Interaction – INTERACT 2007 (Vol. 4662, p. 193‑206). Springer Berlin Heidelberg. https://doi.org/10.1007/978-3-540-74796-3_19

Fischer, G., Giaccardi, E., Ye, Y., Sutcliffe, A., & Mehandjiev, N. (2004). Meta-Design : A manifesto for End-User Development. Commun. ACM, 47, 33‑37. https://doi.org/10.1145/1015864.1015884

Le Guennec, Y. (2016). Le métadesign, ou comment l’expérience doit échapper au designer. Sciences du Design, 4(2), 124‑127. https://doi.org/10.3917/sdd.004.0124

The Open University, United Kingdom, & Nold, C. (2022, juin 16). The politics of metadesign. DRS2022: Bilbao. https://doi.org/10.21606/drs.2022.260

Vermeulen, M., Mandran, N., Labat, J.-M., & Guigon, G. (2018). Vers une approche Meta-Design des Learning Games avec le modèle DISC : De la conception à l’analyse des traces d’usage des étudiants par les enseignants. STICEF (Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation et la Formation), 25(1). https://doi.org/10.23709/sticef.25.1.7


26 octobre 2022 à 17:57 (CEST)