Conceptualisation d'un Group Awareness Tools
Introduction
Cet article traite de la conception d’un outil de group awareness pour la collaboration et l’apprentissage dans le cadre de travaux de groupe à distance. Je vais dans un premier temps faire la synthèse de quelques recherches qui concerne l’outil que je souhaite développer dans cet article. Suite à cette partie je vais décrire les différentes pistes qui permettraient d’amener à la conception d’un tel outil. Et finalement je vais relater une série de questionnement que l’on peut émettre sur la base des pistes qui seront cités.
Définition
[NB : group awareness désigne ‘la conscience des activités des autres’ (Dourish & Bellotti, 1992, p. 107). Les outils de “group awareness” sont des outils technologiques visant à améliorer l’awareness dans le contexte d’activités collaboratives médiatisées par ordinateur, notamment en proposant aux co-équipiers une visualisation de l’état de leurs actions et interactions.]
En d’autres mots les “group awareness tools” permettent aux membres du groupe de percevoir des informations relatives aux processus cognitifs et sociaux (états) des autres membres du groupe lors de la collaboration.
Cadre théorique
Dans le cadre des recherches visant à étudier les travaux de groupe, il existe différents paradigmes présentés par Dillenbourg et al. (1996) : “Effets”, “Conditions” et “Interactions”. Ces paradigmes mettent en avant trois questions de recherche dirigeant la majorité des études actuelles. Ceci tant dans le contexte de travaux à distance qu’en face à face. Je vais aborder brièvement ces trois paradigmes.
Le paradigme sur les “Effets” de la collaboration, cherche à évaluer si le travail collaboratif permet un apprentissage plus efficace que le travail individuel. Les résultats de ces recherches sont pour l’heure contradictoires, sans résultats majoritairement positifs. Les travaux de groupe ne sont pas plus efficaces qu’inefficaces.
Un second paradigme évalue plus spécifiquement les conditions du travail de groupe. La question de recherche est “Quelles sont les meilleures conditions pour un travail de groupe ?”. On entend par là, la gestion de la composition du groupe, les caractéristiques de la tâche, qui influencent la manière dont vont travailler les participants et les outils de communication qui vont être utilisés pour réaliser le travail de groupe à distance.
Un autre paradigme s’attarde sur les interactions entre les différents membres du groupe. Tout d’abord quelles sont les types interactions qui émergent lors de travaux de groupe et sous quelles conditions. Quels sont les effets de ces interactions ? Je m’attarderai plus particulièrement sur ce paradigme qui m’intéresse dans le cadre de cet article pour le développement d’outils de “group awareness”.
Ces interactions nommées dans le paradigme d’Interaction sont de trois types différents : Explication, Négociation et Clarification. Ces différentes natures permettent aux participants de construire leurs connaissances. Fort de cette constatation il est alors intéressant de les faire émerger afin de favoriser l’apprentissage. Pour cela il y a deux types d’approches : 1° La première structure l’activité au préalable. 2° La seconde nécessite une implication régulative qui agit au cours de l’activité et qui permet de faire émerger ces interactions. Cette dernière méthode est mise en pratique à l’aide d’outils awareness.
On peut distinguer deux niveaux d’awereness, tirés de la Gestalt-thérapie. Un premier niveau que l’on nomme “Awareness” qui définit la perception sous forme de connaissance immédiate et implicite de la réalité de la situation et de la manière dont on est dans la situation. Ce processus est dit de contact (perception, attention et moteur). Et le niveau supérieur que l’on nomme “Consciousness” qui définit le processus conscient (dit de recul) qui passe par la mise en mots de ce qui vient juste de se passer l’instant d’avant. C’est un processus de réflexion par le langage, la métacognition et la régulation.
L’awareness est la perception, par des processus, qui renseignent l’individu sur l’état sensoriel, emotivo-affectif, cognitif (que sais-tu?) et moteur (que fais-tu?) de son partenaire. Les sources de ces informations se basent dans le cadre de face à face sur trois types d’information : Verbal, Corporel et Manipulation. Dans le cadre de travaux de groupe à distance ces informations ne sont pas accessibles. C'est dans l’optique de permettre une meilleure perception des états de chaque partenaire que les outils de “group awareness” sont mis en place.
Ces outils sont construits sur la base de cinq critères répondant à ces cinq questions :
- Quel type d'information doit-on afficher ?
- Quel mode temporel d'affichage, Affichage en directe ou historique
- Comment cette information va être apportée ?
- A qui ces informations seront-elles envoyées ?
- Quel type d'information « Son, image, ... » sera transmise au groupe?
Conception d’un outil “group awareness”
Dans le cadre de cet article je souhaite travailler sur la conception d’un outil de “group awareness” permettant d’informer les membres du groupe sur leurs connaissances et leur compréhension de la thématique abordée lors d’une activité d’apprentissage. Cette information est de type cognitif, répondant à la question “Que sais-tu?”, le sujet étant le groupe lui-même.
Bases théoriques
Cet outil de “group awareness” met l’accent comme la plupart de cette catégorie d’outils sur les aspects cognitifs (ex. connaissances ou/et attitudes; Buder & Bodemer, 2008) qui ne sont pas directement observables à contrario des phénomènes classiques de prise de conscience, qui sont limités à des phénomènes observables (présence, activités).
Cet indicateur du niveau de connaissances du groupe devrait permettre de favoriser la négociation des savoirs au sein du groupe. Réf. Dourish & Bellotti définissent le “group awareness” de la manière suivante : “La compréhension des activités des autres qui fournissent un contexte à sa propre activité. Ce contexte permet d’assurer que les actions individuelles soient situées dans l’activité globale du groupe” (Dourish & Bellotti, 1992). Dans ce sens la connaissance du niveau d’expertise du groupe évalué par le tuteur permettra aux membres du groupe d’adapter leur activité à la situation globale de l’activité et non pas seulement à leur propre vision subjective de la situation. Les membres pourront ainsi collaborer sur la base d’une perception et la compréhension de l’état du groupe. On sous-entend par-là que le tuteur a la capacité d’apprécier de manière objective le niveau d’expertise du groupe.
Analyser le niveau d’expertise est original par rapport aux recherches actuelles citées dans Buder. Faire le choix d’une évaluation de groupe au lieu d’une évaluation individuel amène selon moi une meilleure cohésion du groupe qui étant évalué dans son activité globale va créer des liens supplémentaires entre les différents membres du groupe. Chaque participant devra s’investir tant qu’il le peut au risque de se voir remettre à niveau par les autres membres.
Ma proposition de faire évaluer de manière subjective le niveau d’expertise non pas par les membres du groupe eux-mêmes mais par une personne-tierce qu’est le tuteur. Ce choix est plus réalisable que si nous demandions à chaque participant d’évaluer le groupe. Chacun des membres son propre niveau normatif qu’il imagine nécessaire pour la réussite de la tâche. Cela générerai des écarts entre les différents niveau pressenti par les participants et aurait plus de chance de générer des tensions entre les membres.
McLeod et Liker (1992) ont constaté que l’évaluation individuelle de chaque membre du groupe par un tuteur influence le comportement interpersonnel par une dominance des membres du groupe avec un niveau plus expert. En évaluant uniquement le résultat du groupe, peut être le sentiment d’appartenance à ce groupe sera favorisé et les dominances individuelles atténuées.
Démarche d’utilisation
Pour simuler cette activité je pose le cadre dans lequel il serait demandé d’écrire un article sur une thématique donnée. Cette activité se réaliserait au sein d’un dispositif à distance constitué d’un forum, d’un espace de rédaction commun et d’un module permettant au tuteur de communiquer à l’ensemble du groupe le niveau d’expertise des propos discutés dans le forum et résumés dans l’article.
Illustration - Tab.1 Grille d’évaluation du groupe par le tuteur
Ce niveau d’expertise serait renseigné par le tuteur sous la forme d’une grille d’évaluation de critères pré-établis et discutés avec les membres du groupe afin de faciliter leur compréhension. Le tuteur peut alors rendre cette grille d’analyse visible tout au long de l’activité et y apporter des modifications en fonction de l’évolution du travail. Le tuteur apporterait aussi des commentaires et des conseils permettant de ré-orienter et de re-diriger le travail. Deux études portant sur l’effet du feedback de tuteurs sur le comportement individuel des membres du groupe, ont constaté qu'il conduit à une augmentation de la coopération, de la communication, de la satisfaction et de la motivation (Dominick, Reilly, & McGourty, 1997; Druskat & Wolff, 1999). Pour en savoir plus je vous conseil l’article de Michelene Chi sur les tuteurs [4].
Ces informations permettraient au groupe de situer leur niveau d’expertise sur la thématique et devraient ainsi favoriser la persévérance du groupe dans la continuité de l’article ou dans une recherche plus approfondie suivi de discussions sur le forum afin d’améliorer leur compréhension de la thématique. Cette évaluation d’un tuteur doit permettre d’améliorer les performances (Kluger & DeNisi, 1996). Mais le fait de fournir aux membres du groupe des informations sur leur comportement cognitif ne suffira pas à modifier positivement leur comportement (Prins et al., 2006). Les membres du groupe ont besoin également de comprendre et accepter les commentaires. Il est donc nécessaire que les évaluations du tuteurs soient suivies d’une discussion sur le forum. La réflexion sur l’évaluation peut conduire à de nouveaux changements de comportement et un meilleur engagement sur l'action (Boud et al., 1985). Le tuteur serait amené à modifier son appréciation du niveau de compréhension du groupe à chaque mise à jour des sujets de discussion dans le forum et l’article. Cette information est apportée à l’aide d’un module visible dans le forum et dans l’espace d’écriture commun de l’article. Le groupe peut ainsi visualiser l’évolution de cet indicateur tout au long de l’activité.
Situation exploratoire
Ce type d’activité avec un tel dispositif et agrémenté d’un outil de “group awareness” m’amène à me poser plusieurs questions. Est-ce que le tuteur aura les informations nécessaires afin d’évaluer le niveau d’expertise réel du groupe ? Sachant que les connaissances écrites ne seront pas les connaissances connues par les membres du groupe. La problématique pour le tuteur est d’autant plus complexe qu’il n’aura pas la possibilité de comprendre les processus cognitifs des membres, ni du groupe, ne pouvant accéder aux résultats que par le biais des propos du forum et des premières lignes de l’article. Quelle sera la validité et la sensibilité des informations transmises par le tuteur ? Il en découle que c’est un facteur à prendre en compte. Comment l’expert va-t-il gérer le fait que chaque membre du groupe aura un niveau d’expertise différent et que suivant son évaluation l’expertise des membres seront soit surestimés soit sous-estimés. Car c’est bien l’expertise du groupe qui sera mise en avant et non pas celle de chaque individu. Quel sera l’influence d’une telle information sur le travail de groupe ? Saavedra et Kwun (1993) ont établit que les membres du groupe vont surestimer leur propre performance ce qui affectera l’évaluation par des tiers. Comment réagiront les membres à cette remise à niveau par un tuteur expert ? Comme l’a traité C. Buchs dans ces travaux on peut penser que par l’absence de comparaison sociale entre les membres du groupe la qualité des interactions et l’apprentissage sera meilleur.
Et finalement une autre question liée aux problématiques rencontrées dans les situations de travaux de groupe à distance et particulièrement à celle de la participation inégale des participations (Fjermestad, 2004). Quelle sera l’influence de cet outil de “group awareness” sur le taux de participation des membres ? On peut imaginer que dans une situation où un des membres aurait travaillé durement et de manière autonome, il aurait fait monter l’indicateur du niveau d’expertise du groupe. Quel serait alors la réaction des autres participants ? Il est envisageable que certains membres voyant cet indicateur très élevé ne prendrait pas part à la poursuite du travail. Cela peut être pour des raisons de peur de l’échec (baisse du niveau d’expertise) ou de manque de motivation car notée comme positive et perçue comme suffisante.
Although computer-supported collaborative learning (CSCL) has been identified as a promising educational approach, the research on the effectiveness of CSCL and the processes that take place during CSCL demonstrate that the collaboration in these environments is not always effective and efficient. These problems may include conflicts between group members (e.g., Hobman, Bordia, Irmer, & Chang, 2002), free riding behavior and unequal participation (e.g., Fjermestad, 2004).
Conclusion
Pour conclure cet article je citerai Buder : “ … we should not content ourselves with developing more and more working examples of group awareness tools, but should also try to systematically explore the mechanisms and boundary conditions under which group awareness tools are particularly useful. ...” [1] Il me paraît évident que la multiplication des outils de “group awareness” n’est pas une mauvaise chose car elle démontre l’intérêt grandissant du monde académique et de la recherche pour ces outils d’un genre nouveau. Mais aujourd’hui, il est peut être nécessaire d’approfondir les évaluations de la nature des effets induits par ces nouveaux outils. L’enjeu est peut être de ne pas se laisser prendre au jeu du “toujours plus, toujours mieux”, car il est bien connu que tout est possible avec les nouvelles technologies. Mais pour l’heure ne devrions-nous pas nous concentrer sur des outils de “group awareness” de type simple. Cela pour ne pas prendre le risque de complexifier encore ces outils sans comprendre leur réel impact sur les activités de groupe. Et pour conclure est-ce que l’outil proposé dans cet article ne serait pas trop complexe au vu de l’état des recherches ?
Bibliographie
[1] Group awareness tools for learning: Current and future directions Buder (In Press) http://tecfax.unige.ch/moodle/file.php/149/Buder_SpecialIssue_2010.pdf
[2] Group awareness Tools: It’s what you do with it that matters Janssen & al (2010) http://tecfax.unige.ch/moodle/file.php/149/Janssenetal_SpecialIssue_2010.pdf
[3] Group awareness Dourish & Bellotti, 1992 (p. 107).
[4] Michelene Chi http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.77.5562&rep=rep1&type=pdf