Apprentissage collaboratif : l'importance de la constitution du groupe

De EduTech Wiki
Aller à la navigation Aller à la recherche

Résumé

Cet article rédigé dans le cadre du MALTT (volée Concordia) par Ninn Langel s'appuie sur Tricot (2017), Dillenbourg (1995) et Cosnefroy (2010) pour aborder l'importance de la constitution du groupe pour que l'apprentissage collaboratif exprime son plein potentiel.

Introduction

Dans leur méta-analyse de 2000 sur l’apprentissage collaboratif, Johnson, Johnson & Stanne montrent que, s’il est mis en oeuvre de manière efficace, il permet en général d'obtenir de meilleurs résultats que les méthodes individualistes ou compétitives. Les recherches sur le sujet ont donc pour but de déterminer les conditions permettant d’atteindre cette efficacité (Dillenbourg, 1995). Parmi ces conditions, la constitution du groupe nous semble particulièrement pertinente car elle offre un réel potentiel d’application pratique pour l’enseignement. L’objectif de cet article est de proposer un survol non-exhaustif des problématiques liées à la constitution du groupe dans l’apprentissage collaboratif.

Développement

Adaptation à la tâche

La première question soulevée par la constitution d’un groupe nous vient de la tâche à accomplir : il n’est en effet pas pertinent de constituer un groupe pour une tâche qui est suffisamment simple pour que les individus du groupe puissent l’effectuer seuls (Tricot, 2017). Tricot nous montre, via la théorie de la charge cognitive, que l’interaction en groupe représente une charge extrinsèque supplémentaire qui n’a de sens que si elle permet de réduire la charge intrinsèque liée à la complexité de la tâche. Le groupe doit donc être constitué en fonction de la capacité de ses membres en lien avec la complexité de la tâche à accomplir.

Auto-régulation

La constitution des groupes a un fort impact sur l’auto-régulation. Pour Cosnefroy (2010), le groupe permet le partage des fonctions de contrôle et réduit le besoin de volition des apprenants qui se protègent mutuellement. Toutefois, Cosnefroy note également que l’omniprésence de la comparaison sociale au sein d’un groupe peut avoir un impact négatif. En effet, si la comparaison se fait sur les qualités perçues des personnes plutôt celles de leurs contributions, elle peut mener à ce que la régulation se fasse sur le plan relationnel plutôt que cognitif, au détriment de la performance du groupe (Buchs et al., 2008, cités par Cosnefroy). Dans ce cas de figure, on peut imaginer que pour l’individu critiqué, l’impact dépasse largement la performance du groupe et touche à l’estime de soi, menant au déploiement de stratégies d’auto-régulation défensives néfastes pour l’apprentissage (Cosnefroy).

Hétérogénéité

Pour Dillenbourg (1995), l’hétérogénéité des groupes est probablement la variable la plus étudiée. Les recherches l’ont interrogée sur plusieurs plans, notamment le niveau de développement, le statut social et l’expertise liée à la tâche (sur ce dernier Dillenbourg s’en tient à des différences objectives et non à la perception d’expertise). Si les approches socio-cognitives et socio-culturelles diffèrent sur ce qu’elles entendent comme étant un groupe hétérogène, elles s’accordent sur son impact sur le potentiel d’apprentissage. Pour les premiers, une homogénéité intellectuelle ou de niveau de développement combinée à une hétérogénéité de points de vue est génératrice du conflit socio-cognitif menant aux apprentissages. Pour les seconds, c’est l’hétérogénéité de compétence qui fait émerger les conditions nécessaires à l’internalisation (Dillenbourg). Dans les deux cas, toutefois, l’auteur note que c’est dans l’amplitude de l’écart que se loge l’enjeu principal. Si celui-ci est trop faible ou trop fort, il empêchera les interactions nécessaires à l’apprentissage. Par exemple, dans une collaboration avec des personnes très performantes (high achievers), les élèves moins performants (low achievers) deviennent de plus en plus passifs (Salomon and Globerson, 1989; Mulryan, 1992, cités par Dillenbourg).

Conclusion

L’apprentissage collaboratif offre d’énormes potentialités pour peu qu’il soit mis en oeuvre de manière optimale. Une des conditions primordiales pour ce faire réside dans la nature des groupes. Nous avons vu chez Tricot (2017) que l’inadéquation du groupe à la tâche peut créer une surcharge cognitive extrinsèque néfaste à l’apprentissage. Nous avons également constaté que si l’apprentissage collectif permet une distribution de la volition et des fonctions de contrôle, le groupe est également un lieu ou l’omniprésence de la comparaison sociale peut engendrer des problèmes d’auto-régulation et d’estime de soi, notamment si des écarts de compétence perçus ou réels se traduisent dans des comparaisons interpersonnelles. Enfin, Dillenbourg nous a montré que l’hétérogénéité des groupes, sous différentes formes, est une composante nécessaire à l’apprentissage collaboratif, pour autant qu’elle soit dosée de manière appropriée. En pratique cela nous conduit à veiller à constituer des groupes qui répondent au critères suivants. Premièrement, le groupe doit être adapté à la tâche, au sens ou la tâche serait trop complexe pour être accomplie individuellement par les membres du groupe. Deuxièmement, que le groupe comporte une hétérogénéité de points de vues ou de niveaux dont l’amplitude est restreinte, c’est à dire que si l’on devait classer des individus en trois niveaux, un groupe ne comporterait que des personnes de deux niveaux adjacents. Finalement, pour favoriser l’autorégulation et l’estime de soi, il serait nécessaire de surveiller et d’encourager des pratiques de communication visant à éviter de porter les comparaisons sur le plan personnel.

Bibliographie

Cosnefroy, L. (2010), L'apprentissage autorégulé : perspectives en formation d'adultes, Savoirs 2010/2 (n° 23), p. 9-50. DOI 10.3917/savo.023.0009

Dillenbourg, P., Baker, M. J., Blaye, A. et O’Malley, C. (1995), The evolution of research on collaborative learning. Spada, E. and Reiman, P. Learning in Humans and Machine: Towards an interdisciplinary learning science, Elsevier, Oxford, pp.189-211, 1995. hal-00190626

Johnson, D. W., Johnson, R. T. et Stanne, M. B. (2000), Cooperative Learning Methods: A Meta-Analysis, Minneapolis : University of Minnesota


Tricot, A. (2017), Quels apports de la théorie de la charge cognitive à la différenciation pédagogique ? Quelques pistes concrètes pour adapter les situations d’apprentissage[Conférence]. Conférence de consensus : différentiation pédagogique, CNESCO à Paris.

Salomon, G. et Globerson, T. (1989) When teams do not function the way they ought to. International journal of Educational research, 13 (1), 89-100.


Mulryan, C.M. (1992) Student passivity during cooperative small group in mathematics. Journal of Educational Research, 85 (5), pp. 261-273.