“Le numérique va révolutionner l’éducation!” : est-ce réellement si simple ?
Résumé
Un grand nombre de mythes concernant l’impact du numérique dans l’éducation circulent dans les médias et dans les discours, insinuant qu’il va tout changer. Ce que ces mythes ne prennent pas en compte sont les nombreux facteurs nécessaires pour qu’une technologie soit acceptée, utilisée et ait un effet, comme le contexte, l’activité et le pouvoir d’agir que nous allons explorer à travers trois articles.
Introduction
“Le numérique va révolutionner l’éducation!” Des discours de ce type peuvent être assez courants dans la population. Cela dit, ils sont souvent fondés sur des présupposés ou des mythes, et sur-simplifient le lien entre l’innovation pédagogique et l’utilisation de la technologie. Diverses recherches montrent qu’il y a en réalité d’autres facteurs à considérer pour une acceptation et une utilisation du numérique efficace en éducation.
Pour explorer ceci, nous allons nous référer à trois articles: celui de Bobillier Chaumon (2016) qui traite de l’acceptation située des technologies dans le but de donner une piste pour orienter la création d’instruments techniques, celui de Folcher et Rabardel (2004) qui présente différentes approches traitant le lien entre les hommes et les machines ainsi que la perspective d’usage situé, et celui de Fluckiger (2019) qui relève les mythes du numérique en formation et propose les approches critiques pour les dépasser.
Développement
Les effets et l'acceptation de la technologie dépendent du contexte
Un premier mythe que Fluckiger (2019) pointe est que l’utilisation de technologie dans l’éducation a des effets sur l’apprentissage. Il explique que cette “affirmation non seulement relève de l’évidence (la technologie affecte l’éducation comme le reste) mais [qu’]elle est extrêmement déterministe.” En effet, les études qu’il cite montrent que ce n’est pas forcément le cas et qu’ils dépendent en outre de “la variété croissante des technologies numériques et des contextes dans lesquels ces études sont menées”.
L’acceptation située de Bobillier Chaumon (2016) adopte également cette perspective. Elle se démarque de l’acceptabilité pratique et l’acceptabilité sociale en prenant en compte la technologie “dans son contexte d’usage” et non pas “de façon isolée et décontextualisée” (Bobillier Chaumon, 2016). Sans ce cadre d’usage, la technologie a “peu de sens, de valeur, et de conséquence par elle-même” affirme l’auteur.
Folcher et Rabardel (2004) avancent aussi, après avoir exploré les approches de l’interaction homme-machine, des systèmes hommes-machines et de l’activité médiatisée par les artéfacts, que “l’instrument ne peut se réduire à l’artéfact”. En effet, ils expliquent l’importance de la notion de système composé de l'instrument mais aussi de l'humain qui l'utilise "dont le développement s’inscrit à la fois dans un contexte culturel et dans une histoire personnelle d’interactions avec le monde” (Folcher et Rabardel, 2004).
La technologie comme médiateur de l’activité
Un deuxième mythe qui persiste est que la technologie “[a] des effets transformatifs [sur] le système éducatif, notamment en favorisant des formes d’innovation pédagogiques” (Fluckiger, 2019) alors qu’en réalité, c’est plutôt l’inverse qui se passe. Un exemple que Fluckiger (2019) utilise est la mise en place de classes inversées : elles peuvent “conduire à utiliser Internet, mais Internet n’a pas de raison particulière d’inciter un enseignant à un tel choix pédagogique”. On peut voir dans ce cas-ci que la technologie n’est donc qu’un outil utilisé pour l’activité d’apprentissage, et non pas la source des changements de modes d’enseignements.
Cette notion d’activité est d’autant plus importante dans l’approche d’activité médiatisée par l’artéfact qui, comme présenté par Folcher et Rabardel (2004), postule que la machine ou l’artefact a un rôle de médiateur entre l’homme et la tâche qu’il a à effectuer.
Bobillier Chaumon (2016) ajoute à son approche que “la technologie ne doit pas seulement s’inscrire dans l’activité existante pour être acceptée (sous-entendu être utile, utilisable et compatible avec le système d’activité existant), elle doit aussi s’y incarner, c’est-à-dire participer au développement et à la valorisation de cette activité”, ce qui renforce l’idée de l’importance du lien entre la technologie et l’activité d'intérêt.
Le pouvoir d’agir et la technologie
Un dernier facteur qui est en lien avec le point précédent est le pouvoir d’agir. Folcher et Rabardel (2004) y mettent de l’importance notamment pour la conception des instruments parce que ces derniers doivent considérer l’activité productive (qui est “dirigée vers l’atteinte des buts” et de la “configuration des situations de façon à ce que le sujet utilise au mieux son pouvoir d’agir”) et l’activité constructive des utilisateurs (qui est orientée vers “l’accroissement, le maintien [et] la reconfiguration du pouvoir d’agir”).
Fluckiger (2019) n’utilise pas ce terme directement, mais son affirmation que “ce qui compte, ce n’est pas la technologie, c’est ce que l’on en fait” peut également refléter cette notion.
Cet élément est aussi important dans l’acceptation située pour laquelle ce qui compte c’est “ce que nos actes et nos usages révèlent effectivement de notre pouvoir d’agir” (Bobillier Chaumon, 2016). En effet, il affirme qu’une technologie devient acceptable lorsque nous pouvons agir sur elle (par exemple, pour la “transformer” et “se l’approprier”), mais aussi lorsqu’elle “agit favorablement et durablement sur nous, sur notre activité et sur le système social dans lequel nous œuvrons”. Cette approche apporte une perspective supplémentaire qui est le bénéfice que l'outil peut nous apporter.
Conclusion
Comme nous avons pu le voir au fil de cette fiche, simplement utiliser le numérique en éducation ne garantit pas que l’apprentissage sera efficace. En effet, il faut aussi prendre en compte le contexte d’utilisation, traiter la technologie comme médiateur entre l'utilisateur et l'activité qu'il souhaite effectuer, ainsi que l’importance du pouvoir d’agir pour augmenter l'acceptabilité d'une technologie.
Pour aller plus loin, il serait pertinent d’explorer les autres facteurs qui influencent les effets, l’usage et l’acceptation du numérique dans le domaine de l’éducation, mais aussi en général.
Bibliographie
Bobillier Chaumon, M.-E. (2016). L’acceptation située des technologies dans et par l’activité: Premiers étayages pour une clinique de l’usage. Psychologie du Travail et des Organisations, 22(1), 4–21. https://doi.org/10.1016/j.pto.2016.01.001
Folcher, V. & Rabardel, P. (2004). 15. Hommes, artefacts, activités : perspective instrumentale. Dans : Pierre Falzon éd., Ergonomie (pp. 251-268). Paris cedex 14: Presses Universitaires de France. https://doi.org/10.3917/puf.falzo.2004.01.0251
Fluckiger, C. (2019). Numérique en formation: Des mythes aux approches critiques: Éducation Permanente, N° 219(2), 19–30. https://doi.org/10.3917/edpe.219.0019
Liens
Cette page fait référence à la page ADID1, les productions des étudiant.es
Page rédigée par Sharleen Olanka (volée Drakkar)