Analyse des données des entretiens de groupe

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La définition de l'analyse des données

Dans les années 60 l’école l’analyse des données « à la française » a vu le jour, dont Jean-Paul Benzécri est considéré comme l’initiateur. Les possibilités offertes par l’outil informatique ont favorisé l’émergence d’un champ de recherche très actif autour de l’analyse « automatique » des textes s’appuyant sur la numérisation des corpus.

L’analyse des données est un domaine des statistiques. Cette technique permet de réaliser la description de données pour en tirer une information statistique, qui devient alors analysable du point de vue scientifique. (Beaudouin,2016)

La préparation de la collecte de données

Cette partie est à réaliser en amont de l'entretien de groupe, et elle peut être associé à l'image d'un bateau avec un modèle bien défini et une destination vers laquelle il se rend. Ces éléments permettront ainsi au groupe, à l'animateur et au rechercheur d'avoir un cadre d'intervention bien délimité avec les possibilités et limites pour chaque acteur. Mais aussi une ligne conductrice afin d'éviter les égarements possibles.

L'entretien de groupe

Selon Morisette (2011) l’entretien de groupe est une pratique d’enquête qui s’est développée initialement dans le domaine des sciences appliquées, mais qui est aussi de plus en plus employée dans le monde de la recherche universitaire. Comme le relèvent Duchesne et Haegel (2005), c’est en grande partie grâce à la sociologie américaine que l’entretien de groupe s'est développé, afin d'investiguer le sens commun et les conflits lors des échanges dans un groupe sur un thème donné. Ainsi il est pris en compte les interactions qui se déroulent dans les discussions des groupes recrutés.

Baribeau (2009) définit la composition de l'entretien de groupe comme étant un groupe, un animateur et une discussion entre ces personnes. Elle nous rappelle que cet "instrument" est très régulièrement utilisé dans la recherche-action, la recherche formation et la recherche évaluative.

Les questions préalables

Il est important de déterminer la raison pour laquelle on utilise l’entretien de groupe dans notre recherche, cela permettra de clarifier la collecte de données.

Aussi certaines questions en lien avec l'entretien de groupe peuvent nous aider à justifier notre choix :

  1. Quels sont les univers interprétatifs initiaux du chercheur? Paillé et Mucchielli (2003, p. 45) précisent qu'il est nécessaire de déterminer la posture du chercheur, ses cadres interprétatifs et ses a priori, car ces élements vont avoir une influence sur le déroulement de la recherche.
  2. Quels impératifs amènent à choisir l’entretien de groupe? Le choix de l'entretien de groupe est favorisé pour des raisons économiques, ou est-ce un choix scientifique? Politique? de savoir-faire?
  3. Quels types de données les entretiens de groupe permettront-ils de recueillir mieux que tout autre instrument mis en place dans la recherche? Cette question a des répercussions sur le rôle de l'animateur, sur le déroulé des échanges dans le groupe et sur l’analyse des données.
  4. Qu’est-ce qui est attendu du groupe? Cela aura des répercussions sur le l'analyse des discussions, mais aussi sur la constitution de l'échantillon envisagé.

Déterminer l’échantillon

Baribeau (2009) précise que les manuels offrent des regards différents sur la question de l'échantillon, ils oscillent entre 4 et 12, cependant 8 ou 10 personnes constitue la moyenne la plus proposée.

Concernant le nombre de groupe nécessaire à l'échantillonnage, aucun consensus n'a encore été trouvé dans la recherche.

Comme nous l'avons vu plus haut, l’entretien de groupe est utilisé dans 3 types de recherche, ce qui signifie que chacun à sa méthodologie concernant l'échantillon.

En effet, dans la recherche-action, le groupe et l'animateur se connaissent puisque la recherche s'effectue communément. Dans les autres recherches citées, ce n'est pas le cas.

Néanmoins Baribeau (2009) précise que l’essentiel pour un chercheur est de créer les meilleures conditions possibles pour que les participants se sentent à l’aise d’exprimer non seulement leur point de vue (objectif propre à l’entretien individuel, par exemple), mais davantage, de discuter, en toute sérénité, des aspects qui les opposent, qui les relient, des nuances entre leurs visions, leurs croyances ou leurs opinions, objectifs qui sont justement visés par ce dispositif. Il s’agit donc d’un échantillon intentionnel, argumenté, dont la constitution répond aux exigences de la méthode retenue.

Déterminer le rôle de l’animateur

Déterminer les interactions entre les personnes

Le traitement des données

En recherche qualitative, il y a différents types d’analyse de données. Certains sont rattachés à des méthodes spécifiques et d’autres ont été conçus pour traiter des données qualitatives.

Selon Baribeau (2009), lorsque l’on traite l’entretien de groupe, dès le début, le chercheur considère différentes perspectives concernant le groupe ou chaque individu et ces décisions vont guider l’analyse ainsi que la théorisation.

Lorsque le chercheur prend la décision sur le type d’analyse à conduire, celle-ci va être influencée par différents facteurs tels que : les questions ou les objectifs de recherche, le cadre de référence, l’expérience ou les préférences du chercheur, la contribution attendue des auxiliaires de recherche lors des analyses, les types de résultats et la profondeur attendue, le temps et l’argent disponibles (Baribeau, 2009).

Les étapes suivantes traitent la préparation des données et leur analyse et sont inspirées de l’article « L’analyse développementale du contenu » de L’Ecuyer (1989).

Phase de préparation

D’après Baribeau (2009), il est nécessaire que toutes les données recueillies soient approfondies afin de prendre des décisions « quant à sa transcription et à l’amorce des analyses ».

S’approprier le contenu

Selon Baribeau (2009), avant de transcrire tout le contenu des entretiens de groupe, il est conseillé de faire une lecture flottante en faisant un retour sur quelques enregistrements dans le but de s’approprier le contenu ainsi que la logique des discours des individus et des échanges entre eux.

Dans la lecture flottante, le chercheur essaie de laisser flotter son imagination tout en prenant en compte les « flashes qui lui traversent l’esprit » afin d’organiser les documents et garder ceux qu’il considère les plus riches (Baribeau, 2009).

Transcrire

Le chercheur décide ce qu’il faut transcrire selon les visées poursuivies. Aussi, il peut suivre certaines pistes établies par Baribeau (2009) pour définir ce qu’il faut transcrire. Par exemple, s’il faut tenir compte du non verbal, des silences, de la construction du sens au travers des interactions entre divers participants ou s’il est approprié de faire des résumés ou des synthèses.

Choisir l’unité d’analyse

Le chercheur choisit ce qui est mieux comme unité d’analyse pour la recherche (un mot, une phrase, un paragraphe, etc.). Toutefois, selon Baribeau (2009), étant donné que « plusieurs utilisateurs de l’entretien de groupe… calculent l’occurrence des termes », il est conseillé d’utiliser le mot comme unité d’analyse.

Préparer les outils pour le codage

Des éléments tels que les cadres de référence, les questions de recherche, les objectifs et les hypothèses peuvent servir lors du codage. Aussi, la création de grilles de lecture ou de fiches de codes provisoires peuvent s’avérer utiles au moment de coder (Duchesne & Haegel, 2005).

Phase d’analyse

Selon Baribeau (2009), lors de l’étape d’analyse, le chercheur non seulement dégage un sens des témoignages auxquels il est confronté, mais il essaie aussi de trouver « une réponse aux questions qu’il a posées ».

Coder

Lors du codage, le chercheur relie « les données aux idées sur les données afin de récupérer tous les passages sous le même chapeau » (Baribeau, 2009).

Selon Tesch (1990), le codage demande une démarche de décontextualisation et de recontextualisation, étant donné que les données sont rattachées à deux univers (pool of meaning), « celui du contexte d’où elles sont tirées et le nouveau contexte où elles sont intégrées ». Lors de la décontextualisation, les concepts émergent tandis que lors de la recontextualisation, les données sont transformées dans le but de permettre plus d’analyses. En fait, dans cette démarche, les données sont repérées et réorganisées afin de les penser différemment.

Dès le début du codage, il est conseillé d’identifier les éléments des entretiens les plus intéressants (des marqueurs) et de les écarter pour faire des analyses plus approfondies après (Baribeau, 2009).

Lors de l’étape de codage des données des entretiens de groupe, il faut ressaisir les informations liées à chaque participant ou groupe de participants et celles concernant le contexte ou le temps (Baribeau, 2009).

Vu que les échanges dans les entretiens de groupe sont riches de sens, il est important de respecter leur polysémie en codant un même élément sous différents codes quand cela soit nécessaire. Ceci va faciliter l’apparition des catégories et des relations entre elles.

Catégoriser

La catégorie est un concept scientifique qui, d’après Baribeau (2009), « établit une relation (qui reste à définir) entre plusieurs autres concepts qui sont présents dans le phénomène à l’étude ». Cette démarche permet de passer du sens commun au phénomène scientifique à l’étude.

Les catégories sont des genres de matrices de signification qui permettent de nommer les dimensions du phénomène à l'étude et les relations établies entre les codes (Baribeau, 2009).

Décrire le phénomène

Il existe 4 types d'analyse :

1. Décontextualisation, réalisée par codage, catégorisation et contextualisation en faisant des liens avec les analyses précédentes.

2. Des esquisses basées sur la façon dont les participants prennent position et construisent leurs arguments (Baribeau, 2004 ; Baribeau, Lebrun & Blondin, 2004).

3. Distinction entre convergences et divergences, chaque pôle est  caractérisé synthétisé et mis en contraste avec les autres (Duchesne & Haegel, 2005).

4. Le codage réduit final, les données sont soumises à un traitement statistique qui permet d'obtenir la fréquence des occurrences.

Duchesne & Haegel, 2005 suggèrent que le chercheur utilise des grilles de lecture ou des cartes conceptuelles de résumé à la source de ses questions de recherche. Les outils proposés par Huberman & Miles (1991) et Van der Maren (1995) aident à la compréhension des données qualitatives.

Analyse des échanges

Pour analyser les échanges et les discussions, un canevas spécifique est nécessaire pour chaque type de recherche.

  • Dans la recherche-action (Boutin, 2007), une grille similaire à celle de la résolution de problèmes est utilisée.  Séquence d'analyse : situation actuelle → situation souhaitée → obstacles → conditions favorables ou défavorables → actions prévues.
  • Séquence temporelle montrant l'évolution des positions.
  • L'identification des moments sensibles où il y a des émotions fortes, des faits relatés et corroborés, des argumentations, etc. (Baribeau & Lebrun, 2000 ; Duchesne & Haegel, 2005 ; Kitzinger & Farquhar, 1999)
  • Plan dialectique : thèse → antithèse →  synthèse (intégration des réactions des participants)
  • Les points de vue sont évalués à travers des paramètres tels que : les avantages, les inconvénients, les solutions possibles et les résistances. (Streiffler, 1982, pp. 584-587).
  • Analyse des conflits et suggestion des améliorations souhaitées, des conséquences perçues et du degré de soutien des différents acteurs.

De nombreux projets de recherche qualitative effectuent la collecte, le codage et la catégorisation des données, d'autres projets restent au niveau de la description en ne soulignant que les aspects qui confirment et rarement infirment.

Théoriser

Selon Legendre (1993, cité par Baribeau,2009) une théorie est un ensemble structuré et cohérent de concepts, définitions, propositions, modèles, principes et lois, qui se réfèrent à un objet ou à un phénomène pour l'expliquer. Ces éléments cherchent à répondre aux questions initiales, de telle sorte qu'ils remettent en question les hypothèses. Créant ainsi une relation entre eux faisant des allers-retours entre les données et la théorie. Dans notre cas, les résultats de la recherche dépendront des questions de recherche et de la qualité des données recueillies par les entretiens de groupe. Nous soulignons que les différents types de recherches n'utilisent pas la théorisation de la même manière, par exemple, la recherche-action utilise la théorisation pour prendre une décision sur le terrain en vue de l'action.

Obtenir une qualité lors de l’analyse

Le traitement des données des entretiens de groupe présente certaines étapes similaires à celles des entretiens individuels mais d'autres plus spécifiques à l'entretien de groupe.

Afin d’assurer la qualité de l’analyse de données c’est article propose quatre principes :

La validité interne

Examine les relations entre les données recueilles et leurs analyses. Dans l’objectif de rendre crédibles ses données le chercheur doit tenir en compte les recommandations suivantes : bien définir les rôles entre les collaborateurs, créer les règles de communications entre l’animateur et le groupe. Également, la catégorisation de l’information et les outils d’analyse des données doivent avoir relation étroite avec le cadre théorique. 

La validité externe

 Il s’agit de la relation entre la problématique et les résultats. Dans ce cas, les éléments importants à retenir son : « un échantillon justifié et argumenté, une description des caractéristiques des participants et une prise en compte de ces informations dans l’analyse des échanges, l’analyse entre les différents entretiens de groupe qui ont été conduits » (Baribeau,2009 p.145)

La fidélité ou fiabilité

Afin de garantir la stabilité dans la collecte de données le chercheur doit justifier le choix du dispositif. Il peut également trianguler les données utilisant plusieurs sources de recollecte, par exemple, observation participante et les entretiens semi-directifs. « Ce qui permet de s’assurer que des biais ne découlent pas de l’entretien de groupe » (Baribeau,2009 p.145)

L’objectivité ou intersubjectivité

Dans l'analyse de données qualitatives comme celle-ci issue de l'entretien de groupe, la subjectivité du chercheur peut être balisée en triangulant « les sources, en réfléchissant sur le processus ou en mettant à jour ses valeurs et croyances, ou en faisant appel à un observateur externe ». Afin d'assurer l'objectivité de l'analyse de données, nous proposons également d'étudier les interventions de l'animateur tenant en compte les règles de communication définies au début de l’entretien.  Prouvant ainsi que les précautions ont été prises pour s'assurer que les résultats obtenus ne sont pas biaisés par valeurs personnelles du chercheur.

Finalement, nous recommandons au chercheur de choisir les principes qui lui semblent répondre le mieux aux exigences de rigueur scientifique, compte tenu de sa recherche.

Bibliographie

Baribeau, C. (2009). Analyse des données des entretiens de groupe. Recherches qualitatives, 28(1), 133-148.

Beaudouin, V. (2016). Retour aux origines de la statistique textuelle: Benzécri et l'école française d'analyse des données. In JADT 2016 (pp. 17-27).

Morrissette, J. (2011). Ouvrir la boîte noire de l’entretien de groupe. Recherches qualitatives, 29(3), 7-32.

Paillé, P., Mucchielli, A. (2003). L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales. Paris : Armand Colin.