Entretien d'explicitation
Contexte
L’article de Vermersch (2005), explique qu’un individu n’est pas toujours conscient de ses capacités, ni des processus par lesquels il passe pour effectuer une tâche. Vermersch s’inspire des travaux de Piaget, ainsi que d’Husserl (1964, 1905, cité dans Vermersch, 2005) pour décrire différents niveaux de conscience. Il parle de la « conscience pré réfléchie » (Vermersch, 2000, cité dans Vermersch, 2005) que l’on peut illustrer comme suit : lorsque je visionne un film, mon attention est dirigée vers ce qui se passe dans le film. Je suis absorbée par son contenu, c’est-à-dire, l’histoire, les personnages à l’écran, mais je ne suis pas focalisé ou ne réfléchis pas durant le visionnage aux processus et connaissances auxquels je fais appel quand je le regarde, ni à quels sens ou émotions sont mobilisés à un moment précis. Toute l’étendue de ce qui est vécu, n’est pas forcément un objet de pensée et conceptualisé durant l’acte. En d’autres termes, la conscience pré-réfléchie désigne la part « de notre expérience qui est vécue sans être reconnue, sans être immédiatement accessible à la conscience et à la description verbale. » (Petitmengin, s.d., p.165), contrairement à la « conscience réfléchie » (Vermersch, 2000, cité dans Vermersch, 2005) qui est le produit d’une prise de conscience, accessible et que l’on arrive aisément à exprimer avec des mots. Le passage de l’un à l’autre se ferait par la prise de conscience. Donc, dans une situation d'apprentissage, par exemple, si l'on essaie de comprendre le raisonnement d'un apprenant dans la réalisation d'une tâche, pour pouvoir l'aider à ajuster et perfectionner ses stratégies, il pourrait être bénéfique de prendre aussi en considération cette partie pré-réfléchie qui regorge d’informations, que l’apprenant n’est pas conscient d’avoir utilisé et de posséder. Mettre à jour cette conscience pré réfléchie permettrait de saisir toutes les stratégies entreprises et les savoirs de l'apprenant. Par ailleurs, d’après Husserl (Husserl, 1964, 1905, cité dans Vermersch, 2005) les événements vécus qui marquent et affectent les individus, laissent des empreintes dans leur mémoire et celles-ci, bien que passives, peuvent être retrouvées, même lorsque cela semble improbable.
Définition
Dans son travail, Vermersch (2010, p.13) conclut que « dans tout moment vécu, du-pré-réfléchi est présent. Donc dans tout ressouvenir d’un moment vécu sera présent du vécu pré-réfléchi ». Dans cette optique, il propose alors l’entretien d’explicitation, une méthode permettant justement d’accéder à cette partie à travers l’évocation d’un moment passé. Elle s’inspire des idées socioconstructivistes de Bruner et de Vygotsky (Balas, 1998, p.62) qui mettent en lumière le rôle et l’impact des acteurs sociaux dans l’apprentissage, aspect qui est mis de côté dans les théories constructivistes. Bruner et Vygotsky mettent tous deux en avant l’importance d’un médiateur pour aider l’apprenant dans la construction des savoirs (Chanquoy et Negro, 2004). Vermersch voit dans cet entretien « un guide sans lequel la prise de conscience semble ne pas pouvoir se faire » et « en même temps le sujet va se révéler à lui-même ce qu'il est le seul à "connaître" » (Balas, 1998, p.62). Durant l’entretien, l’intervieweur accompagne donc le locuteur dans l’évocation de la réalisation d’une tâche ou d’une pratique professionnelle. Il considère ainsi que pour comprendre une activité, son fonctionnement et comment la personne s’y prend, il faut aller au-delà de ce qui est directement observable. Le but est alors d’amener l’interviewé à verbaliser ce qui est invisible et à faire resurgir ses connaissances implicites inscrites dans une action réelle, « concrète » (Forget, 2013, p.13) et située, ancrée dans sa mémoire (Forget, 2013, p.13). Quel est l’intérêt de mettre ce vécu en mots ? D’après Vermersch, « La mise en place de la verbalisation de l'action contribue à la construction de l'expérience du sujet » (1994, p. 28, cité dans Balas, 1998, p.63). Néanmoins, l’intervieweur est présent uniquement pour écouter, ainsi que pour l’aider à spécifier l’action et le maintenir focalisé dessus (Daniellou et al., 2006, p.259). Il cherche à lever le voile sur les stratégies que l’interviewé déploie réellement, saisir les motifs qui se cachent derrière et les connaissances sous-jacentes. En mettant des mots sur ce qu’elle fait, Vermersch (2005) affirme que la personne interviewée peut se rendre compte de la complexité de la tâche et prendre conscience du déroulement de ses actions mentales et matérielles.
Apports et limites
Cet outil d’explication est bénéfique, car il permet à l’interviewé de s’auto-informer. Il se retrouve dans une position où il est capable d’observer l’étendue de son savoir-faire, ses compétences et de mieux saisir son propre fonctionnement intellectuel (Vermersch, 2005, p.259). Il est également en mesure, en formulant les stratégies et démarches mises en place lors d’une activité à un moment donné, d’apprendre comment il est parvenu à un certain résultat et de retracer la source de ses erreurs ou au contraire, de ses réussites. Cette technique d’entretien se révèle aussi très utile pour didactiser, par exemple, une pratique professionnelle ou dans le cadre de la santé et sécurité au travail (Daniellou et al., 2006). Elle donne la possibilité à un observateur n’ayant aucune connaissance sur le domaine, d’avoir accès aux informations qui ne peuvent s’expliquer uniquement par ce qu’il voit et de remonter jusqu’aux sources de ces connaissances.
L’entretien d’explicitation serait également en mesure d’éviter des malentendus dans un contexte d’apprentissage (Bautier & Rochex, 1997, p.109). En levant le voile sur les processus employés par un individu pour réaliser une tâche, cela permet de s’assurer que ses intentions et raisonnements soient bien compris. Prenons le cas de plusieurs élèves dans une classe en primaire, qui résolvent un exercice donné par un enseignant. Ces élèves ont interprété différemment la consigne fournie par l’enseignant et les résultats qu’il ont inscrit ne correspondent finalement pas à ceux qui étaient attendus par le professeur. Cet entretien d’explicitation permettrait alors de montrer à l’enseignant que sa consigne n’était pas claire, ce qui l’amènerait à faire plus attention dans le futur aux termes qu’il emploie et à développer des stratégies pour éviter ce genre de malentendus. Dans un deuxième temps, il verrait grâce à cet outil les capacités et connaissances des élèves, qui ont fait faux, pas parce qu'ils ne savaient pas quoi faire ou n’ont pas assez travaillé à la maison, mais parce qu’ils avaient une autre interprétation que la sienne. L’enseignant serait peut-être plus tolérant face à leurs réponses s’il comprend comment ils ont interprété la consigne (Muller Mirza, 2014).