Gameflow/Travail Alexandre ROCCA
Introduction
Aristote avait déjà conclu il y a 2300 ans, que les êtres humains recherchent le bonheur et le plaisir personnel. Un but qui est partagé par une majorité d’individus dans divers domaines. Mais encore faut-il être motivé ! Dans le domaine des théories de la motivation, nous pouvons distinguer trois approches conceptuelles différentes de la motivation : L’autodétermination, l’auto-efficacité et l’autotélisme. Dans notre cas, nous allons nous intéresser à la dernière approche en ciblant une théorie importante, celle du Flow.
Csikszentmihalyi, psychologue hongrois, a énormément travaillé sur le concept du bonheur et fut le concepteur du la notion du flow. Le flow (le flux en anglais), est une expérience que vous avez peut-être déjà vécue. Cet instant où vous êtes littéralement absorbé par une activité, dont l'important et l'intérêt passe au-dessus de toutes autres activités prévues ou nécessaire, voir vital dans des cas extrêmes. La notion du temps devient abstraite sur l'instant. L'individu se retrouve seul à seul avec l'activité lui procurant cette sensation de flow. La théorie de cette expérience se base sur un lien puissant entre le ou les défis créés par l'activité et les compétences, lié elle-même à l'intérêt du sujet, permettant de relever ces défis. Pour Csikszentmihalyi & al. (2005), trois phénomène sont importants dans l’expérience de flow : la fusion de l’action et de la conscience, la perception de contrôle, l’altération de la perception du temps.
Le flow, cette expérience autotélique, peut être vécu dans pratiquement n'importe quelle situation. Le ressenti de cette expérience permet de se motiver de manière intrinsèque par rapport à l'activité perçue. Dès lors, une fois le challenge réussi, d'autres défis même petits soient-ils deviennent un nouveau challenge pour continuer l'expérience du flow et de perpétuer dans le développement de compétences dans le domaine en question. Qu’en est-il dans le domaine de l’apprentissage vidéoludique ?
La motivation et ses trois approches conceptuelles
Selon Fenouillet (2009), la motivation est « une hypothétique force intra-individuelle protéiforme, qui peut avoir des déterminants internes et/ou externes multiples, et qui permet d’expliquer la direction, le déclenchement, la persistance et l’intensité du comportement ou de l’action. »
Hypothétique car elle est un construit mental, dont chacun a sa définition, dépendant de facteurs multiples tendant à déterminer les choix pris pour nos actions.
Conception liée à des besoin/motif : l’autodétermination (Deci & Ryan)
Les besoins déterminent l’orientation. Cela devient la partie la plus importante, tout individu tant à satisfaire ces trois besoins : autodétermination, compétence, et appartenance sociale. L’appartenance sociale est celui qui est de loin le plus important selon Heutte (2013). Il renvoie à la notion de l’autonomie (besoin des autres) et d’indépendance (être seul). La compétence quant à elle, est une reconnaissance sociale. Sans les autres je ne peux pas vraiment savoir si je suis compétent. Le besoin d’avoir un collectif pour la vérification de compétence et de son autonomie est donc de loin très important.
L’autoefficacité (banduras)
Les prédictions déterminent le comportement. Pour l’autoefficacité, ce sont les individus qui s’engagent dans une action quand ils pensent avoir toutes les ressources pour réussir. Il y a pas de sentiment de compétence mais une prédiction de pouvoir y arriver. C’est ce qui déclenche le comportement.
L’état de flow (Csikszentmihalyi 1990, 1997, 2005)
Les résultats déterminent la persistance. La théorie du flow, c’est l’idée d’étudier quelque chose qui relève à la fois d’une réaction physiologique et psychologique. C’est ce qu’on ressent sur la première émotion. Le flow provoqué par le plaisir de comprendre. Ce n’est pas l’atteinte de l’objectif qui est important mais de percevoir qu’on a progressé. C’est souvent par un défi personnel. C’est le ressenti de cette réussite, « les poils dressés » d’avoir réussi. Le Flow est une expérience autotélique (télos le but), c’est-à-dire qu’il a pour but rien d’autre que soi-même. Selon J. Heutte (2013), 17% de personnes sont autotélique.
Le flow
Le flow c’est selon Csikszentmihalyi (2004) lorsque « les individus sont tellement intensément impliqués dans une activité que rien ne semble autrement importer, l'expérience elle-même est si agréable que les gens la fassent même à un grand coût, dans l'intérêt fin de la faire ».
Pour définir sont développement, l’auteur donne en neuf étapes les caractéristiques qui accompagnent et décrivent l’expérience du flow :
Les conditions :
1. Equilibre entre défi et habilité « Challenge–skill balance : Knowing the activity is doable - that the skills are adequate, and neither anxious or bored »
2. Concentreation sur la tâche « We must be able to concentrate on what we are doing »
3. Cible claire « The task has clear goals »
4. Rétrocation, feedback clair et précis « The task provides immediate feedback »
5. Absence de distraction « One acts with a deep but effortless involvement that removes from awareness the worries and frustrations of everyday life »
6. Contrôle de l’action « People can exercise a sense of control over their actions »
Les caractéristiques :
7. Absence de préoccupation à propos du soi – dilatation de l’ego (allocentrisme) « Sense of serenity – no worries about self, feeling of growing beyond the boundaries of ego – afterwards feeling of transcending ego in ways not thought possible »
8. Altération de la perception du temps « The sense of the duration of time is altered ; hours pass by in minutes, and minutes can stretch out to seem like hours »
9. Expérience autotélique – bien être. « sense of ecstasy - of being outside everyday reality - Intrinsic motivation – whatever produces "flow" becomes its own reward »
Pensé dans les années ’70, le flow fut un concept fondamental de la psychologie positive. Cette « expérience optimale » visait principalement les sportifs de haut niveau et les artistes. L’engament de cette sensation peut être si forte, qu’elle peut provoquer l’oublie de se nourrir ou de dormir.
Si ce concept se base sur l’intérêt d’une tâche (challenge) par rapport à nos propres capacités (abilities), le flow forme alors une zone d’engagement de l’individu dans ce qu’il effectue. Si le but est trop difficile, au delà des capacités de la personne (un joueur par exemple), alors il sera sujet à de l’anxiété vis à vis de la tâche. A l’inverse, si le challenge est trop faible, alors l’individu risque de s’ennuyer (Figure 1).
Dans le domaine des jeux vidéos
Les nouvelles générations d’êtres humains sont totalement immergé dès la naissance aux nouvelles technologies. Certains scientifiques pensent donc qu’il parait normal de se poser la question quant à l’apprentissage avec les jeux vidéoludiques.
Commençons tout d’abord par la pensée des designers devant respecter certaines choses importantes. Étant donné que le but est de vendre un produit qui fonctionne, économiquement parlant, il faut être le plus compétitif sur le marché le plus important, répondre aux besoins de l’utilisateur. La théorie du flow est largement prise en compte dans ce domaine. Dans la figure précédente nous avons vu comment ce situait cette zone d’ « expérience optimale ». En y ajoutant les caractéristiques des différents joueurs on peut constaté qu’il y a trois genres de zone du flow. Celle du joueur expert, du joueur normal et du novice (Figure 2).
La solution revient ainsi dans la création de choix offerts au joueur afin de lui permettre de progresser d’une manière adapté à ses capacités afin de maintenir un état de flow. Cependant, il y a deux inconvénients majeurs à cela. Tout d’abord, l’importance de rendre la procédure transparente à l’utilisateur. En effet, si le joueur se rend compte d’un changement de difficulté du jeu devenant par exemple trop facile pour lui, le risque de troubler l’intérêt du challenge devient important. Enfin, le coût de production d’un tel jeu est important d’un point de vue complexité pour les concepteurs. Et le risque est important car, trop de choix provoque l’ennui ou une difficulté inadaptée.
Flow, apprentissage, jeux vidéo
L’apprentissage pour un étudiant ne peut pas se focaliser uniquement par l’usage de TICE. C’est la raison pour laquelle des chercheurs se sont consacrés au domaine des jeux vidéo, car ceux-ci sont souvent synonymes de plaisir. On peut donc supposé qu’il y a motivation et engagement dans ce domaine. Malheureusement, K. Kiili (2005) note bien le fait que les jeux pédagogiques ont pendant très longtemps été des outils de supports aux pratiques factuelles des informations vues en classe. Souvent assimilé à une fonction de drill et non d’action-réflexion, le jeux pédagogique ne plait pas. C’est ainsi que les développeurs se sont intéressé à développer une forme de motivation de l’apprentissage grâce au flow.
Dans ce domaine, la structure qui organise la motivation de l’apprentissage et le sentiment de flow est comme suit : Si un problème posé est en équilibre avec une habileté à le résoudre, alors il y a motivation d’apprentissage. Un problème trop difficile provoque l’anxiété et des habiletés trop faciles rendront le jeu ennuyeux.
Mais la motivation ne suffit pas. Le principe d’immersion est aussi important. Si Csikszentmihalyi (1990) décrit l’immersion comme un engagement profond sans effort, c’est bien pour parler d’une bulle créée par le flow, altérant tout ressenti extérieur, ainsi que celui du temps. Cet état d’absorption total dans l’engagement de l’activité reflète l’implication psychologique de vouloir résoudre ou atteindre un but claire fixé et motivant, permettant de mettre des stratégies en places, et d’atteindre la solution avec un équilibre entre le défi et les capacités du joueur. Webster, Trevino & Ryan (2003) ont au travers de leurs recherches déterminé un impact positif du flow sur l’apprentissage.
Le gameplay
Noyau central d’un jeu, cette partie ne doit pas être sous-estimée. K. Kiili (2005) affirme qu’il faut pour un jeu à vocation pédagogique, un équilibre entre la qualité du gameplay (la qualité de prise de décision de chacun des joueurs en interaction avec le jeu) et des objectifs d’apprentissages fixés. Ceci permettra alors d’atteindre de manière motivante, des objectifs ayant un sens pour l’apprenant.
Le joueur, l’apprenant, l’élève étant celui qui peut résoudre le problème que le jeu offre comme défit pour apprendre quelque chose. Dès lors, « educators have tried to develop learning environments that support problem solving in complex life-like situations » (Suomala, 1999). En effet, en faisant en sorte que l’élève puisse se référer à des situations de vécus ou proche du réel, l’implication sera plus forte. Selon Bruner (1961), la motivation se transformera aussi, car l’apprenant, en devenant un acteur principal et actif du jeu dans un processus d’apprentissage, va se voir passé d’une motivation extrinsèque à intrinsèque. Habgood, Ainsworth et Benford (2005) soutiennent cette vision d’apprentissage intrinsèque, pour autant que le jeu offre et intègre les éléments permettant de vivre un état de flow. Malone et Lepper (1987) avaient déjà travaillé sur des environnements d’apprentissage favorisant la mise en place d’une motivation intrinsèque. La figure 4 illustre ce lien entre gameplay et implication de l’apprenant pour l’apprentissage.
Journey
Journey est un jeu sur console qui n’a pas une vocation pédagogique, mais qui est fortement basée sur la théorie du flow. Je ne vais pas développer l’analyse de ce jeu, mais je vous conseil de voir les vidéos disponibles dans la bibliographie. En effet, la co-fondatrice de la compagnie du jeu explique lors d’une conférence, l’usage du flow dans les jeux (Flow in Games and in Life), ainsi que les vidéos montrant le gameplay du jeu. La puissance du flow est tellement réussie que juste en regardant la vidéo on a envie d’y jouer. Le but est simple. Atteindre le sommet d’une montagne très éloignée dans une expédition somptueuse et mystérieuse, regorgeant de secrets sur une civilisation disparue.
1066
Voici un « serious game » de stratégie qui fonctionne au « tour par tour ». Nous sommes en l’an 1066, période de la conquête de l’Angleterre entre différents peuples. C’est une redécouverte des batailles importantes de cette époque dans un contexte historique où l’on apprend en y jouant. Sur le plan de l’apprentissage, ce jeu permet de « découvrir ou re-découvrir la crise de succession d'Angleterre en 1066, avec une centration sur les grandes batailles et les enjeux militaires de cette période. Plus généralement, 1066 oriente l'attention du joueur sur l'importance des placements d'unités par rapport à l'issu final du combat. Le jeu initie ainsi le joueur à certains concepts de stratégies militaires (Formation, moral des troupes, atout et faiblesse de chaque combattant de l'époque) » (Julien Da Costa, 2012).
Ce jeu va centrer la motivation du joueur en captivant son attention grâce à une immersion importante, tout en recherchant un étât de flow, plaisir d’expérience optimal du jeu ressenti par le joueur entre sa capacité à avancer, et la progression dans l’histoire. La perte de notion du temps peu être un facteur important avec ce jeu. En effet, les batailles peuvent être assez longues. Malgré quelques limites sur la validation pédagogique du jeu, par rapport aux caractéristiques du flow, 1066 est un « serious game » de bonne qualité.
Conclusion
Nous ne pouvons pas déterminer avec certitude que le flow met en évidente les performances des élèves en terme d’apprentissage (Wouters et al., 2009). De plus la création de jeux répondant aux conditions du flow tout en liant des objectifs pédagogique, et aussi (oui il faut le dire), une compétitivité commerciale, est une chose difficile.
Bien que les études démontrent le potentiel important de la théorie du flow, il reste encore du travail aux concepteurs dans le domaine de la création de jeux vidéos à vocation pédagogique.
Bibliographie
- Damien Djaouti (5 octobre 2010). “Pour comprendre les serious games: bien les nommer, bien les classer”. In Le Monde.fr, en ligne. Page consultée le 10 mai 2013.
- Julien Llanas (14 décembre 2010). “L’école adopte les jeux sérieux”. In Le Monde.fr, en ligne. Page consultée le 10 mai 2013.
- Nakamura, J., & Csikszentmihalyi, M. (2009). Flow theory and research. Handbook of positive psychology, 195-206.
- rwirth91 (12 juin 2011). « Flow Theory - What makes a good game? ». In Gamehead.com, en ligne. Page consultée le 10 mai 2013.
- Wikipédia (mars 2013). “Catégorie: Média vidéoludique”. Page consultée le 10 mai 2013
YOUTUBE Sources
- In the Flow: How Games Keep You Motivated (Youtube, publiée le 6 octobre 2011, consulté le 11 mai 2013)
- Flow in Games and in Life (Youtube, publiée le 31 janvier 2013, consulté le 11 mai 2013)
- Journey (FULL GAME COOP WALKTHROUGH Part 1/2) HD (Youtube, postée le 13 mars 2012, consulté le 11 mai 2013)
- Journey (FULL GAME COOP WALKTHROUGH Part 2/2) HD (Youtube, postée le 13 mars 2012, consulté le 11 mai 2013)