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Il existe de nombreux facteurs qui favorisent ou au contraire entravent l’apprentissage par les textes. Il peut s’agir de facteurs liés aux acteurs : l’apprenant, l’enseignant/ingénieur techno-pédagogique qui crée les dispositifs d’apprentissage, etc. Il peut également s’agir de facteurs liés aux différents niveaux d’apprentissage (cognitif, métacognitif, affectif), ainsi que du contexte dans lequel ses textes sont lus et des caractéristiques internes des textes (structure, contenu sémantique, complexité, longueur, cohérences et clarté des propos). Le tableau qui suit (voir Tableau 2) propose une vision générale des facteurs qui impactent l’apprentissage par les textes. Ces facteurs ont été repris de la littérature parcourue dans cette revue.
Il existe de nombreux facteurs qui favorisent ou au contraire entravent l’apprentissage par les textes. Il peut s’agir de facteurs liés aux acteurs : l’apprenant, l’enseignant/ingénieur techno-pédagogique qui crée les dispositifs d’apprentissage, etc. Il peut également s’agir de facteurs liés aux différents niveaux d’apprentissage (cognitif, métacognitif, affectif), ainsi que du contexte dans lequel ses textes sont lus et des caractéristiques internes des textes (structure, contenu sémantique, complexité, longueur, cohérences et clarté des propos). Le tableau qui suit (voir Tableau 2) propose une vision générale des facteurs qui impactent l’apprentissage par les textes. Ces facteurs ont été repris de la littérature parcourue dans cette revue.


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Version du 23 mai 2023 à 19:18

< BASES:Cours BASES 2022-23

Production : Ana Rajic

Résumé

Le thème du semestre d’automne 2022-2023 du cours BASES porte sur l’apprentissage à partir de textes. Dans cette production, j’explore la question suivante : Comment apprend-on par la lecture de textes ? Afin de tenter de répondre à cette question, je décris, dans un premier temps, les processus à l'œuvre lors de la compréhension et de l’apprentissage par les textes, seuls ou multiples, sur papier ou en ligne. J’explore la compréhension de textes multiples et les stratégies métacognitives qui s’imposent pour déceler les incohérences et faire des liens entre les textes. Puis, je discute de l’impact d’un matériel textuel en ligne et des obstacles qui viennent s’ajouter à la compréhension de texte (e.g. les processus de recherche et de validation des sources). Dans un second temps, j’identifie les facteurs qui favorisent ou au contraire qui entravent l’apprentissage à partir de textes. Je conclue avec une discussion et une ouverture sur les perspectives qui traitent des recherches décrites précédemment dans cette production au regard de travaux futurs pour la conception d'un dispositif numérique pouvant favoriser l'apprentissage à partir de textes.

N.B. Les citations traduites par moi-même de l’anglais seront mentionnées à la première occurrence de l’article qui les concernent, puis elles ne le seront plus pour les citations suivantes afin d’alléger le texte.

Introduction

« La lecture est une activité omniprésente, mais aussi complexe et très polyvalente » [traduction libre] (Saux et al., 2021, p.2). Au cours de sa vie, un lecteur lit différents types de textes, plus ou moins complexes et longs, sur différents supports papier ou en ligne. Les raisons qui le poussent à lire peuvent être diverses. Il peut s’agir d’un besoin de s’informer, d’une contrainte donnée par une institution (e.g. valider un cours, passer un examen, produire un texte), d’une envie liée à ses centres d’intérêts. Le niveau d’engagement varie donc selon la raison pour laquelle le lecteur lit un texte (Saux et al., 2021, p.2) Par ailleurs, l’apprentissage par les textes est un des médias les plus utilisés pour apprendre et étendre ses connaissances. Les ingénieurs techno-pédagogiques sont amenés à concevoir du matériel pédagogique textuel dans le domaine des technologies éducatives pour des apprenants. C’est pourquoi, ils se doivent de connaitre les processus qui sont à l’œuvre lorsqu’un apprenant est face à un ou plusieurs textes et qu’il essaye de les comprendre. Ils doivent aussi prendre en compte le contexte d’apprentissage de l’apprenant, c’est-à-dire les dimensions environnementales (extrinsèques), sociales (extrinsèques) et individuelles (intrinsèques) relatives à l’apprenant (Britt et al., 2022). En effet, chacune de ces dimensions peut avoir un impact sur la compréhension de texte de l’apprenant.

Les processus à l'œuvre dans la compréhension de textes

Que signifie comprendre un texte ? Selon Giasson (2013, 227), comprendre un texte c’est

s’en faire une représentation mentale cohérente en combinant les informations explicites, implicites qu’il contient à ses propres connaissances. Cette représentation est dynamique et cyclique. Elle se transforme et se complexifie au fur et à mesure de la lecture. Chaque fois que le lecteur rencontre un nouvel élément dans le texte, il doit décider de quelle façon l’intégrer à sa représentation du texte.
Figure 1. Modèle interactif de la compréhension (Giasson, 2005)

Giasson (2013) définit que le processus de compréhension de texte comprend trois facteurs qui interagissent entre eux de manière dynamique : le lecteur, le texte et le contexte. Dans le « modèle interactif de la compréhension en lecture » de Giasson (2005) présenté en Figure 1, ces trois facteurs sont mobilisés afin de construire une représentation mentale de la lecture.

En fonction de l’objectif de lecture du lecteur, plus ces facteurs sont mobilisés, plus ils sont favorables à la compréhension de texte (Giasson, 2011). Ainsi, l’intention de l’auteur, la structure du texte et le contenu influencent la manière dont le lecteur mobilise les processus métacognitifs d’élaboration (inférences) et d’intégration, et l’effort cognitif et affectif que le lecteur va fournir. Le contexte psychologique, social et physique dans lequel se déroule l’activité de lecture exerce également une influence sur le texte et le lecteur (voir point 3.2).


Le lecteur

Le facteur « lecteur » est le plus complexe des trois car il comporte plusieurs variables qui sont présentées dans le « Modèle interactif de la compréhension - Facteur « Lecteur » » de Giassons (2011) :

Figure 2. Modèle interactif de la compréhension - Facteur « Lecteur » (Giasson, 2011).

Les structures cognitives correspondent aux connaissances antérieures du lecteur et les structures affectives correspondent aux émotions que produisent ses connaissances face à un texte, alors que les processus, divisé en cinq, correspondent aux stratégies mises en œuvre lorsque le lecteur lit un texte (Giasson, 2011).

Ces cinq processus sont développés dans le schéma des processus de compréhension de Giasson (2011) :

Figure 3. Modèle interactif de la compréhension - Les processus de compréhension (Giasson, 2011).

Les processus de compréhension de textes passent de la compréhension au niveau micro (compréhension locale du texte) à la compréhension au niveau macro (compréhension globale du texte). Le niveau micro se compose des éléments phonologiques (les sons), morphologiques (les mots) qui servent à comprendre l’information, et des processus d’intégration qui permettent de faire des liens entre les mots, d’utiliser des référents et des connecteurs. Le niveau macro concerne les éléments syntaxiques (structure des phrases), sémantiques (sens donné aux phrases), pragmatiques (signification des phrases en contexte) qui permettent de construire une représentation cohérente globale du texte, des processus d’élaboration qui permettent de faire des inférences sortant du cadre du texte, ainsi que des stratégies métacognitives qui permettent au lecteur d’ajuster ses connaissances et son ressenti affectif au regard du texte et du contexte de lecture (Giasson, 2011). La compréhension de texte est donc un processus cognitif et métacognitif complexe, nécessaire à l'apprentissage, au raisonnement, à la résolution de problèmes et à la prise de décision (McNamara et Magliano, 2009). Les stratégies cognitives sont définies comme « les moyens mis en œuvre pour réaliser une tâche et atteindre un but cognitif » (Eme et Rouet, 2002, p.3)(e.g. lire plusieurs fois un texte pour le mémoriser), alors que les stratégies métacognitives correspondent aux « moyens mis en œuvre pour gérer l'activité cognitive, en planifiant, évaluant et contrôlant la progression vers ce même but (inspecter le matériel à apprendre pour évaluer la difficulté de l'apprentissage, s'auto-questionner pour vérifier qu'on a appris ; Flavell, 1985) » (Eme et Rouet, 2002, 3).

Le niveau du lecteur

Le niveau du lecteur est un aspect important qui peut faire varier la compréhension de textes, selon les connaissances du lecteur dans le domaine étudié, ainsi que selon son niveau de mobilisation des stratégies métacognitives. Plus un lecteur est expert dans le domaine qui est traité dans ses lectures, c’est-à-dire quelqu’un qui a « des connaissances [culturelle ou thématiques] de contenu plus solides liées au texte » [traduction libre] (Cartwright et Duke, 2019, p.10), plus la lecture lui semblera facile. Ces connaissances antérieures rendent également l’effort cognitif plus acceptable que pour un lecteur novice dans le domaine (Anmarkrud et al., 2013). Par conséquent, « plus un sujet est expert dans un domaine, moins le traitement d’une situation dans ce domaine va être cognitivement coûteux pour lui » (Tricot, 1998, p.52).

De plus, les stratégies métacognitives du lecteur représentent un aspect important pour monitorer et évaluer sa compréhension d’un texte. Ainsi, les lecteurs « ayant de faibles compétences en matière de fonctions exécutives ont des difficultés importantes à gérer tous les processus nécessaires à une compréhension habile de la lecture » (Cartwright et Duke, 2019, p.13). Les lecteurs qui pratiquent de manière habile la compréhension de texte saisissent la signification du texte seul mais aussi « la place qu'ils occupent dans le contexte plus large du ou des textes - ce qu'ils ont lu jusqu'à ce moment-là et ce qu'ils prévoient pour la suite » (Cartwright et Duke, 2019, 13). Ils parviennent à construire « un modèle de situation plus cohérent et plus riche lors de la lecture parce que plus d'inférences sont générées et plus de connaissances sont activées » (McNamara et Magliano, 2009, 357). Ainsi, les lecteurs « compétents » sont ceux qui ont un « modèle de tâche » cohérent, c'est-à-dire une représentation solide des connaissances et basée sur l'expérience du lecteur, qui les guide dans leur activité :

Les bons lecteurs prennent activement des décisions en vue d'atteindre des objectifs pendant la lecture et doivent donc évaluer leurs progrès vers ces objectifs, leur motivation à fournir des efforts pour atteindre chaque objectif et, si nécessaire, détecter et traiter les obstacles à ces objectifs. [traduction libre] (Britt et al., 2022, p.366)

Au contraire, si le lecteur a un mauvais schéma de représentation des stratégies métacognitives, il aura « plus de difficultés à interpréter la tâche, à fixer des objectifs appropriés et à sélectionner des stratégies pour atteindre ces objectifs » et son « modèle de tâche » ne lui permettra pas de guider sa compréhension du ou des textes (Britt et al., 2022, p.369).

Le contexte

Le contexte dans lequel le lecteur lit un texte influence la compréhension du celui-ci. Les dimensions contextuelles physique et psychologique que nous avons vu dans la figure 1 ont été développées dans l’article de Cartwright et Duke (2019) qui propose le modèle DRIVE, un modèle qui utilise la métaphore de la conduite automobile pour représenter la pratique de la lecture. Selon Cartwright et Duke, pour comprendre un texte, le lecteur doit s'engager activement dans le processus de lecture (e.g. le contexte psychologique). Cependant, « l'état émotionnel des lecteurs peut affecter leur lecture » (Cartwright et Duke, 2019, p.12), c’est pourquoi, il est important de considérer le rôle de la motivation pendant l’activité de lecture. En effet, la motivation des apprenants pour une tâche peut être

affectée par la valeur qu'ils perçoivent pour la tâche elle-même (par exemple, l'importance pour eux-mêmes, la valeur intrinsèque, la croyance perçue dans l'utilité de la tâche) qui est équilibrée avec le coût relatif ou les aspects négatifs associés à la tâche (par exemple, le temps, le stress). (Britt et al., 2022, p.369)

La motivation permet de commencer l’activité mais c’est l’engagement que l’apprenant met dans son activité qui lui permettra d’atteindre son objectif de lecture, qui est de comprendre le texte. L’intérêt que l’apprenant porte au sujet qu’il lit est aussi un facteur qui va lui permettre de comprendre des textes plus complexes (Cartwright et Duke, 2019). Par conséquent, pour que l’apprenant soit engagé dans la lecture, il doit considérer cette activité comme une valeur-ajoutée par rapport à l’effort cognitif qui lui est demandé.

De plus, Cartwright et Duke (2019, p.13) expliquent que « les conditions de lecture [e.g. le contexte physique] affectent le processus de lecture ». Ainsi, un environnement impropice à la lecture, par exemple un lieu mal éclairé ou bruyant, aura un impact négatif sur la situation de lecture et donc sur la compréhension du texte lui-même.

Finalement, le contexte social dans lequel se place le lecteur aura un impact sur sa compréhension du texte (Cartwright et Duke, 2019). Par exemple, le fait de lire un texte sur la découverte de l’Amérique, chez soi pour le plaisir, et de lire ce même texte à l’université pour un cours d’histoire, n’aura pas le même impact sur le lecteur et sur le texte qu’il lit.

Le texte

Selon Cartwright et Duke (2019), le type, la structure, le contenu et la complexité du texte influencent la compréhension du lecteur. Le type de texte et sa structure ont un effet sur la compréhension du texte, car plus un texte est bien structuré, meilleure en est la compréhension. Le contenu des textes est plus ou moins ancré dans les connaissances antérieures du lecteur. En effet, la complexité du texte impacte différemment les lecteurs experts et les lecteurs novices dans le sujet abordé, ce qui influence les processus et les résultats de la compréhension de texte (Cartwright et Duke, 2019). Par exemple, un article scientifique sur l'astrophysique sera ancré dans les connaissances antérieures d'un lecteur qui a étudié le sujet, tandis qu'il semblera abstrait et difficile à comprendre pour un lecteur sans connaissances préalables dans ce domaine.

Compréhension de textes multiples

Dans la section précédente, nous avons vu les processus de bases qui permettent de comprendre un texte seul. Il faut maintenant s’intéresser aux processus qui se produisent lors de la compréhension de textes multiples et de textes en ligne.

Modèle de tâches

Dans un cadre académique, l’apprenant est contraint de lire des textes tout au long de son cursus. Ces lectures font l’objet d’une tâche à accomplir. Il s’agit souvent de comprendre un ou plusieurs textes afin de produire un texte sur le sujet du cours, qui donnera lieu à une évaluation par les enseignants. D’après la théorie RESOLV (Britt et al., 2022), l’apprenant crée un modèle de référence (context model en anglais) qui est « une représentation des connaissances relativement stable et basée sur l'expérience » (Britt et al., 2022, p.365). Puis, à partir de ce modèle contextuel, physique et social, l’apprenant définit un modèle de tâche (task model en anglais) pour atteindre ses objectifs. Ce modèle est « une structure dynamique qui est mise à jour au cours de la tâche de lecture » (Britt et al., 2022, p.365). Le modèle MD-TRACE (Multiple Document Task-based Relevance Assessment and Content Extraction) de Rouet et Britt (2011, présenté par Anmarkrud et al., 2013) permet de voir les différentes étapes nécessaires à la recherche, à l’intégration et à l’évaluation des textes pour parvenir à la construction d’un modèle de situation (voir 4.2.-4.3-4.4, Salmerón et al., 2017)). La Fig 4. représente les étapes du modèle MD-TRACE, extrait de Anmarkrud et al.(2013).

Figure 4. Représentation des étapes du modèle MD-TRACE, extrait de Anmarkrud et al. (2013)

Dans une étude, Anmarkrud et al. (2013) analyse les stratégies utilisées durant la lecture des étudiants pour juger la pertinence des textes. Les données obtenues montrent que les étudiants lecteurs s’efforcent de distinguer, pendant qu’ils lisent, les informations pertinentes de celles qui ne le sont pas. Ces chercheurs concluent que « la présence de jugements de pertinence suggère que les lecteurs utilisent des processus laborieux pour juger de la valeur instrumentale des informations du texte pendant qu'ils lisent » [traduction libre] (Anmarkrud et al., 2013, p.891).

Modèle de situation

Les théories actuelles de la compréhension de texte supposent que la compréhension d'un texte à un niveau profond nécessite la construction d'un modèle de situation, c'est-à-dire l'intégration des informations textuelles avec les connaissances antérieures du lecteur (Kintsch, 1994 ; van Dijk & Kintsch, 1983). (Molinari et Tapiero, 2007, p.308)

Selon ce modèle, la lecture sert à la construction d’une représentation mentale des connaissances. Cette représentation mentale se forme grâces aux processus de lecture présenté dans la Figure 3 et grâce aux connaissances antérieures de l’apprenant qui sont « un facteur important dans la construction du sens et de l'interprétation des informations textuelles (Kintsch & Franzke, 1995) » [traduction libre] (Molinari et Tapiero, p.305).

Intégration intertextuelle

Beker et al. (2016), expliquent que la compréhension de texte se fait par le biais de « l’intégration intertextuelle ». Il s’agit d’un processus qui nécessite « l'activation d'informations provenant d'un texte antérieur pendant la lecture d'un texte ultérieur » [traduction libre] (Beker et al., 2016, p.1173). Ils ont prouvé dans une étude que « les informations des textes antérieurs sont activées pendant la lecture et que l'activation des informations des textes antérieurs facilite le processus de lecture » (Beker et al., 2016, p.1173) et rendent la lecture plus efficace et plus rapide.

Recherche de cohérence

La compréhension de texte nécessite que l’apprenant construise une représentation des informations textuelles. Pour y parvenir, il doit réussir à intégrer les informations les plus importantes à partir des textes disponibles, afin de créer une représentation cohérente (Beker et al., 2016). Beker et al. (2016, p.1163) mettent en évidence deux facteurs qui influencent l’intégration de textes multiples en mémoire :

  • la cohérence conceptuelle entre les textes : « si les informations provenant de différents textes sont incohérentes, il est difficile de les intégrer dans un seul réseau de représentation. » [traduction libre]
  • le contexte dans lequel les textes sont présentés et la source de l'information : « plus la distance entre les contextes dans lesquels les textes sont lus est grande, plus il sera difficile d'intégrer l'information en mémoire, car il peut être moins évident que les textes sont liés. » [traduction libre]

Par conséquent, pour former une représentation cohérente d’un sujet à partir de différents textes, l’apprenant doit reconnaitre le moment où les informations se chevauchent et quand elles se heurtent ou s’appuient sur ses connaissances antérieures (Beker et al., 2016). Ainsi, un lecteur compétent dans la compréhension de textes multiples, sait se représenter un modèle de situation et le modèle de tâche qui lui est associé ; il arrive à intégrer de nouvelles informations à ses connaissances antérieurs afin qu’elles les complètent ; il parvient à pointer les incohérences entre plusieurs textes et à créer une représentation mentale cohérente. Cependant, ces capacités se heurtent à la massification des informations sur le web et il est désormais important d’étudier les nouveaux processus qui sont nécessaires à la compréhension de textes en ligne. En effet, la lecture de textes divers implique de prendre conscience des intentions de communication des textes et de savoir comment utiliser cette connaissance de manière ciblée. Cette compétence est représentative des lecteurs compétents (Saux et al., 2020)

Compréhension de textes en ligne

Avec l’apparition d’internet et le développement des supports textuels numériques, il est devenu important d’apprendre à partir de textes multiples (Beker et al., 2016). Cependant, il est aussi plus difficile de trouver les bonnes informations parmi des milliers d’autres. En effet, les méthodes de recherche, de compréhension et d'évaluation de l'information demandent un effort supplémentaire lorsqu’ils s’agit de lire et de comprendre des textes en ligne : « cela exige que les lecteurs aient un sous-objectif de routine impliquant la vigilance pour évaluer la source et la crédibilité de l'information qui peut être déclenché par l'environnement lorsque cela est nécessaire » (Britt et al., 2022, 371).

On peut considérer que les apprenants vont juger que des textes sont pertinents s’ils ont été fournis par l’enseignant lui-même et, dans ce cas, qu'il y a un moins grand besoin de vérifier la validité de leur source. Cependant, lorsque l’apprenant doit rechercher et identifier par lui-même la pertinence des informations trouvées dans des textes pour un travail académique, la tâche s’avère plus difficile. Selon Anmarkrud et al. (2013), la lecture de documents multiples met en évidence le temps et les efforts supplémentaires nécessaires à la réalisation de l’objectif de lecture pour identifier et lier les informations pertinentes. Ils indiquent que des processus stratégiques sont nécessaires pour la compréhension de textes multiples en ligne, car ils permettent de « construire activement du sens à partir d'éléments d'information superposés, uniques et parfois contradictoires provenant de sources différentes » [traduction libre] (Bråten et Strømsø 2011, cité dans Anmarkrud et al., 2013, p.876). Le tableau suivant (voir Tableau 1) décrit les trois processus essentiels du traitement de documents multiples en ligne :

Tableau 1. Les processus mis en œuvre lors du traitement en ligne de documents multiples par les lecteurs au cours d'une lecture orientée vers une tâche (traduction libre, adapté de Anmarkrud et al., 2013).

Salmerón et al. (2017), quant à eux mettent également l’accent sur trois compétences essentielles lors des processus de compréhension des textes numériques. La première compétence est la « navigation » dans les documents hypertextes. Elle consiste à sélectionner les sources à lire pour trouver des informations pertinentes (Salmerón et al., 2017). La deuxième est « l’intégration ». Elle consiste à mettre en lien les différentes sources et à identifier la nature de la controverse entre les sources multiples et déterminer si elles se complètent ou si elles se contredisent (Salmerón et al., 2017). La troisième compétence est « l’évaluation ». Elle consiste à évaluer si une ou plusieurs sources semblent fiables, en jugeant de la qualité des contenus d’une page web (Salmerón et al., 2017).

Pour arriver à une bonne compréhension de textes numériques, ces compétences de navigation, d’intégration et d’évaluation doivent être combinées de manière active. Pourtant, elles ne sont souvent pas assez développées et mobilisées par les lecteurs (surtout dans un contexte non-académique), car elle ne sont pas enseignées aux lecteurs de manière systématique. L’exposition intense aux textes numériques ne suffit pas à former les apprenants dans ces trois compétences (Salmerón et al., 2017). Pour cela, il faudrait pouvoir les guider dans leur compréhension des textes en ligne. En effet on constate que « l'écart se creuse entre les compétences en lecture que les élèves apprennent par le biais des programmes et des normes d'enseignement […], et les compétences en lecture qui sont nécessaires pour participer à des activités extrascolaires » (Britt et al., 2022, p.375).

Les facteurs qui favorisent ou entravent l'apprentissage à partir de textes

Il existe de nombreux facteurs qui favorisent ou au contraire entravent l’apprentissage par les textes. Il peut s’agir de facteurs liés aux acteurs : l’apprenant, l’enseignant/ingénieur techno-pédagogique qui crée les dispositifs d’apprentissage, etc. Il peut également s’agir de facteurs liés aux différents niveaux d’apprentissage (cognitif, métacognitif, affectif), ainsi que du contexte dans lequel ses textes sont lus et des caractéristiques internes des textes (structure, contenu sémantique, complexité, longueur, cohérences et clarté des propos). Le tableau qui suit (voir Tableau 2) propose une vision générale des facteurs qui impactent l’apprentissage par les textes. Ces facteurs ont été repris de la littérature parcourue dans cette revue.

Tableau 2. Récapitulatif des facteurs jouant un rôle dans l’apprentissage à partir des textes
Tableau 2. Récapitulatif des facteurs qui jouent un rôle dans l’apprentissage à partir des textes
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En résumé, pour favoriser l’apprentissage à partir des textes, il faut que l’enseignant fasse attention au niveau des apprenants dans le domaine étudié et qu’il s’informe sur leurs connaissances antérieures. Cela pourrait lui permettre d’adapter le niveau de difficulté des textes proposés en fonction de ces facteurs, de permettre aux apprenants de construire une représentation cohérente, et de faciliter la compréhension de textes multiples. De plus, dans la conception de dispositifs numériques textuels, il est « primordial de réduire la quantité d’informations non essentielles d’un document » (Jamet, 2007, p.193) (niveau cognitif). L’enseignant doit également accompagner les apprenants dans leur stratégies métacognitives : donner des instructions claires, les aider à se fixer des objectifs de lecture, etc. (niveau métacognitif). Dans le cas d’apprentissage par les textes en ligne, il est également nécessaire d’enseigner aux apprenants à faire preuve de vigilance lorsqu’ils évaluent la source et la fiabilité de l'information trouvée sur le web. De plus, l’enseignant doit être en mesure de soutenir émotionnellement les apprenants en prenant en compte les facteurs qui les motivent ou non à effectuer une tâche. Il faut également, sensibiliser les apprenants à l’importance d’évaluer ce qu’ils lisent et de réguler leur activité lorsqu’ils rencontrent un problème de compréhension (e.g. en demandant de l’aide) (niveau affectif).

En ce qui concerne l’apprenant lui-même, un apprentissage par les textes est possible lorsque celui-ci utilise ses connaissances antérieures pour intégrer les nouvelles informations et créer une représentation mentale cohérente (ou modèle de situation) de ce qu’il lit (niveau cognitif). Il doit également pouvoir monitorer son activité de compréhension en passant par les processus de navigation entre les textes, d’intégration intertextuelle, et d’évaluation des informations et des connaissances acquises (niveau métacognitif). Cette charge mentale cognitive doit cependant représenter une valeur-ajoutée pour l’apprenant afin que sa motivation reste intacte (niveau affectif).

selon Brown et al. (1986), pour être efficace un programme doit inclure : un entraînement cognitif destiné à automatiser les procédures et à les rendre plus performantes (intégrer l'information, résumer, mémoriser,...), mais aussi un entraînement explicite des activités métacognitives (planifier, évaluer, réguler,...), ainsi que des instructions sur les fonctions des activités entraînées et les conditions de leur efficacité (Eme et Rouet, 2002, p.10-11)

Enfin, le contexte et les caractéristiques des textes eux-mêmes ont un impact sur l’apprenant et l’efficacité de l’apprentissage. Il est donc nécessaire que l’apprenant ait un endroit propice au calme et à la concentration sans distractions. Les textes qui sont proposés par l’enseignant devraient être structurés et avoir une complexité de contenus qui soit adaptée au niveau des apprenants : les apprenants avec de faibles connaissances profitent de contenus simples, alors que les apprenants avec des connaissances solides profitent de contenus plus complexes. Finalement, l’ajout d’illustrations qui complètent les textes est une pratique bénéfique à l’apprentissage par les textes, car cela permet à l'apprenant de se faire, plus aisément, une représentation mentale du texte (Figure 5.).

Figure 5. Théorie cognitive de l'apprentissage multimédia (Mayer, 2009, cité dans Elmeziane et Lecorre, 2021)

Discussion

L’apprentissage par les textes est une activité complexe et dynamique qui demande une grande charge cognitive. Il s’agit d’un processus actif et stratégique, affectée par une variété de facteurs internes et externes qui sont en interaction. Cependant cet apprentissage ne peut pas être mené à bien sans la pratique de processus et de stratégies métacognitives qui régulent la tâche et qui permettent d’évaluer l’état de compréhension des textes : « Il paraît opportun d'envisager la mise en place de programmes de formation à l'autonomie, basés sur l'enseignement explicite de connaissances métatextuelles et stratégiques, ainsi que sur l'entraînement effectif de stratégies » (Eme et Rouet, 2002, p.15). Il est également nécessaire d’alerter les apprenants sur l’importance de chercher à contrôler, vérifier et valider les informations qu’ils trouvent sur le web. Ces compétences sont d’autant plus importantes que, de nos jours, l’apprentissage par le texte se fait en grande partie en ligne et à travers les technologies numériques. En effet, les apprenants ont besoin d’acquérir une expérience en tant que lecteurs, qui leur permet de savoir « comment aborder différents genres de textes, afin d'adopter des objectifs et des stratégies appropriés, d'évaluer leur efficacité et de percevoir une valeur suffisante pour compenser le coût de leur engagement. » (Britt et al., 2022, p.368).

Par conséquent, l’activité de lecture nécessite plus d’accompagnement et de guidage (monitoring) qu’auparavant. La question qui nous intéressera dans la deuxième partie du cours BASES 2022-2023 sera de rechercher comment accompagner l’enseignant dans la façon de faire comprendre un texte à un apprenant (ou « Comment promouvoir l’apprentissage à partir de textes ? »).

L’enseignement à travers le numérique permet aux ingénieurs techno-pédagogiques de créer des supports textuels divers pour les apprenants. C’est pourquoi, il est judicieux de se pencher sur l’utilisation des éléments visuels comme les images qui permettent à l’apprenant de mieux comprendre le texte (Molinari et Tapeiro 2007 ; Jamet, 2007). En effet, le travail que les enseignants doivent préparer en amont de l’enseignement est essentiel pour que l’apprentissage soit efficace. C’est la manière dont le dispositif d’apprentissage est conçu qui influencera son efficacité. Cependant, il est très difficile pour les enseignants d’obtenir des traces qui permettent de visualiser la compréhension des apprenants lorsque ceux-ci lisent des textes en ligne. Il serait donc intéressant de se pencher sur cette question et de créer un dispositif qui permette une visualisation des traces de compréhension.

Références

Anmarkrud, Ø., McCrudden, M. T., Bråten, I., et Stromso, H. I. (2013). Task-oriented reading of multiple documents: online comprehension processes and offline products. Instructional Science, 41(5), 873–894. https://doi.org/10.1007/s11251-013-9263-8

Beker, K., Jolles, D., Lorch, R.F., et van den Broek, P. (2016). Learning from texts: activation of information from previous texts during reading. Reading and Writing, 29(6), 1161–1178. 10.1007/s11145-016-9630-3

Britt, M.A., Durik, A., Rouet, J.-F. (2022). Reading Contexts, Goals, and Decisions: Text Comprehension as a Situated Activity. Discourse Processes, 59(5-6), 361-178.10.1080/0163853X.2022.2068345

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