Droits des personnes en situation de handicap
Comment parle t-on des droits des personnes en situation de handicap, dans les années 1960-1980 à Genève?
Les décennies 1960 à 1980, à travers des mouvements de désinstitutionnalisation et d'anti-psychiatrie, ont vu l'émergence de droits fondamentaux: vote des femmes en Suisse en 1971, Convention des droits de l'enfant en 1989 notamment. Après les précurseurs revendiquant une éducation plus libre, plus juste, tel que Neill dont les "libres enfants de Summerhill" ont inspiré plus d'un pédagogue, se dessine une vague de revendications et de contestations des méthodes appliquées aux exclus du droit, ou aussi aux oppressés d'une société trop cadrante, sans marge de manoeuvre suffisante. Des auteurs imaginent ainsi "Une société sans école" (Illich, 1971), d'autres dénoncent "la condition sociale des malades mentaux" (Goffman, 1961), d'autres se battent pour désinstitutionnaliser, ou mettent "L'institution en négation" (Basaglia, 1970). Un mouvement prend forme, dans lequel s'inscrira progressivement les droits fondamentaux de la personne.
Il s'agit alors de combats pour les droits de ceux qui sont exclus, de ceux qui justement eux-mêmes ne sont pas en situation de se défendre ou de protester contre les injustices. Poussés ainsi par des valeurs humanistes, se lèvent alors les acteurs des droits de la personne en faveur des plus démunis. Le droit des personnes en situation de handicap représente ainsi le paroxysme des droits de la personne, et se trouve souvent être le parent pauvre et retardataire des combats. Alain Dupont, dont on verra plus avant le rôle pris dans ces années-là, confirme ce sentiment, en relevant que si les professionnels ne se portent pas garants de la défenses des droits de ses personnes, les personnes elles-mêmes n'ont pas les capacités de le faire. Par ailleurs, il souligne que dans les années 1960-1970, on ne parlait même pas de "personnes". On parlait de "handicapés", comme si, de par même le vocabulaire utilisé, on considérait ces personnes comme étant en dehors de la société, et donc en dehors du droit et du respect de la dignité qui en découle.
La loi sur l'AI (Assurance invalidité) de 1959, avec toutes les incidences consécutives à son introduction, marque un grand tournant dans la reconnaissance des droits pour les personnes en situation de handicap. Des parents d'enfants ou d'adultes en situation en handicap réclamant le droit à l'intégration (avec un paradoxe qu'est la création dans ces années-là d'institutions plutôt "ségrégatives") se constituent en association (APMH en 1959 devenu INSIEME). Ils se battent désormais pour faire reconnaître les droits (à l'éducation, à la santé, à la participation sociale) de leurs enfants. "Insieme suisse s'engage aujourd'hui à défendre, au niveau politique, les droits des personnes vivant avec un handicap mental et leur offrir les conditions d'une vie digne". Tels sont les mots que l'on peut lire sur le site http://insieme.ch/insieme/insieme-suisse/?lang=fr Il est intéressant d'aller plus loin dans la connaissance de cette association, afin de comprendre comment cette association s'est inscrite en actrice de la défense des droits des personnes en situation de handicap à cette époque.
Les droits des personnes en situation de handicap bénéficieront, quoique toujours avec un certain décalage, des mouvements de contestation des années 70 (désinstitutionalisation et antipsychiatrie notamment). La déclaration des droits des personnes handicapées de l'ONU, datant du 9 décembre 1975, précédée de la déclaration des droits du déficient mental (1971) en sont des exemples importants. On peut de plus citer l'année internationale du handicap, qui a permis de rendre plus visible certains aspects des prises en charge et de faire le point sur les avancées sociales, et légales. Elle avait pour but la promotion de la « pleine participation et de l'égalité », avec une sensibilisation du public et une meilleure acceptation sociale des "handicapés". A suivi un programme d'action de l'ONU, pour assurer une continuité après cette année importante, et enclencher une nouvelle forme de prise en charge. On y trouvera encore souvent le terme "handicapé", non précédé de "personne". Néanmoins, le changement est clair et les processus en faveur de la valorisation sociale et d'intégration des personnes est enclenché.
Cet article est l'occasion, de poursuivre le travail effectuée l'année précédente Article_2012/13 et de développer particulièrement la question des droits de la personne.
J'étudierai la question des classifications du handicap, qui sont à elles seules le reflet de l'évolution sociale et culturelle de la société vis à vis du handicap. De la création de la CIM (classification internationale des maladies et des problèmes de santé) en 1946, révisée en 1990, à la parution de la CIH (classification internationale des handicaps initiée par WOOD et adoptée en 1992), en passant par les différentes DSM (the Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) dont la première publication DSM-I remonte à 1952. Je regarderai plus précisément les changements apportés en 1968 pour la DSM-II et en 1980 pour la DSM-III, qui sont les années qui nous intéressent. Ces deux dernières publications sont le reflet aussi du mouvement anti-psychiatrique étudié les années précédentes.
Bref historique et contexte international de la vision du handicap
L'évolution des classifications du handicap
Comme évoqué précédemment, il me semble important de relever certains points importants du contexte international en matière de droit des personnes en situation de handicap. En effet, les différentes classifications ont évolué et si elles ne sont pas directement liées au droit, elles effectuent néanmoins un changement dans les représentations du handicap, changement qui permettra alors une évolution dans la revendication de droits égalitaires pour ces personnes.
Si on s'autorise à remonter un peu le temps, on aura une meilleure appréhension des changements de ces années charnières. Au Moyen-Age, le handicap était attribué à diverses superstitions et générait de nombreuses peurs, de la méfiance et de la honte. Progressivement, on a vu l'émergence d'approches plus rationnelles. L’intérêt pour le handicap a été principalement médical : les médecins ont tenté depuis le 16ème siècle de trouver les causes et cherché les possibles guérisons ou soins.
Au courant du XVIIIème siècle, l'approche devient pédagogique. "Victor", l'enfant retrouvé dans la forêt, sans langage et abandonné, est pris en charge par Jean Itard, lequel mit alors en place différentes situations ludiques et pédagogiques pour faire progresser l'enfant. Une volonté naît de prendre en considération le développement de l'enfant et de le stimuler pour développer son potentiel, tout autant ou plus que la volonté de guérir ou de soigner.<ref>Aide avec le cours de Carolina Villiot, Déficiences intellectuelles lifespan</ref>. Le 19ème a vu la multiplication des traitements et de l'éducation spéciales créant des catégories de plus en plus fines séparant le normal du pathologique, alors que le 20ème siècle a vu l'émergence des experts de l'enfance anormale: psycho-pédagogue, médico-pédagogue, pédo-psychiatre, neuropsychiatre infanto-juvénile.
Dans les années 1960, apparaît la notion d'environnement du handicap et de situations handicapants. Les difficultés des personnes concernées ne sont ainsi plus uniquement dues à la personne elle-même, mais aussi au contexte dans lequel elles évoluent. La CIH (classification internationale du handicap) de Wood en 1980 promeut alors la question de l'amélioration de la qualité de vie des personnes. Progressivement elle tendra vers une terminologie tentant d'éliminer au maximum la négativité du handicap.
Les droits de l'homme s'intéressent alors au handicap. L’intérêt est porté de plus en plus sur la participation sociale des personnes, et non sur leurs difficultés. La notion de relativité du handicap est née. Et suivront ainsi les combats pour faire valoir cette relativité et la prise en compte du contexte dans la notion de handicap.
Ces changements sont fondamentaux, car ils sont le socle sur lequel s’appuieront les acteurs militants pour les droits de ces personnes.
Ailleurs...
Dans ces années-là, on peut noter l'émergence de mouvements satiriques en faveur des droits de la personne en situation de handicap, comme le journal "handicapés méchants", journal satirique rallié aux mouvements politiques de gauche de l'époque en France (Front libertaire). Le mouvement vient d'étudiants paralysés, et soutiendra par exemple la lutte pour l'égalité de salaire dans certaines entreprises employant des personnes avec un handicap.
En Norvège, l'évolution des institutions (ségrégatives puisque mettant les enfants en situation de handicap dans des institutions séparées du cursus ordinaire) vers des écoles inclusives est en expansion. L'article résumant l'oeuvre de Siri Woarmnaes "Vers l'inclusion des enfants en situation de handicap" sera ici très intéressant pour aller plus loin dans les concepts émergents de normalisation et de désinstitutionnalisation.
Et tout proche, dans le canton de Vaud voisin, il faut relever que l'eugénisme, héritage des politiques nazies du milieu du siècle, persiste encore durablement dans ces années là. En effet, Geneviève Heller, Gilles Jeanmonod et Jacques Gasser nous éclaire sur ce sujet dans leur ouvrage "Rejetées, rebelles, mal adaptées : débats sur l'eugénisme, pratiques de la stérilisation non volontaire en Suisse romande au XXe siècle"<ref>Rejetées, rebelles, mal adaptées : débats sur l'eugénisme, pratiques de la stérilisation non volontaire en Suisse romande au XXe siècle / Geneviève Heller, Gilles Jeanmonod, Jacques Gasser ; collab. de Jean-François Dumoulin, Genève : Georg, 2002 </ref>
On y relèvera le fait qu'il existait une loi sur la stérilisation des femmes, à visée eugéniste, qui ne fut abrogée qu'en 1985!
On remarque que les droits de la personne en situation de handicap s'inscrivent dans un mouvement large de revendications de la reconnaissance de celles-ci en tant que personnes. On veut reconnaître l'humanité de ces personnes, et non pas ne voir chez elles que leur handicap. La revendication de droits va de pair avec cette nouvelle philosophie naissante, dont on voit l'expansion dans tous les domaines étudiés ici ( droit des patients, droit des usagers de la psychiatrie, droit des prisonniers, droit des femmes, droit des enfants).
Et plus tard...
Les débats en faveur des droits des personnes en situation de handicap ont été plus vifs dans les années 1990-1995. On peut noter à ce moment là que les débats s'accentuent au niveau de l'égalité des droits pour tous, et particulièrement en ce qui concerne les personnes en situation de handicap. Une initiative populaire prend forme, mais elle n'aboutira pas. L'historique de cette période est repris de manière précise sur le site http://www.freierzugang.ch/fr/index.html, dont je conseille la lecture.
On notera aussi la convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées de 2006, qui n'a toujours pas été ratifiée par la Confédération, bien que le processus soit aujourd'hui bien avancé. Un article très intéressant en fait état et met en perspective quelques points centraux de cette convention, et leur incidence potentielle sur la vie des personnes concernées. Il reprend en outre le fait que la bataille pour ses droits a vu le jour "au crépuscule du XXème siècle" et qu'elle se poursuit à "l'aube du XXIème" de qui confirme de manière poétique ce qu'on a vu précédemment, à savoir l'arrivée tardive de l'officialisation de ces droits. Fichier:Guerdan Revue 2012.02.pdf
Ainsi, le processus d'égalité, surtout en faveur des plus exclus, est un processus long et semé de retour en arrière, de peurs de l'inconnu, d'inquiétudes face à la différence. Il est à ce jour, toujours en avancement, et ne cessera, on l'espère, d'évoluer.
A Genève, dès les années 1960
Insieme Genève, un exemple d'association de parents
Insieme Genève est donc une association de parents fondée en 1958, laquelle s'est fortement imposée pour faire valoir et défendre les droits des personnes (enfants et adultes) en situation de handicap. Droit à l'intégration, droit au travail, droit à une place dans la société. Sur leur site http://www.insieme-ge.ch/documentation/historique.pdf, on trouve un historique très représentatif des différentes étapes de la construction de son combat. Voici la copie des premiers éléments, dont je n'ai conservé que les plus marquants pour notre recherche et que j'ai annoté en italique, afin de faire le lien et de mettre en exergue les concepts vus précédemment :
1958 Création à Genève de l'association de parents d'enfants inadaptés.
1959 Premier séjour de vacances pour 25 enfants mentalement handicapés organisé par l'apmh.
> droit à l'accès aux vacances
1960 Création de la Fondation et du Village d'Aigues-Vertes.
1961 L'association de parents d'enfants inadaptés devient l'association genevoise de parents d'enfants mentalement déficients.
> on retrouve le lien avec les classifications du handicap, et le changement sensible de point de vue, avec un glissement entre inadaptés : c'est la personne qui est inadaptée, et mentalement déficients : c'est un constat, mais il n'y plus ce décalage avec la normalité.
1962 L'atelier Bémont reçoit des personnes handicapées qui seront par la suite intégrées dans les ateliers protégés de la Société genevoise d'intégration professionnelle (SGIPA).
1967 Ouverture par l'apmh de Claire-Fontaine, home pour personnes handicapées de plus de 15 ans auquel vient s'adjoindre en 1978 un petit foyer.
En 2003, se sont rajoutés 5 appartements qui peuvent accueillir 24 personnes. Actuellement géré par la Fondation Ensemble.
1969 Création du jardin d’enfants spécialisé "la petite enfance", actuel jardin d’enfant Ensemble, géré par la Fondation Ensemble.
> on retrouve dans ces trois derniers évènements ce paradoxe entre la volonté d'intégration, et la création de structures ségrégatives. A cette époque, intégrer, c'est avoir le droit de sortir son enfant de chez soi, et de l'emmener passer sa journée à l'extérieur, même si cet extérieur est exclu du monde ordinaire
Création du Service éducatif itinérant (actuellement géré par l'Astural).
Création par la SGIPA du centre d'intégration socio-professionnelle (CISP).
1971 L'association genevoise de parents d'enfants mentalement déficients devient l'association genevoise de parents d'enfants handicapés mentaux.
> nouveau glissement sémiologique
1972 Ouverture de l'école de la Petite Arche, école spéciale pour enfants pluri-handicapés de 4 à 10 ans.
1980 Création de la fondation Cap Loisirs sous l'impulsion du Service des Loisirs et de l'apmh.
1981 Création de la Fondation "La Ferme" en faveur des personnes mentalement handicapées (à l'origine de l'Essarde).
1983 Ouverture d'un atelier de jardinage à la ferme (future Essarde).
1985 Ouverture par l'apmh de l'Essarde lieu de vie, de travail et d'apprentissages.
> Multiplication des lieux où peuvent se rendre les personnes avec handicap mental, pour y développer des activités, des compétences, et s'approcher de la notion de valorisation des rôles sociaux que l'on retrouve dans l'association Trajets.
Création du centre de formation continu (CEFCA) qui dépend de l'association pour la formation continue des adultes handicapés et de leurs proches.
> On retrouve le droit à la formation
L'Association genevoise de parents de handicapés mentaux devient l'association genevoise de parents et d'amis de personnes mentalement handicapées (APMH).
> élargissement du public, plus uniquement des parents
1986 Création par l'apmh de la Fondation Ensemble, chargée de gérer l'ensemble de ses institutions. Création de l'association genevoise d'insertion sociale (AGIS).
> notion d'insertion, que l'on retrouve chez Alain Dupont à travers la fondation Trajets.1988 Ouverture de l'Atelier, centre d'enseignement pratique pour adolescents.
1991 L'office de coordination et d'information pour personnes handicapées (OCIPH) devient le centre d'information et de coordination pour personnes handicapées (CICPH).
> développement des ressources, des informations, à destination des usagers
J'arrête ici cet historique, qui continue bien évidemment jusqu'à nos jours, et qui m'a permis de mettre en lumière ce développement progressif vers des structures de plus en plus inclusives, mais dont on sent qu'elles se heurtent à de nombreuses barrières. A l'heure actuelle, le processus est encore loin d'être achevé, et les associations de parents continuent à se battre pour faire reconnaitre les droits de leur enfant (intégration scolaire par exemple).
Parallèlement, l'association Trajets
Voici comment se raconte Trajets sur son site.
"L'histoire de Trajets: un défi permanent
«L'homme est capable de faire ce qu'il est incapable d'imaginer.» René Char
L'origine de Trajets remonte à l'animation d'un club et l'organisation de vacances avec des personnes déficientes intellectuelles et des personnes valides et une recherche de moyens pour permettre leur intégration à la vie de la cité.
Parallèlement, en 1976, la réflexion d'une équipe du centre psychosocial des Pâquis s'élargit sur les difficultés rencontrées par des personnes souffrant de troubles psychiques.
Pour une partie de sa clientèle, des personnes considérées comme malades chroniques, inactives, très isolées et marginalisées, le type de prestations proposées est inadéquat et incomplet. C'est ainsi qu'il est demandé au responsable de l'expérience réalisée avec les personnes déficientes intellectuelles de mettre sur pied un lieu d'accueil.
Ainsi «Le Quatre» est né, lieu d'accueil et de rencontres non médicalisé, afin d'offrir à cette population les services d'une approche nouvelle.
L'originalité s'appuyait sur un renouveau du regard posé sur ces personnes et sur la collaboration de bénévoles ainsi que des habitants du quartier. En juin 1979, de nombreuses activités d'intégration sont mises en place avec la naissance de l'Association Trajets, qui reprend l'ensemble des prestations, en dehors du lieu d'accueil qui rejoindra l'Association en 1994.
Depuis lors, l'Association Trajets s'efforce de satisfaire les demandes d'aide de personnes qui, en raison d'un handicap ou de difficultés psychologiques ou psychiatriques, souvent conjuguées à une dégradation de leurs conditions de vie, se trouvent mises à l'écart de la vie sociale.
L'Association a développé son action en lien avec le contexte socio-économique et l'évolution des besoins en santé mentale, défendant des valeurs liées à l'intégration sociale des personnes parmi les plus marginalisées."
On retrouve au départ de l'association cette envie d'offrir "des vacances", comme on l'avait vu chez INSIEME. Un "détail", le droit aux loisirs, aux vacances, fut ainsi le point de départ de nombreuses autres revendications.
Alain Dupont, acteur de son temps
Biographie résumée de l'article 2012-2013
Alain Dupont naît à Genève en 1946 de deux parents français réfugiés en Suisse pour fuir la Haute-Savoie. Il est élevé dans des valeurs catholiques d’entraide et de charité, se concrétisant dans son investissement du scoutisme et sa révolte précoce contre l’injustice.
Son enfance est marquée par la mise en danger de sa propre vie. Il est mordu par un chien à la joue, défigurant son visage et mettant en cause son diagnostic vital. Il en sort fort de la conviction que l’on peut combattre la mort et vivre avec un handicap. Il prend rapidement son indépendance vis-à-vis du scoutisme et du catholicisme, refusant toute forme d’exclusion (raciale, sociale, psychique,…), d’injustice ou d’enfermement. Parallèlement à ses études d’éducateur spécialisé à Lausanne, puis en sciences de l’éducation à la FAPSE de Genève, Alain Dupont connaît ses premières expériences professionnelles. Il travaille en tant que premier conseiller social dans un cycle d’orientation , fait des stages lors de sa formation dans des institutions spécialisées. Il constate la violence de ces institutions, l’injustice de certaines décisions et l’inégalité entre les enfants placés et le personnel encadrant.
Ces expériences l’on amené à choisir, après avoir hésité à partir faire de l’humanitaire, de rester à Genève, pour travailler et se battre pour une meilleure prise en charge des personnes en difficulté. En 1970, il devient directeur de Caritas jeunesse et crée trois ans plus tard un secteur pour personnes handicapées. Il est le témoin de plusieurs situations de crise menant à un enfermement psychiatrique et continue de mener des actions en faveur d’une amélioration de l’encadrement de ces personnes.
En 1972, sous l'aile d'Einsering, il monte un service de sociothérapie en déficience mentale. C’est l’apparition de son combat en faveur des droits des personnes en situation de handicap. Il devient militant pour la dignité des personnes, et combat vigoureusement l'enfermement. Il vise à faire changer les comportements face au handicap. Alain Dupont croit en l'éducabilité des personnes, et à leur capacité de faire des apprentissages. Avec Einsering, ils défendent le droit au logement pour les personnes avec une déficience. Mais ils veulent une réelle intégration, pas un lieu de soins et médicalisé. Cette initiative aboutit sur un projet d’appartements, qui se heurtera à une levée de boucliers.
En 1977, pour répondre à des réflexions d’équipes sur les besoins et difficultés des personnes souffrant de troubles psychiques, Alain Dupont inaugure «le Quatre », lieu d’accueil et de rencontres. Un lieu démédicalisé, désinstitutionnalisé, ayant pour but de proposer des activités de loisirs, de travail, d’occupation, d’animations et de repas. Cela aboutit en 1979 sur la naissance de l’association Trajets, toujours avec cette visée intégrative.
On sent derrière le discours et les actes d’Alain Dupont, l’envie de respecter les personnes et de défendre les droits fondamentaux qu’elles réclament : un travail, un appartement, des amis… Une prise en charge respectant la dignité et apportant du soutien pour l’intégration des personnes avec un handicap ou des souffrances psychologiques ou psychiatriques. La fondation Trajets sera créée en 2003, afin d’en pérenniser les activités. Alain Dupont exprime sa vision positive du handicap, l’importance de la valorisation des personnes par leur rôle social,. Il est un acteur de l’évolution de cette vision sociale du handicap. Il croit en l’éducation du public qui passe selon lui, par la rencontre.
Il notera cependant des limites au fonctionnement de trajets. Il parle alors du paradoxe de l’aide. L’aide devient un autre type enfermement : celle de la prise de contrôle sur la vie de la personne. C’est un forme d’assistanat, ce n’est pas une intégration « réelle ». Il veut passer de l’aide à l’accompagnement, et met en place les « projets de vie ». Il s’agit de mettre la personnes au cœur de son projet, c’est elle l’actrice de sa vie, et non les travailleurs sociaux gravitant autour d’elle. En réponse à l’éloignement de la Fondation par rapport à ses valeurs, Alain Dupont quitte trajets en 2002 et fonde l’Association T-Interactions. Il élargit le champ des personnes concernées, cherche l’autofinancement et l’indépendance vis-à-vis des subventions publiques. Il a pour objectifs de donner des réels rôles sociaux, avec un salaire, une reconnaissance sociale, une autonomisation des personnes.
Alain Dupont, défenseur des droits des personnes en situation de handicap
De ce résumé, on peut noter quelques éléments essentiels dans notre recherche. Porté par des valeurs au départ catholiques, concrétisées chez Alain Dupont très jeune dans le scoutisme, valeurs d'entraide, de charité, de partage, de protection des plus faibles et de justice, pour ne citer que celles-là, ces valeurs se sont inscrites ensuite dans le mouvement humaniste plus général.
Se battre alors pour autrui, pour ceux qui ne peuvent pas le faire, c'est être au plus haut dans la défense des droits de la personne, de toutes les personnes.
Si j'appuyais précédemment sur l'évolution des classifications du handicap, c'est qu'elles sont elles-même le reflet de l'acceptation progressive et non évidente, comme on pourrait le supposer aujourd'hui, que le "handicapé" est avant tout une personne. D'où l'évolution parallèle de la terminologie pour ces personnes. De "handicapé" à "personne en situation de handicap", en passant entre temps par "personne souffrant d'un handicap", "personne vivant avec un handicap", etc. qui montre la prise en compte de ces personnes en tant que tel, et non uniquement la prise en compte de leur handicap.<ref>Cours de Madame Wolf, Polyhandicap, librement cité.</ref>
Alain Dupont, dans ses actions en faveur de l'autonomisation des personnes, de leur valorisation en leur donnant un réel rôle social, s'inscrit dans ce mouvement général. C'est défendre le droit de ses personnes à jouir d'un certain contrôle sur leur vie, qu'on pourrait appeler autodétermination, et qui fait toujours partie des objectifs principaux dans la prise en charge de ces personnes aujourd'hui.
C'est défendre le droit à faire partie de la société, à prendre part à ses activités, à être considéré et à participer.
Entretien: l'histoire et l'actuel
On retrouvera l'entretien complet retranscrit dans le chapitre réservé à cet effet. Il me semble important de reprendre ici certains points centraux, et de voir comment Alain Dupont, à travers son discours, a pu répondre (souvent de manière indirecte) aux questions qui nous intéressent ici...
En ce qui concerne le mouvement général des droits de la personne, Alain Dupont confirme qu'il s'inscrivait bien dans un mouvement où toutes ces revendications émergeaient. Il notera néanmoins que dans le champ du handicap, cela a été plus tardif, et qu'il lui semble que ça l'est encore aujourd'hui... Le début de la lutte s'est fait pour lui en collaboration avec Einsering, qui avait monté un centre universitaire de soins et de diagnostic pour les personnes déficientes. Ils ont commencé ensemble la prise en charge individualisée des personnes. C'était peu après ses études d'éducateur, il était encore au début de sa carrière, et très jeune, mais déjà en révolte face à l'enfermement et aux injustices...
Pour lui, un "guide" pour sa conduite, et la suite de la carrière, fut la charte des droits des personnes handicapées de 1975Fichier:Déclaration des droits des handicapés, 1975.pdf. Tout y est, la dignité, le respect, les droits civiques,... Il met toujours en perspective les textes signés, les actes politiques, qui sont à son sens nécessaires, certes, mais insuffisants. La pratique doit prendre le relai et s'assurer de leur mise en œuvre au quotidien, et dans la durée.
Le temps des droits est un temps long, une lutte sur la durée, un combat presque sans fin... Les racines ont été prises dans ces années là, mais la lutte dure encore aujourd'hui.
Quelques grandes étapes sont à relever: la déclaration des droits des personnes handicapées de l'ONU en 1975, l'année du handicap en 1981, année qui a vu donc s'accélérer les articles sur ce domaine, et s'intéresser un peu plus le grand public,...
Alain Dupont est fort de valeurs, de justice, d'égalité, de respect des personnes, qui ont fait son engagement. Il exècre l'enfermement, et prône la liberté. C'est le départ de son combat.
Pour lui, il est du fait des professionnels de se porter garants du respect des droits des personnes en situation de handicap dont ils ont la charge. Même si aujourd'hui, certains progrès ont été faits, il n'y a aucune garantie que la prise en charge ne respecte, partout, ne serait ce que la charte de 1975. Il donne de nombreux exemples d'institutions actuelles, qui ne mettent en place qu'un "service minimum". Les personnels sont peu engagés et plus le handicap est lourd, plus la ségrégation reste vive. Aujourd'hui reste relié à hier: il a bénéficié de ses luttes, mais elles sont loin d'être achevées. Beaucoup reste à faire et ce sont les professionnels, nous, qui en portons la responsabilité. Donner des réels droits, des réels rôles sociaux, une réelle considération, tels sont les défis au quotidien à relever aujourd'hui, pour demain.
Une belle leçon d'humilité et une discussion qui renforce l'engagement actuel pour poursuivre le progrès dans ses valeurs humanistes d'acceptation et de respect de tous.
Conclusion
Cette étude du développement des droits de la personne dans les années 1960-1980 à Genève, par le biais de recherches sur internet, de lectures des articles parallèles dans ce wiki, de documents divers et de l'entretien d'un acteur de ce temps, m'a permis d'appréhender quelques concepts fondamentaux, pour une meilleure compréhension de cette histoire des droits. Le point de départ, de manière assez unanime, serait la déclaration des droits de l'homme de 1789. Autour de cette déclaration, se sont dessinés au fil du temps plusieurs combats spécifiques, qui ont pour certains aboutis à des conventions de droits spécifiques (déclaration des droits de l'enfant, déclaration des droits des handicapés, etc...). La question principale à se poser aujourd'hui serait la nécessité de ces conventions spécifiques. Les droits de l'homme, appliqués à tout être humain, sont suffisants. Finalement, le fait même de créer des conventions spécifiques, c'est traiter la population concernée comme hors du champ des droits de l'homme, donc hors du champ de l'humanité. Ces personnes ne font alors pas partie de l'humanité? Dans le champ du handicap, le terme même de "personne" est un concept en soi, qui est apparu tardivement. Comme me l'aura fait ressentir Monsieur Alain Dupont, qui a su transmettre les valeurs et l'importance de son combat, il est aujourd'hui de la responsabilité des professionnels de veiller à la considération de ces personnes en tant que personnes, et au respect et à la défense de leurs droits.
Webographie
Déclaration sur les droits des personnes handicapées
http://www.integrationhandicap.ch
http://www.freierzugang.ch/fr/index.html
http://www.egalite-handicap.ch/convention-realtive-aux-droits-des-personnes-handicapees.html
Notes et références
<references/>