La représentation de la place du parent au début d'un processus de placement par des professionnels

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par Camille, Julien Cart et Mélanie (Juin 2008)

Propos introductif

Cette recherche concerne les institutions impliquées dans le processus de placement d'un enfant. Nous avons étudié en particulier le regard porté par les professionnels sur leurs propres stratégies d'intervention utilisées ainsi que sur l'efficience de celles-ci. La place des parents dans le processus menant au placement a occupé une place centrale dans notre réflexion. A savoir: 1/ la façon dont les parents (le père et la mère) sont pris en compte par les professionnels dans le processus de décision qui va du "diagnostic" lors du dépistage à l'annonce de la décision de placement. 2/ les représentations des parents par les professionnels des services "placeurs" et des institutions d'accueil.

Les questions de recherche tourneront autour de quelques thèmes:

  • quel est le cadre juridique du placement et en particulier de l'autorité parentale ?
  • quels sont les droits des parents dans un placement, et en ont-ils connaissance (les intervenants les leur communiquent-ils) ?
  • qu'est-ce que le partenariat selon la théorie et selon les réalités du terrain ?
  • y a-t-il partenariat au début du processus de placement d'un enfant ?
  • y a-t-il prise en considération des valeurs de chacun, parents et enfants ?
  • y a-t-il intégration des parents dans le processus (ou exclusion qui peut être vécue comme une violence institutionnelle) ?
  • quelles sont les stratégies éducatives (autodétermination, empowerment, etc.) développées par les différents acteurs sociaux lors d'un processus de placement ?
  • quelles perspectives de réintégration de l'enfant dans sa famille après la décision de placement ? quelles représentations des professionnels à ce sujet ? quel travail éducatif effectué en vue d'un retour dans la famille ?

La recherche utilise la méthode de l'entretien avec quatre personnes: une persone en amont de la décision et trois en aval.

Il s'agit de mettre le doigt sur les éléments favorables et défavorables au partenariat dans le discours des professionnels et en particuliers la place qu'ils accordent ou n'accordent pas aux parents au début du processus qui mène au placement (ou lors du placement) de l'enfant.

Une grille d'entretien a été élaborée autour d'un certains nombres de thèmes et de questions, tels que la relation entre parents et professionnels, sur les valeurs éducatives des différents partenaires, le rapport aux normes de l'institution, le travail de réinvestissement de ses capacités d'éduquer (ou empowerment), etc.

Une étude de la littérature introduit cette recherche autour d'un certain nombre de concepts (partenariat, collaboration, empowerment notamment) et de quelques recherches encore rares sur le sujet. Elle se prolonge par l'exemple de la place données au parent dans trois institutions choisies comme cadre de la recherche.

Il nous semble important de préciser d'entrée que les parents considérés comme partenaires (ou potentiellement partenaires), dans le cadre de ce travail, ne sont ni violents, ni maltraitants avec leur enfant. Ces parents se sont retrouvés, à une période de leur vie, dans l’impossibilité d’assurer leur responsabilité parentale pour de multiples et diverses raisons ayant engendré le placement de leur enfant (y compris le handicap de l'enfant), qui n'ont plus comme l'exprimait un assistant social du Service de la Protection de la jeunesse "les moyens de le faire grandir" . Par ailleurs, les situations de délinquance juvénile n'entrent pas dans le cadre de cette recherche.

Etat de la question (revue de la littérature )

Le placement de l’enfant signifie séparation des parents. Différents auteurs s’accordent pour dire que cet événement est douloureux et traumatisant pour l’enfant et sa famille, même si la séparation s’avère être souvent utile et nécessaire. D’ailleurs, des mères attestent de certains effets positifs du placement. Elles expliquent que la séparation leur a permis de prendre du recul et d’entamer ainsi une prise de conscience. Une mère, par exemple, raconte que la séparation lui a même permis d’améliorer ses relations avec ses enfants (Bonte, 2000). Toutefois,Abels-Eber(2006) utilise le terme de « violence » pour qualifier certaines situations d’enfants séparés de leurs parents. En effet, pour certains parents, le placement de leur enfant est la réponse donnée à la demande d’aide et de soutien qu’ils ont formulée à un moment spécialement difficile de leur vie. Cette décision de placement ne répondant donc pas à l’aide attendue, elle est considérée par le parent comme une violence qui le disqualifie et le stigmatise dans un rôle de parent défaillant. Des parents qui ont participé à la recherche de Bonte (2000) sur « ce que des parents pensent du placement de leurs enfants » témoignent également d’un placement vécu comme une sanction alors qu’ils avaient seulement formulé une demande d’aide. Par ailleurs, Abels-Eber parle aussi de violences administratives, institutionnelles ou venant des travailleurs sociaux, adressées à certains parents. En effet, à la vue de quelques récits de parents, la violence administrative apparaît, par exemple, dans «L’acharnement et les pressions de services sociaux [qui] empêchent parents et enfants de se séparer de ceux qu’ils aiment avec l’assurance de les retrouver. Un soutien et un accompagnement individuel ou familial pourraient leur permettre de comprendre que la séparation, parfois utile et nécessaire, n’est pas une destruction, ni une rupture définitive, et qu’elle n’a pas pour objectif de compromettre la qualité des liens positifs qui existent entre eux, mais plutôt de les reconnaître et de les renforcer ». (Abels-Eber, 2006, p. 27)

Concernant la violence institutionnelle, elle peut être perçue par les parents quand ils ont le sentiment que leurs droits ne sont pas respectés, qu’ils sont dépossédés de leur enfant et qu’on ne les laisse pas exercer leur devoir de parent. Finalement, les parents parlent de violence venant des travailleurs sociaux quand ils se sentent dévalorisés, humiliés ou enfoncés par ces derniers. Toutefois, Abels-Eber souligne que l’action des travailleurs sociaux, bien qu’elle puisse être quelques fois destructrice, a fréquemment un impact positif, car elle aide les parents à retrouver leur dignité et leur statut parental. Les parents qui ont participé à l’étude de Bonte disent, habituellement, entretenir de bonnes relations avec les éducateurs, bien qu’ils leur est arrivé de rencontrer des professionnels qui n’étaient pas à leur écoute ou qui exerçaient un contrôle permanent sur eux. Par ailleurs, il est important d’ajouter que ces parents affirment ne pas parvenir à définir le rôle des différents intervenants. Il leur arrive, par exemple, de confondre l’éducatrice avec l’assistante sociale. Par contre, « ils repèrent clairement la fonction souveraine et puissante, selon eux, du juge des enfants » (Bonte, 2000, p.80). Delens-Ravier (2000) a analysé plusieurs interviews de parents qui ont vécu une situation de placement. Cette analyse rend compte de réactions communes de la part des parents face à la décision de placement. En bref, les parents disent se trouver exclus de l’éducation et de toute prise de décision concernant leur enfant. Ils se sentent incompris, jugés négativement et indignes de considération. Le témoignage d’une mère concernant le placement de sa plus jeune fille, dont quelques éléments du récit sont retranscrits dans l’ouvrage de Abels-Eber, atteste de réactions similaires. Par ailleurs, elle exprime en fin de récit ses attentes vis-à-vis des professionnels. Elle demande à ces derniers de respecter l’humain par l’observation des lois et des droits des parents. Elle leur demande également de les écouter et d’essayer de les comprendre, sans les juger ou leur donner des leçons. Finalement, elle réclame qu’ils travaillent avec la famille et non contre elle, car cela nuit à la protection de l’enfant. Ces requêtes adressées par une mère aux professionnels traduisent son envie de réfléchir à une meilleure manière d’accompagner les parents dont l’enfant est placé, afin que chacun y trouve sa place.

En regard de ce qui a été dit précédemment, la collaboration entre les parents et les professionnels, voire même le partenariat entre ces derniers, semble influencer, soit positivement, soit négativement, le vécu des parents face au placement de leur enfant. Certains résultats obtenus dans une étude sur l’appréciation des parents sur la prise en charge de leur enfant handicapé (2007) vont également dans ce sens. En effet, la satisfaction des parents quant à la prise en charge de leur enfant en hôpital ou en établissement médico-social dépend du nombre d'informations transmises par les professionnels et du niveau de communication avec ces derniers. De plus, lors de la prise en charge de l'enfant et tout au long de son accompagnement, l'implication des parents par les professionnels est une variable importante dans l'explication de la satisfaction des parents. Goffin et Rabau travaillent en tant qu’assistante sociale et psychologue au sein du semi-internat « Equinoxe ». Dans un article intitulé « partenariat à sens multiple », elles expliquent ce qu’implique le fait de considérer la famille comme un partenaire fondamental : « nous insistons auprès des familles sur leurs potentialités à éduquer leur enfant et sur leurs capacités à trouver des issues à leurs crises ; aucune décision n’est prise sans eux » (1993, p. 68).

Le terme de collaboration ou de participation implique que les parents et les professionnels travaillent en association à une œuvre commune. Le partenariat est une forme beaucoup plus exigeante de collaboration. En effet, le partenariat est présenté comme une redéfinition du rapport entre professionnels et parents. Il peut se définir selon Bouchard,Pelchat, Sorel comme un "rapport d’égalité entre les acteurs, par la reconnaissance réciproque de leurs ressources et de leurs expertises, par le partage de décision visant le consensus" (Bouchard,Pelchat,Sorel 1998). Le partenariat vise à établir une relation égalitaire entre parents et intervenants, notamment au moment de la prise d’une décision (orientation scolaire, propositions de prises en charge de l’enfant, par exemple). Cela implique de la part du professionnel un déplacement de son expertise, qui ne consiste plus à prendre la décision de façon unilatérale, mais à mettre à disposition des parents l’information nécessaire pour une décision concertée. Cette nouvelle forme de relation d'aide vise à renforcer l’alliance de travail avec les parents et à faire appel à leurs ressources propres (Chatelanat, Panchaud Mingrone et Martini-Willemin 2001). La notion d’empowerment est étroitement liée au concept de partenariat. En effet, une recherche réalisée par Dunst (cité par Chatelanat et al., 2001) montre que l’établissement de relations partenariales entre les parents et les professionnels induisent chez les mères de son étude un sentiment d’autodétermination, une perception de maîtrise et de contrôle (un sentiment de compétence et de confiance en ses ressources). L'autodétermination est définie comme "l'habileté à se sentir capable d'assumer la responsabilité de décider, de préciser ses objectifs, ses rôles et ses attentes de service. La famille doit donc pouvoir indiquer comment elle entend se développer et participer à l'éducation et au développement de ses membres." (Lambert, 2002, p.192).

Des intérêts, a priori antinomiques, se rencontrent lorsque le placement d’un enfant est décidé. En effet, nous pouvons nous interroger quant à la possibilité de protéger à la fois l’enfant (de ses parents disqualifiés dans leur fonction parentale par un magistrat), de maintenir les parents dans l’exercice de leur autorité parentale (concept d'empowerment) et de légitimer les professionnels dans l’exercice de leurs fonctions. Le contexte juridique, peut nous éclairer sur cette question.

Le cadre juridique

De la puissance paternelle à l'autorité parentale

A Genève, les lois de 1891 et 1892 sur la puissance paternelle et l’enfance abandonnée assuraient le placement des enfants, y compris si nécessaire contre l’avis des parents, au moyen de l’article de loi concernant la déchéance de la puissance paternelle .

Dès 1912 en France et 1913 à Genève, on voit apparaître les premiers tribunaux pour mineurs, avec l’institution d’une nouvelle mesure pénale appelée la « liberté surveillée ». Un tournant s’opère: le jeune dit déviant étant jusque là systématiquement retiré de sa famille, on parlera, pour la première fois, de son maintien dans son milieu d’origine, moyennant une approche éducative familiale. Désormais écrit Durning et al..« le milieu de vie du mineur n’est pas [perçu comme] pernicieux mais simplement que l’autorité paternelle a besoin d’être confortée. […] Cette loi en effet semble donner une chance à la famille, qui est pour la première fois officiellement incluse dans la problématique du mineur » (Durning et al., p. 98). Pourtant la mesure contenue dans la loi reste marginale : le bouleversement juridique ne pouvant pas changer à lui seul une idée bien forgée depuis le début du 19ème siècle, à savoir le bienfait du retrait de l’enfant de sa famille. Il faudra en effet attendre les lendemains de la seconde guerre mondiale pour voir la liberté surveillée et l’assistance éducative gagner du terrain sur le placement institutionnel. Cela signifie qu'apparaît alors un courant porteur d’un regard nouveau sur l’enfance irrégulière, lié notamment aux théories systémiques (principalement les théories de la cybernétique de second ordre) qui intègreront les liens familiaux comme porteurs d’une rééducation possible (Durning, 2001). Plus récemment encore, comme nous le verrons plus loin, c'est l'introduction du concept de partenariat qui finira de reconnaître l’expertise familiale dans toute sa dimension en l’incluant dans le processus d’intervention.

Dans un cadre légal d’obligation scolaire, l’exclusion scolaire est, pour les parents, une menace lourde de conséquence. En effet, à Genève, dès 1872, la loi les oblige à se soumettre à l’obligation. Or, de deux choses l’une, soit ils y répondent par leurs propres moyens (y compris moyens financiers), soit il déroge à la loi et risquent d’être déchu de la puissance paternelle (loi de 1891). Dans les années quarante encore, le directeur du Service d’observation à Genève créé en 1929 (futur Service médico-pédagogique), prend appui sur les lois. Dans les cas où les parents refuseraient de suivre les conseils de placement, ils pourront retirer leur enfant pour autant qu’ils remplissent les conditions de l’article 25 du Code civil, soit : « Les père et mère sont tenus d’élever l’enfant selon leurs facultés et, si l’enfant est infirme ou faible d’esprit, de lui donner une instruction appropriée à son état ». Si les parents faillissent à cet article, ils seront déférés à la Commission de protection des mineurs selon l’article 283 du Code civil stipulant que «Les autorités de tutelle sont tenues, lorsque les parents ne remplissent pas leur devoir, de prendre les mesures nécessaires pour la protection de l’enfant », auquel s’ajoute l’article 30 du règlement de la Commission de protection des mineurs : « La Commission est tenue d’avertir les parents négligents ou ignorants, de leur faciliter les moyens de remettre leurs enfants dans la bonne voie, enfin de signaler ou de déférer à la Chambre des tutelles ceux qui ne tiendraient pas compte de ses avertissements». C’est aussi à la Chambre pénale que les cas peuvent être renvoyés. Les parents peuvent être aussi l’objet d’une fiche confidentielle d’ « enquête scolaire » qui est de fait une enquête au domicile des parents et qui viendra s’ajouter au dossier individuel médico-pédagogique de l’enfant signalé au Service d’observation. Beaucoup d’éléments notifiés dans le rapport peuvent apparaître, cinquante années plus tard, à nos yeux, importants. Or, ils ne sont alors tout simplement pas commentés. Il en va du fait que l’enfant soit né suite à la mort successive de deux frères ou de la gémellité; d’une nostalgie du vélo qui l’aurait amené au vol ou de la noyade du père; ou encore du fait que les parents soient demandeurs de placement de leur enfant tout en étant une famille d’accueil pour un autre enfant, etc. La vie psychoaffective – et la souffrance (liées notamment aux situations familiales difficiles, aux placements successifs, etc.) – semble être négligée au profit de la moralité des enfants et des parents.

En France, la loi de 1970 marquera une profonde rupture idéologique et une évolution important par rapport au système antérieur. En effet, pour la première fois, la volonté de comprendre une problématique familiale faisant intervenir chacun de ses membres et d'apporter à toute la famille l’aide dont elle a besoin, remplace la seule prise en compte du comportement du mineur à travers ses actes de délinquance. Il est intéressant de relever le nouveau vocabulaire utilisé par la loi, qui met fin à une approche péjorative de la famille : la notion de faute est remplacée par le terme beaucoup plus neutre de difficultés. On prône désormais le maintien des mineurs dans la famille aussi longtemps que possible. La puissance parentale est remplacée par l’autorité et elle n’est plus l’apanage du père. Cela montre une évolution notoire car avant la loi du 4 juin 1970, on parlait de puissance paternelle, notion qui était utilisée pour définir le droit des parents et surtout du père. Or, avec l’application de cette loi, puis d’autres postérieures, on note une évolution dans l’intérêt porté aux droits et devoirs des familles dont les enfants sont placés. Sellenet (2003) note que des conséquences importantes découlent du droit à l’autorité parentale dans le cas du placement d’un enfant. En effet, en cas de placement de l’enfant, l’autorité parentale ne peut pas être supprimée ou déléguée, mais seulement contrôlée par la société dans l’intérêt de l’enfant. Par conséquent, « les pères et les mères dont l’enfant a donné lieu à une mesure d’assistance éducative conservent sur lui leur autorité parentale et exercent les attributs qui ne sont pas incompatibles avec l’application de la mesure » (Sellenet, 2003, p. 94). Dans ce sens, les établissements de placement sont tenus de garantir une réelle place des parents dans la vie de leur enfant et cela malgré la distance géographique, la disqualification sociale des parents, les difficultés à interpeller des parents considérés comme défaillants, etc. L’exercice de l’autorité parentale par les parents ne doit donc pas se résumer à un aspect uniquement formel comme, par exemple, l’apposition d’une signature sur les bulletins scolaires. L’application de la loi oblige, en effet, l’instauration d’une collaboration entre les professionnels et les parents dans l’intérêt de l’enfant. Car, l’idée centrale de cette loi est celle exprimée par l’article 371-2 du Code civil : «  l’autorité appartient au père et à la mère pour protéger l’enfant dans sa santé, sa sécurité et sa moralité. Ils ont à son égard droit de garde, de surveillance et d’éducation. » L’autorité parentale n’est pas un droit, c’est une mission éducative. Les parents n’ont pas de droit de propriété, ils ont une mission à remplir, une responsabilité à assumer: une mission d’ordre public - l’autorité parentale est aménagée dans l’intérêt de l’enfant - la responsabilité première de l’éducation revient aux parents.

En ce qui concerne la Suisse, il semblerait selon les informations trouvées que même si l'autorité parentale est reconnue de la même manière qu'en France, la responsabilité des parents lors d’un placement ne soit pas abordée clairement dans les textes de lois. Même dans le rapport du conseil fédéral concernant le placement d’enfant en Suisse, il n’est pas mentionné l’importance d’un partenariat entre famille et institution.

En effet, si dans le code civil suisse (Article 273), le types de relations personnelles que les parents peuvent entretenir avec leur enfant lorsque celui-ci est placé sont spécifiés, les éventuelles responsabilités du lieu d'accueil pour maintenir cette relation n'y sont pas précisée: Le père ou la mère qui ne détient pas l'autorité parentale ou la garde ainsi que l'enfant mineur ont réciproquement le droit d'entretenir les relations personnelles indiquées par les circonstances. ont peut également y lire: le père ou la mère peut exiger que son droit d'entretenir des relations personnelles avec l'enfant soit réglé, ceci en souligant le fait que ces relations seront toujours soumises à un certains contrôle dans le but qu'elles restent favorables au développement de l'enfant. En effet, l'article 274 relève différentes limites, en particulier celles imposées par l'alinéa 2 de cet article: si les relations personnelles compromettent le développement de l'enfant, si les père et mère qui les entretiennent violent leurs obligations, s'ils ne se sont pas souciés sérieusement de l'enfant ou s'il existe d'autres justes motifs, le droit d'entretenir ces relations peut leur être refusé ou retiré.

Conditions et types de placement

L'OPEE (Ordonnance du 19 octobre 1977 réglant le placement d’enfants à des fins d’entretien et en vue d’adoption) distingue le placement chez des parents nourriciers (art. 4-11), le placement à la journée (art. 12) et le placement dans des institutions (art. 13-20). Nous nous intéresserons donc uniquement à ce dernier. Pour qu’un placement en institution soit accepté, le responsable de l’institution doit assurer que l’établissement soit conforme à certains critères :

  • (que) les conditions propres à favoriser le développement physique et mental des enfants semblent assurées ;
  • (que) les qualités personnelles, l'état de santé, les aptitudes éducatives et la formation de la personne dirigeant l'établissement et de ses collaborateurs leur permettent d'assumer leur tâche ;
  • (que) l'effectif du personnel est suffisant par rapport au nombre de pensionnaires ;

les pensionnaires bénéficient d'une alimentation saine et variée et sont sous surveillance médicale ;

  • (que) les installations satisfont aux exigences de l'hygiène et de la protection contre l'incendie ;
  • (que) l'établissement a une base économique sûre ;
  • (que) les pensionnaires sont assurés convenablement contre la maladie et les accidents ainsi qu'en matière de responsabilité civile.

Par conséquent, on remarque que les éléments mentionnés dans l’ordonnance relative au placement permettant de décider de l’autorisation pour l’entrée en foyer ne font pas référence à une collaboration quelconque avec les parents. On pourrait donc en conclure que juridiquement parlant, les institutions n'y sont pas tenue. Toutefois, il est clair que l'éthique comme le droit joue un rôle important car, il est évident que le rôle d’un placement n’est pas d’arracher un enfant à sa famille, excepté lorsque ses parents sont réellement maltraitants. Par conséquent, la possibilité d’une mise en place d’une collaboration, voire d'un partenariat, dépend entre autre des raisons du placement. De manière générale, il y existe deux principales raisons poussant à un placement en internat.

  1. Suite à une intervention de la protection de la jeunesse (SPJ) jugeant que les parents ne peuvent plus s’occuper de leur enfant. (Mesures protectrices)
  2. Sur demande des parents eux-mêmes lorsqu’ils ne peuvent plus assurer l’éducation de leur enfant, que cela soit dû à :
    • une carence de leur part
    • la problématique de leur enfant (trouble du comportement, handicap physique ou mental) entraînant une prise en charge spécialisée

Nous allons maintenant étudier ces différentes situations et les conséquences qu’elles engendrent.

a) Placement pour mesures protectrices

L'ordonnance du 23 décembre 1958, modifié par la loi du 4.06.1970 que l'on retrouve dans les articles 375 à 382 du code civil prévoit que tout mineur en danger peut bénéficier d'une action éducative. L'article 375 du code civil énonce que : « Si la santé, la sécurité, la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice à la requête des père et mère conjointement ou de l'un d'eux ». Par danger, il faut entendre danger moral, matériel ou physique. Le juge des enfants estimera la nature du danger qui sera précisées dans les motifs de la décision qui sera prise. L'article 375.2 stipule que dans la mesure du possible, l'enfant est maintenu dans son milieu naturel. Dans ce cas, le juge désigne un service d'éducation en milieu ouvert en lui donnant mission d'apporter aide et conseil à la famille.

Toutefois, dans le cas où il est préférable de retirer l'enfant de son milieu naturel, le juge des enfants peut décider de le confier soit à un autre membre de sa famille ou à un tiers digne de confiance, soit à un service ou un établissement sanitaire d'éducation ordinaire ou spécialisé, soit au service départemental de l'aide sociale à l'enfance (art. 375.3 du code civil).

Il décide alors de retirer l'autorité parentale, ou alors, uniquement le droit de garde. Le deuxième cas semblant être le plus courant. Nous verrons plus bas la distinction juridique qu'il existe entre ces deux termes.

Cependant, dans les deux cas, lorsque le juge décide qu'un placement en institution est nécessaire, il confie au Service de protection des mineurs (SPMi la charge de lui trouver un lieu du placement. Ce service comprend le secteur des mineurs du Service du tuteur général et le Service de protection de la jeunesse suite à la décision du Conseil d'Etat du 1er décembre 2005. Le but de cet unification est d'offrir une continuité dans le suivis des mineurs et de leurs familles. Par ailleurs, le SPMi est aussi en étroite collaboration avec divers services de l’Office de la jeunesse, en particulier le Service de santé de la jeunesse (SSJ), le Service médico-pédagogique (SMP) et les instances judiciaires et pénales.

Toutefois, lorsqu'un enfant est placé par l'un de ces services, les parents n'ayant plus la garde officielle de leur enfant ou l'autorité parentale, ne possèdent pas de droit de regard concernant le lieu de placement de leur enfant. En effet, dans les articles 310 du code civil et 15 de la loi fédérale régissant la condition pénale des mineur (DPMin) RS 311.1, on peu lire: les parents ou le tuteur ne peuvent exiger que les options éducatives du lieu d'accueil concordent nécessairement avec leur propre conviction. Ainsi, nous remarquons que même si le parent a le droit d'entretenir certaines relation avec son enfant, lorsque le droit de garde ou l'autorité parentale lui sont retiré, le service placeur n'est pas tenu de tenir compte de ses valeurs ou convictions pour placer son enfant.

Il est nécessaire de distinguer autorité parentale et le droit de garde. Comme nous l'avons vu plus haut, l'autorité parentale est le pouvoir légal qu'ont les parents de prendre les décisions nécessaires pour l'enfant mineur, et ceci,jusqu'à sa majorité. L'autorité parentale étant une conséquence juridique du rapport de filiation, elle ne peut être exercée que par les parents. Les parents mariés l'exercent en commun. Si les parents ne sont pas mariés, l'autorité parentale appartient à la mère. Seul l'autorité tutélaire peut retirer l'autorité parentale et ceci uniquement: lorsque, pour cause d'inexpérience, de maladie, d'infirmité, d'absence ou d'autres motifs analogues. ainsi que:lorsque les pères et mères ne se sont pas souciés sérieusement de leur enfant ou qu'ils ont manqué gravement à leurs devoirs envers lui. ( Article 311 du code civil suisse)

Le droit de garde quant à lui est une composante de l'autorité parentale. Il permet, aux parents détenteur de l'autorité parentale de déterminer le lieu de résidence de l'enfant. Il ne peut leur être retiré sans cause légitime. Il s'agit donc d'une mesure de protection des mineurs. Elle peut être prononcée par l'autorité pénale ou l'autorité civile qui détermine alors le lieu de vie de l'enfant. Dans ce cas, l'autorité qui a retiré la garde devient titulaire du droit de garde, les parents gardent toutefois un droit de visite. ce droit permet à l'enfant d'avoir un contact régulier avec le parent qui n'en a plus sa garde. Toutefois, il s'agit également d'une obligation. Par conséquent, si elle est négligée à plusieurs reprises, son droit de visite peut lui être retiré, momentanément gelé ou être exercé en compagnie d'une tierce personne. Mais pour que de telle mesure soit acceptée, il faut que le bien de l'enfant soit concrètement et profondément menacé.

En tout les cas, le retrait de garde implique que les parents ne sont plus seuls en cause pour l'éducation de leur enfant et en général pour sa représentation légale en matière de finances. Les rôles sont donc partagés, ce qui n'est pas toujours évident à gérer. On peut résumé les rôles de chacun de cette manière:

  • les parents détenteurs de l'autorité parentale sont les représentants légaux de l'enfant et restent compétents en ce qui concerne les grandes orientations de leur enfants,par exemple les décisions scolaires ou médicales, à moins que leur autorité parentale ait été restreinte également dans ces domaines. Toutefois, comme nous l'avons vu, ils ont droit aux relation personnelles.
  • l'autorité tutélaire ou l'autorité pénale est détentrice du droit de garde et détermine le lieu de résidence de l'enfant.
  • Le milieu d'accueil est responsable de l'encadrement quotidien de l'enfant et la loi lui donne les moyens pour ce faire.
  • le curateur (assistant social) prépare le placement et en assure le suivi. Il rend des compte à l'autorité de placement. S'il est mandaté, il est le représentant légal de l'enfant pour son entretien.

b) Placement volontaire ou administratif

Il y a divers lieux où les parents peuvent se rendre pour demander de l'aide tels que les CASS ( Centre Action Social et Santé) qui se situent dans chaque commune de la ville de Genève, ou les divers services de l’Office de la jeunesse cité ci-avant. Cependant, comme nous l’avons relevé, la réponse à une demande d’aide est souvent un placement dans une institution, ce qui n’est parfois pas adapté aux demandes des parents ni même aux besoins des enfants. Par conséquent, des solutions intermédiaires sont actuellement mise en place pour éviter un départ définitif tel que les services d’éducation en milieu ouverts (AEMO). Ce service visant à favoriser le maintien des personnes en difficultés dans leur réseau naturel d’appartenance est déjà présent à Lausanne, Yverdon, Nyon et la Tour-de-Pelz et devrait voir le jour prochainement à Genève. Les AEMO pourraient donc constituer une alternative intéressante au placement.

La collaboration entre les professionnels et les parents: une exigence institutionnelle?

Les parents ont toujours été, dans l’histoire de la protection de l’enfance, des acteurs bien présents. D’abord considérés comme les responsables des maux de leur enfant (et auxquels il fallait parfois "arracher" l'enfant), ils ont été progressivement pris en compte comme des « partenaires ». Dès le 20e siècle, le développement de l’hygiène scolaire demande leur collaboration pour qu'ils donnent les médicaments (fortifiant notamment) et acceptent les douches scolaires, pratiques encore largement ignorées dans les familles populaires.

Dans les années trente, avec l’organisation d’une véritable politique sociale de prévention, la collaboration avec la famille est nécessaire pour transmettre l’information et pour intervenir sur des situations problématiques (absentéisme scolaire, maltraitance, délinquance, échec scolaire notamment). Avec le développement de la psychologie, la famille devient un facteur essentiel d’une évolution normale de l’enfant et par là-même irremplaçable. Les familles désunies et incomplètes sont donc d’un même élan désignées comme la cause des troubles de la conduite et du caractère de l’enfant voire de la délinquance.

Dans les années cinquante, le lien des services d'Etat avec les familles prend diverses formes : conférences du corps enseignant, auxquelles sont invités les parents, envoi des résultats des épreuves d’orientations professionnelles, enquêtes d’opinions, réunions de parents et "interrogatoires" dans le cadre de prises en charge médico-pédagogique. Les parents deviennent des incontournables d’autant plus qu’ils se mobilisent eux-même dès les années soixante dans des associations de parents.

Pourtant en Suisse, comme nous l’avons vu précédemment, la collaboration entre les familles et les professionnels n’est pas une exigence législative. Toutefois, au niveau des institutions, une forme de collaboration entre les professionnels de l’institution et les parents peut être mise en place et même formalisée par le biais d’une charte, d’un projet institutionnel, d’une démarche qualité ou encore d’un contrat de prestation. trois institutions nous sont apparus à ce propos exemplaires.

Toutefois, il est évident que les éléments présentés ci-après concernant leurs projets pédagogiques et les dispositions mises en place par ces institutions pour favoriser (ou non) un lien avec les parents, se basent uniquement sur des sources théoriques émanant des foyers eux-même. Par conséquent, ils ne peuvent pas être pris pour "argent comptant". En effet, pour plus d'objectivité il eût été nécessaire d'avoir aussi l'avis des parents. Nous n'en tirerons par conséquent aucune conclusion. Néanmoins, nous mettrons en évidence les différences concernant l'implication des parents dans ces projets institutionnels.

a) Le Foyer "S"

Ce foyer est une coopérative qui existe depuis plus de 20 ans. Il a tout d'abord accueilli des jeunes en grande difficulté. Des soins leur étaient apportés au sein de leur famille en complément de la pédagogie curative d'inspiration anthroposophe.

Aujourd’hui le foyer s’est détaché de cette influence antroposophique et se compose d’une nouvelle équipe éducative formée par des éducateurs spécialisés de la petite enfance. La structure permet d’accueillir 6 enfants entre 5 et 12 ans en situation d’éloignement familial, mais ne nécessitant pas un encadrement ou des infrastructures de prise en charge psychiatrique.

La place des parents dans ce foyer est prépondérante. En effet, les professionnels souhaitent pouvoir les intégrer au projet éducatif, car ils considèrent que les parents restent les premiers éducateurs de leurs enfants. Par conséquent, le travail avec la famille est défini comme étant une priorité dès leur première visite. Il est mis en place de manière concrète par une sollicitation active de la part de l’équipe éducative ainsi qu’une participation importante (rencontre avec les éducateurs, accompagnement lors d’activités définies, de démarches administratives, etc). Par ailleurs, toutes les informations doivent être échangées par le biais de rencontre ponctuelle permettant d’évaluer la situation de l'enfant et de la famille. Les éducateurs organisentsi nécessaires des visites à domicile et offrent la possibilité d'entretien avec un psychologue. Finalement, des moments plus « informels » sont mis à profit, tels que des fêtes lors desquelles les enfants peuvent montrer ce qu’ils ont fait au quotidien. Les parents peuvent également participer à des moments importants pour le foyer tels que la fabrication de jus de pommes, l’extraction du miel, les fêtes de fins d’années etc.

Nous voyons donc que dans ce foyer, le partenariat occupe une place importante dans la dynamique. Le parent semble donc y être pris en compte et intégré.

b) Le foyer "C"

L'organisme "M" dans lequel s'inscrit le foyer "C" a pour mission de répondre à Genève aux besoins d’accueil, de soutien et d’accompagnements éducatifs d’enfants, d’adolescents et jeunes adultes qui, pour des raisons d’ordre éducatif et de protection ne peuvent rester temporairement dans leur milieu familial. Les situations vécues sont complexes du point de vue personnel, social et familial. Il a en outre la volonté d’offrir un soutien à la parentalité en prévention de mesures éducatives et d’accompagnement plus intenses. La collaboration avec tous les partenaires est une condition sine qua non à l’accomplissement de la mission de cet organisme. De même, "M" renforce en interne les collaborations transversales.

Le foyer "C" accueille, pour des séjours à moyen et long terme, huit enfants âgés de 5 à 11 ans, rencontrant des problématiques familiales, sociales et relationnelles. Nous apprenons sur la page internet de "M", concernant le foyer "C", que l’équipe éducative, composée de 7 éducateurs-trices, veille au bon développement personnel, affectif et scolaire des enfants. Un soin particulier est porté à l’encadrement individuel et collectif de l’enfant. Les journées sont organisées sur la base de rythmes et de repères stables et réguliers. Les enfants sont scolarisés dans les écoles publiques du canton. Concernant le travail avec les parents, nous lisons que les parents et les assistants sociaux sont étroitement associés au processus de placement. Les parents suivent l’évolution de leurs enfants par des visites, des entretiens et des contacts ponctuels.

c) Le foyer "F

Il s’agit dune institution d’éducation spécialisée gérée elle aussi par l'organisme "M". Elle se situe dans une grande maison à Conches et dispose de 13 places. Elle accueille des enfants de 4 à 12 ans souffrant de carences affectives et éducatives dues à des situations familiales difficiles.

Le but de cette institution est de permettre aux enfants de vivre quelques temps hors de leur foyer afin que leurs parents puissent se « remettre à niveau » et les re-accueillir ensuite, dans la mesure du possible. Lorsque ce n’est pas possible dans la famille d’origine, la Ferme favorisera une entrée en famille d’accueil, afin d’éviter un placement de trop longue durée. Cette dernière varie selon la situation de l’enfant et est fixée par le service placeur, la plupart du temps le Service médico-pédagogique (SMP). Le placement peut s’étendre de quelques mois à plusieurs années selon les cas.

Cependant, indépendamment de la durée du placement, la priorité est donnée à une perspective de retour en famille. Par conséquent, l’équipe éducative attache une grande importance à la collaboration avec les parents : « l’institution souhaite proposer une prise en charge constructive pour l’ensemble de la Famille afin de restituer aux parents la responsabilité de l’éducation de leurs enfants. (…) pour permettre à l’enfant de se construire une identité saine et solide, il est indispensable que les parents soient partis prenante de son évolution. » ( Dossier pédagogique du foyer "F") Pour favoriser cette collaboration étroite avec les parents, l’équipe éducative base son action sur différents axes.

Tout d’abord celui d’accueillir l’enfant et ses parents de manière optimum afin qu’ils se sentent à l’aise et en confiance. Etant donné que la première impression est très importante dans la prise en charge et dans l’entrée en matière avec les parents, ce moment est primordial pour l’évolution de la relation. Ensuite, des discussions hebdomadaires auront lieu entre les éducateurs et les parents, avec ou sans la présence des enfants, dans le but de nommer de qui se passe pour chacun. Ces entretiens seront ensuite rediscutés au sein du colloque d’équipe qui se déroule également une fois par semaine.

Par ailleurs, l’équipe croyant que l’éducation d’un enfant se fait au travers des petits actes du quotidien, ils invitent les parents à partager des moments privilégiés avec les enfants et les éducateurs. Ils peuvent participer à diverses activités telles que : la préparation et le partage d’un repas, le goûter et les devoirs, la participation à un atelier, le lever suivi d’un rendez-vous médical ou scolaire, le coucher après le bain et la petite histoire, la préparation et la participation à une fête d’anniversaire etc. « Ces moments sont riches et propices à faire émerger les problèmes relationnels récurrents. Ils permettent à l’équipe éducative de les « traiter » sur le champ ou lors d’un prochain entretien avec les parents. Ce travail qui a pour but la reconnaissance des souffrances et difficultés de chacun peut être un premier pas vers une clarification des rôles dans la famille ». (Dossier pédagogique du foyer "F") Par conséquent, ces moments passés avec leur enfant permettent aux parents de se confronter à des modèles d’éducation différents. En outre, l’éducateur référent de l’enfant sollicitera « l’implication et la participation des parents chaque fois qu’elles sont possibles ». (Dossier pédagogique du foyer "F"). Ils seront également contacter au minimum une fois par année pour participer à une réunion de synthèse avec le service placeur afin d’évaluer la possibilité d’un retour en famille.

Finalement, le foyer "F" essaye de rendre la collaboration avec les parents plus claire et précise en se basant sur un traité européen appelé : « Quality 4 children » qui tente d’énumérer des principes permettant un placement de qualité autant pour les enfants que pour le parent. Ce document vise une unification de l’offre des institutions les « obligeants », en quelque sorte, à tenir un certain cadre et des prestations précises en terme de prise en charge mais également en terme de partenariat avec les parents qui est un point crucial dans ce document. Il semble être une alternative à une loi au sens stricte et pourrait être d’avantage perçu comme un document recensant des outils concrets et permettant de poser des objectifs précis ceci dans le but de viser « une norme institutionnelle » vers laquelle les établissements pourraient tendre. Cela semble être dans la continuité des diverses démarches qualités actuellement mise en place par bon nombre d’institutions sociales.

Méthode

Parmi les différents outils d'investigation possible pour notre recherche, nous avons décidé de retenir l’entretien semi-directif. Un tel choix d'outil découle de notre démarche méthodologique utilisée tout au long de cette recherche, à consonance qualitative. Cette approche nous a mené à procéder de manière inductive, en faisant un travail d’exploration où il s’agissait de se familiariser avec une situation, la décrire et l’analyser ; les hypothèses de travail pouvant naître ou s’affiner dans la recherche sur le terrain (Albarello et all. 1999). Le contexte de l'apparition de l'entretien s'inscrit en effet dans cette spécificité des sciences humaines par rapport aux sciences naturelles où il s'agit de déchiffrer le sens de l'être humain, dans une approche visant à comprendre le sens que l'être humain donne à son action. Albarello et collaborateurs (1999) citent divers courants théoriques en sociologie (la sociologie compréhensive de A. Schütz, l'interactionnisme de Goffman) qui privilégient les situations d'entretien les moins en rupture par rapport au quotidien, donnant une importance particulière aux perceptions subjectives que l'acteur a de lui-même, de sa relation à l'autre et à l'environnement. L'apport principal de l'entretien est donc le fait qu'il n'isole pas l’individu, comme le ferait une enquête de type statistique par questionnaire, mais permet de le rencontrer dans son cadre de vie. Par ailleurs, comme nous l'apprennent Albarello et collaborateurs (1999), l’entretien est utile pour cerner deux aspects : les pratiques (par exemple, dans notre cas, les stratégie d'intervention utilisées par les professionnelles avec les parents) et les représentations (par exemple, les systèmes de valeurs et normes véhiculées par les professionnels). Par l'utilisation de l'entretien, nous nous inscrivons donc dans une démarche visant à découvrir et à construire un schéma théorique d’intelligibilité et non dans une optique de vérification ou de test d’une théorie ou schéma préexistant (Albarello et all. 1999).

Nous avons choisi quatre personnes qui sont représentatives des intervenant dans le réseau de prise en charge soit en amont un assistant social du Service de protection des mineurs à Genève, puis en aval: un ancien directeur de Foyers de l'Astural, une directrice actuelle du Foyer de la Ferme de la Fondation officiel de la Jeunesse et une éducatrice au Foyer des Chouettes également de la FOJ.

Le premier intervenant a été interviewé par le groupe et les trois suivants l'ont été individuellement et par une seule personne. Le premier entretien a aussi fonctionné comme un modèle qui a permis des réajustements dans la grille d'entretien. Les mêmes questions ont été posées aux trois autres personnes pour permettre une analyse comparée des regards portés sur la question du partenariat, de la place des parents dans le processus de placement de l'enfant.

Ainsi l'entretien propose quatre volets. Le premier concerne la question de la pratique (description d'une situation précise d'intervention où l'interviewé est en contact pour la première fois avec les parents), le second concerne les représentations des professionnels par rapport aux parents et le respect des valeurs de ces derniers, le troisième concerne la question du partenariat et des actions engagées dans le but de maintenir le lien et de préparer le retour de l'enfant après le placement (notion d'empowerment (autodétermination, appropriation, capacitation, (re) prise de pouvoir, autonomie) et le quatrième s'intéresse aux considérations générales de l'interviewé par rapport au système.


Soit:

1.

  • Quand rencontrez-vous pour la première fois les parents?
  • Comment cela se passe-t-il?
  • Pouvez-vous nous décrire une situation précise d'intervention où vous êtes en contact avec les parents?
  • Est-ce que ça se passe toujours comme ça?

2.

  • Quel terme utilisez-vous pour désigner le parent ?
  • Quel terme utilisez-vous pour désigner le professionnel ?
  • Qu'attendez-vous des parents dans la relation avec vous, votre institution ou les éducateurs?
  • Quel est le pourcentage d'enfants d'origine étrangère?
  • Que faites-vous des différences culturelles des parents?
  • Est-il possible de respecter leurs valeurs?
  • Est-ce que vous avez rencontré des situations de conflits de valeurs?

3.

  • Quel rôle éducatif ont les parents?
  • Quel droit de regard ont les parents dans un processus décisionnel?
  • Est-ce que les parents sont au courant de leurs droits?
  • Existe-t-il dans l'institution un contrat établi entre vous et les parents ?
  • Qu'est-ce qui est fait par vous ou par l'institution pour développer la relation entre l'enfant et ses parents?

4.

  • Quel serait votre idéal de relation entre les parents et l'institution?
  • Y a t'il des changements que vous souhaiteriez voir se réaliser?

Analyse des entretiens

Choix des catégories d'analyse: Les entretiens montrent assez rapidement que la place donnée au parent par le représentant de l'institution dépend de la conception du travail (gestion, social, éducatif), du système de référence privilégié (le systémique, le communautaire, l’empowerment, etc.) et de la méthode de travail utilisée (le réseau, le contrat, etc.). De ces choix dépend la conception des rapports entre les gens, de celle du pouvoir voire du monde ("Weltanschauung"). Conception et méthode ne vont d'ailleurs pas sans un idéal ou un horizon d'attente que la personne possède. Ainsi les réponses aux questions peuvent-elles mettre en lumière ce lien entre conception, méthode et idéal. Une fois ce cadre repéré d'autres éléments peuvent être aussi analysés. Soit:

1.Le rôle (la fonction) du tiers (assistant social, éducateur, service d’Etat) dans la décision de placement

2.La représentation du placement pour le représentant de l’institution et en particulier l'importance du premier entretien

3.L'importance de légiférer sur la question de la place du parent

4.Le rôle (réel ou attendu, souhaité) du parent dans la relation (la question aussi des droits donnés, accordés, informés, des valeurs respectées,etc.)

5.Les métaphores utilisées (par exemple : l’arbre, le tuteur, avancer comme si on était deux pauvres).

6.les termes utilisés concernant le lien à maintenir entre parent et enfant dans l'objectif du retour (empowerment,..)

7.les termes utilisés pour parler de lien entre parents et professionnels donnant forme à un partenariat, lequel peut être diversement désigné et compris comme étant une négociation, une collaboration ou une co-création, ou encore un réinvestissement.

Voici les trois thèmes choisis:

  • La représentation du placement
  • Le rôle du parent
  • L'empowerment

La représentation du placement

En ce qui concerne l’enjeu du placement, il semble très clair pour chacune des personnes interviewées que le placement est un moyen jugé adéquat à un moment donné permettant à l'enfant, mais surtout à sa famille, de prendre un certain recul parce que la situation familiale représente un risque pour lui, ou parce que les parents n’ont plus les moyens de le faire grandir. Même si, souligne l’assistant social, il ne faut pas penser que le placement est une réussite pour le service de la protection. Il paraît essentiel de bien faire comprendre au parent que ce que la société estime comme être de l’incompétence peut n'être que momentanée et que la situation est toujours évolutive. Ce n’est, ajoute-t-il, qu’un « coup de main à donner »

La directrice du Foyer "F" envisage, elle aussi, le placement comme un moment précis dans le temps, et non comme une solution à long terme: "le but d’un placement, c’est quand même que l’enfant puisse retourner un jour chez lui." Néanmoins elle reste réaliste et évoque le fait que ce n'est pas toujours envisageable, pour diverses raisons, entre autre par le fait que tant que le parent représente un risque pour l'enfant, aucun retour n'est possible. Cela peut provoquer des situations de placement de très longues durées: "il y a actuellement au foyer des enfants qui sont là depuis 6 ans… et c’est pas fini, c'est-à-dire que ces enfants iront dans un autre foyer, pour pré-ados, ou adolescents… (...) parce que ce n’est pas possible autrement, parce que la situation ne s’est pas améliorée, rien n’a changé à la maison…". On est rarement dans des solutions définitives confirme l’assistant social. Même si, "dans l'idéal", le placement devrait être le plus court possible, dans les faits, ce n'est pas toujours possible.

Il faut distinguer – ce que rappelle l’ancien directeur de Foyer comme d'ailleurs l’assistant social – qu’il y a différents types de placement. Il faut distinguer fondamentalement les situations de placement contraint de ceux négociés. Les placements publics nécessitent des « négociations entre les parents, le jeune et un assistant social sur le fait qu’il y a un état crise qui est suffisant pour qu’il y ait un éloignement momentané et pour que se retravaillent les relations ». Dans les cas de placements civils « ordonnés par le tribunal tutélaire pour la protection de l’enfant » et les placements pénaux «ordonnés par le tribunal de la jeunesse sur la base d’un délit commis par le mineurs, il peut y avoir retrait de garde (selon l’article 310). Sans compter la clause péril qui peut nécessiter un retrait avec placement quasi immédiat.

Toutefois, l'ancien directeur souligne que la problématique à l’origine d’un processus de placement reste généralement la même, quel que soit le type de placement. En effet, lorsque la cellule fondamentale de développement, que représente la famille pour le jeune, est affectée par des déséquilibres engendrant une souffrance trop importante, c’est à ce moment-là qu’intervient la décision de placement dans l’institution. Mais l'institution ne se substituant pas à la famille, elle ne représente qu’un relais éducatif à mission thérapeutique. L’objectif étant le travail avec les familles et la réinsertion, pour « faire en sorte que le jeune puisse garder ou retrouver sa place dans sa famille et dans son environnement ». Par conséquent, de tels objectifs mènent à un important travail de compréhension de la « culture » familiale et de ses dynamiques, ce travail impliquant nécessairement une collaboration, voire si possible un partenariat avec les familles.

Le rôle du parent

Le premier entretien

La mise en place d'une étroite collaboration, ou mieux en encore, d’une forme de partenariat, avec les parents et l’équipe éducative (au sens large) est, sans doute, un moyen efficace pour rendre le placement le plus efficient et utile possible pour l'enfant et ses parents. Tous confirment l’importance du premier entretien.

Pour l’assistant social, le rôle du service est de mettre de la distance entre le parent et l’enfant dans un processus de « dé-fusion » qui peut être bénéfique. L’objectif doit être pour tous les « partenaires » que l’enfant puisse continuer de grandir. Lorsque la demande vient des parents, c’est parce qu'ils estiment avoir besoin d'aide. Dans ces cas-là, l’idée "d’éduquer ensemble" peut être mieux comprise. Par contre dans des situations imposées, la prise en charge est délicate, il faut bien expliquer au parent qu’il aura un droit de regard même si c’est le juge qui décide. Dans compter que la vérité est toujours de mise. Plus on va donner de vraies raisons, des bonnes raisons de demande du droit de garde: «Plus on donne des chances à l’enfant de s’épanouir en institution. Parce que les parents ont mieux compris ils ne vont pas travailler contre un placement, de saboter un placement ». Dans les situations de clause péril, il peut ne pas y avoir de collaboration possible, et être catastrophique affirme l'assistant social.

La directrice du Foyer confirme ce point de vue en évoquant le premier entretien avec le(s) parent(s) qui est, à son avis, indispensable pour une bonne collaboration: « on essaye toujours de faire avec le parent, mais parfois ils ne viennent pas, ou c’est difficile, mais finalement, c’est un moment important parce que même si les parents ne sont pas d’accord (pour un placement), quand on les prend en considération depuis le début, mais vraiment, c’est finalement ceux-ci qui collaborent le mieux». Pour l’ancien directeur, le travail de collaboration avec les familles commence également dès la première rencontre avec le jeune et sa famille. En effet, hormis le travail d’investigation et de présentation du fonctionnement (règles et pratiques) de l’institution, des « négociations » quant aux modalités du placement sont réalisées dès ce premier entretien. Ainsi « des accords ou des accords sur des désaccords » sont validés. Toutefois, ce dernier souligne que se sont bien les modalités du placement qui sont négociables et non pas le placement en lui-même (quand il s’agit d’un placement relevant d’une décision de justice). Cela confirme donc l'hypothèse avancée par Abels-Eber (2006) évoquant le fait : « qu’un soutien et un accompagnement individuel ou familial pourraient leur permettre de comprendre que la séparation, parfois utile et nécessaire, n’est pas une destruction, ni une rupture définitive, et qu’elle n’a pas pour objectif de compromettre la qualité des liens positifs qui existent entre eux, mais plutôt de les reconnaître et de les renforcer ». Il semblerait que l’équipe du foyer concerné agisse dans ce sens, à condition que les professionnels continuent de considérer les parents comme étant « des parents » et ne se substituent pas à ces derniers. Cela fera l'objet de notre thème d'analyse suivant.

Collaboration ou partenariat?

Selon l’éducatrice interviewée, c'est dès la première rencontre, qu'il faut « régler des choses avec les parents, pour qu’ils reprennent leur rôle de parents ». Elle attend qu’ils « puissent collaborer avec l’éducateur référent ». Elle voudrait développer une « super collaboration avec les parents, et que les enfants comprennent qu’on n'est pas là pour les punir ni juger leurs parents, et que notre but c’est vraiment que les parents se réinvestissent et qu’ils s’approprient leurs enfants, et dans ces cas là les enfants on les laisse partir. »

L'assistant social développe aussi cette même idée: «l’idéal c’est l’aveu du parents qu'il arrive à lâcher prises et se dire "J’aime mon enfant (c’est rare que l’on aime pas) mais je n’ai plus les moyens de le faire grandir donc je vais collaborer avec vous car vous avez une autre part que je n’ai pas"».

Ces interviewés semblent donc sous-entendre qu'un pré-requis à la collaboration satisfaisante serait que les parents reconnaissent leur "incapacités passagères", afin d'entrevoir un objectif commun: celui de cheminer ensemble vers une reconstruction familiale et afin de pouvoir ré-accueillir leur enfant chez eux.

la directrice du foyer quant à elle, prône une collaboration active,mais malheureusement pas toujours réalisable dans les faits. Elle explique que l'équipe éducative "fait au mieux" et tente d'entretenir des relations soutenues avec les parents, ceci afin de pouvoir les impliquer un maximum dans les processus décisionnels. Toutefois, il est évident que compte tenu du temps, cela n'est pas toujours possible. C'est pourquoi, elle évoque le partenariat plutôt comme un idéal vers lequel elle souhaiterait tendre : «pouvoir avoir un maximum de contact avec le parent et les impliquer beaucoup plus encore… tu vois par exemple, j’aimerais que tous les parents signent les carnets de leurs enfants et que ce ne soit pas l’éducatrice qui le fasse, que quand on inscrit l’enfant à l’école ou dans un club d’activités ou n’importe, que le parents soit là, que ça se fasse toujours avec le parent… mais dans la pratique c’est pas possible, parce qu’on a des parents sur qui on ne peut pas du tout compter, des fois ils ne viennent pas au rendez-vous, et puis au bout d’un moment, t’es obligé de prendre des décisions parce que l’enfant ne peut pas non plus… si tu attends toujours trop sur le parent, finalement l’enfant continue d’être maltraité…(...) c’est tout des choses comme ça, où, la collaboration, voilà… on peut faire mieux, souvent, mais c’est vrai que des fois on peut pas… mais ça serait l’idéal…il faudrait qu’en aucun cas on leur laisse croire que leurs responsabilités diminuent parce que leur enfant est placé… mais dans les faits c’est difficile…".

Dans les outils pour développer la collaboration, on note donc que pour les interviewés le parent doit sentir qu’il a une place à tenir au côté de l’équipe éducative, et ceci n’est possible que lorsque ces derniers leurs font sentir qu’il a toujours un rôle de parent à jouer et qu’un certain nombre de responsabilités en découlent.

L’ancien directeur de foyers explique qu'un éducateur pourrait, dans un cas où l’enfant ne veut pas aller se coucher, appeler un parent vers 23 heures et lui demander si cela se produisait à la maison et, si c’était le cas, comment il s’y prenait pour résoudre le problème afin de les aider. L’idée est selon lui "de ne pas se mettre en concurrence avec la famille et qu’ils comprennent que les experts de leur situation c’est eux et pas nous." On retrouve ici une idée forte développée dans le concept du partenariat, où il n'y a plus des professionnels compétents d'un côté, et des parents qui n'ont qu'à suivre les recommandations des experts de l'autre. En effet, selon lui, il s'agit de reconnaître l'expertise familiale, jusqu'à aller demander aux parents les stratégies éducatives utilisées par ces derniers, lorsque les professionnels sont confrontés à une difficulté avec l'enfant au foyer d'accueil.

Cette même position est prise par l’assistant social qui souligne que se référant à un idéal communautaire, le parent peut collaborer sans être déchu, même si il y a décision de retrait de garde, en envisageant d’être co-créateur, co-constructeur de l’avenir de l'enfant. Il faut être convaincu comme professionnel que le parent détient des clés, et qu’il en a besoin parce que seul le lien qu’il a avec l’enfant permet de débloquer les choses. Là encore l'idéal du partenariat se retrouve, avec cette volonté de partir du principe que les compétences parentales existent malgré les difficultés des parents de prendre en charge leur enfant.

La directrice du Foyer, quant à elle, décrit dans sa pratique cet aspect de la reconnaissance des compétences parentales : "on provoque un peu des moments de rencontre avec eux pour qu’ils nous aiguillent et du coup ça permet à chacun de reprendre sa place". Elle souligne l’immense rôle des parents: "Pour moi les parents, ils restent toujours les parents…".

Ce constat semble logique, or, comme nous avons pu le constater dans la recherche menée par Delens-Ravier (2000), de nombreux parents ne se sont pas sentis soutenus lors de cette démarche, et lorsqu'ils se sentent disqualifiés dans leur rôle, le placement est vécu de manière très douloureuse et ne représente aucunement une opportunité de reconstruction pour eux et leur enfant.

Cet écart entre les discours théoriques qu'ont pu nous faire les interviewés, vantant la reconnaissance des compétences parentales et le travail en partenariat avec les parents, et la réalité du terrain observée par la recherche de Delens-Ravier, trouve un écho dans les paroles de l’éducatrice. Pour cette dernière, en effet, il n’y a pas de conflits de valeurs avec les parents puisque ceux-ci, par exemple lors des réunions, « en gros, ils osent rien dire. Les enfants y s’adaptent, ils savent qu’au foyer faut se tenir comme ça, et à la maison ils savent que faut se tenir comme ça. ». Pour les activités extrascolaires, elle constate que les éducateurs sont sollicités « mais souvent l’enfant qui revoit ses parents une fois par semaine il va leur en parler. On va souvent laisser l’enfant amener son projet aux parents et nous si il y a un problème, à la limite on ira le soutenir, dire aux parents à quel point c’est important pour lui ». On voit donc que la plupart du temps, les décisions sont quand même prises par les éducateurs, et que s’il y a des problèmes, alors là seulement une discussion va être entreprise par les éducateurs avec les parents. Cela dans le but non de participer ensemble afin de trouver une solution commune, comme le stipulerait une approche partenariale, mais en ayant comme objectif d’expliquer au parent pourquoi telle chose serait bien pour son enfant.

Par conséquent, selon l'éducatrice interviewée, la collaboration entre les éducateurs du foyer et les parents resterait très peu développée concernant les aspects éducatifs et le respect des valeurs. Selon elle, le parent n’aura pas de place à part entière lors des décisions prises lors des réunions. En effet, elle constate que les parents sont tout de même bien en retrait: « les parents, franchement, je suis en train de réaliser que c’est pas eux qui vont redire ce qu’on a mis en place, c’est pas eux qui vont dire qu’on a décidé que maintenant quand tu rentres de la maison et que t’es là de telle à telle heure, le frigo tu dois pas le toucher (pour des enfants qui font que ça ensuite ça génère des conflits, pour des enfants qui font que manger toute la journée), et ça non ça va être nous. Et les parents ils vont être là « oui, oui »… »

L’enfant doit rentrer dans le moule imposé par le foyer, et les parents ne sont pas consultés. Ceux-ci ont d'ailleurs de la difficulté à intégrés des manières de fiare dans les foyers: « certains enfants il y a 8 ans qu’ils sont là et on leur répète toujours la même chose, peut-être parce qu’il y a trop de décalages avec la maison… ». Elle constate en effet qu’à l’heure actuelle les parents n’arrivent pas à mettre en place, chez eux avec leurs enfants, les décisions qui sont prises dans les réunions. La directrice inbterviewée n'a pas un point de vue aussi "tranché" que l'éducatrice. En effet, dans les deux foyers qu'elles dirigent, les éducateurs tentent de mettre en place une collaboration importante avec les familles, en leur proposant de participer à certains activités par exemple. Ils ont aussi l'occasion d'effectuer leur droit de visite au sein de l'institution, ce qui n'est pas le cas dans tous les établissements à Genève. Elle explique: " on va par exemple proposer qu’une maman vienne passer une soirée et qu’elle couche son enfant, ou qu’elle participe à une activité, ou le papa aussi, ou qu’ils viennent manger avec nous… des choses comme ça... Après ça peut arriver, c’est encore pas très très souvent, mais ça arrive, qu’on propose aussi d’aller chez eux, et de les voir régulièrement pour les tenir au courant et d’avoir cet échange qui favorise en fait le fait qu’on soit toujours d’accord dans ce qu’on fait. Donc ca va être des rencontres très régulières…". Elle explique également que ces moments de partage où le parent participent à une activité avec son enfant et l'équipe éducative est également l'occasion de lui donner certains conseils, le cas échéant, sur d'autres conduites éducatives possibles. Toutefois, elle explique également, que certaines choses ne peuvent pas être tolérées au foyer: "il y a des règles qu’on peut discuter, et il y a des règles qu’on ne peut pas discuter… par exemple on pourra discuter si l’enfant mange quelque chose ou ne mange pas quelque chose, mais par exemple l’heure du couché, on va pas tellement la discuter… après y’a d’autres choses, on n’aime pas trop les Nintendo et tout ça, mais on va peut-être discuter pour que l’enfant puisse l’utiliser à certains moments précis, mais y’a des choses qui se discutent et d’autres qui se discutent pas. " En ce sens, il est évident que même si les parents gardent un certain regard sur l'éduaction de leur enfant et sont censés pouvoir exprimer leur accords ou désacords sur des décisions importantes, dans les faits, il semblerait que l'équipe éducative du foyer le fasse parfois "à leurs place". Toutefois, cela peut être pour diverses raisons: manque de temps, impossibilité de contacter le parent ou alors négligeance de la part de l'éducateur ne souhaitant pas s'en remettre au parent.

En tous les cas, il semble évident qu'un manque de partenariat entraine souvent l'impossibilité de suivre une ligne éducative continue, entre les parents et l'institution. En effet, un manque de collaboration entraine la mise en place de stratégies différentes entre le foyer et la maison. L'éducatrice relève le fait que lorsqu'il n'y a pas de partenariat, chaque partie développe ses propres solutions: "c’est à l’enfant de s’adapter… Le résultat étant que des enfants après 8 années passées dans un foyer d'accueil, sont toujours au même point qu'à leur arrivée, le "décalage" entre la maison et le foyer étant trop grand..." Par conséquent, l'adoption de conduites éduactives très différenciée entre le foyer et la maison de permet pas à l'enfant de s'épanouir et de "s'y retrouver" pour envisager un retour chez lui.

Toutefois, cet état de fait peut se justifier, entre autre par les conditions de travail dans lesquel les équipe éducatives évoluent. Par exemple, l'éducatrice mentionne le manque de temps à disposition, concernant les enfants elle explique que: « on en a dix, on fait pas de l’éducation individuelle. » Sous-entendu, on ne peut pas solliciter les ressources parentales pour chaque enfant.

Elle explique aussi qu’une des difficultés est le manque de confiance des parents : « mais nous on pourrait très bien se dire que les parents vont tout nous raconter, mais on se rend bien compte dans la réalité, par rapport à l’école et aux situations familiales, on sait bien qu’ils nous disent pas tout, la confiance elle est pas absolue, en 4 ans ça m’est jamais arrivé. » Elle souhaiterait que les parents « comprennent qu’ils ont été mandatés et qu’on est en rien les personnes qu’ils doivent se mettre à détester ». Cette thématique relative à la confiance présente ou non dans la relation "parents-éducateurs" est ressortie à plusieurs reprise dans nos entretiens, raison pour laquelle nous nous avons décider de nous y attarder dans le chapitre suivant.

La question de la confiance instaurée entre éducateurs et parents

Nous pouvons donc observer le thème de la méfiance opposé à celui de la confiance instaurée entre les parents et les éducateurs de foyers. Nous le voyons bien au travers de l'analyse de l’assistant social lorsqu'il décrit l’attitude de certains parents furieux d’avoir été « dépossédés ». Il les citent faisant référence à l'équipe éducative: « ces éducateurs sont des voleurs, ils savent toujours mieux faire mais si un jour ils flanquent une gifle à mon gamin, j’irai au procureur général, je vais pas le rater!"

L’éducatrice interviewée, quant-à-elle explique: « on est là pour le bien de leur enfant, et d’essayer qu’eux, le système familial bouge, vu que l’on a enlevé un élément, vu qu’on a enlevé les enfants. » Elle espère que lorsque les éducateurs demandent quelque chose, « les parents arrivent à mettre en place, et […] qu’ils osent appeler pour demander de l’aide. C’est toute la confiance qu’on essaye de créer avec les parents. ».

On dénote ici une certaine contradiction entre, d’une part, la représentation du travail d’éducation avec les parents comme une collaboration : « créer de la confiance avec les parents », que ceux-ci « reprennent leur rôle de parents » et d’autre part, dans son discours, on peut comprendre que ce qui est attendu, c’est que les parents arrivent à mettre en place ce qui a été décidé par les éducateurs, et « qu’ils osent appeler pour demander de l’aide ». Par conséquent, en ce qui concerne d'éducatrice on se rend compte qu'elle souhaite avant tout: « que les parents nous appellent, reconnaissent leurs difficultés, quand ils sont en difficulté. »

Concernant les manières d'améliorer la confiance entre les intervenants et les parents, elle n'exprime pas de pistes claires envisagées. Elle regrette simplement de ne pas avoir "en tant qu’éducateurs de pouvoir de décision, on a le droit de donner notre point de vue, c’est ce qu’on fait une fois par an en grosse réunion de synthèse, où l’assistance sociale vient, et où notre directeur est présent aussi, et en gros la décision est prise si on continue le placement ou si l’enfant rentre. Mon idéal ce serait des réunions de réseau tout le temps." Elle ne fait toutefois pas mention d'avoir plus de temps à consacrer au lien avec les familles, dans une perspective de travail en partenariat et de renforcement de la confiance entre les différentes parties. Quand on l'interroge sur son idéal, elle répond que: "ce serait peut-être l’idée de l’AEMO, mais dans l’autre sens, puisque les enfants ont déjà été enlevé de la famille." Son idéal c’est le travail qu'elle a déjà fait : "travailler dans des maisons mère-enfant, on a la mère sous la main, et on va lui apprendre à s’occuper de ses enfants."

La directrice relève également l'interêt d'une démarche telle que celle proposée par l'AEMO. En effet, selon elle, l'offre des institutions devrait être plus variées et adaptées à toutes sortes de problématiques familiales: "il faudrait avoir des institutions plus diversifiées… et puis l’autre chose, mais ça va venir, c’est ce qu’on appelle l’AEMO, c’est l’accès éducatif en milieu ouvert, c’est qu’on puisse beaucoup plus développé l’intervention à la maison, et puis moi je dis aussi que c’est la prévention qu’on doit développer… parce que nous on intervient, et le service placeur intervient généralement quand c’est déjà la crise… et il faudrait que quand on sent qu’il y a fragilité, et on le sent, on le sent déjà à la maternité souvent, qu’il puisse y avoir déjà un suivi…" L'assistant social relève également le fait qu'en général, lorsque les familles sont convoquées dans leur service, cela indique que le cas est déjà relativement "grave". En ce sens, il est vrai que l'AEMO ou d'autres structures proposant un appuis au sein des familles, pourrait effectivement répondre à un besoin des familles d'aujourd'hui.

Enfin, l'éducatrice souligne le manque de disponibilité des éducateurs pour justement avoir plus de réunions et développer une meilleure collaboration avec les familles:"Plus de réunions, mais pour avoir plus de réunions, il faut plus de disponibilité. De disponibilité des assistants sociaux tu l’as pas, c’est la réalité. Quand tu vois le nombre qui sont en train de démissionner, tu te dis que y a quand même un réel problème au niveau du "S"." Elle explique que "nous on est référant pour un ou deux enfants, une ou deux famille, et puis eux ils ont 80 situations, et ils doivent jongler avec tout ça. Nous on a pas ça."

Quant à la directrice, elle évoque un idéal totalement différent. Selon elle, excepté le fait qu'il serait évidement idéal qu'aucun enfant ne soit placé, elle évoque le placement familial et non uniquement de l'enfant: " dans beaucoup de situation, notamment chez les petits, il y a bien des situations où il faudrait aussi accueillir la mère et le père, dans le foyer… Nous on a actuellement au foyer "F" trois tout petits, et on a pris la mère avec… On l’accueille avec, elle vit là-bas avec eux… l’idée est que l’attachement puisse se faire, et qu’on mette tout en place pour que ça puisse se faire, parce que c’est des tous petits, et que la maman puisse apprendre des choses, et que nous en contre partie on puisse lui permettre d’apprendre des choses et évaluer à un moment donné, si elle a suffisamment d’acquis, en compétences et en capacités parentale pour retourner vivre à la maison avec ses enfants, avec ou sans aide…" Toutefois, elle évoque également que lorsque ce type de pratique est mise en place, il serait important et intéressant de pouvoir "déterminer" concrètement ce qu'on entend par "compétences parentales minimum". En effet, que peut-on "exiger" de la part des parents pour pouvoir reprendre leur enfant sous leur toit? Cette question soulève un grand débat que l'on de peut malheureusement pas ouvrir dans le cas de notre recherche, mais elle pointe un élément important; celui de "la norme" qui reste souvent culturelle et difficile à définir lorsque l'on travaille avec "l'humain". Cela s'avère d'autant plus périlleux lorsque le professionel est confronté à des familles venant de tout d'horizon souvent très différent de celui qu'il connait et auquel il se réfère.

Les droits

En Suisse terre du compromis, les arrangements entre institutions et parents se négocient et le fait qu’aucune obligation législative soit demandée aux parents quant à leur participation dans le cadre du placement de leur enfant, peut ne pas les inciter à le faire, pire ils peuvent mettre aussi les bâtons dans les roues. L’assistant social relève l’humiliation que peut être pour les parents un placement. Ils peuvent ressentir l’éducateur comme un voleur d’enfant qui veut de surcroît toujours avoir raison.

Selon la directrice du Foyer, ce manque, ce vide juridique est regrettable. Et de constater que « lorsqu’un enfant est placé, les enfants doivent faire un travail. Parce qu’un enfant n’est jamais placé pour lui, ou à cause de lui… un enfant est placé parce que la situation familiale a fait qu’il ne peut plus rester à la maison. (…) L’enfant va apprendre des nouvelles choses dans une institution, et j’estime que les parents aussi doivent apprendre de nouvelles choses, et je regrette que ça ne leur soit pas demandé formellement. » De son côté l’assistant social renchérit : « Les Genevois sont très laxistes, on est plus sur la communication que sur des contrats formels.(…) Les institutions sont très libres. Peut-être trop »

Et d’évoquer l’exemple italien, où il semblerait qu’un travail soit exigé de la part des parents lorsque leur enfant est placé. Ce travail se fait par rapport aux compétences parentales et non au passé des parents. En ce sens, il n’est pas vécu comme une thérapie, mais comme un outil, permettant aux parents d’acquérir de nouvelles compétences/capacités parentales. Pour la directrice du foyer il serait souhaitable que les parents soient obligés de faire ce travail de compréhension de leurs responsabilités dans le placement de l’enfant, et leurs responsabilités pour pouvoir le récupérer. Toutefois, elle regrette également qu'aucun contrat ne soit explicitement signé dans les foyer "F" et "P", et souligne également le fait que parfois, les éducateurs et elle-même ne prennent pas assez de temps pour répéter leurs droits aux parents : " en principe lors d’un placement il y a une convention de placement qui est signée. Ca veut dire que tout est défini là-dessus, c'est-à-dire: qui paie le placement, combien, donc l’engagement financier etc… et le parent doit signer pour dire qu’il est en accord avec le placement. Donc ça sous-entend qu’on a dit les choses… Mais on devrait tout à fait le faire par écrit. Par exemple à "P" c’est un tout petit peu plus élaboré, par exemple on va faire signer une feuille qui explique les règles, par exemple pour le droit de visite et les choses comme ça. Mais de façon générale, je trouve que dans ce contrat là les droits et les responsabilités des uns et des autres ne sont pas clairement explicités et écrits. » On peut donc émettre l'hypothèse que, pour les parents, ce manque de clarté relatif aux responsabilités et devoirs de chacun ne favorise pas leur entrée en collaboration avec l'équipe éducative.

Quant on demande à l'éducatrice si les droits qu’ils restent aux parents leur sont explicités, celle-ci ne sait pas si on le leur dit clairement. Elle explique qu’ils sont: "un peu obligés de leur expliquer, parce qu’il y a des papiers qu’on n’a pas le droit de signer, c’est le représentant légal." Ces explications ont lieu à travers un support propre au foyer « C » où des règles sont explicitées. Elles sont données lors de la première rencontre sans les autres intervenants. Elle ajoute que les éducateurs expliquent aux parents: "qu’on leur a confié une mission mais qu’eux ils ont encore une certaine mission et qu’ils sont les représentants légaux. C’est pas écrit clairement, mais y a une partie sur l’école, en effet nous on doit signer les interro de toutes les semaines, par contre les carnets, papiers officiels c’est les parents qui doivent signer."

L’ancien directeur de foyer quant à lui souligne le fait que malgré l’absence de législation, des contrats peuvent être établi entre l’institution et la famille comme une alliance de travail avec la famille. Ce contrat fixe les objectifs du placement, le rôle de chacun y est, entre autres, inscrit. Le modèle systémique sert principalement de cadre de référence à ce type de travail : « Ce modèle renforce la conviction que, pour l’enfant perturbé, la possibilité d’évoluer vers une intégration satisfaisante dépend de l’alliance qui pourra s’établir avec sa famille ». Les changements de fonctionnement chez les jeunes sont ainsi dépendants d’une collaboration famille-jeune-institution. Toutefois, il est le seul à avoir fait cas d'un contrat de ce type. La directrice de foyers "F" et "P" ainsi que l'éducatrice nous on confirmé la non existance d'un contrat au sens propre.

Finalement, on peut tout de même relevé le fait que même s'il n'existe pas encore de lois relatives à un contrat, l’idée selon laquelle il faudrait séparer entièrement l’enfant de son environnement, dans le but de le rééduquer, est obsolète et jugé nuisible. L’assistant social le confirme en disant que l’enfant ne peut grandir dans l’institution par loyauté face à ses parents s’il ne sent pas cette collaboration : « comment de la déception d’un parent faire un fruit » devient le challenge des éducateurs...

L'empowerment

Cette idée de travail avec les familles rejoint le concept « d’empowerment » évoqué à plusieurs reprises dans notre travail. L’ancien directeur explique que le travail de la relation entre le jeune et sa famille se fait au travers d’entretiens avec la cellule. Le but de ces entretiens est la compréhension des règles, des croyances et des modes de résolution des problèmes de la famille concernée : « Nous nous devons dans notre intervention de respecter cette culture et de rendre plus flexibles la communication et les stratégies familiales à partir des handicaps et des ressources qui lui sont propre ». De son côté l’assistant social est très clair : "L’institution n’évolue pas si la famille n’évolue pas avec eux". Il faut donc avancer comme « si on était deux pauvres ». Il s’agit donc bien de sortir d’un rapport de force soit du jeune sur la famille, soit de la famille sur le jeune. « Ça passait par des négociations de parties. Par exemple, dans des situations de crise où la famille refusait de voir l’enfant par rapport à des conneries qu’il avait fait, c’était de négocier des petits bouts pour faire exister la partie que la famille jouait par cette radicalité et puis un petit bout de ce que le jeune nommait ou avait besoin ». L’avancée ou non du travail effectué pouvait être évalué le week-end car il était très souhaitable que les jeunes puissent rentrer dans leur famille en fin de semaine, si ce retour est, bien sûr, jugé non préjudiciable.

Le soutien à la parentalité se fait soit par l’éducateur de référence soit par le directeur. Il nécessite parfois une supervision. Il faut en quelque sorte "éduquer les parents". Comme le relève un des interwievés : « Il s’agit de les aider à faire un calcul stratégique dans les négociations (céder un peu, ils allaient gagner sur d’autres plans). Par exemple, j’expliquais aux parents qu’il fallait arrêter de disqualifier leurs enfants sur le fait qu’ils étaient influençables, car l’expérience nous montrait que c’était la pire des insultes qui pouvait être faite. Mettre l’enfant dans une position basse où il n’est même pas capable d’être responsable de la place qu’il a dans le groupe de copains quand ils font des conneries collectives. Donc, c’est lui dénier une responsabilité ou une existence. Le soutien par rapport à cet objet particulier aux parents, c’était qu’ils arrêtent de dire qu’il était influençable ce con, mais plutôt de le confronter sur les conneries qu’il faisait, dans la responsabilité que du coup qu’il jouait ».

Mme B. soutient également le fait qu’il est primordial d’enseigner un certains nombre de concepts/compétences aux parents auxquelles ils n’ont pas forcément eu accès : « Nous on a des savoirs, ne serais-ce que sur la théorie de l’attachement, le développement des enfants, des choses comme ça… combien de parents n’ont aucune idée de tout ça… ? Donc on devrait pouvoir peut être un bout, mieux transmettre un bout d’enseignement, je sais pas comment, pour que les parents soient aussi intéressés à collaborer. » Pour elle, le fait de développer un certains nombre de compétences chez le(s) parent(s) est primordial et devrait faire partie intégrante du processus de placement. Ceci dans le but de pouvoir redonner la possibilité à ces derniers de retrouver leur enfant et pouvoir l’éduquer correctement, à la maison.

Même attitude du côté de l’éducatrice qui se fait aussi formatrice d’adulte autant que pédagogue. Elle explique aussi que « pour des parents à tendance alcoolique, on essaye qu’ils se fassent suivre, aider, gérer leur alcoolisme, pour que quand ils voient leurs enfants, ils ne tombent pas dedans, car ça provoque de la violence, de la négligence, souvent c’est les raisons des placements. On propose des aides mais on ne peut pas les obliger. On dit ce qui existe, mais on ne peut pas aller plus loin. "

C. explique sa vision du rôle de l'éducateur. Pour elle il s'agit d'« essayer de leur faire réapproprier leur rôle » de parents. Elle donne ensuite des exemples de stratégies pour développer ce réinvestissement. Dès que les éducateurs estiment que les enfants ne courent plus un danger éminent dans la famille, ceux-ci « vont les réinvestir pour qu’ils s’occupent déjà d’un repas à la maison, car au début en général les enfants rentrent pas du tout. Et on va rouvrir un droit de visite, en mettant d’abord un après-midi, comme ça on voit si l’enfant n’a pas manger à n’importe quel heure."". On lit ici une stratégie comportant deux idées sous-jacentes : on va vouloir permettre aux parents de réinvestir l’enfant, tout en gardant quand même un contrôle sur la famille.

Mme B. évoque également cette volonté de pouvoir permettre à l'enfant de retourner au sein de sa famille. Elle dit parler rapidement aux parents: " de ce que nous on peut offrir par exemple à un parent qui fait des démarches pour récupéré son enfant à la maison, donc pour récupérer la garde, c'est-à-dire qu’on fait ce qu’on appelle une PCE, c’est une prise en charge extérieur. Quand on voit qu’on avance tous ensemble, c'est-à-dire que les parents avancent, que l’enfant avance aussi et tout, à un moment donné on prend ce risque aussi de demander qu’un enfant soit placé chez ses parents. Et à ce moment là, c’est l’éducateur qui va aller chez eux, à la maison, pour soutenir les parents dans leur travail." Selon elle cela représente une alternative au placement et permet de redonner, petit à petit, les "clés éducatives" aux parents, et leur permettre de se réaproprié leur rôle. Goffin et Rabau (1993) avaient également insisté sur l'importance de faire sentir au parents: " leurs potentialités à éduquer leur enfant". Hors, une solution comme celle-ci permet au parent de se sentir valorisé et réinvesti dans son rôle éducatif.

Par ailleurs, C. explique que les éducateurs vont « remettre un droit de visite en élargissant à un repas, comme ça les parents au moins ils font quelque chose pour leur enfant, c’est comme ça qu’on va les réinvestir. » Autre stratégie utilisée pour réinvestir les parents : « si l’enfant doit aller chez le médecin, même s’il est au foyer, les éducateurs vont « essayer de faire que les parents prennent ça en charge. »

Un thème important dans ce réinvestissement est celui de l’école, et du lien entre parents et instituteurs. C. le dit dès le départ : « le lien avec l’école on aimerait bien qu’il y soit tout le temps, même si les parents ne voient pas leur enfant régulièrement, mais on estime que c’est hyper important. » Pourtant, dans la pratique ce n'est pas aussi simple. L’investissement des parents pour les devoirs, et le suivi scolaire ne se fait pas facilement: « c’est aussi la réalité, les enfants nous on les a tous les jours, tout le suivi scolaire c’est nous qui le faisons, les parents les weekends, ils font pas un devoir avec leurs enfants. On a essayé des fois, mais ça va être, on enlève les devoirs le week-end parce que c’est une source de conflit, la mère appelle, « je peux plus voir ma fille », on enlève les devoirs, plus de source de conflit, ça va un peu mieux, mais ça va se reporter sur autre chose… Ils voient leurs parents qu’une fois par semaine, ou tous les 15 jours, on va pas mettre des devoirs au milieu, enfin je trouve que c’est pas important, c’est mon point de vue… » Pourtant C. regrette que: "les parents se sentent pas du tout responsable de l’école. Ils nous disent : « non de toute façon la situation nous a été enlevée, on a plus nos enfants, à vous de vous débrouiller du quotidien »". Elle comprend que: "c’est vrai que les éducateurs eux ont le temps de le faire" mais regrette que les parents: "ne comprennent pas qu’en fait on veut les réinvestir là dedans."

Conclusion

Notre recherche nous a permis de nous rendre compte de manière concrète des mesures misent en place par un service placeur ainsi que des éducateurs/directeurs de foyers pour favoriser la prise en compte du parent lors du placement de son enfant. Nous nous sommes rendus compte qu’il s’agit d’une problématique complexe à multiples facettes dont les limites sont parfois floues.

Afin d’en cerner tous les aspects, nous nous sommes d'abord intéressés aux droits relatifs aux parents, afin de pouvoir "vérifier" si ceux-ci étaient effectivement respectés/appliqués par les institutions. Nous avons pu constater qu'aucune lois relative à la prise en compte des parents n'étaient en vigueur en Suisse. Toutefois, lorsque le parent conserve son autorité parentale ou n’est démis que de son droit de garde, il est censé détenir un "droit de regard" sur toutes les décisions importantes relatives à son enfant. Or, il semblerait que dans la pratique, ce pouvoir décisionnel du parent soit corrélé avec le rapport qu'il entretient avec l'équipe éducative travaillant avec son enfant.

En effet, nous avons pu remarquer, autant dans la littérature que lors de nos entretiens, que lorsqu'il existe une collaboration active, ou mieux, un partenariat, entre l'institution et le parent, le partage de l'information ainsi que la prise de décision se trouve favorisée. Cette collaboration serait donc la base permettant de donner une place au parent et l'investir durant le placement de l'enfant. Toutefois, dans les faits, il n'est pas toujours évident de mettre en place une telle démarche, que cela soit de la part des parents ou des éducateurs. En effet, un partenariat demande aux professionnels un investissement beaucoup plus important qu'une collaboration peu poussée, investissement qu'ils ne peuvent, ou ne veulent, pas toujours fournir. De la même manière, le parent n'est pas toujours en mesure d'assumer son rôle alors même que son enfant lui a été "enlevé". Cela peut être dût à un sentiment de honte, mais également à un manque d'envie de s'investir, une fois encore pour de multiples raisons. Le parent ne possédant pas toujours les ressources pour assurer/assumer un partenariat ou une collaboration active, il semblerait qu'un renforcement de ses connaissances préalables soit nécessaire, ou du moins utile pour la prise en charge de l'enfant.

Le concept d'empowerment est apparu à plusieurs reprise dans notre recherche, tant sur le plan théorique que pratique. S'il n'a jamais directement été mentionné par les interviewés, ils ont tout de même fait référence aux principes de ce concept. En effet, chacun a évoqué, à sa manière, l'importance de pouvoir "donner des outils" aux parents dans le but de leur permettre d'éduquer leur enfant sous leur propre toit, ou alors, pouvoir être en mesure de les retrouver après un certain temps de placement.

Toutefois, même si les différents acteurs y font référence, il semblerait que la mise en place concrète d'une telle démarche ne soit pas encore au goût du jour, ou plutôt est en plein développement. En effet, des structures telles que les AEMO présentent déjà dans le canton de Vaud par exemple, semblent aller dans cette direction en permettant aux parents de pouvoir apprendre diverses stratégies éducatives "chez eux" avec leur enfant. Cela permet, entre autre, d'éviter des séparations violentes telles que celles décrites par Abels-Eber (2006), ne donnant souvent lieu qu'à un déchirement et ayant peu d'effets constructifs sur le long terme. Néanmoins, il est évident qu'à nouveau, un partenariat entre professionnels et parents est un élément préalable pour effectuer une démarche comme celle-ci.

Nous voyons donc que ces concepts ne peuvent pas être distingués les uns des autres et sont plutôt complémentaires. Toutefois, un effort reste à être fourni du côté du droit suisse qui n'a aucune exigence concernant une telle démarche. En effet, la collaboration avec les parents est fortement suggérée, mais non exigée, ce qui ne permet pas une évolution des mentalités dans le sens 'un partage des responsabilités.

Finalement, nous tenons à préciser que nos réflexions ont énormément évolué au fil de nos démarches, et pourraient être encore approfondies. Par conséquent, il est évident que notre recherche est avant tout exploratoire et non généralisable. En effet, il serait précoce de notre part d'en tirer des éléments caractéristiques à tous les processus de placement.

Pour terminer, nous tenons à souligner le fait que le support (Dewiki) utilisé pour notre étude nous était totalement inconnu au départ et qu'il nous a donc fallu également nous familiariser avec cet outil pendant nos investigations, ce qui a sans doute parfois quelque peu « freiné » nos démarches de recherche, autant sur le plan théorique qu'empirique. Toutefois, cela nous a donné l’occasion d'une réelle collaboration partenariale « en ligne », et de nous rendre compte concrètement de ce que représente un travail « d’intelligence collective » considére par Pierre Levy (Directeur de la chaire de recherches en intelligence collective à l’université d’Ottawa)comme étant « le projet d’une intelligence variée, partout distribuée, toujours valorisée et mise en synergie en temps réel. » cf : [[1]]). Cette recherche a aussi été une expérience d'écriture commune qui demande à se déprendre de ses propres mots pour se laisser ainsi conduire dans le vocabulaire de l'autre, ainsi en est-il aussi de la pédagogie.

Bibliographie

  • Abels-Eber, C. (2006). Pourquoi on nous a séparé? Récits de vie croisés: des enfants placés, des parents et des professionnels. Paris: Editions érès.
  • Albarello L., Digneffe F, Hiernaux J.-P. et all, Pratiques et méthodes de recherche en sciences sociales, Armand Colin, Paris, 1995.
  • Bass, Denise. Pour suivre les parents des enfants placés Ramonville-Saint-Agne, Érès, 1996.
  • Chrétien, Jacques. Les parents face à la séparation : le point de vue des parents dans les situations où leur enfant est orienté dans un dispositif de suppléance (internat ou famille d’accueil) Sauvegarde de l’enfance 56 (2) : 95-112, 2001.
  • Chatelanat, G.(2003). La notion de partenariat en éducation spéciale. In G. Chatelanat & G. Pelgrims (Eds.), Education et enseignement spécialisés: ruptures et intégrations (pp.171-193). Bruxelles: De Boeck
  • Delens-Ravier, I. (2000). Le placement d'enfant et les familles.Paris: Ed. Jeunesse et droit
  • Goffin, T.& Rabau, C. (1993). Partenariat à sens multiple. In Association francophone des Semi-Internats(pp.67-71). France: Equipage Editions
  • Lambert, Jean-Luc; Lambert Boite, Françoise. "Education familiale et handicap mental" . Fribourg : Editions Universitaires Fribourg Suisse, 1993