Article 2014-15

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Introduction

La prison est un lieu de retrait, de privation et de punition. Depuis le 19ème siècle jusqu'à aujourd'hui, elle fait l'objet de discours réformateurs, mais aussi abolitionnistes. Elle est aussi le lieux de révoltes, débrayages et mutineries. Aujourd'hui, il ne se passe pas une semaine sans que les médias fassent part d'événements ou des problèmes y relatifs (surpopulation, grève, suicide, euthanasie, etc). Or, rarement des solutions sont avancées. Souvent le discours sur la prison est l'occasion d'y voir un "analyseur social" qui rend compte du type de "société punitive" dont le philosophe Michel Foucault s'est fait un des penseurs les plus original et percutant. Récemment l'anthropologue, Didier Fassin avec son ouvrage "L'ombre du monde" [[1]] démontre finement comment l'histoire de la prison suit les changements de la politique (droite/gauche) et souligne le "tournant punitif" des années 50 qui malgré la baisse des statistiques des homicides voit augmenter toujours plus le nombre de prisonniers en incluant de petits délits et en enfermant pour des durées plus longue. A côté des réalités carcérales et du système pénitentiaire et juridique, la prison reste aussi un objet de fantasmes, de représentations imaginaires voire de sacralisation comme en rend compte l'écrivain et poète Jean Genet dans son unique film Chant d'amour [[2]]. Ce film, tout de suite censuré, a été visionné dans les années 70 d'abord par un public restreint qui a découvert l'univers des prisonniers sous haute surveillance privés de contacts physiques, mais aussi l'imaginaire produit par l'enfermement autant du côté des détenus que du gardien/voyeur de la souffrance du manque de tendresse et de sexualité.

Dans les décennies 70-80, et sous l'influence de certains événements (révolte de prisonniers, morts en prison), un discours critique s'énonce, en particulier grâce à Michel Foucault. A l'époque la critique s'exerce non seulement dans des ouvrages, mais aussi dans des actions militantes, notamment par la création, en France, du "groupe d'information" sur les prisons (GIP) et en Suisse romande par le groupe action prison (GAP), ainsi que dans des manifestations de rue. La critique de la prison fait partie d'un ensemble de revendications "post-soixante-huitardes" visant des idéaux sociétaux : une société plus libre, moins hiérarchisée, plus égalitaire, donnant ainsi la parole aux populations opprimées (les prisonniers, les malades psychiatriques, les femmes, les enfants). La prison est prise dans le collimateur de ces revendications portées par des groupes politiques.

Même si la prison a toujours fait parler d'elle, depuis une dizaine d'années, elle est à nouveau sous les feux, non seulement des médias, mais aussi de "nouveaux" militant/e/s qui veulent informer des problèmes qui la traversent. Le collectif Infoprison répertorie les événements qui sont en lien autant avec la politique pénitentiaire que des événements liés au quotidien carcéral. Les thématiques évoquées dans ces bulletins (au nombre de 13 jusqu'à aujourd'hui) foisonnent. La surpopulation (en particulier à Champ-Dollon 780 détenus alors qu'elle avait été prévue pour 360!), les conditions de détention, la prise en charge médicale, les populations-cibles (notamment les Roms), les mineurs en prison, la formation en prison en font partie.

L'article proposé dans le cadre de la communauté de travail pour le cours du semestre d'hiver 2014, veut en particulier amener une réflexion sur deux thèmes qui se prêtent plus que d'autres au questionnement proposé d'un rôle éventuel joué par les sciences de l'éducation dans le champ pénitentiaire, étant entendu que dans son histoire la prison du 19e siècle avait été présentée comme un lieu de rééducation (transformation de l'individu, amendement), et que la question essentielle portait sur l'évitement de la récidive et donc sur la question de la réinsertion. Trois thèmes vont être particulièrement étudiés: la santé, l'incarcération des mineurs et la formation en prison.

Aujourd'hui, la santé est un sujet essentiel autant en ce qui concerne la vie quotidienne carcérale que la maladie proprement dite, autant celle transmise en prison et celle "produite" par la prison (notamment psychiatrique) et ce jusqu'au suicide. C'est aussi les questions de la médication (et son excès), du rôle des médecins (médecin psychiatre notamment en lien ou non avec l'art.64), ou encore de la prévention des tentatives de suicide et des suicides qui toutes concernent la vie en prison. Plus largement, la santé comprend aussi le vivre ensemble en prison (les relations entre détenus, entre gardiens et détenus, ainsi qu'avec les différentes professions qui sont représentées), la sexualité (la question des parloirs intimes, des travailleuses du sexe), l'usage du cannabis. La recherche d'alternatives est plus que jamais aujourd'hui nécessaire (voir l'article de Manzanera et Senon (2004).

L'incarcération des jeunes est aussi un point délicat de la question pénitentiaire. A Genève la Clairière fait périodiquement parler d'elle (le rapport de Grand conseil genevois de janvier 1999 [[3]], l'affaire Dominique Roulin, etc.).Sur l'incarcération des jeunes en "prison" beaucoup de questions traversent le temps notamment celle concernant les terminologies : de quoi parle-t-on exactement? (est-ce de centre fermé, de centre d'éducation, de foyer, de prison), celle relative aux articles du Code pénal ( lien entre éducation et répression). Il reste toujours à trouver le meilleur moyen d'en sortir! Est-ce la formation en prison, le rôle des acteurs/trices qui y interviennent et ce qu'ils font, les traitements?

La question qui peut être posée aux sciences de l'éducation, c'est d'introduire dans les champs qui lui sont propres, soit l'éducation, la santé et la formation, des modes de faire qui soient pour les détenus "formateurs", non seulement en terme professionnel (dans la tradition de l'éducation au travail), mais aussi plus généralement de la vie. Formation à la culture, à la relation, à l'engagement social. Aux modèles alternatifs existants comme le bracelet, les peines conditionnelles, les peines pécuniaires, la thérapie par les animaux, par le jardinage, pourraient s'adjoindre une "éducation à la réinsertion" laquelle mettrait l'accent sur les conditions, l'environnement favorable au changement de vie.

Après avoir décrit la manière dont la prison a été "problématisée" dans les années 1970, puis dans les années 2010, nous tenterons d'initier une réflexion sur l'apport des sciences de l'éducation à cette "pédagogie de la réinsertion". Quelles sont les propositions de la communauté de travail une fois l'analyse faite des critiques des années 1970 et 2010 qui pourraient d'un point de vue des sciences de l'éducation ? En quoi et dans quelles mesures les Sciences de l'Education peuvent-elles contribuer à l'évolution du système pénitentiaire ?

Les sources d'archives et bibliographique

Les ouvrages

L'histoire des années 1970-1990 est aujourd'hui abordée à la fois par l'archive écrite et par les témoignages oraux ou écrits.

Pour notre objet d'études nous avons eu recours dans un premier temps à des sources de secondes mains (voir [[4]]). Or dans ces ouvrages comme par exemple le Guide touristique des plus belles prisons romandes, paru en 1977, des documents et des témoignages retranscrits intégrés dans l'ouvrage peuvent être considérés comme des sources de premières mains.

Les sources de premières mains qui ont été à la base de notre travail sont essentiellement les treize bulletins d'Infoprison [[5]], dont la version informatique donnent de nombreux liens qui peuvent être autant de sources premières pour construire l'écriture de cette histoire et notre réflexion (lien par exemple avec le rapport Rouiller en ligne ou la thèse de Claudio Bezozzi sur la littérature traitant de la prison). Puis la collection (incomplète) du bulletin du Groupe action prison, "Le Passe-muraille, le rapport Rouiller, les quotidiens, les revues, les statistiques officielles fédérales (exemple: statistiques fédérales sur la délinquance). Ces archives ou revues ont été complétées par de l'iconographie, ainsi que des films.


Les Journaux:

Le Passe-Muraille, journal des prisonniers est un journal édité par le groupe Action Prison afin de faire le lien entre l’intérieur de la prison, autrement dit le milieu carcéral, et l’extérieur, la société, et plus particulièrement les familles concernées par les détenus. Ce journal permet de révéler et dénoncer les conditions carcérales déplorables ou simplement insuffisantes rencontrées dans la prison. Il aborde également divers sujets au fur et à mesure des numéros comme la santé, la famille, les droits des incarcérés, etc. Outre cet exercice de compte rendu de la réalité, le Passe-Muraille questionne ce qui est mis en place par la justice et par les lois. Pour cela, il publie également les résultats d’enquêtes qui permettent de faire ressortir certains constats sur les effets de l’incarcération sur les détenus. De plus, il appelle à la revendication d’une manière plus générale et à ce que les personnes qui le désirent puissent s’exprimer à ce sujet : autant les détenus (par des extraits de lettres) que les personnes de l’extérieur, comme la famille, comme cet extrait du No9: « Nous demandons à être entendus et à entendre. » (No9, p.20). Il offre des recommandations par les personnes impliquées dans l’écriture du Passe-Muraille, ainsi que des questionnements. Il prend clairement place dans les débats et est loin de rester neutre. Il lance des questions ouvertes ou des incohérences aux lecteurs. Par exemple, à la page 23 du N°9, on déplore les horaires de congé accordés aux détenus afin de préparer leur sortie : « Monsieur le directeur, si vous voulez vraiment que les détenus rentrent à l’heure de leur congé, changez l’horaire ! ». Il lance aussi régulièrement des pétitions, notamment « pour un véritable changement dans la détention préventive » (N°9, p.24) En somme, il prend soin de faire ressortir les incohérences et les injustices liées à la prison et à son fonctionnement. Ce travail est réalisé en s’appuyant sur des preuves concrètes comme les témoignages des incarcérés et de leur familles, ou encore les divers papiers formels des professionnels. C’est un journal qui s’adresse vraiment à tout le monde ! Il est très compréhensible et relativement court (une vingtaine de pages par numéro) et est illustré avec de nombreux dessins très parlant. Le langage y est familier (ex : « un gars interné », N°14, p.3).

Le Passe Muraille "Pourquoi dénoncer Champ-Dollon", de juin 1977, évoque le thème de la médicalisation et décrit comment se passe une journée de soin dans une équipe médicale dans les années 70.

Tout va bien, le journal mensuel de contre-information et de lutte crée en 1972 par des journalistes comme Joëlle Kunz, Ariel Herbez et des militants de la gauche autonome [[6]].

Les films

Certes, l'univers cinématographique concernant la prison demanderait une étude en lui-même. Quelques films ont marqué les années 70 comme Chant d'amour de Jean Genet tourné en 1950 et censuré jusqu'en 1975, qui rend compte de façon lyrique de l'univers carcéral (isolement, restriction, fantasme, pouvoir, violence), mais aussi du lien de son auteur avec le "crime": sainteté du condamné, sacré de la prison. Le film de Haynes, quelques quarante ans après, souligne comment le travail et les productions de Genet marquent encore aujourd'hui: une œuvre encore actuelle semble-t-il nous dire.

Dans les année 70 un film a particulièrement frappé les consciences parce qu'il révèle la violence institutionnelle dans l'univers fermé de l'hôpital psychiatrique – institution totalitaire comme l'a appelé Erwin Goffmann [[7]] – dans lequel peuvent être enfermés des détenus. Vol au-dessus d’un nid de coucou est un témoignage cinématographique de 1975 réalisé par Milos Forman. Il a été primé 5 fois aux principaux oscars du cinéma dont l’Oscar du meilleur film. Cette œuvre de 129 minutes a été tournée dans un véritable hôpital psychiatrique de Salem en Oregon. De plus, certains des personnages secondaires du film étaient d’authentiques patients de l’hôpital. Cette fiction-réalité dépeint de manière triste le milieu psychiatrique avec à son bord un détenu qui doit purger sa peine (Randle P. McMurphy alias Jack Nicholson). Chaque résident est emprisonné pour des raisons différentes, mais le seul point qui les réunit est la même difficulté à vivre la « normalité » requise par la société. Ce récit binaire alliant des séquences très contrastées installe cependant un manichéisme clairement revendiqué. Par ailleurs, un fil conducteur qui sous-tend le récit et qui est l’une des forces du film est le passage éminemment empathique du « Je » au « Nous », tel que le vit Randle P. McMurphy. S’il apparaît, en effet, dès son arrivée à l’hôpital comme un personnage malin et à forte personnalité, c’est surtout en individualiste qu’il cherche égoïstement à se tirer d’affaire. Mais le déroulement du récit insiste sur sa métamorphose qui le fait ensuite devenir le porte-parole et le défenseur des autres malades et, notamment, des plus faibles. Ainsi le mouvement même du film conduit de l’individu à autrui, de l’égoïsme à la générosité.

La prison tue est un film de 1978 réalisé par le journaliste José Roy pour l’émission Tell Quel. Tell Quel était à l’époque de la TSR (télévision suisse romande) un programme hebdomadaire. En effet, des mini-reportages étaient diffusés à propos de faits d’actualité tant sur le plan politique et social que culturel qui secouait la Suisse. Dans ce film, le journaliste José Roy a pris comme fil conducteur la publication du rapport fédéral. Dans celui-ci, il s’est intéressé à la thématique de la prison et plus particulièrement aux taux de suicides enregistrés dans les prisons suisses ainsi que de l’usage réguliers des médicaments dans le milieu carcéral. Dans son film, il corrèle les résultats suisses à d’autres prisons européennes afin de donner des éléments de comparaison. Il recueille également des témoignages de personnes ayant vécues dans les prisons suisses et il s’entretient aussi avec les proches des prisonniers s’étant donné la mort. Ces deux éléments l’un chiffré et l’autre invoquant la mémoire vivante de témoins, viennent compléter une partie des composantes du rapport fédéral. A la suite de ce film, deux représentants sont invités, afin d’amorcer un débat autour du film. Il s’agit de Monsieur Michel Glardon éditeur et créateur du mouvement GAP (Groupe Action Prison) et Monsieur Guy Fontanet conseiller d’Etat en charge du département de Justice et Police du canton de Genève à l’époque du film.

Les témoignages:

Puis nous avons eu témoignage oral, celui de Muriel Testuz entendu le 22 octobre dans le cadre du cours, mais qui avait été rédigé au préalable et transmis [[8]]. S'est ajouté celui de Marijo Glardon et une présentation du film de Jean Genet "Chant d'amour" par Pierre Biner qui, sans avoir été un militant du GIP a été lié à la culture contestataire des années 70 [[9]]. Enfin, nous avons obtenu un Entretien avec un éducateur de la Clairière : réponses aux questions., témoignant des conditions de vies dans l'institution.

Concernant la méthodologie, nous avons décidé d’aborder ces thématiques de manière comparative dans le temps. En effet, nous allons recueillir diverses sources ( articles scientifiques, livres, entretiens, articles de journaux, films) dans les années 70-80 et plus récentes afin de pouvoir saisir l’évolution de ces thématiques. C’est ce que nous allons essayer d’approfondir en investissant diverses sources et en débutant chronologiquement dans le temps.

Il nous a semblé intéressant de nous pencher sur une source primaire datant des années 70, Le Passe-Muraille, journal des prisonniers. Suite à l'intervention de Madame Testut, nous avons pu avoir à dispositions certains des numéros du Passe-Muraille. Il a donc semblé intéressant de recueillir les quelques numéros qui se focalisaient sur la thématique de la santé, afin d'en faire ressortir les points saillants. Plusieurs numéros traitent de la question des mineurs en prison, ou in extenso en maisons d'éducation. En effet, les sujets abordés dans ces journaux sont multiples: conditions carcérales, rôles des différents acteurs de la prison, et psychiatrie, Le suicide ce qui touche à différentes facettes de la problématique choisie. Voici quelques pistes et éléments que nous pouvons extraire dans ces numéros qui font sens pour notre questionnement.

Les groupes information prison en France et le groupe action prison en Suisse romande

Les événements marquants en France et en Suisse romande 1971-1990

Dès le début des années 70, des critiques s'élèvent contre le système pénitentiaire. Ce sont en particulier les conditions de vie intolérables dans les prisons qui sont relevées par des journalistes et des ex-détenus. Plusieurs livres sur ces conditions commencent à être publiés. On commence à s'intéresser à ce que vivent les prisonniers. D'un côté la contestation gronde (lancement d'une campagne contre l'abolition du casier judiciaire) et de l'autre se renforce une politique sécuritaire qui mettra le feu aux poudres : refus d'obéir, grève de la fin, mutinerie, prise d'otages, morts. C'est dans cette ambiance que s'est créé en 1971 le Groupe Information sur les prisons (GIP) autour de Michel Foucault et Jean Genet notamment. Son objectif "est d'informer, de faire sortir les prisons du silence, de donner la parole à ceux qui ne peuvent pas la prendre, de témoigner devant le monde de ceux qu'eux-mêmes appellent l'intolérable" (Histoire des prisons en France, 1789 - 2000, Editions Privat). Cette tension ira en augmentant au cours de ces années avec des revendications portant sur l’amélioration de la nourriture, celle des conditions sanitaires, de l'entassement des prisonniers, l'ennui de la vie quotidienne. Le prisonniers crient à l'injustice et au non respect de la dignité de l’homme. Dès 1972, le GIP se lance dans un soutien et un appel à la lutte en faveur des droits des prisonniers en se tournant du côté des anciens détenus et des familles de détenus. La prison est accusée de rompre les liens avec la société Le but est donc de donner la parole aux détenus par le biais de questionnaires et de récits.

Cette même année, 1972, en Suisse romande, un prisonnier, Louis Gaillard mène une longue grève de la faim pour dénoncer le manque de prise en charge pour la réintégration des détenus. Plusieurs mouvements de solidarité se forment alors dans les prisons suisses. Plusieurs journaux commencent également à publier des articles sur la détention et la prison. A Genève, le journal mensuel de contre-information et de lutte "Tout va bien" publie des lettres de détenus, des articles de groupes de soutien et des articles sur les prisons Suisses.

Un "groupe information sur les prisons" de Genève se crée et publie un périodique "Prison".

Mais c'est surtout en 1974 que voit le jour le Groupe Action Prison (GAP) suite à la mort d'un jeune détenu de 18 ans, Patrick Moll, qui le 30 juillet tente de s'échapper du pénitencier de la Plaine de l’Orbe et est abattu de balles dans le dos. Le GAP mène plusieurs manifestations, des groupes de soutiens aux familles de détenus, des permanences dans des cafés s'organisent. Les différentes revendications du GAP sont les suivantes: - Supprimer l'isolement - Obtenir conditions humaines de détention - Respecter la dignité - Obtenir un statut de travailleurs - Travailler à avoir une situation sociale.

Outre son rôle d'information et de soutien des luttes, le GAP lance, en 1976, la première pétition nationale des prisonniers et en juillet de la même année le périodique "le Passe-Muraille Journal des prisonniers". En janvier 1977 un livre symbolique et plein d'informations est publié pas le GAP: "La Suisse à l'ombre, Guide touristique des plus belles prisons romandes" élaboré par Roger Gaillard et publié aux éditions d'En Bas, dont l'éditeur Michel Glardon est l'un des fondateur du GAP et activiste. En septembre 1977, le GAP dépose devant les Grands Conseils romands et du Tessin, la pétition de 7239 signatures de détenus: "Briser l’isolement" pour un véritable changement dans la détention préventive".

A Genève s'ouvre en 1977, la nouvelle prison de Champ Dollon, située hors agglomération et qui remplace celle de Sainte Antoine en vieille ville. Les détenus expriment alors leur crainte d'être transféré dans cette prison isolée et isolante. Un "comité contre Champ-Dollon" voit le jour est créée en collaboration avec le centre femme et le GAP. Les détenus supportent très mal ce nouveau lieu d'incarcération. On enregistre, dans cette "prison-bunker", plusieurs suicides la première année. En juin 1979 la tension monte et une soixantaine de détenus se mutinent et montent sur le toit; en juillet un détenu maintenu à l'isolement en régime strict se suicide. Le GAP publie un dossier sur les quartiers de haute sécurité et un petit guide sur les droits de la personne arrêtée.

En 1978, la parrution du livre "L'antichambre de la taule" écrit par le "Groupe information Vennes", fait du bruit et entraîne la transformation de la maison d'éducation de Vennes.

La publication des Passes-Murailles cesse à la fin 1979, après 17 numéros (quelques dossiers paraîtront encore) et le journal "Tout va bien" prendra le "relais".

Fin novembre 1979, Walter Strüm est placé en cellule d'isolement à la prison du Bois-Mermet. Il est soumis durant 36 jours au secret. Le comité d'isolement de Zurich et le GAP commencent alors une bataille. Cette "Affaire Stürm" durera jusqu'en 1983.

La lutte se poursuit dans la canton de Vaud où six morts en prison sont enregistrées en six mois en 1981. Une manifestation est donc organisée par le GAP pour dénoncer les conditions de détentions et la responsabilité des autorités dans ces décès. L'Etat réagit sans vraiment s'expliquer, mais reconnait que la prévention du suicide en prison est très faible. Des fonds sont alors libérés pour renforcer la sécurité. Le GAP n'abandonne pas son enquête pour connaître les circonstances des 6 décès. Le journal "Tout-Va-Bien et l'Association vaudoise des médecins progressistes publient, avec le soutien du GAP, un document sur ces six décès et les conditions du drame.

Après des années de luttes, le GAP décide d'arrêter en 1986. Il estime avoir fait son travail et ne se sent plus aussi vaillant qu'il y a 10 ans. Une association de prisonniers de Suisse se crée (ADPS) constituée de détenus de l'intérieur, un passage de témoin réussi puisqu'il donne la parole aux détenus: objectif voulu par le GAP et une partie des anciens membres du GAP rejoignent, en 1990 la Ligue des droits de l'homme.

La question de la santé en prison: 1970-2014

Depuis quelques années, le thème de la santé en prison est un sujet largement débattu. Parmi les nombreuses questions évoquées dans les Bulletins Infoprison, nous avons retenu celle du rôle du médecin en prison et celle des médicaments. Ces deux thématiques nous ont semblé être particulièrement intéressantes à investiguer, car elles permettent de mettre en lumière des problématiques et particularités concernant la santé dans le milieu carcéral. La prison n'a certes pas la fonction de prendre en charge la santé des prisonniers; sa mission première est de détenir. La santé en prison n'a fait l'objet d'attention particulière que tardivement avec la réforme de la procédure pénale en 1945. Le taux de mortalité élevé, relié à la faible espérance de vie de la population ont alerté les pouvoirs publics. Mais même avec des efforts, la qualité des soins était inférieure à la population à l’extérieur. C'est donc la réforme de 1945 qui a introduit la médecine pénitentiaire. De surcroît l'idée que la prison ne doive pas porter atteinte aux droits de la personne, sauf celui de la liberté, est une idée nouvelle. Nous observons donc une émergence progressive de la fonction des soins au cours de la seconde moitié du 20ème siècle.

L’augmentation des pathologies en prison devient LE grand problème des années 90. Les pouvoirs publics ont pris en considération l’insuffisance des moyens existants pour assurer cette mission de soins. En 1994, en France, Simone Veil, alors ministre des affaires sociales de la santé, parle d’un "état d’urgence". La loi de janvier 1994 transfert la prise en charge médicale des détenus aux établissements publics.

Une enquête par les ministères de l’emploi et de la solidarité et de la justice a montré que 1/3 des détenus présentent différents facteurs de risque (alcool, tabacs, drogue…) et que 1/10 ont besoin de prise en charge psychiatrique. De plus, la surpopulation est une cause de l’aggravation de l’état de santé des détenus. En effet, la haute concentration de personnes dans une cellule ne respecte pas les règles d’hygiène et favorise donc la propagation de pathologies.

Depuis les années 70, le rôle du médecin de prison a passablement changé notamment à cause des règlementations et des spécialisations qui ont complexifié sa tâche qui reste paradoxale puisque tout en étant dans un lieu d'enfermement, le médecin doit se comporter avec les détenus comme avec des patients en liberté! Afin de respecter le droit et l’égalité de tous, les médecins pénitentiaires aspirent à délivrer les mêmes soins à tous. Ils sont encadrés par des associations telles que, en Suisse, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) qui édite des directives pour encadrer leur profession, comme, par exemple, les directives médico-éthiques pour « l’exercice de la médecine auprès de personnes détenues. » (2002, mise à jour 2012, ASSM). Or, cette médecine "particulière" est inséparable de la justice qui se trouve systématiquement en arrière-fond, ainsi que du problème de la sécurité. Le médecin sent une pression sur les épaules devant assurer son rôle auprès des deux pôles qui « s’opposent » : l’incarcéré et la justice.

En 2014, dans le domaine de la santé, la Revue Médicale suisse présente une remise en question du secret médical. En effet, certains pensent qu'il serait souhaitable que les médecins donnent des informations sur les détenus ( dangerosité...) aux autorités, afin que ces dernières puissent veiller à la sécurité collective de la société. Ce questionnement engendre une redéfinition du rôle du médecin et de sa relation avec le détenu. Néanmoins, la décision n'a pas encore été prise mais reste un sujet de préoccupation.

En 2006, L'article sur la médecine générale en milieu de détention décrit le Service de médecine et psychiatrie pénitentiaires du canton de Vaud (SMPP). Ce dernier réunit les services médicaux de cinq prisons différentes sur le plan clinique et pénitentiaire. Ce dernier se focalise sur les thèmes de la consultation médicale, de l'organisation des soins en prison et de la relation entre le détenu et le médecin qui ont lieu aujourd'hui.

Il montre que l’individu privé de liberté a le droit d’obtenir des soins de la même qualité que le reste de la population. Une des missions du médecin pénitentiaire est d’exercer sa pratique de manière indépendante dans un milieu répressif, avec plusieurs contraintes d’ordre, en respectant les exigences sécuritaires et judicaires ainsi que le principes éthiques de la médecine pénitentiaire.

De plus, la tâche du médecin généraliste en prison est de donner des soins et des conseils aux détenus mais aussi d’orienter la direction de l’institution sur les mesures adéquates permettant aux détenus de bénéficier des mêmes droits à la santé que la population. Le rôle du médecin est complexe car il se trouve entre son serment d’Hippocrate (confidentialité et consentement du détenu) et les contraintes d’ordre et de sécurité de l’établissement.

La critiques des années 1970-1980

Le rôle du médecin: Un article des années 70 Questions sur la médecine pénitentiaire(D. Gonin, 1979, vol.3, n°2, pp. 161-168, Déviance et société) nous permet d’avoir une première idée de ce que représente le rôle du médecin en milieu carcéral dans ces années-là.

Dans vol au-dessus d’un nid de coucou le rôle du médecin est central. Il s'agit d'un des premier contact que le détenu a lorsqu'il pénètre dans l'établissement. En effet, le médecin-psychiatre à son entrée dans le centre d'enfermement effectue une anamnèse du détenu. A partir de cet entretien à huis clos, il va émettre un diagnostic ou une hypothèse de diagnostic en cas de trouble. Cette première consultation va donc fortement orienter la prise en charge de la personne et la médication durant une période. Par contre, ce qui est paradoxal est qu’à la suite de son anamnèse, il n’y a pas de suivi réel de la part du professionnel de la santé. Il est absent et ce sont les infirmières qui prennent le relais. Par conséquent, le traitement peut perdurer ad vitam aeternam tant que les infirmières ne manifestent aucune objection qui solliciterait une nouvelle prise en charge ou une nouvelle médication de la part du médecin.

D'où le questionnement suivant: encore faut-il qu’un médecin se trouve dans la prison. Le Passe-muraille, journal des prisonniers n°9 de décembre 77, ( groupe Action prison), nous parle d’un dossier santé. Il dénonce les conditions sanitaires et expose plus particulièrement les situations médicales dans les prisons préventives de Neuchâtel et Genève. Comme nous pouvons le lire dans les premières pages, il n’y pas de poste officiel de médecin de prison à Neuchâtel et à la Chaux-de-Fond. Par contre, le poste est déjà officiel à Genève. A Neuchâtel, les médecins se déplacent si le personnel de la prison le demande ( géôliers). A Genève, les incarcérés peuvent faire une demande en s’inscrivant sur une liste, sans intermédiaire. Il n y a qu’un médecin à Neuchâtel et par conséquent pas vraiment d’équipe de santé. Les géôliers s’occupent de dispenser les médicaments le reste du temps. A Genève, il y a une équipe de professionnels de la santé comme psychiatre, dentiste… Les géôliers ne peuvent pas distribuer les médicaments ; ce sont les infirmiers qui en sont chargés.

Nous pouvons déjà observer là de grandes différences entre deux cantons distincts de la Suisse… Comme à Neuchâtel il n’y a pas de poste officiel de médecin carcéral, il s’en suit évidemment que ces médecins n’ont pas de cahiers des charges contrairement à Genève.

Un autre problème souligné est celui de l’assurance maladie. En effet, dans certains cantons suisses, des assurances prévoient dans leurs statuts jusqu’à l’exclusion du droit aux prestations pour les détenus et se repose donc sur l’Etat pour le financement (passe-muraille n°77, p.10)

Les médicaments:

Dans vol au-dessus d’un nid de coucou, on y découvre un usage des médicaments comme un rituel qui marque le temps. En effet, chaque jour, à une heure bien précise une musique classique retentit et les personnes détenues dans l’établissement viennent à tour de rôle chercher leur prescription devant la guérite du bureau infirmier. Cette barrière vitrée sert de protection pour parer à une éventuelle dangerosité des résidents. Néanmoins, malgré cette séparation, le personnel soignant reste bien attentif à ce que les médicaments soient pris immédiatement en vérifiant systématiquement que chaque personne les ont bien ingérés. Les traitements médicamenteux sont essentiellement des antidépresseurs et des antipsychotiques qui réduisent le psychisme et l’activité des personnes en rendant ces dernières amorphes. Lorsque les médicaments n’ont plus aucun effet sur les personnes, le personnel soignant a recours à l’électroconvulsivothérapie. Cette thérapie consiste à délivrer un courant électrique au moyen d'électrodes placées sur le crâne, afin de provoquer une crise convulsive généralisée. Les images du film montrent ce traitement barbare, pratiqué dans des conditions peu éthiques (sans anesthésie, sans le consentement du patient, voire de manière punitive). Cette méthode du choc électrique avait comme objectif de vouloir calmer les personnes par une forte intensité de Herz au niveau du crâne. Dans les années 80, l’arrivée des médicaments neuroleptiques a contribué au recul progressif de ce genre de thérapie par électrochocs.

Dans le film "La prison tue", le journaliste José Roy met en avant un problème inhérent à l’incarcération, l’usage régulier de médicament. Pour ce fait, il prend appui sur le rapport fédéral, qui fait état qu’en moyenne 1 détenu sur 4 a recours à des produits psycho-pharmaceutiques (moitié somnifère et moitié calmant). En allant plus loin dans les investigations auprès des prisons suisses, le journaliste pointe que dans certains établissements pénitentiaires, 1 détenu sur 2 a recours à des produits psycho-pharmaceutiques. A contrario, lorsqu’il compare à l’ensemble de la population suisse, la moyenne se situe à 1 personne sur 20 toujours par rapport aux produits psycho-pharmaceutiques. Ces résultats indiquent très clairement un problème de santé psychique et physique dans les établissements pénitentiaire. Le témoignage de Jacques, un détenu de la prison de Bellechasse à Fribourg, permet d’appréhender plus finement le contexte de souffrance que vivent les détenus dans les milieux carcéraux que les chiffres donnés dans les rapports fédéraux ou les autres références sur le sujet. Les mots qu’il utilise sont forts. D’ailleurs, il dit : « Les médicaments c’est triste à dire, mais on en est bourré ». Il n’en parle pas en terme de contrainte mais de nécessité afin de tenir face à l’univers carcéral conçu comme système essentiellement répressif. Il dit également que : « les doses étaient absolument effroyables. Pendant un temps j’avais deux Valium 10, deux Rohypnol 4 et deux Metolon, tous les soirs que je prenais en une fois. Mais j’étais obligé de les prendre sinon je n’aurais jamais tenu le coup ». Un autre témoignage de Chantal une détenue de Champ Dollon parle pratiquement dans les mêmes termes pour s’exprimer au sujet des médicaments. Elle dit : « on doit avaler des médicaments sinon ce n’est pas possible de tenir autrement ». Elle trouve que le fait de devoir prendre des médicaments quotidiennement pour tenir le coup n’est pas une situation normale. Par ailleurs, elle pousse plus loin la réflexion à propos de l’usage néfaste des médicaments en mentionnant qu’ils peuvent être un facilitateur pour se suicider. En effet, Monsieur Glardon (éditeur et créateur du mouvement GAP) donne l’exemple de la prison du Bois-Mermet à Lausanne où ce sont les gardiens qui ont la clé de l’armoire à pharmacie et qui distribuent les médicaments quand les détenus se plaignent. Par conséquent, Glardon relève qu’il n’y a plus de contrôle médical et qu’il s’agit plus d’un moyen de faire régner l’ordre parce que cela est mieux que d’autres moyens. Glardon souligne néanmoins que cette pratique reste quand même un moyen de destruction de la personnalité des détenus. De plus, les médicaments sont un moyen de trafic avec d’autres détenus qui auraient besoin d’une dose quotidienne plus élevée. En effet, les toxicomanes qui sont adonnés aux drogues en ont besoin pour tenir le coup puis il y a tous les autres à qui ont impose des médicaments pour les faire tenir tranquille.

Le suicide dans les années 70

Durant les années 70, de nombreuses révoltes éclatent en prison. Les prisonniers protestent pour obtenir plus de droits. Par exemple, la question des heures de promenade fait débat. Étant réduite qu’à une seule par jour, les détenus souhaitent en obtenir une supplémentaire, ce qui n’est pas du goût du directeur pénitencier. Ainsi certains choisissent de mener une grève de la faim, grève qui peuvent les conduire vers la mort. Les suicides suites à des grèves de la faim sont souvent tus par les prisons. En effet, à cette époque les prisonniers se plaignent des conditions de vie en prison. Ils disent préférer le choix de la mort que de vivre dans ces conditions. Ils n’ont plus l’impression d’être considérés comme des individus : “Lorsque l’on na plus le droit d’être un homme, il ne reste plus que la mort.” (p.318) De plus, un grand nombre de détenus étant faibles psychologiquement et possédant diverses difficultés d’adaptation au milieu carcéral , finissent par ne plus supporter la prison et choisissent de mettre fin à leurs jours soit par le biais de la pendaison, soit par la prise excessive de barbiturique ou encore par l’usage d’outils (clous, fourchette, etc) qu’ils ingèrent. Le suicide par pendaison peut devenir un fantasme pour ces prisonniers qui cherchent l’orgasme ultime et suprême.

Le recensement en France montre que depuis les années 1852 jusqu’en 1954, sur 100'000 personnes incarcérées, le taux de suicide est de 53,20 en 1852 et 139,40 en 1954.Quelques statistiques en France et en Suisse dans les années 50 à 80. Le taux a donc fortement augmenté.

La situation en Suisse montre également une augmentation du taux de personnes suicidées entre 1975 et 1977. En 3 ans, le rapport fédéral a enregistré 51 suicides en Suisse pour une population carcérale moyenne de 3'600 détenus. Quelques éléments sont à relever: en détention préventive, le taux de suicide est 5 fois plus élevé que parmi les détenus condamnés; l’isolement favorise les tentatives de suicides : sur les 51 suicides recensés, 31 ont été commis par des détenus qui étaient seul dans leur cellule; chez les étrangers pas encore jugés, le taux de suicide est le plus élevé : 13 détenus sur 1'000 mettent fin à leur jour et chez les personnes ayant fait des études supérieurs, le taux de suicide est 6 fois plus élevé que chez celles sans formation. Enfin le nombre de suicides dans les prisons suisses est plus élevé que dans les autres pays. Soit:

  • 1 détenu sur 200 (en Suisse)
  • 1 détenu sur 770 (en France et en Allemagne)
  • 1 détenu sur 1250 (en Italie et en Autriche).

Le rapport fédéral démontre que la prison conçue comme système essentiellement répressif tue. Ce rapport est limité dans ses objectifs puisqu’il n’évoque pas un autre aspect que celui des tentatives de suicide et pourtant elles sont nombreuses. Par conséquent, on est forcé de constater que durant les années 1975 à 1977 la prison en Suisse tue davantage que les prisons étrangères. En effet, la Suisse possède un taux de suicide largement plus élevé que l'Italie, l'Autriche, l'Allemagne ou même la France.

Les mineurs en prison: la position du GIP et du GAP

Dans un ouvrage intitulé La Suisse à l'ombre : guide touristique des plus belles prisons romandes (1977). Dans cette œuvre, les auteurs expliquent le traitement des mineurs dans les prisons, notamment à La Clairière ainsi que le fonctionnement des prisons en fonction des peines décidées. Les rédacteurs nous rapportent également des interviews menées à l'époque auprès d'ex-détenus et d'éducateurs dans le but de nous éclairer sur ce système pour mineurs.

Position du GIP

Dans le livre Intolérable du GIP présenté par Artières, P. (2013) qui reprend les cinq brochures du GIP, entre 1971 et 1973, il y est fait peu mention de la question des mineurs. On retrouve pourtant des informations dans quelques repères chronologiques. qui introduit l'ouvrage, puis dans certains passages.

On peut regrouper les passages concernant les jeunes selon quatre thématiques: la chronologie, les suicides, les métiers d'éducateur, d'enseignant, de maître d’atelier et d’assistante sociale, ainsi que le passé de ces jeunes détenus. Dans les statistiques sur le suicide – la liste des suicides dans les prisons françaises en 1972 (connus du GIP, donc pas exhaustif) – sur les 32 personnes recensées, il y en a 10 dont on ne sait pas leur âge. Donc sur les 22, une personne est mineur, sept ont 20 ans ou moins, quatorze ont mois de 25 ans.

C'est surtout pour montrer un traitement différent pour les jeunes que le sujet est abordé. Plusieurs fois, lors des différentes enquêtes faites par les prisonniers, il est fait référence à de conditions sensiblement plus favorable pour les jeunes comme l'accès au sport par exemple. Dans la deuxième brochure, il y est fait notamment référence d'aménagements spéciaux faits pour ces jeunes: notamment le renfort d'éducateurs. Voici ce que rapporte un détenu (qui semble au vu de son discours être considéré comme jeune) de Fleury.

Deux mots dominent la problématique des jeunes en prison: fatalisme et défaitisme. Ils semblent refléter la position aussi bien du jeune que de l'éducateur. Ce dernier apparaît souvent comme le faire-valoir de l'administration pénitentiaire de Fleury qui se prévaut d'engager un "personnel spécialisé" pour s'occuper des jeunes. Mais dans les faits, il semblerait que ces éducateurs n'aient que peu de marge de manœuvre. Ils sont présent au début de l'incarcération du mineur, mais moins ensuite: peut-être par manque de temps.

Le discours des jeunes interviewés par le GIP montre une capacité du détenu jeune qui témoigne d'empathie à l'égard des éducateurs: à reconnaître leurs difficultés, comme si tout le monde, prisonnier comme personnel pénitentiaire seraient victimes d'un même fonctionnement. Ils parlent aussi des autres professionnels: des instituteurs, sympas, pas trop autoritaires mais tout ça c'est complètement symbolique car Fleury reste une maison d'arrêt, et tu ne peux pas vraiment y apprendre quelque chose. Ensuite les instructeurs techniques des ateliers, puis pour finir les aménagements sportifs dont la gymnastique ne servirait en somme qu'à selon leurs dires "discipliner les corps". Un jeune détenu parle de l'école et de la préformation professionnelle comme des mirages. Il souligne que leur occupation est le grand sujet qui mobilise la direction de Fleury. Les éducateurs avaient mis en place des séances de projection mais ont dû abandonner faute de temps. Il relaie une demande de ceux-ci, être plus nombreux, mais il se demande si cela changerait vraiment les choses. On parle encore d'éducateur-calmant, dont le travail est de reclasser rapidement les détenus, et ce choix se fait toujours de manière arbitraire. Il est un pion de l'administration. Les jeunes parlent aussi de l'assistante sociale. L'assistante sociale pourrait, si elle en avait les moyens (les effectifs, le temps, etc), être un pont entre l'intérieur et l'extérieur, un pont entre le détenu et sa famille. Mais dans la réalité, il n'en est rien et l'assistante sociale est vue comme inefficace et indifférente.

Mais au cours des échanges retranscrits dans ces brochures du GIP rééditées par Artières, une question subsiste: est-il possible de travailler et pour l'administration pénitentiaire et en faveur du détenu (pour son bien)? On fait alors le constat que l'une comme l'autre ont des rôles capitaux.

Dans ces brochures, on peut relever l'attention mise au passé des jeunes. Les quelques éléments anamnestiques publiés dressent un amère constat: ceux qu'on retrouve en prison, dans les années 70, ont eu pour la plupart des précédents avec la justice ou les services sociaux, déjà durant leur enfance, de scénarios de "rupture" (liens familiaux), de placements divers (extra familiaux, centres éducatifs et prisons pour enfants). Sans succès serait-on tenté de dire, puisqu'ils se retrouvent en prison à l'orée de leur 18 ans.

Position du GAP

Pour saisir les différentes prises de position du Groupe Action Prison, en Suisse romande, il est essentiel de s'intéresser aux publications du journal du mouvement, le Passe-Muraille. Plusieurs numéros traitent de la question des mineurs en prison, ou in extenso en maisons d'éducation. Ce journal qui se veut être le relais donné aux voix de l'intérieur, publie plusieurs histoires (parcours de vie) singulières.

Dans ces différents numéros du Passe-Muraille (no5, 6, 10, 13) nous pouvons relever différentes plaintes et revendications relayées par le GAP et donc soutenues par celui-ci. Il se dresse contre tout abus d'autorité (représenté par différents procédés tel le chantâge et l'humiliation) et de pouvoir dans la chaîne judiciaire personnalisée par les policiers et les juges (l'absence de juge des mineurs dans certains cantons est un problème). L'incarcération en prison d'adulte est fortement condamné par le GAP: beaucoup trop de mineurs se retrouvent dans cette situation, tolérée et justifiée par les différents organes de protection et judiciaire: les services de protection de l'enfance, le tribunal fédéral. L'internement administratif est contraire aux droits de l'homme! Le quadrillement de la société mis en place par les différentes instances s'occupant des mineurs est exagéré et sert le contrôle social avec les abus que cela comporte. Du côté des solutions, des aménagements doivent êtres mis en place: la présence d'avocat, dès l'instruction, doit être instituée, des visites doivent être permises, une séparation d'avec les adultes doit avoir lieu.

Le numéro 12 (septembre 78), qui consacre une rubrique à la Justice des Mineurs, épingle tour à tour les différents acteurs, elle critique le fond comme la forme de cette éducation qui se veut individuelle pour mieux museler cette jeunesse. Tout d'abord la justice des mineurs est aussi une justice de classe : pas les mêmes droits si on est jeune d'une famille riche ou non. Nous retrouvons alors la critique du quadrillage dont l'individualisation est à son service. Des examens approfondis et des observations poussées en établissements spécialisés renforcent le contrôle continu de la jeunesse qui va mal. Ces mesures se poursuivent lorsque le jeune devient majeur, notamment par l'article 100 bis concernant les maisons d'éducation au travail qui est elle aussi dénoncée avec force par manque de résultats réels (no 13, décembre 78).

En conclusion d'une lecture transversale de ces articles du Passe-Muraille sur les mineurs, le cercle vicieux de la délinquance est pointé du doigt par les jeunes eux-mêmes et par le groupe action prison qui relayent ces pensées. Non les causes ne sont pas toujours celles que certains professionnels mettent en avant. La pauvreté, des événements traumatiques (décès) et le placement en foyer dès le jeune âge sont tout autant des causes de la délinquance relevée dans ces années 70. Car s'il y a un élément déclencheur à cette "sortie du droit chemin", le placement en foyer, puis en maisons d'éducation, ne sont (comme nous le signale le livre qui sort sur Vennes dans ces années là) que des "antichambres de la taule". Le GAP tente de démontrer que la prison n'est pas un remède à cette cascade de comportements non acceptés par la société ou délictueux, elle ne fait qu'aggraver les problèmes sans prendre en compte les causes réelles.

Ce cercle vicieux a été particulièrement mis en lumière dans la situation du décès de Patrick Moll. Dans le Tout va bien d'octobre 1974, il est fait état de sa situation: Patrick Moll est fils d'ouvrier. Tout commence par un vol de vélo-moteurs puis c'est la spirale: maison de correction, fugues, vols, drogue, Bel Air puis après quatre jours Bochuz. Alors qu'il n'a pas 18 ans.

L'enseignement dans les prisons

En 1970

Pour parler de l’éducation en milieu carcéral durant les années 70, il est fort intéressant de prendre pour appui la Maison d’éducation de Vennes. En effet, en Suisse cette institution disciplinaire a traversé les différents événements marquants de la prison. Cet établissement est donc un très bon exemple de la situation de l’éducation des mineurs en prison. Il est d’abord important de commencer par parler du nouveau code pénal pour mineurs de 1942. Celui-ci, souligne que l’éducation prime sur le volet répressif. C’est à partir de ce moment que les établissements vont changer leur ligne d’horizon. En effet, jusque là l’angle éducatif des établissements pour mineurs se limitait à des tâches agricoles ou de menuiserie. Puis, les caractéristiques symboliques du milieu carcéral vont tenter d’être supprimées ou atténuées. Entre 1949 et 1970, les instituions vont être ouvertes au public, les cachots, les barreaux vont être supprimés et les chambre aménagées. La formation professionnelle et les loisirs sont alors des préoccupations jusqu’alors mises de côté. De ce fait, on introduit le régime de semi-liberté et le sport dans la visée éducative. Le personnel du milieu carcéral va également évoluer afin de proposer un environnement plus pédagogique et adapté à ces jeunes afin de promouvoir la réinsertion. Cependant, les méthodes répressives persistent et seront dénoncées notamment par le GIP. De plus, on se rend compte que selon les dirigeants des établissements, la prise en charge des jeunes n’est pas du tout la même. L’évolution pédagogique faite durant ces années va être mises à mal. On va même assister à un retour en arrière. Les systèmes de punitions répressifs vont être remis au gout du jour, les conditions d’incarcérations durcis et le volet « formation » mis de côté voir occulté. Les institutions se voient alors privées d’un personnel éducatif qualifié qui ne veulent plus participer à cette décadence. On peut alors se demander si l’Etat joue son rôle vis à vis des contrôles des différentes institutions pénitentiaires. Malgré une volonté de rendre les prisons pour mineurs ouvertes vers la formation où les sciences de l’éducation ont un rôle prépondérant à jouer, les mentalités des directions ont primé sur cet objectif. Les années 70 sont alors centrées sur une crise et une remise en question des institutions appuyées par une direction que nous pouvons qualifier de régressante.

L'esprit des années 70

Dans un ouvrage paru en 1978, Didier Pingeon fait une critique de la détention en prison énumérant différents éléments (voir résumé). A l'évidence la prison apparaît comme un carcan (camisole physique) qui ne peut être compatible ni avec l'éducation (anti-éducative et anti-thérapeutique, augmentant les récidives) ni avec une conception de la justice et de l'individu (perte des droits, dépersonnalisation, violence). Les termes sont forts: Pingeon parle de "bourreaux", de "stigmatisation accrue" et accuse la justice de classe qui permet d'éviter la prison pour ceux qui ont des moyens financiers. Ce concept de justice de classe comme Pingeon la nomme se retrouvre clairement exprimée et expliquée dans le périodique Tout Va Bien.

Le dépouillement de ces mensuels (puis hebdomadaires) montre comment ce concept hérité du communisme est encore fort dans les années 1970. Dans le premier numéro de cette revue (novembre 1972) il y est clairement fait allusion à cette justice de classe en ce qui concerne la loi pour les mineurs: "Seuls les parents des classes supérieures et moyennes consulteront des avocats". Le témoignage du père de Patrick Moll (ce fait mérite d'être mis en exergue vu qu'il déclenche la création du Groupe Action Prison) va dans ce sens: « Si j'avais eu de l'argent, je lui aurais payé une clinique privée. J'aurais eu un avocat et j'aurais mieux compris toute cette machine juridique. Mon fils ne serait pas mort » L'éditorial(du GAP) au dossier PRISONS de juin 1975 (no 21) nous présente le Comité Patrick Moll et pour quoi il s'engage. Cette tragédie qui peut sembler singulière s'inscrit dans une critique plus générale d'un contexte produisant ce type d'événements, causant la mort: critique de la prison, à côté de celle de la justice de classe, de la répression policière et de la rééducation. C'est plus globalement une lutte politique (dans les années 70, 90 % des détenus sont des prolétaires ou des sous-prolétaires). L'ennemi est désigné: c'est la bourgeoisie et l'administration à son service. Leur but: écraser la révolte d'hommes dominés.

Un autre ouvrage comme "L'antichambre de la taule" de 1978, présente le centre de détention de Vennes comme un lieu d'enfermement abusif où les décisions du directeur de l'époque avaient un pouvoir absolu. Les éducateurs des jeunes détenus, vivaient et dormaient sur place et qu'importait leur avis sur les jeunes mineurs, c'était le point de vue du directeur qui était important. Dans les années 1970, le passage d'un jeune à la maison d'éducation de Vennes (MEV) était suite à un parcours difficile mais pas forcément dû à un crime ou un délit. Lorsque les parents n'étaient pas en mesure de prendre en charge leur enfant, le jeune pouvait arriver à Vennes pour plusieurs années. L'emprisonement, l'isolement, le manque de relation avec les autres jeunes et même les éducateurs, ne renfermaient que le jeune sur lui même et ne le préparaient guère à une réinsertion sociale. Pourtant la maison de Vennes était appelée la "maison d'éducation". Quelles étaient les mesures de prise en charge éducatives si ce n'est l'isolement et la privation ?

Le directeur de la MEV, Jacques Tuscher, répondra à ces attaques dans un article "Nous de Vennes". Il est difficile, relève l'historienne Heller, de saisir l'impact véritable de cet ouvrage, car d'autres événements concomitants s'y joignent: les interventions au Grand conseil, et du Conseil de surveillance. Sur ces interventions il est à souligner la prise de parole d'Anne-Catherine Ménétrey, qu'on retrouvera dans le groupe Infoprisons. Mais plus globalement cette grande crise de la MEV qui couvrent environ les années 1977 à 1979 est à replacer dans un contexte plus général qui qualifie bien l'esprit de ces années. Tout d'abord l'existence d'un mouvement général de dénonciation des maisons d'éducation et de l'enfermement de jeunes. Ce mouvement est né dans au début des années 1970, trouvent son origine en Suisse allemande, à Zürich sous le terme de Heimkampagne. Deux "bombes" littéraires et sociologiques apparaissent aussi à ce moment là: Surveiller et punir de Foucault et Asiles de Goffman: ouvrages de références encore quand il s'agit de traiter de la prison, de régimes de redressement ou d'institutions totalitataires. Sans compter le film de Milos Forman Vol au-dessus d'un nid de coucou qui est une critique de l'enfermement, de la psychiatrie du pouvoir, de l'Etat totalitaire [[10]]. Des changements politiques et sociétaux autour de la question du placement d'enfants apparaissent et modifient les pratiques. Le maintien en milieu familial est préféré au placement institutionnel, le nombre d'enfants en foyers diminuent en conséquence. L'antipsychiatrie renverse elle ausi les normes et les codes (plusieurs témoignages de détenus parus dans les fascicules d'[[Groupe d'information sur les prisons. Intolérable (2013), présenté par Philippe Artières, Verticale.|Intolérable (2013)[[ montrent l'intérêt pour ces idées nouvelles. Cela nous permet de saisir un peu mieux l'ambiance autour de cette remise en question de la MEV, nonobstant tous les facteurs internes et propres à la maison d'éducation (la personnalité du directeur, les infrastructures, la situation des travailleurs sociaux, etc.).

Or, ces critiques semblent être encore d'actualité, notamment au niveau de la perte de l'intimité (fouilles totales faites à l'entrée), les récidives et la stigmatisation.

Un volet de quatre article a été consacré sur la justice des mineurs à la fin de année 70 dans le Journal de Genève à l'occasion du 20ème anniversaire de la brigade des mineurs. Ce premier article [[11]] fait l'état des lieux de la justice. La question entre éducation et punition est soulevée. La tendance est la responsabilisation du jeune et à la mise en place d'assistances éducatives dans le cadre familial. Dans le dernier article [[12]], la récidive est au coeur de préoccupations: la détention serait-elle la dernière chance pour la réinsertion ou bien le début d'un parcours de délinquant récidiviste? L'article se conclut par des interrogations qui semblent perpétuelles et pour lesquelles, même 30 après, les réponses n'ont été trouvées: quelles alternatives pour les jeunes qui font carrière en prison? L'auteur de ces articles et M. Guéniat se rejoignent en évoquant un changement plus profond qui toucherait la société: elle devrait être moins craintive et faire preuve de plus de souplesse.

Dans son livre, M. Guéniat publie un rapport de police de 1979 du chef du bureau central suisse de la police qui est en confondant tant il pourrait être, à quelques formules près, être repris et publié aujourd'hui. Le regard que porte les adultes sur la jeunesse n'a finalement pas tellement évolué. D'ailleurs, Hésiode, poète grec cité par O. Guéniat, disait déjà 720 avant J.-C.: "Je n'ai plus aucun espoir sur l'avenir de notre pays si la jeunesse d'aujourd'hui prend le commandement demain. Parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible (…)." Finalement, année 1970 ou 2015, la question de la délinquance des jeunes reste toujours centrale.

Un nouveau questionnement pour quels changements? les années 2000

Dans un premier temps, nous allons évoquer l' état des lieux fait dans les années 90 sur la situation de la santé en prison. D’après le livre La santé en prison. Les enjeux d'une véritable réforme de santé publique de I. Chauvin.

En janvier 1994, une réforme de l’organisation sanitaire des établissements pénitentiaires a été mise en place, en France, par la loi n° 94-43 qui prend en compte la santé publique et la protection sociale. L’objectif est d’offrir une même qualité de soins aux personnes incarcérées et à la population. Dès la mise en œuvre de cette réforme, les détenus ne sont plus soignés par un personnel médical de l’administration pénitentiaire mais par des médecins, des infirmiers de l’hôpital public. Dès le début de leur incarcération, les détenus obtiennent une assurance maladie et maternité du régime de la sécurité sociale. Cette réforme est une évolution pour la prison française. Elle se développe par des services psychiatriques, des services d’accueil et des soins spécialisés pour les toxicomanes. De plus, elle permet une continuité des soins et assure une prise en charge sanitaire des détenus. Néanmoins, plusieurs questions se posent sur le devenir de cette réforme.

En 1998, en France, nous comptons 57'458 détenus pour 24'786 agents dont 19'727 surveillants. La durée de détention en 1997 était de 8,1 mois. La plupart des détenus avaient un état sanitaire préoccupant notamment à cause de certaines pathologies ou encore pour des raisons d’hygiène et d’absence de prévention d’éducation à la santé. La majorité des détenus sont jeunes et ne bénéficient pas de soins médicaux. 80 % ont besoin de soins dentaires. La fréquence de la tuberculose est très élevée. De plus, 1/5 détenus souffre d’une pathologie psychiatrique qui peut aller jusqu’au suicide. Ce dernier augmente, il était de 24 pour 10'000 détenus. Comme le relève Didier Fassin dans son ouvrage "A l'ombre du monde", le problème de l'évasion qui a occupé la réforme pénitentiaire pendant deux siècle a été remplacé aujourd'hui par celui des suicides! De plus, les phénomènes de dépendance (alcool, stupéfiants) sont en hausse également.

A présent, comme nous pouvons le lire à travers un des articles de la Tribune de Genève du vendredi 28 mars 2014 rapportant une rencontre avec Hans Wolf (nommé à la tête de la médecine pénitentiaire), ce dernier se définit comme un défenseur « d’une médecine indépendante de la justice, de la confidentialité et de l’équivalence des soins entre détenus et personnes libres ». Cette phrase relève bien les problématiques qui concernent nos deux thématiques.

La santé: état de la problématique aujourd'hui

La psychiatrie en milieu pénitencier : le rôle de l'environnement

D'après le texte de Manzanera, J.L. Senon (2004), "les troubles mentaux retrouvés en milieu carcéral sont dénoncés dans tous les pays industrialisés comme étant en constante augmentation (...) [et l'on peut le] relier à un ensemble de facteurs : une désinstitutionnalisation psychiatrique, une crise de l'hébergement social et plus récemment une importation d'un modèle judiciaire de "tolérance zéro" ". Ainsi, c'est le milieu pénitencier et l'environnement juridique qui pourraient faire partie des principaux facteurs générant les troubles mentaux. Mais pourquoi donc la prison crée des personnes "malades psychiquement" qui étaient "saines" en y entrant ? Qu'est-ce qui peut influencer à ce point les hommes et les femmes emprisonnés?

Pour répondre à cette question, il semble intéressant de proposer de s'intéresser à la vie des personnes emprisonnées, à ce qui leur reste. Car il semble évident que la prison vise à enlever la liberté (la dignité?); le temps de vie; les relations sociales avec les proches ; les relations intimes : le contact avec le "monde réel", etc. Et lorsque l'on retire tout ça à un homme que lui reste t-il ? Principalement deux choses : la perspective de retrouver la liberté et le quotidien - repas, relations sociales, activités, contacts, etc. - dans leur nouveau lieu de vie. Pour ce qui est de retrouver la liberté, c'est la justice qui décide. D'où son importance et l'importance des nouvelles lois qui influencent directement la vie et le mental des prisonniers.

Ces deux éléments : justice et vie quotidienne dans la prison, mettent en lumière l'importance du rôle de l'environnement sur la qualité de vie des prisonniers. Cette approche, très caractéristique des Sciences de l'Education, nous amène à nous demander : faut-il tenter de modifier le prisonnier (par la voie de médicaments, ect.) ou ne serait-il pas préférable d'améliorer son cadre de vie (au niveau micro et macro : voir les systèmes de Urie Bronfenbrenner (1979)<ref>Bronfenbrenner, U. (1979). The ecology of human development : Experiments by Nature and Design. Cambridge, MA: Harvard University Press.</ref>) ?

Pour le quotidien dans la prison, c'est aux structures d'essayer de préserver la santé mentale de ses "habitants". Et par quels moyens? Le journal info prison (bulletin numéro 7, novembre 2012) parle par exemple d'un "jardin thérapeutique" lancé à Genève. Ce jardin pourrait paraître anecdotique mais en le créant, qu'ont voulu tenter ses créateurs? Quels résultats voulaient-ils obtenir ? Et ont-ils réussi deux ans après? Car le quotidien des prisonniers est fait d'un tas de petites choses, activités, rencontres hebdomadaires avec les médecins, et toutes ces choses, ces moments de vie, d'action, sont importantes, notamment pour la santé mentale des prisonniers. En cherchant à obtenir plus d'informations sur cette initiative, le but est de voir quel impact une modification de cette ampleur peut elle avoir.

L'Entretien avec la Cheffe du projet du jardin thérapeutique, Hélène Gaillard nous a permis de récolter plus d'informations sur les raisons qui ont poussé à la mise en place de ce projet. Il est clair qu'une telle initiative ne peut être que bénéfique pour les prisonniers, à qui on interdit souvent plus de chose que on ne leur permet d'en faire. De plus, l'activité de jardinage vient à eux comme une possibilité de faire partie d'une communauté, d'avoir une activité qui anime leur quotidien, de leur faire apprendre quelque chose. De même, rompre avec le quotidien difficile ne peut qu'être de bonne augure et ce travail sur l'estime de soi ne peut être que louable. En effet, là où il y a des années nous nous acharnions à briser les vies de ces personnes, à les exiler, à tout leur enlever, aujourd'hui on leur propose un travail leur permettant de voir qu'ils peuvent obtenir d'excellents résultats s'ils prennent soin de la chose. Et le fait qu'en ajoutant une ligne supplémentaire à leur CV cela puisse les aider à se réinsérer montre bien que même s'il ne s'agissait pas de l'objectif principal, en améliorant une chose le reste peut très bien suivre. Ainsi ce n'est pas uniquement un moment de détente dans une journée, mais il s'agit là bien d'un réel travail gratifiant et pouvant avoir des répercutions positives sur le long terme.

Cet exemple du jardin thérapeutique n'est malheureusement que trop rare, mais l'on peut saluer les initiatives qui voient le jour et qui considèrent les prisonniers comme un public fragile et sensible, qu'il est possible d'aider. De même, cela donne encore d'autres idées : au niveau de la psychiatrie, pourquoi ne pas organiser en prison des moments de lectures ou les livres à dispositions seraient plus variés qu'une simple bible? Ou encore des séances de méditation qui leur permettrait de leur donner d'autres outils pour gérer leurs émotions (voir la méditation pleine conscience proposée para les HUG [[13]] ? Car il est facile de se dire que le suicide n'est pas une solution, mais est-ce que nous leur avons donné d'autres voies? Ces idées pourraient faire sourire, tout comme il aurait été fantasque deux siècles au paravent d'imaginer des éoliennes.

Pourquoi être effrayé qu'ils apprennent en prison? Si l'on se place dans l'optique d'une seconde chance, autant tout mettre en place pour les intégrer et cela ne se fait pas sans leur donner petit à petit la confiance. Confiance pour qu'ils améliorent leur avenir, car il s'agit après tout de leur vie à eux et personne d'autre qu'eux ne peut être plus motivé à le faire, il pourrait suffire de leur donner les moyens. Si l'on reste dans l'optique d'un environnement restrictif et oppressant, alors on ne peut pas demander à l'individu s'y trouvant de changer en positif. Et on ne peut encore moins attendre que cela se produise.

En revanche, si on leur donne de la lecture, des ateliers (cuisine, bricolage, des activités qui leur soient utiles et à la société), on leur montrerait qu'ils font partie de notre société et que oui, s'ils ont des devoirs, ils ont également des droits.

Le suicide actuellement en prison

Actuellement, on parle de plus en plus de cas de suicide dans les prisons. En effet, bien que les hommes se suicidaient déjà dans les prisons dans les années 70, on n'ose plus en parler aujourd’hui. Le taux de suicide est 4 à 7 fois plus important parmi les personnes incarcérées que le reste de la population. Une étude française a montré que dans les prisons françaises, le taux de suicide a quintuplé en 50 ans alors qu’il a peu évolué dans le même temps pour la population générale. Selon Abouda cité par Lacambre (2013) le suicide représente la première cause de décès en prison. Entre la période de 1960 et 2010, le taux a donc été multiplié par cinq!!! Ainsi, la prison est un lieu considéré comme “suicidogène”, c’est-à-dire que c’est un lieu où les conditions de vie ainsi que le vécu des individus, les poussent de manière plus forte à passer au suicide. Les recherches ont montré que certaines raisons peuvent souvent être évoquées par les personnes qui ont tenté de se suicider: la surpopulation, la promiscuité, les conditions des détentions difficiles, la souffrance psychique, le manque de personnel soignant, le stress quotidien, les symptômes de servage…

On peut regrouper ces raisons qui poussent au suicide en deux catégories : l'état de santé mentale des détenus et le fonctionnement général de la prison. En effet, il existe de plus en plus de cas de personnes atteintes de problèmes psychiques et qui devraient être internées dans des lieux de détention spécifiques avec les soins et l’attention nécessaires. Ainsi, ces personnes sont mal prises en charge et vont plus souvent passer à des actes suicidaires. Le suicide en prison n’est pas considéré comme un acte irréfléchi et irrationnel. En effet, il peut être considéré comme un acte de liberté, de choix, une reprise de son autonomie en réaffirmant sa part de liberté de choix. D’ailleurs, les prisonniers comparent le coût de détention en prison comparé aux gains attendus et espérés à la sortie.

Les raisons du suicide évoquées ci-dessus, ne sont pas les seules. Les étapes liées au processus judiciaire sont également impliquées dans le comportement des détenus. En effet, l'incarcération, le temps de latence avant le jugement et l'imposition de la peine ainsi que le jugement lui-même sont à considérer lorsque l'on parle de suicide en prison.

Quand on parle de suicide, il peut également être intéréssant de s’exprimer concernant les conduites auto-agressives qui n’engendrent pas une mort soudaine. Ces actes peuvent être considérés comme un suicide focalisé qui permet de garder l’essentiel: la vie. Cela leur permet de soulager temporairement une souffrance physique ou psychique mais également d’alerter les autorités sur leurs conditions de vie et de détention en prison. On peut prendre l’exemple de Hugo Portmann qui a fait 60 jours de grève de la faim afin de se plaindre des conditions de détention en prison.

Mais finalement, pour en revenir à notre question principale pour ce travail: Qu'est-ce-que les Sciences de l'Education peuvent-elles amener à cette problématique du suicide en prison ? Le dossier d'animation des journées nationales de la prison en 2013 relate brièvement des solutions qui pourraient être mises en place face à cette importante question du suicide en prison. En effet, les auteurs expliquent que si l'on souhaite mettre en place une politique anti-suicide dans les prisons, il faudrait impérativement qu'elle ait comme but premier, non pas de contraindre les individus à ne pas mourir, mais bel et bien à trouver une manière de leur rendre leur dimension d'acteur, de sujet et même d'être humain respecté. En d'autres termes, l'existence des "kit anti-suicide" (draps indéchirables, pyjamas en papier...) n'est pas une solution idéale à la question du suicide en prison. En effet, bien que ces kits empêchent certaines personnes de passer à l'acte, ils n'enlèvent pas pour autant cette envie et cette souffrance chez ces prisonniers. Ainsi, les auteurs de ce dossier, prônent une réflexion sur les conditions de vie en prison qui pousseraient les individus à vouloir mettre fin à leur jour. C'est sur cette dimension qu'il faut agir afin que des pensées suicidaires ne puissent plus leur passer par la tête.

La question des mineur/e/s en prison aujourd'hui : régression ou progression?

La délinquance juvénile: entre répression et éducation

Les changements concernant les mesures à l'égard des jeunes – depuis le code pénal de 1810 – ont modifié au cours du temps les choix des méthodes qui devraient assurer la non récidive et la meilleure réintégration possible des jeunes dans la société. Entre répression et éducation, les méthodes ont donc aussi une histoire Délinquance juvénile à Genève de 1900 à aujourd'hui. La représentation de la punition, ainsi que celle du jeune déterminent ces choix. Le "facteur dangerosité" poussant à la répression, alors que l'image du développement continuel du jeune entrainerait une relative clémence portant souvent à chercher des solutions éducatives hors les murs (expériences fortes: traversée d'un désert, navigation en mer, etc.). La remise en question du rôle de la justice des mineurs et plus largement la critique de la prison n'est pas nouvelles.

La délinquance des mineurs et ses chiffres statistiques

Un raccourci très fréquent quant il s'agit de délinquance, qui plus est de délinquance des jeunes, et de confondre délinquance et sentiment d'insécurité. Ce sentiment, véhiculé ou exacerbé par des politiques ou par des organes de presse servent différentes fonctions. Pour les premiers. il peut servir à justifier des mesures de plus en plus sécuritaires, de se faire élire et donc servir l'intérêt propre de certaines personnes. Pour les seconds, il est sans doute question de chiffres d'affaire, d'attirer de nouveaux lecteurs par des titres ou des manchettes accrocheurs et vendeurs. Le sentiment d'insécurité reste quelque chose de flou et de non scientifique. Ce n'est pas parce que ce sentiment augmente dans la population que la délinquance croît inexorablement. Il suffit parfois de quelques "affaires" à grand retentissement, comme on en a eu, pour des adultes, en 2013 par exemple. De grandes affaires qui révèlent des dysfonctionnements peut-être d'un système plus global, de croyances qui voudraient que la sécurité soit totale et absolue.

Venons donc aux chiffres de cette délinquance, même si les chiffres peuvent être barbants, il peuvent servir d'indicateurs plus ou moins objectifs d'une situation. Ils renseignent sur une réalité et peuvent faire office de témoins historiques. Deux sources principales pour nous aider à y voir plus clair: l'ouvrage de Guéniat (2007) et le site de statistiques de la Confédération qui nous fournit des informations sur la délinquance des mineurs depuis 1946. Il existe un document publié par l'Office fédéral de la statistique qui porte un regard sur l'évolution de la délinquance des mineurs de 1946 à 2004. Même si les chiffres ne sont pas de toute dernière actualité ils ont l'avantage et le mérite de porter sur quasiment un demi siècle de chiffres et de statistiques, révélant des tendances que les auteurs ont harmonisés afin de pouvoir comparer les données entre elles. En effet, il serait faux de comparer telle année à telle autre année, car il est su que les systèmes de statistiques diffèrent entre certaines époques. Que nous dit cette méta-analyse?

  • Depuis 1934 il existe une hausse de la délinquance juvénile.
  • Par contre au niveau des condamnations pénales chez les adultes, il y a une baisse.
  • On peut conclure d'une part que la délinquance des mineurs ne conduit pas à une hausse chez les adultes. On peut dire que "La délinquance des adolescents semble être plutôt un phénomène épisodique lié à une période particulière du développement de l’individu."
  • Le type d'infraction est considérée comme mineure.
  • Cela concerne principalement des garçons.
  • Au niveau des sanctions, "on observe que le «placement extra-familial» (maison d’éducation, famille d’accueil, détention), sanction relativement lourde, autrefois prédominante, a été progressivement abandonné au profit de mesures ambulatoires et, depuis le milieu des années 70, d’astreintes au travail."
  • Le nombre de jeunes en situation difficile n'a pas augmenté.

Un point majeur est à relever concernant ces données et ces constats. Malheureusement, c'est pour l'époque qui nous intéresse essentiellement, soit les années 1970, que certains chiffres font défauts. En effet, ces recueils dépendent aussi des lois et des différentes juridiction. En 1942 le code pénal suisse est entré en vigueur et avec lui, l'obligation d'indiquer les jugements pénaux au casier judiciaire. Par contre en 1974 l'obligation n'est plus de mise, il y a donc un vide entre 1974 et 1984, année depuis laquelle l'Office fédéral de la statistique travaille sur ce recueil de données.

Un autre point important concerne le types de mesures ou punitions prises par les juges.

  • Au niveau des mesures éducatives: le placement en maison d'éducation qui a vu ses chiffres diminuer pour laisser place à l'assistance éducative.
  • Au niveau des punitions disciplinaires: les détentions qui étaient la punition la plus utilisée a largement diminué et ce depuis 1974 où a été mise en place l'astreinte au travail. La part de détentions a diminué de moitié entre 1954 et 2004.

Nous allons maintenant croiser ces chiffres avec ceux d'un autre Office, l'Office fédéral de la police cité par Guéniat (2007) qui amènent plusieurs constats

  • De moins en moins de mineurs dénoncés à la police.
  • Une baisse de dénonciations de vols et de cambriolages.
  • Mais une augmentation de la violence.

Le point le plus important que nous pouvons dégager de ces chiffres est sans doute le nombre de détentions qui a chuté. Une raison explicitée par la rapport est l'arrivée dans les années 1970 de l'alternative de l'astreinte au travail. Y a-t-il eu d'autres éléments qui sont à la source de cette diminution" Des réponses sont données notamment dans le livre de Heller (2012): campagnes politiques et sociales contre certains types d'institutions, placement familial privilégié.

2014, ouverture d'une prison pour mineurs

"Je tiens à l'appellation de prison (...) je dirai que notre établissement est une prison éducative": c'est en ces termes que le nouveau directeur des Léchaires à Palézieux qualifie son établissement, récemment ouvert en 2014 dans la revue Migros magazine. La dénomination semble être totalement assumée du directeur, voire revendiquée. Il n'est en effet pas un novice dans le domaine carcéral puisqu'on peut lire dans sa page personnelle sur internet, principalement ses expériences dans ce domaine: au Service pénitentiaire de Neuchâtel, comme directeur adjoint de l'établissement de détention de Bellevue et comme directeur ad interim de l'établissement de détention de La Tuilière. Dans un article du Lerégional, il est fait mention et est souligné ses expériences avec les adolescents, notamment comme codirecteur de l'internat pédagogique et thérapeutique de Serix. Le journaliste nous dit aussi qu'il est psychologuqe et psychothérapeute pour enfants et adolescents et a une grande expérience dans le domaine de la pédopsychiatrie. Nous nous trouvons donc à la réunion du domaine de l'éducatif, de la psychiatrie et du carcéral.

Entretien avec un éducateur de la Clairière

La Clairière est un établissement de détention pour mineurs à Genève. Il a la capacité de recevoir 30 jeunes et réunit aussi bien les garçons que les filles. Un éducateur a répondu à nos questions: (Entretien avec un éducateur de la Clairière : réponses aux questions.) concernant la prise en charge des mineurs délinquants lors de leur détention. Ensuite, nous avons comparé ses réponses avec quelques données tirées de L'antichambre de la taule. Groupe information Vennes. (1978) concernant la détention à la maison d'éducation à Vennes dans les années 1970. Ce parallèle nous donne un aperçu des différentes prises en charges entre les années 1970 et aujourd'hui.

Une autre donnée semble intéressante : en analysant l’entretien de cet éducateur de la Clairière (Entretien avec un éducateur de la Clairière : réponses aux questions.) au regard du Guide touristique des prisons de Genève, nous nous apercevons d’abord que les différentes ailes de ce centre ont évolué avec le temps. Il est désormais question de secteur « préventif » et « d’observation ».

Ensuite, l’aspect préventif doit d’une part, respecter une prise en charge conforme aux objectifs actuels de protection et d’éducation et, d’autre part, jumeler le plus harmonieusement possible une privation de liberté et une action éducative. En matière d’éducation, le dialogue semble devenir une priorité ainsi que les règles de respect inter-individus et vis-à-vis du matériel mis à disposition dans l’établissement. Les conditions d’accueil étaient autrefois considérées comme « innovantes » et semblent désormais offrir un contexte d’enfermement moins sévère mais repensé différemment.

Après avoir rassemblé toutes ces données, nous pouvons en conclure que l’aspect éducatif et préventif a été mis en avant pour les mineurs en prison entre 1970 et aujourd’hui. Les conditions de vie et de détention ont été améliorées de telle sorte que les jeunes sont très protégés et encadrés (par exemple, ils reçoivent des cours de sexualité et sont amenés à réfléchir aux conséquences de certains actes comme le viol). L’utilisation de situations réelles au sein de la Clairière sert support de travail. Par ailleurs, les sciences de l’éducation ont permis de modifier la manière de préparer les jeunes à leur retour dans la société. Les mineurs restent en contact avec le monde extérieur grâce à des visites mais ils ont la possibilité (ou l’obligation pour les jeunes de moins de 16 ans) de suivre des cours avec un enseignant spécialisé. Dans certaines prisons pour mineurs, il est proposé de faire un apprentissage en vue de la future sortie.

Même si les jeunes ne bénéficient pas d’un suivi après leur incarcération, ils auront bénéficié de nombreux moyens éducatifs mis en place, réfléchis et adaptés à leur besoins afin de rejoindre le monde extérieur dans les meilleures conditions possibles.

La formation en prison aujourd'hui : qu'en est-il ?

Aujourd'hui, la population en milieu carcéral représente en majorité un niveau d’étude et de qualification très bas. Selon certaines sources, la majorité des détenus ne dépasse pas le niveau d’études primaires, et le nombre d’illettrés est très largement supérieur à celui existant dans l’ensemble de la population. L'une des grandes difficultés pour les enseignants est le niveau très hétérogène des détenus. Ainsi, pour ce type de public, le premier objectif est la maîtrise des savoirs fondamentaux. C'est-à-dire, maîtriser la langue orale et écrite, les mathématiques et la connaissance du monde actuel. Si certains possèdent déjà ces connaissances, ils n'ont pas les diplômes. Selon les médias, l’enseignement en milieu pénitentiaire est fondé sur les mêmes exigences qu’en milieu libre ; il vise l’acquisition de compétences nouvelles et une meilleure qualification générale et/ou professionnelle sanctionnées par des diplômes reconnus. La finalité fondamentale de l’enseignement est de contribuer à ce que la personne détenue se dote de compétences nécessaires pour se réinsérer dans la vie sociale.

Pour tous les jeunes et adultes en détention, l’enseignement poursuit plusieurs objectifs : tel que la participation à des échanges sociaux et culturels, des activités intellectuelles complexes et enrichissantes et enfin, il contribue à restaurer un sentiment de compétence et une image de soi plus positive. De plus, de nombreux détenus ne peuvent accéder aux ateliers ou à d’autres activités plus attractives, généralement faute de place, parfois faute d’autorisation.

Il est important de rappeler que beaucoup de détenus, étant donné leur situation financière, privilégient l’accès au travail à l’accès à l’enseignement. Il est souvent possible de suivre une formation professionnelle ou l'exercice d'un emploi en parallèle à un enseignement. Ainsi, la pertinence du dispositif d’enseignement suppose que les acquis soient validés et fassent l’objet d’une certification reconnue, d’un positionnement ou d’une attestation de cursus suivi et de niveau atteint (certificat de compétences...) qui permettent une poursuite des apprentissages après la libération. Enfin, les enseignants apportent aux autorités judiciaires, une appréciation du travail réalisé par le détenu. Ils peuvent, le cas échéant, participer à la commission d’application des peines.

Conclusion : Réflexion générale sur les problématiques et mise en avant des apports des Sciences de l'Education

Prendre la prison comme objet d'étude en sciences de l'éducation apparaît dans un premier temps surprenant. Or rapidement on peut voir que cette pratique punitive qui a maintenant plus de deux siècles interroge cette discipline de diverses manières.

La façon de punir va de pair avec la manière de considérer la personne qui en est l'objet à la fois dans les effets de la peine, mais plus essentiellement dans ce que la privation de liberté entraine comme limitation aux possibilités de vivre.

L'interrogation sur la prison est du même coup une interrogation sur la violence d'un système: social (qui se retrouve en prison?), juridique (comment "paie"-t-on sa faute?), judiciaire (sous quelle forme exécute-t-on sa peine) et sur la violence des rapports de pouvoir à l'intérieur du système (social, juridique, pénitentiaire) et de l'établissement même: exiguïté de l'espace, la pauvreté du choix des activités, la limitation des déplacements et des relations, l'absence d'intimité, etc.

C'est aussi les mêmes questions auxquelles il est parfois embarrassant de répondre lorsque l'on parle des jeunes voire des enfants puisque la Loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs (Droit pénal des mineurs, DPMin) fixe dans son article 4 l'âge de 10 à 18 ans. C'est donc aussi une conception de l'enfance qui est en jeu et celle de l'éducation à donner à ceux qui ont contrevenus à la loi.

Nous pouvons aussi observer que dans les différents milieux pénitentiers il y a différentes prises en charges éducatives des jeunes en prison. Certains professionnels auront une vision plus "sociale" de la prise en charge du jeune en souhaitant que le jeune puisse "profiter" le mieux possible de ce temps d'enfermement pour pouvoir mieux se réinséréer. Mais il y a aussi une prise en charge plus "rigide" voire "sévère" de l'éducation en prison, considérant le jeune comme individu devant "payer" pour le délit qu'il a fait.

L'approche diversifiée qu'offre les sciences de l'éducation au développement de l'humain permet d'ouvrir la réflexion sur plusieurs aspects: celle de la vie quotidienne en prison, celle de la formation et plus largement celle d'une pédagogie à la compréhension telle que la prône dans son ouvrage "Enseigner à vire. Manifeste pour changer l'éducation" Edgar Morin Avte sud, 2014) que l'on pourrait qualifier d'une pédagogie de la réinsertion. Celle devrait porter en amont les ingrédients d'une capacité à vivre ensemble, de respect de la vie, de tolérance de la différence, etc.

Références bibliographiques

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