La délinquance juvénile comme alternative à la répression (Pingeon)

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Résumé de l'ouvrage

Cet ouvrage d'une cinquantaine de pages se compose de seize chapitres se succédant les uns aux autres de manière simple et non élaborée (pas de subdivisions en sous-chapitres, etc.). L'auteur présente la déviance comme un "objet d'étude" et comme un "sujet de réflexion", sujet de sa réflexion aussi car il fait recours, et se justifie par la même occasion, à sa subjectivité "projetée". Ce texte se présente sans artifices et nous touche par sa remise en question incessante de l'objet d'étude et de nous-mêmse par la même occasion et, s'il s'excuse en conclusion d'un certain idéalisme ou d'une certaine naïveté, l'objectif reste "d'ouvrir un débat de plus en plus urgent".

Dès le titre de l'ouvrage, Pingeon nous livre sa vision de la délinquance juvénile: elle est action, elle est même "légitime défense". Il nous invite à nous questionner sur notre point de vue. Si la déviance s'exprime en lien à une norme, celle-ci est individuelle ce qui peut nous placer également à notre tour du côté de la déviance: celui qui subit et qui ne réagit pas à l'ordre social peut, selon un point de vue et une certaine norme, être qualifié de déviant. D'autre part, étant donné que le jugement de l'acte comme délinquant est culturel et variable, il se pourrait, comme le suggère l'auteur, que ce soit aux personnes gênées par ces actes de se demander ce qu'elles pourraient faire pour éliminer en elles "les germes de l'intolérance". Cela nous questionne à notre rapport à la déviance et à la délinquance, plus généralement à notre part d'ombre, nos fantasmes, nos désirs cachés. Et, pour mener à bien ce renversement de situation, il propose de terminer avec la stigmatisation, la mise en cage, la mise dans des cases figées.

L'auteur nous présent trois type "d'adaptations particulières" (terme préféré à celui d'inadaptation) s'articulant tous autour du thème de la souffrance vécue et ressentie. La délinquance, la toxicomanie et le suicide sont présentés principalement comme des révélateurs d'un malaise social. Le délinquant, puisque c'est lui qui nous intéresse particulièrement, est, à travers ses actes, "porteur de messages". Ce qui nous distinguerait des délinquants se résume à une sorte de "socialisation de nos pulsions", "un système de protection" ou "une canalisation de notre délinquance": "une répression légalisée" comme le suggère le titre de l'ouvrage. Il n'existe pas de profil-type de la personne délinquante mais il est relevé deux mécanismes d'analyse, "l'imprégnation par le milieu" et "la réaction à ce même milieu". Le premier regroupe la dimension familiale, celle des mass media (avec son paradoxal impact entre banalisation et stigmatisation et avec les peurs qu'elle suscite à cette époque créant des écarts entre la fantasmatisation et la réalité) et enfin celle véhiculée par la société de consommation. Ces trois milieux participent de leur influence sur la personne, portant alors une responsabilité non négligeable dans le phénomène. En réaction à ces milieux, il se dégagera une souffrance révélées par les "sentiments d'injustice, de frustration et de dévalorisation"". De même la misère (humaine, sociale, économique, etc) ne doit pas être oubliée lorsque nous abordons ce sujet. Pingeon se réfère à des études à propos des trois catégories vue précédemment. A propos de la délinquance, il relativise le rajeunissement des acteurs, la gravité des actes, l'apparition de nouvelles et légères transgressions. La délinquance féminine est aussi abordée.

L'auteur se questionne sur la "délinquance cachée", celle qui ne parviendra jamais aux oreilles des magistrats, celle pas dénoncée donc, faisant office d'après lui d'actes socialisants quoique considérés, malheureusement, comme délinquants. Que se passerait-il si tout était su, tout serait réprimé? Il questionne alors les professionnels, comme il les nomme peut-être non sans ironie les "médecins-juges, policiers-juges, éducateurs-juges, juges-juges". Il pourrait alors y avoir amplification du phénomène, et à l'opposé la possibilité aussi d'une atténuation du dit phénomène, en ne réprimant pas par exemple certains délits de personnes non majeures et de l'autre côté en œuvrant sur les causes sociales.

Ensuite Pingeon consacré à l'utilisation de médicaments psychotropes comme nouvelle "camisole de force". A cette camisole chimique, il en ajoute trois autres à "l'arsenal rééducatif", "la camisole physique ou la détention, la camisole psychologique ou le chantage relationnel, la camisole sociale ou la mise au travail". Cette première et troisième camisoles sont largement abordées, se contentant de décrire brièvement le chantage relationnel encore utilisé dans la relation éducative et dispensant toujours son lot de souffrances. La détention pose différents problèmes: l'évitement de celle-ci par les personnes qui ont des moyens financiers, la perte de droits (liberté, identité) et d'intimité, la dépersonnalisation, la stigmatisation accrue, l'augmentation des récidives faisant suite naturellement à la répression et au système fermé, le rôle de quasi bourreaux de certains éducateurs et travailleurs sociaux. Plus globalement, l'auteur qualifie la détention "d'anti-éducative" et "d'anti-thérapeutique", de "solution rassurante" justifiée depuis toujours mais toujours catastrophique en terme de rééducation. Le "travail" est aussi remis en cause dans son acceptation et sa présentation désuète à la population jeune. Il propose de requestionner la place du "travail" et de "l'apprentissage", concepts mouvants, véhicules de normes sociales. Il y a alors autre chose à faire que la mise au travail rapide du délinquant: l'expression d'une souffrance. Celle-ci est vue selon l'auteur comme "la seule alternative possible à la répression", citant ainsi plusieurs établissements qui la favorise, à travers notamment des poèmes. Si, toujours du côté des alternatives, l'auteur nous décrit le centre canadien de Boscoville, c'est pour signaler ses points positifs (système démocratique) comme ceux négatifs (institution totalitaire, décrit par Goffman dans Asiles).

Il reste entre autre à se demander à qui sert la délinquance et à élaborer d'autres options pour aborder cette problématique, notamment dans la manière d'aborder les personnes délinquantes, principalement du côté des professionnels: au niveau relationnel (confiance, affection, expression et rôles) ainsi que repenser le rapport au travail.


Pingeon, D. (1978). La délinquance juvénile comme alternative à la répression. Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, cahier no 7.

Points importants concernant la prison

L'ouvrage aborde de nombreux thèmes cités dans le résumé de l'ouvrage: ici je vais me contenter de donner quelques points clé présents dans l'ouvrage en relation avec le thème de la prison et ses critiques dans les années 1970-1980.

  • la détention comme camisole physique
  • la détention est anti-éducative et anti-thérapeutique
  • la détention est justifiée depuis toujours mais est catastrophique en terme de rééducation, de réinsertion
  • le soin de ces jeunes doit être prioritaire
  • le travail et l'apprentissage (camisole sociale) doit devenir secondaire
  • la détention pose différents problèmes:
  1. l'évitement de celle-ci par les personnes qui ont des moyens financiers
  2. la perte de droits (liberté, identité) et d'intimité
  3. la dépersonnalisation
  4. la stigmatisation accrue
  5. l'augmentation des récidives faisant suite naturellement à la répression et au système fermé
  6. le rôle de quasi bourreaux de certains éducateurs et travailleurs sociaux.

Voici quelques critiques faites en 1978. Qu'en est-il aujourd'hui? Ces critiques semblent être encore d'actualité, notamment au niveau de la perte de l'intimité (fouilles totales faites à l'entrée), les récidives et la stigmatisation.

Et sur la critique des éducateurs qui peuvent user de chantage relationnel, qu'en est-il maintenant? Quelle place ont-ils dans ces maisons d'éducation/de détention?