La désinstitutionalisation dans le champ de l'éducation spéciale 1960-1980

De DeWiki
Aller à la navigation Aller à la recherche

P. Klein, N. M., Martine Ruchat, T Vinhas, S. Wirz et C. Zuccone

Université de Genève

Introduction

A l'heure où l'on constate de "nouvelles exclusions" au nom de la protection des citoyennes et des citoyens inquiétantes pour certains, car laissant entrevoir des régressions sur le plan des politiques sociales "ruinant ainsi des décennies d'efforts de déségrégation, désexclusion, de "retour du schizophrène dans la cité" comme l'écrit le médecin Patrick Lemoine Bibliographie (p.69), un certain nombre de questions se posent pour mieux comprendre l'histoire de l'éducation spéciale Une histoire à la fois politique (antipsychiatrie, sectorisation), sociale et culturelle (intégration, normalisation, désinstitutionalisation, communauté de vie, communauté thérapeutique) dans les décennies des Trente glorieuses (1960-1990) pendant lesquelles a soufflé un vent de contestation des politiques institutionnelles. Un esprit contestataire a émergé en particulier dès les années 1970 (post soixante-huit) provoquant dans le champ de la prise en charge des personnes dites aujourd'hui "à besoins particuliers" un élan de remise en question de l'institution, du pouvoir des médecins, de la contrainte institutionnelle et médicamenteuse. Peu de travaux ont encore exploré ce champ, à Genève, sinon pour étudier l'histoire de Mai 68 et du mouvement féministe. (voir notamment Julie De Dardel.)

La recherche proposée vise à mieux comprendre comment, à Genève, le champ de l'éducation spéciale et celui de la psychiatrie ont été touchés par cette contestation. Elle fait suite à celles engagées en 2010 et 2011 sur l'histoire de l'intégration scolaire des enfants handicapés mentaux Pionniers de l'intégration scolaire des enfants handicapés à Genève et La génération intégration 1970-1980: un slogan pour quelles réalités sociales? Article 2011. Ces recherches précédentes ont montré à la fois la complexité des pratiques d'intégration amenant souvent un écart entre discours et pratiques, ainsi que les résistances à penser le handicap sans mettre une ligne de démarcation entre norme et hors norme, entre enfant éducable et non éducable, limites souvent mal définies et dépendantes des représentations sociales des actrices et acteurs des champs d'intervention sociale et du public (malédiction du handicap).

A la fin des années 1950, l'intégration apparaît pour les parents dont les enfants sont encore entièrement à leur charge dans la famille être synonyme de placement dans des institutions qu'il reste encore à créer. Le concept de normalisation qui vient s'accoler à celui d'intégration pour rapprocher toute déviance d'une norme sociale (en terme d'habitat, d'activité, voire de comportements) prête alors à confusion. Ainsi le milieu ouvert (comme Aigues-Verte par exemple) peut apparaître comme plus proche d'une vie quotidienne "normale" et donc plus intégrant que la vie en famille. Le Pavillon des Grand Bois à l'hôpital psychiatrique de Bel-Air représente encore une solution "intégratrice" pour les enfants les plus difficiles à éduquer et les moins autonomes leur permettant qui sait de "suivre" l'école comme les autres enfants même dans un milieu hospitalier.

Le terme désinstitutionalisation, quant à lui, qui fait l'objet de cette nouvelle recherche est d'abord issu des milieux de l'antipsychiatrie (et donc ni des associations de parents ni des milieux pédagogiques) et même être un terme journalistique. On peut néanmoins apparenter idéologiquement ce mouvement antipsychiatrique avec cet objectif de normalisation dans le sens de rapprocher les personnes prises en charge d'une vie quotidienne de tout un chacun.

Ainsi bien qu'ayant leurs propres origines et histoires, ces différents courants peuvent être associés au courant libertaire qui a influencé différents champs du social entre 1970 et 1990. C'est dans une perspective de compréhension de l'histoire des idées et des pratiques du mouvement antipsychiatrique genevois que s'inscrit donc cette recherche.

Dans un premier temps, cette page d'histoire sera située dans une "tradition": d'une part celle du traitement dans le respect des besoins des individus considérés comme différents (arriérés, anormaux, exceptionnels), notamment depuis les travaux des psycho-pédagogues du début du 20e siècle comme Alfred Binet à Paris, Edouard Claparède à Genève ou Ovide Decroly à Bruxelles); et d'autre part dans une tentative dès les années vingt en Angleterre (voir Libre enfants de Summerhill de Neill), mais surtout pendant et dans l'après deuxième guerre mondiale (voire les communautés d'enfants victimes de la guerre), de multiplier les expériences de vie communautaire issues du scoutisme, des mouvements de jeunesse, de l'éducation nouvelle et de l'éducation internationaliste et pacifiste, des colonies de vacances et camps CEMEA, s'opposant à la tradition hospitalière (couvent, Bon Pasteur, Hospice, institutions de prises en charge spécialisées). Ce faisant, nous dégagerons des signes précurseurs de "désinstitutionalisation" dans ces structures plus petites, parfois médicalisées (les écoles de plein-air), mais avant tout proches de la nature et des besoins des individus.

Dans un second temps, nous étudierons la période 1960-1980, laquelle a vu émerger un mouvement antipsychiatrique (critique de l'hôpital, du pouvoir médical, de la médicalisation à outrance et de la contrainte) pour une critique radicale visant le pouvoir institutionnel et entraînant des pratiques novatrices, lesquelles demandent à être mieux étudiées: 1. dans leurs objectifs (désinstitutionalisation ou déshospitalisation versus sectorisation)? 2. dans le choix fait des traitements: médicaux (traitement ambulatoire) ou éducatif et thérapeutique? 3. dans l'évaluation faite des populations concernées par une prise en charge alternative 4. dans le rôle joué par la psychanalyse comme alternative au traitement médicaux et comme modèle thérapeutique (notamment dans les communautés cf. film de Catherine Scheuchzer, Dans l'aventure du non de la parole) 5. dans le rôle donné aux familles et le poids qui leur est fait supporter (en terme financier, de responsabilité, de culpabilité,...) et en particulier à l'égard des mères et des femmes.

Il s'agira de mieux comprendre si l'antipsychiatrie est dans les années 1960-1980 une nouvelle manière de faire de la psychiatrie ou si elle est une véritable contestation de l'institution asilaire, et si les modèles alternatifs proposés ne seraient pas sous couvert d'idéologie libertaire une façon de baisser les coûts de la santé en temps de crise.

Pour ce faire, nous avons lu des articles et consulté une bibliographie d'ouvrages "classiques", livres de références pour les acteurs/trices de la période considérées, puis nous avons dépouillé des revues professionnelles pour saisir les thématiques qui ont alors traversé le champs de la psychiatrie et de l'éducation spécialisée; dans un second temps, la recherche s'est portée sur un fond d'archives de l'Association Les archives contestataires (fonds Alain Riesen/Schuler) dont les donateurs d'archives, sont les fondateurs de l'Arcade 84 et militant de l'antipsychiatrie genevoise.

Dans un troisième temps nous avons effectué un entretien vidéo (un plan fixe) avec Alain Riesen afin de lui poser cinq questions issues de la recherche dans les archives et dans la littérature afin d'avoir son témoignage sur l'histoire de l'antipsychiatrie, de la désinstitutionalisation et des communautés thérapeutiques entre 1960 et 1980.Plan de recherche 2012

Revue de la littérature

On constate qu'il n'y a guère d'articles et d'ouvrages concernant cette page de l'histoire genevoise. Un article sur la naissance de la psychiatrie d'Alain Riesen et un autre de Cléopâtre Montandon, qui relève plus d'une histoire des liens entre psychiatrie et justice bibliographie ont en quelque sorte donné le feu aux poudres à notre recherche. Mais pour approcher l'histoire des changements apparus dans les années soixante sur le plan de l'éducation spéciale dans le traitement des troubles psychiques, il a fallu d'abord s'intéresser à l'histoire de l'antipsychiatrie, puis celle de la désinstitutionnalisation et enfin celle des communautés thérapeutiques, sujet introduit par le film de Catherine Scheuchter.

Faute de littérature de seconde main concernant l'histoire genevoise, nous avons étudié en particulier les fonds d'archives aux Archives Contestataires qui rassemblent les documents produits par les mouvements contestataires de la seconde moitié du XXe siècle.

Puis une plongée dans quelques revues professionnelles et journalistiques nous a permis de mieux comprendre la place prise par ces thématiques dans les années concernées. Ainsi, un certain nombre de revues professionnelles ont été dépouillées pour la période 1970-1980. Soit: Sauvegarde de l'enfance, Déviance et Société, L'Evolution psychiatrique. S'y sont ajoutés les Cahiers Médico-sociaux entre 1956 et 1981, ainsi que le journal "Tout va bien" ( voir Notes sur journal Tout va bien) dépouillé pour les années 1970 à 1983, qui a consacré trois numéros entiers aux problèmes de la psychiatrie à Genève et surtout au mouvement antipsychiatrique lié au scandale de l'institution psychiatrique de Bel-Air en 1980.


Durant la période de 1970 à 1985, la revue "Sauvegarde de l'enfance" n'a publié aucune revue, voire même aucun article consacré au thème de notre étude, à savoir la désinstitutionnalisation dans le champ de l'éducation spéciale. Au premier abord on pourrait donc tirer la conclusion selon laquelle ce champ d'étude ou ce mouvement n'était que peu présent à cette époque. Toutefois, en se penchant davantage sur les sujets traités dans cette revue, on se rend compte que les auteurs de celle-ci n'ont pas abordé la désinstitutionnalisation en tant que telle, mais l'ont abordée par les effets qu'elle a pu engendrer à cette époque. Effectivement, on peut observer des thèmes comme la formation des éducateurs en centre de jour ou en maison d'accueil, la relation entre famille et société, l'école ordinaire, l'adolescence et la violence ou encore l'aide sociale, autant de thèmes qui ont largement découlé de ce mouvement désinstitutionnel. Il est donc fort intéressant de se pencher sur les champs d'action de ce type de revues, afin de mieux comprendre quel était le climat politique, les préoccupations, les tendances de la période qui nous intéresse. D'ailleurs, nous retrouverons tout au long de cet article de nombreuses références aux thèmes traités par la revue Sauvegarde de l'enfance.

Entre 1972 et 1974, L' Évolution psychiatrique consacre deux numéros au thème de l'antipsychiatrie. Dans ces deux numéros, les articles sont rédigés par des médecins psychiatres non antipsychiatres qui s'efforcent, dans un premier temps, de reconnaître les bienfaits des problématiques soulevées par le mouvement antipsychiatrique. Dans un deuxième temps, ces psychiatres contestent les thèses du mouvement, les critiquent et se distancent franchement des solutions proposées par les antipsychiatres pour répondre aux problématiques de départ. Après 1974, il n'y a plus de numéros ou d'articles consacrés à l'antipsychiatrie.

La Revue Déviance et Société aborde la problématique du traitement de la déviance essentiellement du point de vue pénale et de l’analyse des normes. Les quelques articles relevés entre 1977 et 1982 en lien avec notre problématique témoignent bien du questionnement autour des normes, de la responsabilité et du processus de formation de la déviance et de la stigmatisation. Il est ainsi possible de constater que l’incursion de la psychiatrie dans le domaine pénal est perçue comme une menace ou une déresponsabilisation des actes délinquants ou criminels. Et que les arguments invoqués pour l’application d’une évaluation psychiatrique est bien celle d’une aliénation, mais en dehors ou en parallèle du milieu carcéral. Concernant notamment la prise en charge des mineurs, l’article de Jean-Marie Renouard (1982) relate bien les mouvements conceptuels ayant eu lieu. De l’identification de l’enfant « inadapté » à par la suite l’identification de l’enfant « handicapé », les concepts de l’exclusion qui s’en suivent sont passés d’une stigmatisation dans le but « d’extraire » (dénoncés par la sociologie et le mouvement antipsychiatrique) à un droit à l’exclusion dans une visée de réintégration.

Les cahiers médico-sociaux se dédient aux questions contemporaines liées à la santé publique et médico-sociales. C’est d’un point de vue « mesuré » que cette revue nous indique de façon précieuse quelles étaient les dispositions prises au niveau des politiques sociales (Assurances Invalidité, lois) et du traitement médical ou thérapeutique (services, institutions, approches thérapeutiques, relation praticien-patient). Les articles retenus concernent essentiellement l'hygiène mentale et son appréhension.


Cette revue de la littérature montre que les années 60 à 80 ont été fortement teintées par une volonté de sortir les personnes malades de l'institution névrosante, des ghettos asilaires, et de viser plutôt une ouverture vers la communauté. C'est la recherche de la normalisation, donnant de l'ampleur à un certain courant humaniste. Est apparue la notion de Droit des patients: toute personne a le droit de vivre dans son milieu et de participer à la vie de sa communauté. La nécessité d'être acteur de son processus de guérison est devenue prioritaire. Mais jusqu'où est-on allé? Où se situe la limite d'une "vie comme tout le monde" lorsque l'on souffre, que l'on a des besoins spécifiques? Les années 70 ont été permissives et ont laissé beaucoup d'autonomie aux personnes handicapées ou malades, mais se sont-elles senties mieux?

Méthodologie

Le travail de recherche a mêlé plusieurs méthodologies. Outre l'apprentissage de l'usage d'un wiki qui a cimenté comme il se doit cette "communauté de travail" de six membres, ceux-ci ont travaillé dans trois directions: la recherche documentaire et bibliographique, l'étude d'un fonds d'archives (le Fonds Riesen/Schuler de l'Association les Archives contestataire) et la construction d'une grille de questions à poser au "grand témoin", Alain Riesen. Ces quatre outils méthodologiques ont donc fondé cette étude.

1. De l'usage du wiki

La pratique de l'intelligence collective oblige à mettre en mouvement deux réseaux: le réseau que forme les membres de la communauté qui travaillent constamment ensemble pour alimenter le site Dewiki et le "réseau" des pages de rédaction qu'il offre, soit: celles de l'article, du dictionnaire des concepts, de la bibliographie et des résumés. Reste évidemment la page d'accueil qui permet de visualiser l'ensemble et de suivre les tâches à effectuer d'une semaine à l'autre. Ce travail de recherche mêle des moments de rencontre sur le web (notamment par les pages de discussion autour d'une activité), mais aussi réellement en salle de cours, afin surtout d'assurer le rythme d'avancement de la démarche et d'échanger du point de vue intellectuel et du point de vue technologique. L'évaluation de la démarche se fait aussi dans une même perspective d'intelligence collective qui nécessite un engagement des personnes pour le "bien commun" à savoir le résultat de l'ensemble des activités qui forment cette recherche originale. Une autoévaluation collective clôt la démarche un mois après la fin de l'expérience collective pour permettre d'ajuster les rythmes individuels et de peaufiner les textes.

2. De la recherche documentaire et bibliographique

Afin de mieux comprendre les positions des différents acteurs dans les domaines que nous avons étudiés, il a été nécessaire de se plonger dans différentes revues professionnelles ou sociales. La plupart d'entre elles étant gardées en version papier dans différents lieux d'archives ou bibliothèques, nous nous sommes rendues dans les bibliothèques universitaires de plusieurs facultés (psychologie et sciences de l'éducation, lettres, médecine,...) afin d'avoir accès aux articles de l'époque. La plupart de ces thématiques n'étant pas directement liées à nos propres études, il nous a fallu, dans un premier temps, saisir tout un lexique, une pensée, un domaine parfois méconnus, voire inconnus. Dans un deuxième temps, il a fallu comprendre comment ce qui avait été lu pouvait s'inscrire dans cette période entre 1960 et 1980, quelles étaient les sources d'inspirations et les revendications de cette époque particulière. Nous avons également fait appel à des ouvrages, des livres que nous avons trouvé en bibliothèque afin d'étayer notre recherche.

3. De la recherche en archives

Nous sommes allées deux matins aux Archives Contestataires, afin de faire de la recherche sur le fond Riesen/Schuler. Avoir en mains des documents manuscrits, de vieux journaux, et de la documentation provenant de ces militants (médecins ou non) a été enthousiasmant nous amenant à découvrir une nouvelle façon de faire de la recherche en sciences de l'éducation. Aussi, cela nous a permis de mieux comprendre notre objet d'étude dans le cadre genevois et ainsi de pouvoir préparer les différentes questions que nous allions poser à Alain Riesen lors de notre entretien.

4. La constitution d'une archive orale

N'ayant trouvé que peu d'archives écrites sur le mouvement de contestation de la psychiatrie à Genève entre 1960 et 1980, nous avons eu la chance de pouvoir interviewer Monsieur Alain Riesen, ergothérapeute et co-fondateur d'Arcade 84. En relation avec les thématiques propres à chacune selon les revues consultées ou les ouvrages lus, nous avons pu l'interroger d'abord sur sa position de professionnel de la psychiatrie et son statut de militant. Dans un deuxième temps, nous lui avons demandé qu'elles étaient ses lectures de référence, sa conception de la maladie mentale, et sa vision du partenariat avec les familles des malades. Finalement, nous l'avons interrogé sur les apports de toutes ces années de militantisme, notamment au sein de l'ADUPSY (l'association pour les droits des usagers de la psychiatrie) et du réseau alternatif à la psychiatrie.(Questions). Cet entretien nous a tout d'abord permis de mieux comprendre ce qui s'était réellement passé à Genève durant la période étudiée, et surtout d'avoir des éléments précis et concrets de cette période de désinstitutionnalisation. C'est ainsi que nous avons pu compléter notre article en regard des propos de Monsieur Riesen.

Panorama historique général

  • Des prisons à l'asile pour les personnes atteintes d'affections mentales

Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les hôpitaux psychiatriques internaient une population bien différente de celle accueillie au XXe siècle. Cléopâtre Montandon (1978)  nous rappelle que les populations désignées comme relevant de l'univers psychiatrique étaient très fortement liées à l'univers carcéral. Effectivement, jusqu'au XVIIIe siècle, les criminels étaient considérés comme "fous" ou "aliénés" et se voyaient enfermés, voire même enchaînés dans des "maisons de discipline" ou dans des "hôpitaux pour fous". A cette époque, seule la justice décidait du lieu d'incarcération des individus criminels. Peu à peu, des distinctions se sont faites pour montrer que certains criminels aliénés relevaient davantage de la psychiatrie, et se définissaient essentiellement par une responsabilité restreinte et une santé mentale défaillante. Ce sont alors ces personnes, désignées comme ne pouvant accomplir leur rôle social, que les hôpitaux psychiatriques ont admis dans leurs locaux. Pour décider et justifier ces internements, la justice ne pouvait agir seule. C'est à partir de 1838 qu'une loi voit le jour à Genève concernant l'internement des "aliénés": loi sur le placement et la surveillance des aliénés (5 février 1838). On parlera dès lors de placement des aliénés, et non plus de l'enfermement ou de l'internement de ces derniers.
"Ce n'est qu'à partir de 1936 que l'autorisation d'un internement est délivrée sur vue d'un certificat médical par le Département de la prévoyance sociale et de la santé publique". Ainsi, on voit combien la société évolue en définissant clairement et sur preuves médicales qui peut être placé en hôpital psychiatrique.

On peut également noter que les préoccupations principales de la période du XVIIIe au début du XXe siècle se restreignaient principalement à la sécurité, et de fait au placement de ces personnes. Où pouvait-on mettre physiquement ces personnes différentes pour qu'elles ne nuisent pas à la société? Que pouvait-on faire d'elles? Qui pouvait s'en occuper? Que faire avec ces personnes? On observe dès lors que, pendant plusieurs siècles, ces personnes étaient enfermées, considérées comme étant dénuées de tous sens, de toute sensibilité, et par conséquent ne recevaient aucune éducation. Il faudra alors attendre la fin du XIXe siècle pour entrevoir une forme d'éducation de ces personnes.

Dans son article, "La naissance de l'institutions pour aliénés" à Genève au 19e siècle, Alain Riesen montre que la problématique de l'internement est grandissante et que "l'inhumanité de l'enfermement" (Riesen, 1981) est au cœur des préoccupations. Il relate également une nouvelle conception du milieu asilaire : "la possibilité d'améliorer l'état des aliénés, ou même les guérir, si de bonnes conditions sont réunies". En d'autres termes, il s'agirait de pouvoir administrer un traitement aux malades de manière à guérir, à soigner leur folie; à l'époque nommé traitement de la folie. Plusieurs types de traitements font alors leur apparition et notamment l'isolement. Il s'agissait d'éloigner le malade des conditions de vie qui l'ont rendu fou "afin de le soustraire à leur influence". La médication fut également un des traitements de la folie.

Cette nouvelle manière de penser l'internement étant accomplie, plusieurs dérives ont vu le jour, et notamment les placements abusifs effectués par le Département de Justice et Police. En 1895, la Loi de 1838 est revue de manière à éclaircir la procédure d'admission des aliénés. "Même si la loi de 1838 ne rend pas obligatoire l'avis médical pour procéder au placement, dans la pratique, le médecin se fondant sur une science de l'aliénisme en plein développement, va jouer un rôle de plus en plus important dans le placement et la sortie des aliénés" (ADUPSY). L'avis médical devient dès lors requis pour tout placement. Enfin, la réforme de 1936 met en évidence la nécessité et l'exigence d'un certificat médical pour être placé. Quiconque ne peut pas être défini comme "fou" ou "aliéné" sans avis médical suivant des règles précises.


  • L'éducation...

Au début du XXe siècle, Binet et Simon (1907)  donnent une nouvelle forme cognitive de l'éducation spéciale qui perdurera au moins jusqu'au années 1960 (Chauvière et Plaisance, 2003, p. 32).  A cette époque, on distinguait les arriérés d'asiles, non éducables et à laisser entre les mains des médecins, des arriérés d'école. Ainsi, des institutions apparaissent entre l'hôpital et la classe ordinaire: les classes spéciales (ou classes de développement) et les instituts médico-pédagogiques. Dans ces nouveaux lieux, la pédagogie était inspirée par l'atelier, c'est-à-dire guidée par la mise en œuvre de travaux manuels et d'exercices pratiques (Chauvière et Plaisance, 2003, p. 33). A Genève, c'est le médecin et psychologue Edouard Claparède qui sera appelé pour réorganiser les classes spéciales sur un mode scientifique, c'est-à-dire en tenant compte du diagnostic effectué sur l'enfant et du pronostic d'éducabilité. Voir Ruchat

En Grande-Bretagne, dans les années 1920, A.S Neill, puis dans les années 1960, David Cooper ont mis en place de nouveaux lieux pour exercer une forme innovante de psychiatrie et d'éducation, remettant en question l'internement psychiatrique des malades mentaux. C'est en effet à travers des expériences comme Libres enfants de Summerhill de Neill en 1921 ou Pavillon 21 menée par Cooper en 1962 que l'antipsychiatrie semble voir le jour. Effectivement, plusieurs principes régissent ce nouveau type de lieu à savoir la liberté des individus, le self-government, les apprentissages facultatifs... en ayant pour hypothèses que le mal-être et la maladie mentale de ces individus sont en partie dus aux contraintes du monde dans lequel ils évoluent et apprennent. Dès lors, il convient de créer des institutions, des lieux éloignés de toute coercition et de toute autorité. Notons également que Maud Mannoni, dans la préface de l'ouvrage Libres enfants de Summerhill, relate que Neil faisait partie de "la lignée anarchisante qui donna naissance à l'antipsychiatrie" (Mannoni, dans Neill, 1979, p. 9).

Mais on constate aussi, en France, que la période 1945-1960 est également bouleversée et traversée par de nouveaux modèles éducatifs avec la naissance de lieu de vie où l'enfant inadapté est accueilli, non pas à travers sa maladie ou sa différence, mais plus à travers le fait qu'il est un enfant et qu'il doit être éduqué. Jean Lagarde, fondateur de l'association de la sauvegarde des enfants invalides dans la période après guerre, souhaitait effectivement faire "l'expérience d'éducation toujours dans un creuset communautaire" (Capul, 2002, p.141). Lagarde avait pour objectif de créer un lieu où les soins médicaux puissent être administrés aux enfants qui en nécessitaient, tout en leur proposant un accueil éducatif. Nous pourrions plutôt dire qu'il désirait créer une école, un lieu de vie où un suivi médical était envisageable. Il s'agissait en effet d'éloigner l'enfant du lieu médical pour qu'il devienne élève et que, de fait, il puisse apprendre. Dans cette optique, équipe pédagogique et équipe médical devaient collaborer étroitement. Cette expérience est à nouveau le témoin d'une nouvelle forme de prise en charge. Il est possible de faire le lien entre cette expérience et l'approche de Maud Mannoni en 1969, avec la création de l'Ecole expérimentale de Bonneuil-sur-Marne où il s'agissait également de séparer les lieux d'analyse et les lieux de vie (lieux pédagogiques).


La désinstitutionalisation

Selon des sources internet, le mouvement de désinstitutionalisation semble avoir débuté vers 1960 (même s’il semble qu’il y ait eu un prélude à la désinstitutionnalisation au début du 19e siècle (L’Institut universitaire en santé mentale de Québec par exemple - La désinstitutionnalisation, http://caringminds.ca/index.php?option=com_content&view=article&id=62&Itemid=43&lang=fr&limitstart=7). Certains observent le début de ce mouvement en Scandinavie, d’autres au Québec. Dans tous les cas, il s’agit d’un mouvement d'ouverture vers la communauté, d’une volonté de «normalisation»Normalisation

Le mouvement de désinstitutionnalisation s'appuie avant tout sur une philosophie qui met l'accent sur les droits et les libertés des individus, et elle vise à humaniser les soins de santé mentale. (Encyclopédie de l’Agora).

L'horreur suscitée par les politiques nazies du meurtre eugénique des malades psychiatriques et les camps de concentration pendant la Seconde guerre mondiale, ont attiré l’attention sur les pratiques « déshumanisantes » dans les soins psychiatriques en santé mentale, (séquestration, mauvais traitements en tout genre, manque de formation des professionnels). (Voir Martin, 1984 et Claire Henderson et Graham Thornicroft, Santé mentale au Québec, vol. 22, n° 2, 1997, p. 88-114. ) Les années d’après-guerre ont vu un accroissement de l’intérêt porté à l’institution comme objet d’étude. Certains auteurs parlent de l’institution comme étant « névrosante », « façonnant et codifiant les gens dans le rôle de patient psychiatrique » (Goffman (1961). On observe dans les années 60 une disparition du personnel religieux des hôpitaux. Naît alors une nouvelle conception de l’individu, une évolution des attitudes envers le malade ; on veut le sortir des murs de l’asile psychiatrique. On commence à parler, à cette époque, du « droit de la personne ». Des idéaux humanitaires amènent alors à une nouvelle vision de la maladie mentale. Il semble que ce mouvement de désinstitutionnalisation soit également lié à l’apparition des pratiques de pharmacopée. Effectivement, « Ces nouveaux médicaments permettaient de calmer les malades agités, délirants, hallucinés et ainsi permettre d'envisager et de généraliser des traitements psychiques dans des conditions plus réalistes ou encore, lorsque c'était possible, d'envisager un retour au domicile ou dans des structures intermédiaires ».(déf. du mot « psychiatrie »).

On a le désir de «normaliser » leurs conditions de vie.

Dans les années 60, si la personne « déficiente intellectuellement » est encore considérée comme un « malade », le malade mental ne l'est plus, mais davantage comme un sujet pouvant être aidé et guéri. On met en avant le fait que la maladie mentale ne nécessite pas nécessairement une hospitalisation, et qu’elle doit être considérée comme une quelconque maladie. On externalise, on invente la psychiatrie de secteurs, on commence à intégrer des services pour les malades mentaux dans des hôpitaux ou cliniques. On évite ainsi la stigmatisation des malades mentaux placés pour de longues périodes en asile psychiatrique, et on leur évite la perte de leurs facultés leur permettant de se réintégrer dans la société. On redonne alors un rôle à la communauté, tout en accordant des responsabilités aux familles. Le patient devient alors le cœur de l'intérêt des praticiens. (in Lettre trimestrielle de l’association romande Pro Mente Sana)

La désinstitutionalisation a permis aux personnes présentant des troubles psychiatriques de sortir de ce milieu assimilé pendant de nombreuses années, au milieu carcéral. Mais une fois "libérées" où vont ces personnes? A ce sujet,  N. Carpentier (2001) affirme dans son article que 60 à 70 % des patients retournent dans leur famille après l’hospitalisation. Mais plusieurs auteurs ont démontré que l'arrivée d'un malade dans une famille, avait de lourde conséquence sur celle-ci.

Avant d’en venir aux conséquences, il semble nécessaire de revenir sur la représentation qu'ont les professionnels des familles des patients. Pour cela, il est intéressant de revenir sur l'évolution de leur vision. En d'autres termes, comment la famille, alors qu'elle était considérée comme coupable de la maladie de l'un de ses membres, est devenue un partenaire idéal?

Au début du XXème siècle, celle-ci était considérée comme étant la cause, l'origine de la maladie de l'enfant. Les professionnels affirmaient que la maladie mentale était un problème génétique, héritée de plusieurs générations antérieures. Ensuite, les années cinquante ont apporté un premier renversement dans cette représentation. En effet, la famille était perçue comme étant un « système réagissant aux troubles mentaux de l’un de ses membres, plutôt qu’en tant que système causant des désordres psychiques » (Carpentier, 2001, p.84). Ce changement de perspective est en lien avec l’arrivée d’une politique qui favorise les hospitalisations de courte durée. En d’autres termes, les familles commencent à être perçues comme une solution aux changements politiques.

Dans les années 60, la psychiatrie adopte une vision centrée sur la communauté. Ce changement va être très favorable pour les familles, puisqu’il permet à ces dernières de se déresponsabiliser des troubles mentaux. Ainsi, toujours selon Carpentier, à cette époque « les désordres psychiques [doivent être étudiés] sous l’angle de l’isolement social, des désavantages sociaux, puis selon la présence de stresseurs sociaux et économique »( p.89) .
Ainsi, au fur et à mesure que le mouvement de désinstitutionalisation est mis en place, les politiciens et les professionnels considèrent la famille comme étant une solution au problème. En effet, cette dernière est perçue comme « une source privilégiée de soutien émotionnel et social ainsi que comme place de choix pour relocaliser le patient psychiatrique. » (Carpentier, 2001, p.91.)

Du côté des familles, il semblerait selon R. Therrien (1990) que sur le plan économique et émotionnel, la désinstitutionnalisation leur demande beaucoup, en particulier aux femmes. En effet, toujours selon R.Therrien, avoir quelqu'un ayant des problèmes mentaux à la maison provoque beaucoup de stress. Chez certains, un malade peut devenir un véritable "fardeau", puisque celui-ci impose beaucoup de contraintes. Effectivement, avoir une personne malade à la maison peut engendrer des conséquences telles que la réduction des loisirs habituels, les sorties avec les amis, par peur d'être jugé, ou encore d'avoir des problèmes avec les voisins, car les comportements de la personne dérange. Tous ces problèmes ont un impacte très fort sur la famille d'autant plus qu'elle n'est pas aidée, ni reconnue pour tout ce qu'elle fait pour la personne malade.  
A propos de la lourde responsabilité des parents, on peut se demander si les familles ne finiraient pas elles aussi à un moment donné par tomber malade. A ce sujet, le témoignage d'Alain Riesen souligne que lorsqu'une famille prend en charge un de ses membres malade, il ne faut pas qu'elle reste seule, mais qu'elle en parle, partage ce qu'elle vivait au quotidien. C'est donc, pour ces raisons-là que des thérapies familiales ont vu le jour.

La communauté: un modèle alternatif à l'institution fermée

La communauté comme mode de prise en charge a, dans le champ de l'éducation spéciale et spécialisée, sa propre histoire. Relevant d'une approche démocratique et souvent pacifiste, la communauté est une forme de gouvernement par les personnes elles-mêmes (y compris les enfants). La notion de self-government a été développé dans le cadre de l'éducation nouvelle pour définir de telles pratiques dès la fin du XIXe siècle. Lors de la seconde guerre mondiale des communautés d'enfants victimes de la guerre ont vu le jour partout en Europe. Se référent à des modèles antérieurs comme les écoles nouvelles à la campagne de l'éducation nouvelle (et donc du self-government) , de la république d'enfants, de la cité des enfants, leurs fondateurs ont contribué au relèvement de l'éducation en Europe par un modèle visant la participation des enfants à la gestion de la communauté et leur autonomie. Souvent, transformé dès les années 1950 en foyer pour enfants (malheureux, difficiles voire délinquants), le modèle des communautés d'enfants semble être circonscrit à une période temporelle courte et particulièrement difficile sur le plan économique. On peut donc se demander si ce type de modèle ne serait pas "choisi" particulièrement en temps de crise et de manque de ressources financières donnant ainsi plus de pouvoir aux "usagers" permettant ainsi un moindre encadrement institutionnel. [[1]].

Des « communautés thérapeutiques » ont été créées en réaction aux enfermements asilaires prônés jusque-là mais qui commençaient à être pointés du doigt, car considérés comme déshumanisants. Bien que créées tout d'abord pour répondre aux phénomènes de dépendances (toxicomanies, par exemple), on trouve, dès la fin des années 60, des communautés thérapeutiques en Angleterre, en France, en Suisse et au Québec, destinées au secteur de la psychiatrie. Avec la naissance de ces communautés thérapeutiques, une nouvelle approche de la psychose en-dehors des lieux de soins traditionnels s'est développée (Schatzman, 1969; Barnes et Berke, 1973; Fabre, 1978; Lecomte et Tourigny, 1983a). Leur but est de créer un milieu "naturel", en reconstituant les structures d’une « macro famille » ou d’une « mini société », plus rassurantes : on trouve par exemple la Communauté des Sablons, (Maison d'enfants à caractère social et familial (76270 Saint-Saire), ou, en Suisse, le foyer de Tavel qui a vécu cinq ans (1975-1980). Dans le film de Catherine Scheuchzer, « Dans l’aventure du non, la parole », (tourné à Boulens, dans la campagne vaudoise, dans les années 70 ), on découvre, dans un décor post soixante huitard, très simplement, dans un rythme extrêmement lent, des adultes et des enfants en interaction, « comme dans la vraie vie ». Cette expérience est décrite comme « une véritable expérience d’éveil à la vie », qui « prend le contre-pied du placement en institution psychiatrique » (L’Est vaudois, 19.11.92). Plutôt que de considérer cette population d'enfants, comme on le faisait en asile, comme des fous, murés dans leur silence. On veut les considérer comme des partenaires, des interlocuteurs. Le but est effectivement de les faire participer au quotidien d’une maisonnée, plutôt que de créer des ateliers protégés artificiels. De la sorte, ils sont poussés à se dépasser, à faire des expériences par eux-mêmes, sans avoir nécessairement recours au soutien d’un adulte. Il semble qu'à cette époque, cette nouvelle façon de considérer les enfants autistes comme étant capables d’autonomie, capables d’agir, ait apporté un peu d’humanité dans leur prise en charge.

L'enfant  ainsi placé dans une communauté thérapeutique vaudoise est-il plus "intégré" que s'il l'était dans une institution considérée par ces acteurs alternatifs du "système" comme un ghetto? Il en va de même avec le terme désinstitutionalisation? Qu'est-ce que l'institution? Il y en a des "bonnes" (maternantes, enveloppantes, naturelles...) et de "mauvaises" (contraignantes, mortifères) (sur ce point les travaux de Fernand Oury puis de Jacques Pain mériteraient qu'on s'y attache (voir la psychothérapie institutionnelle sur le site de Jacques Pain: http://www.jacques-pain.fr).

Prémisses à l'antipsychiatrie

Dans les années 60, Michel Foucault a tenté d'amorcer "un dialogue entre la psychiatrie et ses sujets" (Rose, 2006, p.113) et dès 1971 avec la sortie de son ouvrage sur les prisons, c'est à la critique de l'univers carcéral et des rapports de pouvoir qu'il s'attelle (Surveiller et punir, 1971). Ces critiques, plus tard regroupées sous le nom d'antipsychiatrie, visaient à remettre en question "la manière dont le pouvoir du médecin était impliqué dans la vérité de ce qu'il disait et, inversement, la manière dont celle-ci pouvait être fabriquée et compromise par son pouvoir (Rose, 2006, p.120-121).

En Italie, Franco Basaglia, qui s’est appuyé entre autres sur les modèles de l’antipsychiatrie anglaise et française pour mener sa lutte (Cooper, Lang, Foucault, Castel), s'en est pris aux conditions de vie moyenâgeuses réservées aux malades mentaux. En quelques années, il démantèle l’asile et expérimente les premiers éléments de sa conception territoriale (et non plus institutionnelle) de la folie : le malade est soigné dans son milieu social » (TVB 10 octobre 80).

L'institution comme lieu d'exclusion est mise à mal par une volonté de certains de supprimer ces lieux de contrainte, pour une vie libre dans la Cité (sectorisation) ou dans des communautés thérapeutiques (de préférence à la campagne) partant du présupposé que les conditions de vie des personnes sont déterminantes dans leur état de santé (avant même tout diagnostic). Par ailleurs, dans ces années-là, la vie quotidienne devient un objet d'étude (la sociologie de la vie quotidienne), terreau de multiples expériences pédagogiques et thérapeutiques. Le slogan "La liberté est thérapeutique" s'allie à une critique de la contrainte médicamenteuse et des pratiques de contention psychiatrique: elle donne ainsi une place à de nouvelles formes d'"éducation spéciale".

Symptôme de ce changement le terme d'"usagers" vient reléguer celui de "patients" donnant un nouveau statut aux personnes, écorchant ainsi le sacro saint pouvoir des médecins et des directions des institutions.

En Suisse, en se fondant sur des principes similaires à ceux de Neil et de Cooper, dès les années 1960,  de nombreuses institutions privées pour enfants handicapés ou en difficultés se développent en Suisse, majoritairement sous l'impulsion d'associations de parents. Ces derniers ont été amenés à créer et à gérer des institutions de type médico-éducatif pour éviter à leurs enfants d'être relégués dans des services d'hôpitaux psychiatriques ou d'être seulement en survie à leur domicile (Chauvière et Plaisance, 2003, p.35). Aujourd'hui, les institutions, à Genève, semblent toujours être un peu sur le même modèle, celui de "l'alliance" entre le médical et le pédagogique (qui regroupe aussi l'aspect éducatif). Si on ne cherche peut-être plus à éviter aux élèves la relégation en psychiatrie, on les place dans des lieux parfois hors de tout cursus ordinaire et loin de la norme. Ce qui questionne enfin sur qu'est-ce que la normalisation? Et où mettre la limite à une vie comme tout le monde avec un handicap: la liberté (permissivité, autonomie) des années 1970 a-t-elle fait l'impasse sur la souffrance des individus face aux exigences thérapeutiques et pédagogiques? La communauté d'enfants (pédagogique, institutionnelle, thérapeutique) est-elle un modèle "utile" en temps de crise des institutions: peu coûteux, demandant un engagement au quotidien (vie quotidienne) du collectif pédagogique et thérapeutique (donc assurant un "contrôle social" maximal.

Au sujet de la question de l'influence du modèle des communautés thérapeutiques sur le processus de désinstitutionnalisation et antipsychiatrique des années 1960 à 1980, Alain Riesen met en évidence dans ses propos qu'il est important de créer un parallèle entre le passé et le présent de manière à situer le contexte historique et politique, mais surtout de manière à voir sur quoi reposent nos agissements. Ainsi, selon lui, la naissance de ces communautés thérapeutiques comme détaillée précédemment dans ce chapitre, est un pas dans l'histoire de la désinstitutionnalisation. Effectivement, ces communautés thérapeutiques se développent comme une alternative à l'hospitalisation traditionnelle dans un contexte qui remet en question les rapports de pouvoir dans l'institution, mais également au niveau de l'éducation, de la santé ou encore des rapports entre hommes et femmes.

Toutefois, Riesen pointe le fait que ces communautés thérapeutiques prônant à l'époque leur volonté de travailler dans la relation à l'autre en utilisant les moyens les moins coercitifs possibles pour entrer en relation, soigner et atténuer la souffrance psychique des patients, ne se sont pas développées sur le long terme. En effet, cette alternative à l'hospitalisation est vécue par certains comme plus dure et comme provoquant plus de souffrance en raison de la non médicalisation qu'elle préconise. De plus, cette approche thérapeutique est très coûteuse en personnel soignant qualifié et ne pourra donc être soutenue par l'état. Bien que cette tentative ne soit pas celle qui ait perduré, Riesen relève le fait qu'elle ait tout de même eu son importance dans l'histoire.

Psychiatrie et antipsychiatrie

L'apparition de la médication au début des années 1960 permet d'éviter l'internement. Elle soutient fortement le changement qui s’opère dans les pratiques et donne l'impression de pouvoir faire quelque chose. Elle fait transparaître un espoir aussi bien pour les praticiens que pour les patients puisque grâce à l'administration de médicaments, il y a une diminution des hospitalisations, une augmentation des prises en charge ambulatoires et une augmentation des consultations. L'avancée de la médecine et l’essor de la psychopharmacologie permettent alors de développer de nouvelles perspectives thérapeutiques et de nouveaux défis comme le soutien au patient et à sa famille, et la mise en place de nouvelles structures. Il s'agit ainsi de "jeter un pont entre l'hôpital et la ville" (CMS, 1963, 7ème année, n°2 "L’assistance psychiatrique"). Les personnes dites "folles" ne sont plus à enfermer, mais des personnes souffrant de troubles mentaux qu'il faut soutenir dans leur autonomie et contenir dans leur pathologie (Kovess-Masféty, Boisson, Godot & Sauneron, 2010). Cependant, les connaissances récentes sur les effets de la médication et les abus sur son utilisation sont également soulevés.

L'antipsychiatrie se veut aussi anti-thérapeutique, ce qui lui est vivement reproché par les anti antipsychiatres. Selon ces derniers, les antipsychiatres considèrent que "les traitements sont à proscrire" (Maurel, 1972, p. 79). "Traiter, écrit Cooper, c'est être intéressé à rendre le patient plus acceptable pour les autres...et lui faire manifester de moindre façon sa détresse" (Maurel, 1972, p. 79). Les anti antipsychiatres militent ainsi pour une guérison grâce à des médicaments efficaces (au sens médical), selon des avis rapportés par les patients eux-mêmes. Selon les psychiatres opposés au courant antipsychiatrique, ce-dernier vise "sans toujours l'avouer à "soigner" clandestinement les "malades"" (Maurel, 1972, p.80), ce qui est selon Maurel et ses collègues, une contradiction.

Le mouvement antipsychiatrique  "s'oppose d'abord et avant tout à une forme de monopole du savoir médical" (Mannoni, 1970, p. 9). Il dénonce l'autorité morale et policière du psychiatre. Toutefois, psychiatres et partisans de l'antipsychiatrie s'accorde sur le fait que

la société place le psychiatre dans une position ambiguë : il est au service d'un patient dont il a à défendre les droits mais il se trouve également placé en position d'auxiliaire de la police dans un programme d'internement qui est un processus d'obligation de soins (Mannoni, 1970, p. 168).

Les réponses apportées par les uns et par les autres pour essayer de lever cette ambiguïté sont toutefois différentes. Si l'antipsychiatrie cherche plutôt à démystifier "le rôle que la société fait jouer à la psychiatrie" (Mannoni, 1970, p.168), à créer des lieux où la maladie mentale pourrait être réinterrogée (allant même jusqu'à nier la notion de maladie mentale) et à s'éloigner des conceptions scientistes, certains psychiatres cherchent à remettre sur le devant de la scène un discours scientifique.

---Quand l'antipsychiatrie est critique radicale de l'institution, je suis antipsychiatre; mais quand elle se réfugie dans la négation de la maladie mentale, je suis contre--- (Sztulman, 1972, p.107).

Dans les archives de la revue "L' Évolution psychiatrique", les psychiatres non antipsychiatres se sont attelés, au début des années 70, à défendre leur point de vue scientifique et médical. Face au mouvement de protestation, ils ont écrit plusieurs articles afin de réhabiliter la psychiatrie et montrer les incohérences du mouvement antipsychiatrique, non seulement dans ce qu'il dénonce, mais également dans les solutions qu'il propose. S'ils reconnaissent un certain succès à l'antipsychiatrie "dans sa position de refus et de provocation" (Barte, 1972, p. 46), les solutions qu'elle propose ne les satisfont guère. Pour certains membres de ce corps médical, la maladie mentale doit être reconnue comme phénomène naturel (Ey, 1972, p. 53). "En faisant volatiliser dans le néan l'objet même de la psychiatrie qu'est le malade mental, l'antipsychiatrie nie la souffrance humaine, nie le drame authentiquement humain que vit chaque malade mental (Barte, 1972, p. 46). Pour défendre ces patients malades, "fous", pour les réhabiliter, il est nécessaire de "passer par la reconnaissance même de la psychiatrie, science critique et autonome et qui ne peut se fonder que sur la notion de maladie mentale conçue ni comme simple maladie des organes, ni comme simple maladie psychique" (Barte, 1972, p.47).

Le malaise asilaire est reconnu par les non antipsychiatres et les antipsychiatres. Il importe de traiter l'institution en même temps que ses pensionnaires. Cependant, les non antipsychiatres récusent la responsabilité de l'hôpital psychiatrique dans la création de la folie, "même s'il concourt parfois à statufier certaines présentations cliniques". (Sztulman, 1972, p. 106). Face aux critiques sur l'hôpital, notamment face à certains qui, comme Basaglia, refusaient l'idée de traitement de malades et de médecins, les non antipsychiatres dénoncent la destruction de l'hôpital au profit d'assemblées générales peu organisées. Sztulman (1972) pose la question : "A quoi ça sert ? A quoi ça sert d'être psychiatre là, ou femme de service, ou ergothérapeute puisque de tout façon chacun est dépouillé de son statut, et que les rôles sont inventés en permanence ?" (p.102). Pour ces médecins, la négation de l'inconscient et celle de la maladie mentale dans le mouvement antipsychiatrique amène des attitudes thérapeutiques particulièrement incohérentes (Sztulman, 1972, p. 101).

La question de l'attribution de la maladie mentale à un fait organique, ou plutôt à un fait culturel était alors au cœur de la bataille entre antipsychiatres et non antipsychiatres. Lors de l'entretien mené avec Monsieur Alain Riesen, ce dernier nous a expliqué que cette question est toujours d'actualité et qu'il n'y a pas, aujourd'hui encore, de définition claire de la part de la communauté scientifique. Dans les années 1970, les non antipsychiatres critiquaient l'erreur de l'antipsychiatrie dans sa croyance "en un principe de causalité univoque et direct de la psychose" (Sztulman, 1972, p.105). Dans le même article, Sztulamn déclare encore:

'"il est dogmatique et naïf de dire que la folie se développe en dehors de toute culture. Il est dogmatique et naïf de dire qu'elle se limite à un fait culturel. De tout évidence, il n'y a pas un modèle qu'il soit organo, psycho ou socio-génétique de la maladie mentale, mais pluridéterminisme à pondération variable suivant les cas" (p. 105).

Monsieur Alain Riesen a bien décrit cette vision de pluridéterminisme. Il nous a expliqué que la conception de la maladie mentale comme unique produit d'un système qui disfonctionne semble devoir se ranger derrière un système bio-psycho-social qui rencontre actuellement le plus de soutient de la part des professionnels du domaine psychiatrique.(voir le rapport de 2010 La santé mentale aujourd'hui)

Un peu plus tard, en 1974, L'évolution psychiatrique a à nouveau consacré un numéro à l'antipsychiatrie. Le vent de révolte de la part des non antipsychiatres semble s'être calmé, comme s'ils avaient été entendus et reconnus, comme s'ils avaient "résisté à l'agression psychiatricide de l'antipsychiatrie" (Sztulman, 1974, p.129). Les mêmes auteurs qu'en 1972 relèvent toujours l'importance de l'antipsychiatrie dans une démarche de contestation et d'identification des difficultés de l'institution psychiatrique. "L'antipsychiatrie nous aide quand elle montre comme s'est organisé le refus, la ségrégation de la maladie mentale et quand elle rappelle que chacun, dans la santé mentale et dans la folie, est la victime d'une répression collective" (Sztulman, 1974, p. 129). Toutefois, ces mêmes psychiatres rappellent leur opposition à l'étiologie de la maladie mentale revendiquée par les antipsychiatres. Ces années de remise en question et de refonte de la l’institution psychiatrique ont facilité un réel rétablissement de l'institution de la psychothérapie, puis de la psychothérapie de l'institution. En guise de plaidoyer Pro-Psychiatrie, voici ce que dit Minkowiski, cité par Sztulman (1974, p. 132) et qui résume la vision de non antipsychiatre de ce que devrait être leur profession:

Quelque part entre le fantasme de la faute et l'illusion de la toute-puissance se trouve le chemin malaisé d'une psychiatrie nouvelle, à réinventer tous les jours où le psychiatre refuse à la fois la facilité de n'être qu'un instrument passif, indifférent et anenchéphalique de la conservation de l'ordre social et le plaisir narcissique de se situer au-delà d'une réalité clinique ignorée, niée et finalement forclose, parce que angoissante.

Elan contestataire et anti-psychiatrie à Genève dans les années 70

En Suisse un même mouvement historique a été observé. Selon le médecin Christian Monney, on y a dénoncé les mêmes agissements qu’ailleurs : enfermement, répression, qui étaient là non pour aider le malade, mais pour protéger l’ordre public. On y mêlait, écrit-il, infirmes, orphelins, indigents et fous… (Dr Christian MONNEY, 1999, à l’occasion des 100 ans de l’Hôpital de Malévoz).

Or, dès 1965, des consultations ambulatoires sont créées et les séjours hospitaliers peuvent ainsi se raccourcir. Les moyens de contention sont contestés. Des établissements médico-éducatifs apparaissent, comme la Castalie en Valais, grâce au Dr Rey-Belley, en 1972

A Genève, l'élan contestataire débute lorsque Julian de Ajuriaguerra est nommé directeur de Bel-Air en 1959. A son arrivée, il décide d'ouvrir des pavillons et d’introduire une nouvelle idée : « l’hospitalisation de courte durée, dans le but de remplacer, le plus vite possible, le patient dans son milieu naturel ». Archives contestataire, boite Riesen/Schuler, Réseau suisse-romand. Alternative à la psychiatrie, 1976. C'est donc à ce moment-là que le mouvement de désinstitutionnalisation naît.

Comme en témoigne Alain Riesen, c’est notamment grâce à l’impulsion de praticiens militants que s’élabore la réflexion autour du statut et des droits fondamentaux des patients. C’est en se positionnant face à la violence institutionnelle (Violence symbolique) et en s’inspirant des expériences ayant lieu dans d’autre pays (Italie, France, Hollande, Angleterre) qu’il crée le Réseau Suisse-romand d’Alternative à la psychiatrie. Le collectif a pour toile de fond toute la réflexion critique autour du pouvoir médico-psychiatrique (sans pour autant nier la nécessité de prononcer sur ce qu’est le trouble psychique) et des dispositifs institutionnels, le but est avant tout de mettre en avant le questionnement sur les approches thérapeutiques et les droits des patients.

En effet, on commence à critiquer les asiles et à vouloir modifier le fonctionnement de l'hôpital psychiatrique. Les patients psychiatriques commencent à bénéficier des mêmes droits que les patients non-psychiatriques. De ce fait, entre les années 1963 à 1970, il se développe un système psychiatrique extra-hospitalier complet. Ensuite, pendant les années 70-80, cet élan continue avec la volonté de baser les soins sur des approches psychotérapeutiques.Rey-Bellet, Bardet Blochet, Ferrero, 2010, p.90-95

Dès les années 1970, l'ADUPSY se questionne à propos du placement des malades qui garde, malgré la loi de 1936, un caractère prégnant d'enfermement, et à propos de la limitation des droits des personnes que ces lois entrainent. En effet, l'ADUPSY estime que les malades mentaux n'ont pas le choix de leur placement (internement), cela se fait de force, et que leurs droits sont dès lors limités puisqu'ils n'ont pas de droit de regard sur le traitement qui leur est administré. A cet effet, cette association relate par exemple qu' "en 1975, la majorité des malades mentaux entrent encore à Bel-Air contre leur gré" (ADUPSY, 1979, p. 7). Les droits de l'Homme, et dans ce cas présent du malade, sont donc au cœur du débat. L'association défend alors l'idée que tout internement psychiatrique devrait être pensé comme une hospitalisation qui respecte les droits du malade mental en assurant sa protection et sa dignité, qui rende le patient actif dans son traitement, qu'il peut d'ailleurs refuser, qui n'a pas comme raison la dangerosité potentielle du patient, qui rappelle au patient quels sont ses "droits en matière d'hospitalisation et de traitement" (p. 13), et qui devrait "nécessiter obligatoirement de deux certificats médicaux" (p. 13) de manière à justifier ce placement sur plusieurs avis de provenance différentes. Dans cette optique, on se rend compte de l'évolution de la prise en charge des malades mentaux. Que ce soit au niveau des termes employés, de la procédure ou des droits des patients, l'ensemble de cette prise en charge évolue. L'époque semble donc propice à des changements radicaux.

En réponse à ce nouveau regard sur la question de la prise en charge des malades mentaux, la question de l'éducation semble elle aussi être en mouvance durant cette période.


Dès les années 70, le journal mensuel "Tout Va Bien" a consacré de nombreuses pages et numéros à la question de l'antipsychiatrie. Dès 1973, un groupe d’enquête s’est constitué pour dénoncer une certaine violence et certains abus de pouvoir au sein des asiles psychiatriques. Leur volonté était de déterritorialiser la psychiatrie. « La psychiatrie, c’est l’affaire de tout le monde ». Ils voulaient faire exploser la loi du silence qui régnait dans ces lieux. Ils ont voulu dénoncer les rapports de pouvoir sévissant à l'intérieur des murs psychiatriques, la soumission du malade à l’infirmier, la soumission de l’infirmier au médecin, la soumission du médecin aux pouvoirs de l’administrateur bailleur de fonds. Selon ce journal, le mouvement antipsychiatrique serait né au début des années 60: La clinique psychiatrique de Bel Air, créée en 1900, a commencé à construire des pavillons ouverts avec l’arrivée de son nouveau directeur en 1959, Julian Ajuriaguerra. Son intention était de favoriser le retour de l’interné au plus vite dans leur milieu naturel, grâce à une hospitalisation de courte durée. A Genève, depuis 1963, le travail psychiatrique est sectorisé. On commence à organiser les soins dans des centres de consultation de quartier. Les premières tentatives alternatives apparaissent en Suisse. Des travailleurs sociaux poursuivent une critique des institutions et contribuent à la création et au fonctionnement de centres (qui se différencient des institutions récupératrices) qui ont pour but de venir en aide à toute personne en crise. Exemple : le centre Liotard à Genève, créé par le réseau d’alternative à la psychiatrie de Suisse romande. En janvier 1975 se tient le premier congrès d’alternative à la psychiatrie de secteur (Congrès de Bruxelles, auquel participe un groupe de Genève: il s’en est inspiré pour animer des débats au centre Liotard : recherche d’alternatives concrètes répondant aux besoins des malades. A Lausanne, le 24 janvier 1976, est créé un réseau alternatif à la psychiatrie pour la Suisse romande, dont l’un des membres actifs s’appelle Alain Riesen, du Centre Liotard. Une commission formée aussi bien de psychiatrisés que de soignants s’est alors formée. Elle a remis en question le pouvoir des soignants. Selon cette commission, le but d’une alternative au secteur doit être la prise en main progressive par le malade de ses propres difficultés. Suite à des tentatives d’internement forcé, des tracts ont circulé, dénonçant les abus du pouvoir psychiatrique (voir les archives contestataires de Genève, Classeur Alain Riesen). Dès ce moment-là, une prise de conscience s'opère: le patient ne veut plus être manipulé, il ne veut plus être le cobaye, il ne veut plus être muselé par le pouvoir du médecin. Il veut choisir son mode de guérison, il veut être actif dans le processus de guérison. Il convient alors de faire en sorte que ce soit le patient qui choisisse ou non son hospitalisation. Effectivement, médecins, contestataires et familles se sont rendus compte de l'importance du choix du malade dans sa propre guérison.

A la fin des années 70, d'autres mouvements antipsychiatriques se répandent en Suisse et ailleurs: par exemple à la clinique de Bellelay, où son nouveau directeur a souhaité ouvrir les murs à son arrivée, et mettre à disposition des appartements protégés, voire même une maison de vacances pour ses patients. Le but était "que les malades puissent le plus possible avoir des contacts humains et une vie « normale » (TVB avril-mai 80).

Suite à la mort atroce d'Alain Urban lors d'une cure de sommeil forcé à la clinique de Bel-Air, l'ADUPSY ainsi que l'Association des Médecins Progressiste ont déployé maints efforts pour alerter l'opinion publique à propos des agissements soupçonneux de la clinique en question. Leurs revendications ont porté sur la suppression des isolements, la priorité données aux instruments de soin ambulatoire, l'augmentation des effectifs globaux du personnel soignant, etc. Ils expriment également leur soutien aux revendications concernant le droit des patients : « Le consentement du patient ou de son entourage immédiat doit toujours être recherché, dans la thérapeutique comme dans la recherche ».

Après les drames qui ont secoué Bel-Air, une commission d'enquête a été créée, et c'est non seulement le Directeur de cette clinique qui a été interrogé, mais également les patients, les soignants, ainsi que les cadres. Dès cet instant, "tout est ressorti", témoigne Alain Riesen, amenant à une première évolution forte: la réforme de l'institution psychiatrique. Le Pr Tissot est destitué, et un changement au niveau de la législation se fait: le droit de recours apparaît, le patient peut désormais exiger de faire valoir ses droits. Jusque là, le Réseau d'Alternative à la psychiatrie pouvait intervenir sur demande, mais n'avait pas de statut officiel. A partir de cette période, une Commission de surveillance fut mise sur pied (réunissant un juriste, un médecin indépendant, un représentant du Droit des patients), et quatre associations de défense du Droit des patients sont nées: l'Association RÊVE (les "Entendeurs de voix"), l'ADPED (Association des personnes ayant des troubles bi-polaires et dépressifs), l'Expérience (travail artisanal double d'un travail d'entraide), et l'AETOC (Association des personnes ayant des troubles obsessionnels et compulsifs). Selon Alain Riesen, l'institution, malgré l'avancée significative qui a été faite quant au droit des patients, garde les stigmates de l'institution asilaire. "Il y a encore beaucoup de travail à faire pour faire éclater l'institution dans sa dimension totalitaire", dit-il en conclusion de son récit.

Conclusion: l'antipsychiatrie un débat d'actualité ?

L'analyse des documents d'archives, du contenus des revues, ainsi que celui du témoignage d'Alain Riesen ont permis d'entrevoir la richesse des débats autour d'une gestion humaniste de la question de la folie. Tout autant que le traitement proprement dit c'est aussi le statut de la personne considérée comme inadaptée à la vie "normale" qui est remis en question. D'un côté on privilégie un mode de vie au plus près de la "normale" d'une vie quotidienne allant jusqu'à vouloir supprimer les médicaments pour être plus près de la vérité de l'humain et de l'autre c'est le droit des patients, des usagers des secteurs qui est revendiqué leur donnant ainsi un statut d'être social et donc de citoyen.

Les différents mouvements contestataires, qui sont passés de la désinstitutionnalisation à la sectorisation en passant par la création de communautés thérapeutiques, ont amené à une critique du pouvoir institutionnel et des médecins. Le médecin n'est plus tout-puissant et le consentement du patient ou de son entourage doit être obtenu avant tout traitement. Le patient a des droits et il doit les faire respecter.

De l'enfermement asilaire on est allé vers une continuité des soins entre l'hospitalier et l'extra-hospitalier; en effet, sous prétexte que le patient nécessitait des soins, on l'extrayait de la société pour le placer en hôpital, on cherchait à le "normaliser" en l’excluant du système!: qui voulait-on protéger? Le patient ou la société? En bénéficiant de soins tout en continuant à être inséré dans la société, le patient ne souffre-t-il pas d'un isolement qui rendrait sa réinsertion encore plus difficile? Mais ainsi il bénéficie d'un réseau de soutien (famille, amis) qui a une part essentielle à jouer dans le processus de guérison.

Ce souffle libertaire a eu le mérite de remettre en question bien des idées arrêtées sur la fonction de l'hôpital, le statut des médecins et des soignants, cependant, il semblerait que même si beaucoup de progrès ont été accomplis dans le domaine de la prise en considération de la personne malade, l'institution a toujours maintenu les stigmates de l'asile totalitaire et que les expériences novatrices aient pu se faire en dehors de l'asile dans des structures plus petites, communautaires qui d'ailleurs ne sont pas à l'abri de processus d'exclusion et de pratiques de pouvoirs. L'alternative à l'internement ne resterait-il pas toujours aujourd'hui la prise en charge ambulatoire?