Article 2014-15

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Introduction

La prison est un lieu de retrait, de privation et de punition. Depuis le 19ème siècle jusqu'à aujourd'hui, elle fait l'objet de discours réformateurs, mais aussi abolitionnistes. Elle est aussi conçue comme un "analyseur social" qui rend compte du type de "société punitive" dont Michel Foucault se fait le penseur, ainsi que l'objet de fantasmes, de représentations imaginaires voire de sacralisation comme en rend compte l'écrivain et poète Jean Genet dans son unique film Chant d'amour [[1]]. Ce film, tout de suite censuré, a été visionné dans les années 70 d'abord par un public restreint qui a découvert l'univers des prisonniers sous haute surveillance privés de contacts physiques, mais aussi l'imaginaire produit par l'enfermement autant du côté des détenus que du gardien/voyeur de la souffrance du manque de tendresse et de sexualité.

Dans les décennies 70-80, et sous l'influence de certains événements, un discours critique s'énonce, en particulier grâce à la pensée originale du philosophe Michel Foucault. A l'époque celle-ci s'exerce non seulement dans des ouvrages, mais aussi dans des actions militantes notamment par la création, en France, du "groupe d'information" sur les prisons (GIP) et en Suisse romande le groupe action prison (GAP), ainsi que dans des manifestations de rue. La prison fait partie des revendications post-soisante-huitardes visant des idéaux sociétaux : une société plus libre, moins hiérarchisée, plus égalitaire, mais aussi donnant la parole aux populations opprimées. La prison est prise dans le collimateur de ces revendications portées par des groupes politiques.

Même si la prison a toujours fait parler d'elle, depuis une dizaine d'années, elle est sous les feux, non seulement des médias, mais aussi de "nouveaux" militant/e/s qui veulent informer des problèmes qui la traversent. Le collectif Infoprison répertorie les événements qui sont en lien autant avec la politique pénitentiaire que des événements liés au quotidien carcéral. Les thématiques évoquées dans ces bulletins (au nombre de 13 jusqu'à aujourd'hui) foisonnent. La surpopulation (en particulier à Champ-Dollon 780 détenus alors qu'elle avait été prévue pour 360!), les conditions de détention, la prise en charge médicale, les populations-cibles (notamment les Roms), les mineurs en prison, la formation en prison en font partie.

L'article proposé dans le cadre de la communauté de travail pour le cours du semestre d'hiver 2014, veut en particulier amener une réflexion sur deux thèmes qui se prêtent plus que d'autres au questionnement proposé d'un rôle éventuel joué par les sciences de l'éducation dans le champ pénitentiaire, étant entendu que dans son histoire la prison du 19e siècle avait été présentée comme un lieu de rééducation (transformation de l'individu, amendement), soit : la santé, l'incarcération des mineurs et la formation en prison.

La santé est un sujet essentiel autant en ce qui concerne la vie quotidienne que la maladie à proprement parler. On peut autant évoquer la santé au sens large de la vie en prison, mais aussi au sens de la maladie y compris celles transmises en prison et "produites" par la prison et ce jusqu'au suicide. La question de la transmission des maladies autant que celle de la médication (et son excès), mais aussi que celle du rôle des médecins (médecin psychiatre notamment en lien ou non avec l'art.64), ou encore celle de la prévention des tentative de suicide et des suicides font partie des domaines centraux de la vie en prison. Mais plus largement la santé comprend le vivre ensemble en prison (les relations entre détenus, entre gardiens et détenus, ainsi qu'avec les différentes professions qui sont représentées), la sexualité (parloirs intimes, travailleuses du sexe), l'usage du cannabis. Aujourd'hui la recherche d'alternatives est nécessaire (voir l'article de Manzanera et Senon (2004).

Sur l'incarcération des jeunes en "prison" beaucoup de questions traversent le temps notamment celle des terminologies : de quoi parle-t-on exactement? (= centre fermé, centre d'éducation, centre), celle relative aux articles du Code pénal ( changement en éducation et répression), à Genève la Clairière fait périodiquement parler d'elle (l'affaire Dominique Roulin, etc.). Il reste toujours à trouver le meilleur moyen d'en sortir! Est-ce la formation en prison, le rôle des acteurs/trices qui y interviennent et ce qu'ils font, les traitements?

La question qui peut être posée aux sciences de l'éducation, c'est d'introduire dans les champs qui lui sont propres, soit l'éducation, la union et la formation, des modes de faire qui soient pour les détenus "formateurs", non seulement en terme professionnel (dans la tradition de l'éducation au travail), mais aussi plus généralement de la vie. Formation à la culture, à la relation, à l'engagement social. Aux modèles alternatifs existants comme le bracelet, les peines conditionnelles, les peines pécuniaires, a thérapie par les animaux, par le jardinage, pourraient s'adjoindre une "éducation à la réinsertion" laquelle mettrait l'accent sur les conditions, l'environnement favorable au changement de vie.

Après avoir décrit la manière dont la prison a été "problématisée" dans les années 1970, puis dans les années 2010, nous tenterons d'initier une réflexion sur l'apport des sciences de l'éducation à cette 2pédagogie de la réinsertion". Quelles sont les propositions de la communauté de travail une fois l'analyse faite des critiques des années 1970 et 2010 qui pourraient d'un point de vue des sciences de l'éducation ? En quoi et dans quelles mesures les Sciences de l'Education peuvent-elles contribuer à l'évolution du système pénitentiaire ?

Les sources d'archives et bibliographique

Les ouvrages

L'histoire des années 1970-1990 est aujourd'hui abordée à la fois par l'archives écrites et par les témoignages oraux ou écrits.

Pour notre objet d'études nous avons eu recours dans un premier temps à des sources de secondes mains (voir [[2]]). Or dans ces ouvrages comme par exemple le Guide touristique des plus belles prisons romandes, paru en 1977, des documents et des témoignages retranscrits intégrés dans l'ouvrage peuvent être considérés comme des sources de premières mains.

Les sources de premières mains qui ont été à la base de notre travail sont essentiellement les treize bulletins d'Infoprison [[3]], dont la version informatique donnent de nombreux liens qui peuvent être autant de sources premières pour construire l'écriture de cette histoire et notre réflexion (lien par exemple avec le rapport Rouiller en ligne ou la thèse de Claudio Bezozzi sur la littérature traitant de la prison). Puis la collection (incomplète) du bulletin du Groupe action prison, "Le Passe-muraille, le rapport Rouiller, les quotidiens, les revues, les statistiques officielles fédérales (exemple: statistiques fédérales sur la délinquance). Ces archives ou revues ont été complétées par de l'iconographie, ainsi que des films.


Le Passe-Muraille, journal des prisonniers:

Le Passe-Muraille, journal des prisonniers est un journal édité par le groupe Action Prison afin de faire le lien entre l’intérieur de la prison, autrement dit le milieu carcéral, et l’extérieur, la société, et plus particulièrement les familles concernées par les détenus. Ce journal permet de révéler et dénoncer les conditions carcérales déplorables ou simplement insuffisantes rencontrées dans la prison. Il aborde également divers sujets au fur et à mesure des numéros comme la santé, la famille, les droits des incarcérés... Outre cet exercice de compte rendu de la réalité, le Passe-Muraille questionne ce qui est mis en place par la justice, la loi. Pour cela, il publie également le résultat d’enquêtes qui permettent de faire ressortir certains constats sur les effets de l’incarcération sur les détenus. De plus, il appelle à la revendication d’une manière plus générale et à ce que les personnes qui le désirent puissent s’exprimer à ce sujet : autant les détenus (extrait de lettres) que les personnes de l’extérieur comme la famille: « Nous demandons à être entendus et à entendre. » (No9, p.20). Il met aussi en avant des recommandations par les personnes impliquées dans l’écriture du Passe-Muraille ainsi que des questionnements. Il prend clairement place dans les débats et est loin de rester neutre. Il lance des questions ouvertes ou des incohérences aux lecteurs. Nous pouvons le voir par exemple à la page 23 du N°9, quand il déplore les horaires de congé accordés aux détenus afin de préparer leur sortie : « Monsieur le directeur, si vous voulez vraiment que les détenus rentrent à l’heure de leur congé, changez l’horaire ! ». Il lance aussi régulièrement des pétitions, notamment « pour un véritable changement dans la détention préventive » (N°9, p.24) En somme, il prend soin de faire ressortir les incohérences et les injustices liées à la prison et à son fonctionnement. Ce travail est réalisé en s’appuyant sur des preuves concrètes comme les témoignages des incarcérés et de leur familles, ou encore les divers papiers formels des professionnels. C’est un journal qui s’adresse vraiment à tout le monde ! Il est très compréhensible et relative court (une vingtaine de pages par numéro) et est illustré avec de nombreux dessins très parlant. Le langage y est familier (ex : « un gars interné », N°14, p.3).

Le Passe Muraille "Pourquoi dénoncer Champ-Dollon", de juin 1977, évoque le thème de la médicalisation et décrit comment se passe une journée de soin dans une équipe médicale dans les années 70.

Les films

Certes l'univers cinématographique concernant la prison demanderait une étude en lui-même. Or quelques films ont marqué les années 70 comme Chant d'amour de Jean Genet tourné en 1950 et censuré jusqu'en 1975, qui rend compte de façon lyrique de l'univers carcéral (isolement, restriction, fantasme, pouvoir, violence), mais aussi du lien de son auteur avec le "crime": sainteté du condamné, sacré de la prison, . Dans les année 70 un film a particulièrement frappé les consciences parce qu'il révèle de la violence institutionnel dans l'univers fermé de l'hôpital psychiatrique – institution totalitaire comme l'a appelé Erwin Goffmann [[4]] – dans lequel peuvent être enfermés des détenus. Le film de Haynes, quelques quarante ans après, souligne comment le travail et les productions de Genet marquent encore aujourd'hui: une œuvre encore actuelle semble-t-il nous dire.

Vol au-dessus d’un nid de coucou est un témoignage cinématographique de 1975 réalisé par Milos Forman. Il a été primé 5 fois aux principaux oscars du cinéma dont l’Oscar du meilleur film. Cette œuvre de 129 minutes a été tournée dans un véritable hôpital psychiatrique de Salem en Oregon. De plus, certains des personnages secondaires du film étaient d’authentiques patients de l’hôpital. Cette fiction-réalité dépeint de manière triste le milieu psychiatrique avec à son bord un détenu qui doit purger sa peine (Randle P. McMurphy alias Jack Nicholson). Chaque résident est emprisonné pour des raisons différentes, mais le seul point qui les réunit est la même difficulté à vivre la « normalité » requise par la société. Ce récit binaire alliant des séquences très contrastées installe cependant un manichéisme clairement revendiqué. Par ailleurs, un fil conducteur qui sous-tend le récit et qui est l’une des forces du film est le passage éminemment empathique du « Je » au « Nous », tel que le vit Randle P. McMurphy. S’il apparaît, en effet, dès son arrivée à l’hôpital comme un personnage malin et à forte personnalité, c’est surtout en individualiste qu’il cherche égoïstement à se tirer d’affaire. Mais le déroulement du récit insiste sur sa métamorphose qui le fait ensuite devenir le porte-parole et le défenseur des autres malades et, notamment, des plus faibles. Ainsi le mouvement même du film conduit de l’individu à autrui, de l’égoïsme à la générosité.

Les témoignages:

Puis nous avons eu témoignage oral, celui de Muriel Testuz entendu le 22 octobre dans le cadre du cours, mais qui avait été rédigé au préalable et transmis [[5]]. S'est ajouté celui de Marijo Glardon et une présentation du film de Jean Genet "Chant d'amour" par Pierre Biner qui, sans avoir été un militant du GIP a été lié à la culture contestataire des années 70 [[6]].

Les groupes information prison en France et le groupe action prison en Suisse romande

Les événements marquants à en France et en Suisse romande 1971-1990

Dès le début des années 70, des critiques s'élèvent contre le système pénitentiaire. Ce sont en particulier les conditions de vie intolérable dans le prison qui sont relevées par des journalistes et des ex-détenus. Plusieurs livres sur ces conditions commencent à être publiés. On commence à s'intéresser à ce que vivent les prisonniers. D'un côté la contestation gronde (lancement d'une campagne contre l'abolition du casier judiciaire) et de l'autre se renforce une politique sécuritaire qui mettra le feu aux poudres: refus d'obéir, grève de la fin, mutinerie, prise d'otages, morts. C'est dans cette ambiance que est créé en 1971 le Groupe Information sur les prisons (GIP) autour de Michel Foucault et Jean Genet notamment. Son objectif "est d'informer, de faire sortir les prisons du silence, de donner la parole à ceux qui ne peuvent pas la prendre, de témoigner devant le monde de ceux qu'eux-mêmes appellent l'intolérable" (Histoire des prisons en France, 1789 - 2000, Editions Privat). Cette tension ira en augmentant au cours de ces années avec des revendications portant sur l’amélioration de la nourriture, celle des conditions sanitaires, de l'entassement des prisonniers, l'ennui de la vie quotidienne. Le prisonniers crient à l'injustice et au non respect de la dignité de l’homme. Dès 1972, le GIP se lance dans un soutien et un appel à la lutte en faveur des droits des prisonniers en se tournant du côté des anciens détenus et des familles de détenus. La prison est accusée de rompre les liens avec la société Le but est donc de donner la parole aux détenus par le biais de questionnaires et de récits.

Cette même année en Suisse romande, un prisonnier 1972, Louis Gaillard mène une longue grève de la faim pour dénoncer le manque de prise en charge pour la réintégration des détenus. Plusieurs mouvements de solidarité se forment alors dans les prisons suisses. Plusieurs journaux commencent également à publier des articles sur la détention et la prison. A Genève, le journal mensuel de contre-information et de lutte "Tout va bien" publie des lettres de détenus, des articles de groupes de soutien et des articles sur les prisons Suisses.

Un "groupe information sur les prisons" de Genève se crée et publie un périodique "Prison".

Mais c'est surtout en 1974 que voit le jour le Groupe Action Prison (GAP) suite à la mort d'un jeune détenu de 18 ans, Patrick Moll, qui le 30 juillet tente de s'échapper du pénitencier de la Plaine de l’Orbe et est abattu de balles dans le dos. Le GAP mène plusieurs manifestations, des groupes de soutiens aux familles de détenus, des permanences dans des bistrots s'organisent. Les différentes revendications du GAP sont les suivantes: - Supprimer l'isolement - Obtenir conditions HUMAINES de détention - Respecter la dignité - Obtenir un statut de travailleurs - Travailler à avoir une situation sociale

Outre son rôle d'information et de soutien des luttes, le GAP lance, en 1976, la première pétition nationale des prisonniers et en juillet de la même année le périodique "le Passe-Muraille Journal des prisonniers". En janvier 1977 un livre symbolique et plein d'informations est publié pas le GAP: "La Suisse à l'ombre, Guide touristique des plus belles prisons romandes" élaboré par Roger Gaillard et publié aux éditions d'En Bas, dont l'éditeur Michel Glardon est un des fondateur du GAP et activiste. En septembre 1977, le GAP dépose devant les Grands Conseils romands et du Tessin, la pétition de 7239 signatures de détenus: "Briser l’isolement" pour un véritable changement dans la détention préventive.

A Genève s'ouvre en 1977, la nouvelle prison de Champ Dollon, située hors agglomération et qui remplace celle de Sainte Antoine en vieille ville. Les détenus expriment alors leur crainte d'être transféré dans cette prison isolé et isolante. Un comité contre Champ-Dollon voit le jour est créée en collaboration avec le centre femme et le GAP. Les détenus supportent très mal ce nouveau lieu d'incarcération. De nombreux suicides la première année dans cette prison-bunker". En juin 1979 la tension monte et une soixantaine de détenus se mutines et montent sur le toit, en juillet un détenu maintenu à l'isolement en régime strict se suicide. Le GAP publie un dossier sur les quartiers de haute sécurité et un petit guide sur les droits de la personne arrêtée.

En 1978, la parrution du livre "L'antichambre de la taule" écrit par le groupe information Vennes, fait du bruit et entraînera ensuite la fermeture de la maison d'éducation de Vennes.

La publication des Passes-Murailles cesse à la fin 1979, après 17 numéros (quelques dossiers paraîtront encore) et le journal "Tout va bien" prendra le "relais".

Fin novembre 1979, Walter Strüm est placé en cellule d'isolement à la prison du Bois-Mermet. Il est soumis durant 36 jours au secret. Le comité d'isolement de Zurich et le GAP commencent alors une bataille. Cette affaire Strüm dure jusqu'en 1983

Mais c'est aussi dans le canton de Vaud que les luttes se développe avec six morts en prison en six mois en 1981. Une manifestation est donc organisée rue de Lausanne par le GAP pour dénoncer les conditions de détentions et la responsabilité des autorités dans ces décès. L'Etat réagit sans vraiment s'expliquer mais reconnait que la prévention du suicide en prison est très faible. Des fonds sont alors libérés pour renforcer la sécurité. Le GAP n'abandonne pas son enquête pour connaître les circonstances des 6 décès. Le journal "Tout-Va-Bien et l'Association vaudoise des médecins progressistes publient, avec le soutien du GAP, un document sur ces six décès et les conditions du drame.

Après des années de luttes, le GAP décide d'arrêter en 1986. Il estime avoir fait son travail et ne se sent plus aussi vaillant qu'il y a 10 ans. Une association de prisonniers de Suisse se crée (ADPS) constituée de détenus de l'intérieur, un passage de témoin réussi puisqu'il donne la parole aux détenus: objectif voulu par le GAP et une partie des anciens membres du GAP rejoignent, en 1990 la Ligue des droits de l'homme.

La question de la santé en prison: 1970-2014

Depuis quelques années, le thème de la santé en prison est un sujet largement débattu. Parmi les nombreux questions évoqués dans les Bulletin Infoprison, nous avons retenu celle du rôle du médecin en prison et celle des médicaments. Ces deux thématiques nous ont semblé être particulièrement intéressantes à investiguer, car elles permettent de mettre en lumière des problématiques et particularités concernant la santé dans le milieu carcéral. La prison n'a certes pas la fonction de prendre en charge la santé des prisonniers; sa mission première est de détenir. La santé en prison n'a fait l'objet d'attention particulière que tardivement avec la réforme de la procédure pénale en 1945. Le taux de mortalité était élevé relié à la faible espérance de vie de la population ont alerté les pouvoirs publics. Mais même avec des efforts la qualité des soins était inférieure à la population à l’extérieur. C'est donc la réforme de 1945 qui a introduit la médecine pénitentiaire. De surcroît l'idée que la prison ne doive pas porter atteinte aux droits de la personne, sauf celui de la liberté, est une idée nouvelle. Nous observons donc une émergence progressive de la fonction des soins au court de la seconde moitié du 20ème siècle.

L’augmentation des pathologies en prison devient LE grand problème des années 90. Les pouvoirs publics ont pris en considération l’insuffisance des moyens existants pour assurer cette mission de soins. En 1994, en France, Simone Veil, alors ministre des affaires sociales de la santé, parle d’un "état d’urgence". La loi de janvier 1994 transfert la prise en charge médicale des détenus aux établissements publics.

Une enquête par les ministères de l’emploi et de la solidarité et de la justice a montré que 1/3 des détenus présentent différents facteurs de risque (alcool, tabacs, drogue…) et que 1/10 ont besoin de prise en charge psychiatrique. De plus, la surpopulation est une cause de l’aggravation de l’état de santé des détenus. Le fait de concentrer trop de personnes dans une cellule ne respecte pas les règles d’hygiène et favorise la propagation de pathologies.

Depuis les années 70, le rôle du médecin de prison a passablement changé notamment à cause des règlementations et des spécialisations qui ont complexifié sa tâche qui reste paradoxale puisque tout en étant dans un lieu d'enfermement, le médecin doit se comporter avec les détenus comme avec des patients en liberté! . Afin de respecter le droit et l’égalité de tous, les médecins pénitentiaires aspirent à délivrer les mêmes soins à tous et sont encadrés par des associations telles que l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) qui édite des directives pour encadrer leur profession, comme, par exemple, les directives médico-éthiques pour « l’exercice de la médecine auprès de personnes détenues. » (2002, mise à jour 2012, ASSM). Or, cette médecine "particulière" est inséparable de la justice qui se trouve systématiquement en arrière-fond, ainsi que du problème de la sécurité . Le médecin sent une pression sur les épaules devant assurer son rôle auprès des deux pôles qui « s’opposent » : l’incarcéré et la justice.

En 2014, dans le domaine de la santé, la Revue Médicale suisse présente une remise en question du secret médical. En effet, certains pensent qu'il serait mieux si les médecins donnaient des informations sur les détenus ( dangerosité...) aux autorités afin que ces dernières puissent veiller à la sécurité collective de la société. Ce questionnement engendre une redéfinition du rôle du médecin et de sa relation avec le détenu. Néanmoins, la décision n'est pas encore faite.

Concernant la méthodologie, nous avons décidé d’aborder ces thématiques de manière comparative dans le temps. En effet, nous allons recueillir diverses sources ( articles scientifiques, livres, entretiens, articles de journaux) dans les années 70-80 et plus récentes afin de pouvoir saisir l’évolution de ces thématiques. C’est ce que nous allons essayer d’approfondir en investissant diverses sources et en débutant chronologiquement dans le temps.

Il nous a semblé intéressant de nous pencher sur une source primaire datant des années 70, Le Passe-Muraille, journal des prisonniers. Suite à l'intervention de Madame Testut, nous avons pu avoir à dispositions certains des numéros du Passe-Muraille. Il a donc semblé intéressant de recueillir les quelques numéros qui se focalisaient sur la thématique de la santé, afin d'en faire ressortir les points saillants. En effet, les sujets abordés dans ces journaux sont multiples: conditions carcérales, rôles des différents acteurs de la prison, et psychiatrie, ce qui touche à différentes facettes de la problématique choisie. Voici quelques pistes et éléments que nous pouvons extraire dans ces numéros qui font sens pour notre questionnement.

La critiques des années 1970-1980

Le rôle du médecin: Un article des années 70 Questions sur la médecine pénitentiaire(D. Gonin, 1979, vol.3, n°2, pp. 161-168, Déviance et société) nous permet d’avoir une première idée de ce que représente le rôle du médecin en milieu carcéral dans ces années-là.

Dans vol au-dessus d’un nid de coucou le rôle du médecin est central. Il s'agit d'un des premier contact que le détenu a lorsqu'il pénètre dans l'établissement. En effet, le médecin-psychiatre à son entrée dans le centre d'enfermement effectue une anamnèse du détenu. A partir de cet entretien à huit clos, il va émettre un diagnostic ou une hypothèse de diagnostic en cas de trouble. Cette première consultation va donc fortement orienter la prise en charge de la personne et la médication qu’elle va devoir se soustraire durant une période. Par contre, ce qui est paradoxal est qu’à la suite de son anamnèse, il n’y a pas de suivi réel de la part du professionnel de la santé. Il est absent et ce sont les infirmières qui prennent le relais. Par conséquent, le traitement peut perdurer ad vitam aeternam tant que les infirmières ne manifestent aucune objection qui solliciterait une nouvelle prise en charge ou une nouvelle médication de la part du médecin.

D'où le questionnement suivant: encore faut-il qu’un médecin se trouve dans la prison. Le Passe-muraille, journal des prisonniers n°9 de décembre 77, ( groupe Action prison), nous parle d’un dossier santé. Il dénonce les conditions sanitaires et expose plus particulièrement les situations médicales dans les prisons préventives de Neuchâtel et Genève. Comme nous pouvons le lire dans les premières pages, il n’y pas de poste officiel de médecin de prison à Neuchâtel et à la Chaux de fond. Par contre, le poste est déjà officiel à Genève. A Neuchâtel, les médecins se déplacent si le personnel de la prison le demande ( géôliers). A Genève, les incarcérés peuvent faire une demande en s’inscrivant sur une liste, sans intermédiaire. Il n y a qu’un médecin à Neuchâtel et par conséquent pas vraiment d’équipe de santé. Les géôliers s’occupent de dispenser les médicaments le reste du temps. A Genève, il y a une équipe de professionnels de la santé comme psychiatre, dentiste… Les géôliers ne peuvent pas distribuer les médicaments ; ce sont les infirmiers qui en sont chargés.

Nous pouvons déjà observer là de grandes différences entre deux cantons distincts de la Suisse… Comme à Neuchâtel il n’y a pas de poste officiel de médecin carcéral, il s’en suit évidemment que ces médecins n’ont pas de cahiers des charges contrairement à Genève.

Un autre problème souligné est celui de l’assurance maladie. En effet, dans certains cantons suisses, des assurances prévoient dans leurs statuts jusqu’à l’exclusion du droit aux prestations pour les détenus et se repose donc sur l’Etat pour le financement (passe-muraille n°77, p.10)

Les médicaments:

Dans vol au-dessus d’un nid de coucou, on y découvre un usage des médicaments comme un rituel qui marque le temps. En effet, chaque jour, à une heure bien précise une musique classique retenti et les personnes détenues dans l’établissement viennent à tour de rôle chercher leur prescription devant la guérite du bureau infirmier. Cette barrière vitrée sert de protection pour parer à une éventuelle dangerosité des résidents. Néanmoins, malgré cette séparation, le personnel soignant reste bien attentif à ce que les médicaments soient pris immédiatement en vérifiant systématiquement que chaque personne les ont bien ingérés. Les traitements médicamenteux sont essentiellement des antidépresseurs et des antipsychotiques qui réduisent le psychisme et l’activité des personnes en rendant ces dernières amorphes. Lorsque les médicaments n’ont plus aucun effet sur les personnes, le personnel soignant a recours à l’électroconvulsivothérapie. Cette thérapie consiste à délivrer un courant électrique au moyen d'électrodes placées sur le crâne, afin de provoquer une crise convulsive généralisée. Les images du film montrent ce traitement barbare, pratiqué dans des conditions peu éthiques (sans anesthésie, sans le consentement du patient, voire de manière punitive). Cette méthode du choc électrique avait comme objectif de vouloir calmer les personnes par une forte intensité de Herz au niveau du crâne. Dans les années 80, l’arrivée des médicaments neuroleptiques a contribué au recul progressif de ce genre de thérapie par électrochocs.

Le suicide dans les années 70

Durant les années 70, de nombreuses révoltes éclatent en prison. Les prisonniers protestent pour obtenir plus de droits. Par exemple, la question des heures de promenade fait débat. Étant réduite qu’à une seule par jour, les détenus souhaitent en obtenir une supplémentaire, ce qui n’est pas du goût du directeur pénitencier. Ainsi certains choisissent de mener une grève de la faim, grève qui les conduiront vers une mort certaine. Les suicides suites des crèves de la faim sont souvent tus par les prisons. En effet, à cette époque les prisonniers se plaignent des conditions de vie en prison. Ils disent préférer le choix de la mort que de vivre dans ces conditions. Ils n’ont plus l’impression d’êttre considéré comme des individus : “Lorsque l’on na plus le droit d’être un homme, il ne reste plus que la mort.” (p.318) De plus, grand nombre de détenus étant faibles psychologiquement et possédant diverses difficultés d’adaptation au milieu carcéral notamment, finissent par ne plus supporter la prison et choisissent de mettre fin à leurs jours soit par le biais de la pendaison, soit par la prise excessive de barbiturique ou encore par l’usage d’outils (clous, fourchette, etc) qu’ils ingèrent. Le suicide par pendaison peut devenir un fantasme pour ces prisonniers qui cherchent l’orgasme ultime et suprême.


Quelques statistiques en France et en Suisse dans les années 50 à 80

Le recensement en France montre que depuis les années 1852 jusqu’en 1954, sur 100000 personnes incarcérées, le taux de suicide est de :

- En 1852, 53, 20

- En 1954, 139,40

Le taux a donc fortement augmenté.


La situation en Suisse quant à elle, montre également une augmentation du taux de personnes suicidées entre 1975 et 1977. Aucune donnée préalable à ces dates n’est accessible. En effet, le taux est de 845. La suisse possède donc un taux de suicide largement plus élevé que la France, ce qui en fait un pays comparativement à l’Italie, le Royaume-Uni ou encore le Canada, ayant le plus au taux de suicide durant ces années.

L'enseignement dans les prisons

En 1970

Aujourd'hui

Les mineurs en prison: la position du GIP et du GAP

Dans un ouvrage intitulé La Suisse à l'ombre : guide touristique des plus belles prisons romandes (1977). Dans cette œuvre, les auteurs expliquent le traitement des mineurs dans les prisons, notamment à La Clairière ainsi que le fonctionnement des prisons en fonction des peines décidées. Les rédacteurs nous rapportent également des interviews menées à l'époque auprès d'ex-détenus et d'éducateurs dans le but de nous éclairer sur ce système pour mineurs.

Position du GIP

Dans le livre Intolérable du GIP présenté par Artières, P. (2013) qui reprend les cinq brochures du GIP, entre 1971 et 1973, il y est fait peu mention de la question des mineurs. On retrouve pourtant des informations dans quelques repères chronologiques. qui introduit l'ouvrage, puis dans certains passages.

On peut regrouper les passages concernant les jeunes selon quatre thématiques: la chronologie, les suicides, les métiers d'éducateur, d'enseignant, de maître d’atelier et d’assistante sociale, ainsi que le passé de ces jeunes détenus. Dans les statistiques sur le suicide – la liste des suicides dans les prisons françaises en 1972 (connus du GIP, donc pas exhaustif) – sur les 32 personnes recensées, il y en a 10 dont on ne sait pas leur âge. Donc sur les 22, une personne est mineur, sept ont 20 ans ou moins, quatorze ont mois de 25 ans.

C'est surtout pour montrer un traitement différent pour les jeunes que le sujet est abordé. Plusieurs fois, lors des différentes enquêtes faites par les prisonniers, il est fait référence à de conditions sensiblement plus favorable pour les jeunes comme l'accès au sport par exemple. Dans la deuxième brochure, il y est fait notamment référence d'aménagements spéciaux faits pour ces jeunes: notamment le renfort d'éducateurs. Voici ce que rapporte un détenu (qui semble au vu de son discours être considéré comme jeune) de Fleury.

Deux mots dominent la problématique des jeunes en prison: fatalisme et défaitisme. Ils semblent refléter la position aussi bien du jeune que de l'éducateur. Ce dernier apparaît souvent comme le faire-valoir de l'administration pénitentiaire de Fleury qui se prévaut d'engager un "personnel spécialisé" pour s'occuper des jeunes. Mais dans les faits, il semblerait que ces éducateurs n'aient que peu de marge de manœuvre. Ils sont présent au début de l'incarcération du mineur, mais moins ensuite: peut-être par manque de temps.

Le discours des jeunes interviewés par le GIP montre une capacité du détenu jeune qui témoigne d'empathie à l'égard des éducateurs: à reconnaître leurs difficultés, comme si tout le monde, prisonnier comme personnel pénitentiaire seraient victimes d'un même fonctionnement. Ils parlent aussi des autres professionnels: des instituteurs, sympas, pas trop autoritaires mais tout ça c'est complètement symbolique car Fleury reste une maison d'arrêt, et tu ne peux pas vraiment y apprendre quelque chose. Ensuite les instructeurs techniques des ateliers, puis pour finir les aménagements sportifs dont la gymnastique ne servirait en somme qu'à discipliner les corps.<ref>Groupe d'information sur les prisons. Intolérable (2013), présenté par Philippe Artières, Verticale, pp 117-118.</ref> Un jeune détenu parle de l'école et de la préformation professionnelle comme des mirages. Il souligne que leur occupation est le grand sujet qui mobilise la direction de Fleury. Les éducateurs avaient mis en place des séances de projection mais ont dû abandonner faute de temps. Il relaie une demande de ceux-ci, être plus nombreux, mais il se demande si cela changerait vraiment les choses. <ref>Groupe d'information sur les prisons. Intolérable (2013), présenté par Philippe Artières, Verticale, pp 118-119</ref> On parle encore d'éducateur-calmant, dont le travail est de reclasser rapidement les détenus, et ce choix se fait toujours de manière arbitraire. Il est un pion de l'administration. Ils parlent aussi de l'assistante sociale. L'assistante sociale pourrait, si elle en avait les moyens (les effectifs, le temps, etc), être un pont entre l'intérieur et l'extérieur, un pont entre le détenu et sa famille. Mais dans la réalité, il n'en est rien et et assistante sociale est vue comme inefficace et indifférente.

Mais au cours des échanges retranscrits dans ces brochures du GIP rééditées, une question subsiste: est-il possible de travailler et pour l'administration pénitentiaire et en faveur du détenu (pour son bien)? On fait alors le constat que l'une comme l'autre ont des rôles capitaux.

Dans ces brochures, on peut relever l'attention mise au passé des jeunes. Les quelques éléments anamnestiques publiés dressent un amère constat: ceux qu'on retrouve en prison, ont eu pour la plupart des précédents avec la justice ou les services sociaux, déjà durant leur enfance, de scénarios de rupture (liens familiaux), de placements divers (extra familiaux, centres éducatifs et prisons pour enfants). Sans succès serait-on tenté de dire, puisqu'ils se retrouvent en prison à l'orée de leur 18 ans.

L'esprit des années 70

Dans un ouvrage paru en 1978, Didier Pingeon fait une critique de la détention en prison énumérant différents éléments (voir résumé). A l'évidence la prison apparaît comme un carcan (camisole physique) qui ne peut être compatible ni avec l'éducation (anti-éducative et anti-thérapeutique, augmentation des récidives) ni avec une conception de la justice et de l'individu (perte des droits, dépersonnalisation, violence). Les termes sont forts: Pingeon parle de "bourreaux", de "stigmatisation accrues" et accuse la justice de classe qui permet d'éviter la prison pour ceux qui ont des moyens financiers. Ce concept de justice de classe comme Pingeon la nomme se retrouvre clairement exprimée et expliquée dans le périodique Tout Va Bien. Le dépouillement de ces mensuels (puis hebdomadaires) montrent comment ce concept hérité du communisme est encore fort dans les années 1970.

Un autre ouvrage comme "L'antichambre de la taule" de 1978, présente le centre de détention de Vennes comme un lieu d'enfermement abusif où les décisions du directeur de l'époque avaient un pouvoir absolu. Les éducateurs des jeunes détenus, vivaient et dormaient sur place et qu'importait leur avis sur les jeunes mineurs, c'était le point de vue du directeur qui était important. Dans les années 1970, le passage d'un jeune à la maison d'éducation de Vennes (MEV) était suite à un parcours difficile mais pas forcément du à un crime ou un délit. Lorsque les parents n'étaient pas en mesure de prendre en charge leur enfant, le jeune pouvait arriver à Vennes pour plusieurs années. L'emprisonement, l'isolement, le manque de relation avec les autres jeunes et même les éducateurs, ne renfermaient que le jeune sur lui même et ne le préparaient guère à une réinsertion sociale. Pourtant la maison de Vennes était appelée la "maison d'éducation". Quelles étaient les mesures de prise en charge éducatives si ce n'est l'isolement et la privation ?

Le directeur de la MEV, Jacques Tuscher, répondra à ces attaques dans un article "Nous de Vennes". Il est difficile, relève l'historienne Heller, de saisir l'impact véritable de cet ouvrage, car d'autres événements concomitants s'y joignent: les interventions au Grand conseil, et du Conseil de surveillance. Sur ces interventions il est à souligner la prise de parole d'Anne-Catherine Ménétrey, qu'on retrouvera dans le groupe Infoprisons. Mais plus globalement cette grande crise de la MEV qui couvrent environ les années 1977 à 1979 est à replacer dans un contexte plus général qui qualifie bien l'esprit de ces années. Tout d'abord l'existence d'un mouvement général de dénonciation des maisons d'éducation et de l'enfermement de jeunes. Ce mouvement est né dans au début des années 1970, trouvent son origine en Suisse allemande, à Zürich sous le terme de Heimkampagne. Deux "bombes" littéraires et sociologiques apparaissent aussi à ce moment là: Surveiller et punir de Foucault et Asiles de Goffman: ouvrages de références encore quand il s'agit de traiter de la prison, de régimes de redressement ou d'institutions totalitataires. Des changements politiques et sociétaux autour de la question du placement d'enfants apparaissent et modifient les pratiques. Le maintien en milieu familial est préféré au placement institutionnel, le nombre d'enfants en foyers diminuent en conséquence. L'antipsychiatrie renverse elle ausi les normes et les codes (plusieurs témoignages de détenus parus dans les fascicules d'Intolérable (2013) montrent l'intérêt pour ces idées nouvelles. Cela nous permet de saisir un peu mieux l'ambiance autour de cette remise en question de la MEV, nonobstant tous les facteurs internes et propres à la maison d'éducation (la personnalité du directeur, les infrastructures, la situation des travailleurs sociaux, etc.).<ref>Heller, G. (2012). Ceci n'est pas une prison: la maison d'éducation de Vennes: histoire d'une institution pour garçons délinquants en Suisse romandes (1805-1846-1987). Lausanne: Antipodes, pp.121-152.</ref>

Or, ces critiques semblent être encore d'actualité, notamment au niveau de la perte de l'intimité (fouilles totales faites à l'entrée), les récidives et la stigmatisation.

Un nouveau questionnement pour quels changements? les années 2000

Dans un premier temps, nous allons évoquer l' état des lieux fait dans les années 90 sur la situation de la santé en prison. D’après le livre La santé en prison. Les enjeux d'une véritable réforme de santé publique de I. Chauvin.

En janvier 1994, une réforme de l’organisation sanitaire des établissements pénitentiaires a été mise en place par la loi n° 94-43 qui prend en compte la santé publique et la protection sociale. L’objectif est d’offrir une même qualité de soins aux personnes incarcérées et à la population. Dès la mise en œuvre de cette réforme, les détenus ne sont plus soignés par un personnel médical de l’administration pénitentiaire mais par des médecins, des infirmiers de l’hôpital public. Dès le début de leur incarcération, les détenus obtiennent une assurance maladie et maternité du régime de la sécurité sociale. Cette réforme est une évolution pour la prison. Elle se développe par des services psychiatriques, des services d’accueil et des soins spécialisés pour les toxicomanes. De plus, elle permet une continuité des soins et assure une prise en charge sanitaire des détenus. Néanmoins, plusieurs questions se pose sur le devenir de cette réforme.

En 1998, en France, nous comptons 57'458 détenus pour 24'786 agents dont 19'727 surveillants. La durée de détention en 1997 était de 8,1 mois. La plupart des détenus avaient un état sanitaire préoccupant notamment à cause de certaines pathologies ou encore pour des raisons d’hygiène et d’absence de prévention d’éducation à la santé. La majorité des détenus sont jeunes et ne bénéficient pas de soins médicaux. 80 % ont besoin de soins dentaires. La fréquence de la tuberculose est très élevée. De plus, 1/5 détenus souffre d’une pathologie psychiatrique qui peut aller jusqu’au suicide. Ce dernier augmente, il était de 24 pour 10'000 détenus. De plus, les phénomènes de dépendance (alcool, stupéfiants) sont en hausse également.

A présent, comme nous pouvons le lire à travers un des articles de la Tribune de Genève du vendredi 28 mars 2014 rapportant une rencontre avec Hans Wolf (nommé à la tête de la médecine pénitentiaire), ce dernier se définit comme un défenseur « d’une médecine indépendante de la justice, de la confidentialité et de l’équivalence des soins entre détenus et personnes libres ». Cette phrase relève bien les problématiques qui concernent nos deux thématiques.

Rôle de l'environnement

L'environnement en Sciences de l'Education devient de plus en plus important. En effet, il ne s'agit plus de considérer uniquement l'individu mais de prendre en compte tout son environnement qui l'influence et qui explique certaines de ses actions. Un modèle très connu est celui de Urie Bronfenbrenner (1979)<ref>Bronfenbrenner, U. (1979). The ecology of human development : Experiments by Nature and Design. Cambridge, MA: Harvard University Press.</ref>. Ce modèle comprend :

  • Le Microsystème : les environnements proches de l'individu où il est physiquement présent.

Ici la prison par exemple, contenant sa cellule, les lieux communs, etc ; sa famille (sa maison) ; le cabinet de son médecin, ect.. ;

  • Le Mésosystème : ce système représente l'interaction entre les différents microsystème.

Par exemple l'interaction entre le secteur psychiatrie de la prison et la direction, ou le médecin, etc. ;

  • L' Exosystème : Les environnements où l'individu n'est pas présent mais qui l'influencent.

Par exemple le tribunal de justice, ou encore les lois nationales, qui influencent directement la vie du prisonnier.

  • Le Chronosystème : Evenements historiques et chronologiques.

Par exemple les moments importants qui ont marqués l'histoire de la prison et qui ont généré des changements globaux influençant l'individu.

La santé: état de la problématique aujourd'hui

La psychiatrie en milieu pénitencier

D'après le texte de Manzanera, J.L. Senon (2004) <ref>Manzanera, J.L. Senon (2004). Psychiatrie de liaison en milieu pénitentiaire : organisation, moyens, psychopathologies et réponses thérapeutiques. Annales Medico Psychologiques 164, 686-699.</ref>, "les troubles mentaux retrouvés en milieu carcéral sont dénoncés dans tous les pays industrialisés comme étant en contante augmentation (...) (et l'on peut le) relier à un ensemble de facteurs : une désinstitutionnalisation psychiatrique, une crise de l'hébergement social et plus récemment une importation d'un modèle judiciaire de "tolérance zéro" ". Ainsi, c'est le milieu pénitencier et l'environnement juridique qui pourrait faire partie des principaux facteurs générant les troubles mentaux. Mais si la prison créer des personnes "malades psychiquement" qui étaient "saines" en entrant, pourquoi? Qu'est-ce qui peut influencer à ce point les hommes et femmes emprisonnés? Pour répondre à cette question, il semble intéressant de proposer de s'intéresser à la vie des personnes emprisonnées, à ce qui leur reste. Car il semble évident que la prison vise à enlever la liberté (la dignité?); le temps de vie; les relations sociales avec les proches ; les relations intimes : le contact avec le "monde réel", etc. Et lorsque l'on retire tout ça à un homme que lui reste t-il? Principalement deux choses : la perspective de retrouver la liberté et le quotidien - repas, relations sociales, activités, contacts, etc. - dans leur nouveau lieu de vie. Pour ce qui est de retrouver la liberté, c'est la justice qui décide. D'où son importance et l'importance des nouvelles lois qui influencent directement la vie et le mental des prisonniers. Pour le quotidien dans la prison, c'est aux structures d'essayer de préserver la santé mentale de ses "habitants". Et par quels moyens? Le journal info prison (bulletin numéro 7, novembre 2012) parle par exemple d'un "jardin thérapeutique" lancé à Genève. Ce jardin pourrait paraître anecdotique mais en le créant, qu'ont voulu tenter ses créateurs? Quels résultats voulaient-ils obtenir ? Et ont-ils réussi deux ans après? Car le quotidien des prisonniers est fait d'un tas de petites choses, activités, rencontres hebdomadaires avec les médecins, et toutes ces choses, ces moments de vie, d'action, sont importantes, notamment pour la santé mentale des prisonniers. Et en cherchant à obtenir plus d'informations sur cette initiative isolée, le but est de voir quel impact une modification de cette ampleur peut elle avoir.

Le suicide actuellement en prison

Actuellement, on parle de plus en plus de cas de suicide dans les prisons. En effet, bien que les hommes se suicidaient déjà dans les prisons dans les années 70, on ose plus en parler aujourd’hui. Le taux de suicide est 4 à 7 fois plus parmi les personnes incarcérées que le reste de la population. Une étude française a montré que dans les prisons françaises, le taux de suicide a quintuplé en 50 ans alors qu’il a peu évolué dans le même temps pour la population générale. Selon Abouda cité par Lacambre (2013) le suicide représente la première cause de décès en prison. Entre la période de 1960 et 2010, le taux a donc été multiplié par cinq. Ainsi, la prison serait un lieu considéré comme “sucidogène”, c’est-à-dire que c’est un lieu où les conditions de vie ainsi que le vécu des individus, qui les poussent de manière plus forte à passer au suicide. Les recherches ont montré que certaines raisons peuvent souvent être évoquées par les personnes qui ont tenté de se suicider.

  • La surpopulation
  • La promiscuité
  • Les conditions des détentions difficiles
  • La souffrance psychique
  • Le manque de personnel soignant
  • Le stress quotidien
  • Les symptômes de servage
  • ...


On peut regrouper ces raisons qui poussent au suicide en deux grosses cathégories : L'état de santé mentale des détenus et le fonctionnement total de la prison. En effet, il existe de plus en plus de cas de personnes atteintes de problèmes psychiques et qui devraient être internés dans des lieux de détention spécifiques avec les soins et l’attention nécessaires. Ainsi, ces personnes sont mal prises en charge et vont plus souvent passé à des actes suicidaires. * Le suicide en prison n’est pas considéré comme un acte irréfléchi et irrationnel. En effet, il peut être considéré comme un acte de liberté, de choix, une reprise de son autonomie en réaffirmant sa part de liberté de choix. D’ailleurs, les prisonniers comparent le coûtt de détention en prison comparé aux gains attendus et espérés à la sortie.

Les raisons du suicide évoquées ci-dessus, ne sont pas les seules. Les étapes liées au processus judiciaire sont également impliquées dans le comportement des détenus. En effet, l'incarcération, le temps de latence avant le jugement et l'imposition de la peine ainsi que le jugement lui-même sont à considérer lorsque l'on parle de suicide en prison.

Quand on parle de suicide, il peut également être intéréssant de s’exprimer concernant les conduites auto-agressives* (exemples de conduites auto-agressives) qui n’engendrent pas une mort soudaine. Ces actes peuvent être considérés comme un sucide focalisé qui permet de garder l’essentiel: La vie. Cela leur permet de soulager temporairement une souffrance physique ou psychique mais également d’alerter les autorités sur leurs conditions de vie et de détention en prison. On peut prendre l’exemple de Hugo Portmann qui a fait 60 jours de grève de la faim afin de se plaindre des conditions de détention en prison.

La question des mineur/e/s en prison aujourd'hui : régression ou progression?

La délinquance juvénile: entre répression et éducation

Les changements concernant les mesures à l'égard des jeunes – depuis le code pénal de 1810 – ont modifié au cours du temps les choix des méthodes qui devraient assurer la non récidive et la meilleure réintégration possible des jeunes dans la société. Entre répression et éducation, les méthodes ont donc aussi une histoire Délinquance juvénile à Genève de 1900 à aujourd'hui. La représentation de la punition, ainsi que celle du jeune déterminent ces choix. Le "facteur dangerosité" poussant à la répression, alors que l'image du développement continuel du jeune entrainerait une relative clémence portant souvent à chercher des solutions éducatives hors les murs (expériences fortes: traversée d'un désert, navigation en mer, etc.). La remise en question du rôle de la justice des mineurs et plus largement la critique de la prison n'est pas nouvelles.

La délinquance des mineurs et ses chiffres statistiques

Un raccourci très fréquent quant il s'agit de délinquance, qui plus est de délinquance des jeunes, et de confondre délinquance et sentiment d'insécurité. Ce sentiment, véhiculé ou exacerbé par des politiques ou par des organes de presse servent différentes fonctions. Pour les premiers. il peut servir à justifier des mesures de plus en plus sécuritaires, de se faire élire et donc servir l'intérêt propre de certaines personnes. Pour les seconds, il est sans doute question de chiffres d'affaire, d'attirer de nouveaux lecteurs par des titres ou des manchettes accrocheurs et vendeurs. Le sentiment d'insécurité reste quelque chose de flou et de non scientifique. Ce n'est pas parce que ce sentiment augmente dans la population que la délinquance croît inexorablement. Il suffit parfois de quelques "affaires" à grand retentissement, comme on en a eu, pour des adultes, en 2013 par exemple. De grandes affaires qui révèlent des dysfonctionnements peut-être d'un système plus global, de croyances qui voudraient que la sécurité soit totale et absolue.

Venons donc aux chiffres de cette délinquance, même si les chiffres peuvent être barbants, il peuvent servir d'indicateurs plus ou moins objectifs d'une situation. Ils renseignent sur une réalité et peuvent faire officie de témoins historiques. Deux sources principales pour nous aider à y voir plus clair: l'ouvrage de Guéniat (2007) et le site de statistiques de la Confédération qui nous fournit des informations sur la délinquance des mineurs depuis 1946. Il existe un document publié par l'Office fédéral de la statistique qui porte un regard sur l'évolution de la délinquance des mineurs de 1946 à 2004. Même si les chiffres ne sont pas de toute dernière actualité ils ont l'avantage et le mérite de porter sur quasiment un demi siècle de chiffres et de statistiques, révélant des tendances que les auteurs ont harmonisés afin de pouvoir comparer les données entre elles. En effet, il serait faux de comparer telle année à telle autre année, car il est su que les systèmes de statistiques diffèrent entre certaines époques. que nous dit cette méta analyse?

  • Depuis 1934 il existe une hausse de la délinquance juvénile.
  • Par contre au niveau des condamnations pénales chez les adultes, il y a une baisse.
  • On peut conclure d'une part que la délinquance des mineurs ne conduit pas à une hausse chez les adultes. On peut dire que "La délinquance des adolescents semble être plutôt un phénomène épisodique lié à une période particulière du développement de l’individu."<ref>Office fédéral de la statistique (2007). Evolution de la délinquance juvénile. Jugements pénaux des adolescents, de 1946 à 2004. Neuchâtel: OFS, p.5</ref>
  • Le type d'infraction est considérée comme mineure.
  • Cela concerne principalement des garçons.
  • Au niveau des sanctions, "on observe que le «placement extra-familial» (maison d’éducation, famille d’accueil, détention), sanction relativement lourde, autrefois prédominante, a été progressivement abandonné au profit de mesures ambulatoires et, depuis le milieu des années 70, d’astreintes au travail."<ref>Office fédéral de la statistique (2007). Evolution de la délinquance juvénile. Jugements pénaux des adolescents, de 1946 à 2004, op. cit., p.5</ref>
  • Le nombre de jeunes en situation difficile n'a pas augmenté.

Un point majeur sont à relever concernant ces données et ces constats. Malheureusement, c'est pour l'époque qui nous intéresse essentiellement, soit les années 1970, que certains chiffres font défauts. En effet, ces recueils dépendent aussi des lois et des différentes juridiction. En 1942 le code pénal suisse est entré en vigueur et avec lui, l'obligation d'indiquer les jugements pénaux au casier judiciaire. Par contre en 1974 l'obligation n'est plus de mise, il y a donc un vide entre 1974 et 1984, année depuis laquelle l'Office fédéral de la statistique travaille sur ce recueil de données. <ref>Office fédéral de la statistique (2007). Evolution de la délinquance juvénile. Jugements pénaux des adolescents, de 1946 à 2004. Neuchâtel: OFS, p.10</ref>

Un autre point important concerne le types de mesures ou punitions prises par les juges.

  • Au niveau des mesures éducatives: le placement en maison d'éducation qui a vu ses chiffres diminuer pour laisser place à l'assistance éducative.
  • Au niveau des punitions disciplinaires: les détentions qui étaient la punition la plus utilisée a largement diminué et ce depuis 1974 où a été mise en place l'astreinte au travail. La part de détentions a diminué de moitié entre 1954 et 2004. <ref>Office fédéral de la statistique (2007). Evolution de la délinquance juvénile. Jugements pénaux des adolescents, de 1946 à 2004. Neuchâtel: OFS, pp.20-21</ref>

Nous allons maintenant croiser ces chiffres avec ceux d'un autre Office, l'Office fédéral de la police cité par Guéniat (2007) qui amènent plusieurs constats <ref>Guéniat, O. (2007). La délinquance des jeunes. L'insécurité en question. Lausanne: Presses polytechniques et universitaires romandes. p..21-35</ref>:

  • De moins en moins de mineurs dénoncés à la police.
  • Une baisse de dénonciations de vols et de cambriolages.
  • Mais une augmentation de la violence.

Le point le plus important que nous pouvons dégager de ces chiffres est sans doute le nombre de détentions qui a chuté. Une raison explicitée par la rapport est l'arrivée dans les années 1970 de l'alternative de l'astreinte au travail. Y a-t-il eu d'autres éléments qui sont à la source de cette diminution" Des réponses sont à chercher notamment dans le livre de Heller (2012) ou dans L'antichambre de la taule par exemple.

2014, ouverture d'une prison pour mineurs

"Je tiens à l'appellation de prison (...) je dirai que notre établissement est une prison éducative": c'est en ces termes que le nouveau directeur des Léchaires à Palézieux qualifie son établissement, récemment ouvert en 2014.<ref>Migros Magazine, 06.10.2014.</ref> La dénomination semble être totalement assumée du directeur, voire revendiquée. Il n'est en effet pas un novice dans le domaine carcéral puisqu'on peut lire dans sa page personnelle sur internet, principalement ses expériences dans ce domaine: au Service pénitentiaire de Neuchâtel, comme directeur adjoint de l'établissement de détention de Bellevue et comme directeur ad interim de l'établissement de détention de La Tuilière. Dans un article du Lerégional, il est fait mention et est souligné ses expériences avec les adolescents, notamment comme codirecteur de l'internat pédagogique et thérapeutique de Serix. Le journaliste nous dit aussi qu'il est psychologuqe et psychothérapeute pour enfants et adolescents et a une grande expérience dans le domaine de la pédopsychiatrie.<ref>http://www.leregional.ch/N42110/un-psychologue-en-prison.html</ref> Nous nous trouvons donc à la réunion du domaine de l'éducative, de la psychiatrie et du carcéral.

Références bibliographiques

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