Alain Dupont: un entrepreneur social
Une carrière contre l'enfermement et pour la dignité de la personne
Aline Armeli, Daphné Girardin, Fatima Myriam Qarbal, Isabelle Schmutz, Sandra Simoes Lancon, Perrine Tanner, Diona Furrer, Martine Ruchat
avec la participation d'Alain Dupont
Préambule: psychiatrie et antipsychiatrie aujourd'hui?
L'histoire de l'antipsychiatrie n'a pas encore été faite. Seuls les travaux récents d'Isabelle von Bueltzingsloewen [[1]] et le livre de Jacques Lesage de La Haye, La mort de l'asile: histoire de l'antipsychiatrie, 2005 et réédité en mai 2010, posent quelques jalons historiques. Wikipédia donne aussi des éléments de base pour en saisir rapidement les enjeux principaux [[2]]. Or, quelques articles récents dans la presse en Suisse romande et une émission sur Antenne 2, à la télévision française, montrent un intérêt nouveau pour l'histoire de l'antipsychiatrie, au moment même où la crise économique touche des pays comme la Grèce et affecte directement les soins psychiatriques. L'article de la Tribune de Genève, du 1er octobre 2012, "Les fous de l’île de Leros", met en évidence le lien entre restrictions budgétaires (des subventions européennes qui ont servi à financer l’institution de «Leros») et les conditions de vie des personnes. Cette situation économique liée à la domination financière est une véritable fabrique de personnes oubliées. Parmi elles, ce sont les personnes malades mentales, de part leur vulnérabilité, qui paient visiblement le prix le plus fort. La santé physique et la santé mentale de la population ne sont-elles pas des indicateurs de la santé politique d’un pays? A Genève, l'association les Archives contestataires a proposé, le 18 novembre 2012, une soirée sur le thème de "Psychiatrie et antipsychiatrie. Histoire, acteurs et enjeux d'une contestation, des années 1968 à nos jours" démontrant un intérêt pour une histoire locale à partir d'archives collectées [[3]].
L'objet de ce travail de recherche, présenté ci-après, s'inscrit donc dans un renouveau d'intérêt pour cette histoire du XXe siècle.
Un retour sur l'histoire de l'antipsychiatrie genevoise dans les années 1970 et 1990, est un moyen de réfléchir aux formes qu'a prise alors la désinstitutionnalisation, aux moyens mis en œuvre pour considérer le patient psychiatrique comme une personne et aux enjeux idéologiques des choix politiques faits. Car la désinstitutionnalisation n'est pas à réduire à un seul retrait des prestations de l’État, c'est aussi un choix politique de prise en charge ambulatoire, respectueuse de la vie quotidienne de personnes qui ont des droits à "vivre comme tout le monde", selon une formule de l'Association des parents d'enfants handicapés mentaux, créée en 1959, formule porteuse dans le champ de l'éducation spécialisée. Une telle réflexion est particulièrement importante aujourd'hui où sous la pression néo-libérale, l'Etat diminue ses prestations obligeant aussi à imaginer des entreprises sociales à économie mixte (public/privé).
Le parcours d'Alain Dupont est particulièrement emblématique de cette période pionnière de l'anti-psychiatrie, mais aussi, et surtout, d'un parcours en constante évolution et création dans ce champ pour ajuster l'offre de prestation en matière de travail social, d'éducation spécialisée, de psychiatrie de secteur et enfin d'entreprise sociale. Ayant débuté sa carrière professionnelle avant Mai 68, il a traversé la période militante contre l'enfermement, pour le respect de la personne et de ses droits (droits de l'usager) et il a fait le choix de créer des lieux de vie diversifiés (accueil, logement, travail, loisirs, vacances) en lien autant avec le réseau de la psychiatrie genevoise qu'avec des subventionnements privées et surtout il a fait le choix de fonder des entreprises productives sur un modèle d'économie capitaliste.
Recueillir le témoignage d'un acteur incontournable de cette histoire genevoise a été une occasion pour les étudiantes, de découvrir cette page de l'histoire de l'éducation spéciale et spécialisée, en particulier dans ce champ de la psychiatrie et pour Alain Dupont de faire un retour sur sa carrière grâce à sa mémoire et à ses archives privées (notamment, pour lui, de faire un retour sur sa carrière par sa propre mémoire et grâce à ses archives (notamment photographiques) et,photographiques). C'est aussi une occasion supplémentaire, dans une formation universitaire, de pratiquer l'entretien, de s'imprégner d'un récit autobiographique pour écrire un récit biographique, nécessitant d'exercer le respect de la parole, la compréhension des rythmes biographiques (les périodes) et l'analyse de la dynamique et des enjeux entre une personne, son entourage social et son temps.
Dire et saisir le temps pour écrire l'histoire
Le récit que vous allez lire est le résultat d'un travail d'intelligence collective par une communauté de travail formée de sept étudiantes en Master en enseignement spécialisé, d'un témoin, Alain Dupont et de deux enseignant/e/s, Martine Ruchat pour le suivi du cours-atelier en histoire de l'éducation spéciale et spécialisée, et Daniel Schneider, de TECFA, pour le soutien technique au wiki.
Le travail mené au cours de treize semaines consiste pour les étudiantes à s'approprier de manière minimale le wiki, à entrer dans une démarche de travail collectif dans lequel chacune contribue librement aux pages du wiki selon les directives posées par l'enseignante (article, index, bibliographie, dictionnaire) et exerce le recueil d'un témoignage. L'objectif premier est de réunir des informations puisées dans des articles et ouvrages sur l'antipsychiatrie, entre 1970 et 1990 environ, d'aller sur le WEB et les banques de données pour prendre des information sur Alain Dupont et surtout de construire un premier canevas de cette histoire permettant d'engager les entretiens avec le témoin. Ces entretiens, qui ont lieu dans des lieux professionnels d'Alain Dupont sont aussi une occasion de prendre la mesure des créations réalisées et de la nature des projets d'insertion communautaire que ce soit le Café Cult, l'Hôtel-pension Silva et le restaurant Le Pyramus. Un entretien a eu lieu dans son propre bureau. Ils sont l'objet d'un enregistrement audio-visuel effectué par Alexandre Bourquin. Alain Dupont s'est aussi rendu disponible en participant aux réunions dans le cadre du suivi de la démarche dans la salle de la faculté.
Le but poursuivi est de créer une archive audiovisuelle permettant d'alimenter le patrimoine de l'histoire de l'éducation spécialisée, et en particulier celui de la psychiatrie, et d'écrire un récit biographique explicitant le rôle et l'action d'Alain Dupont dans le développement du mouvement de l'antipsychiatrie à Genève dans les années 1970-1990. L'idée générale est de permettre de construire collectivement une histoire individuelle dans une histoire collective et de mieux comprendre comment se font les interactions et influences entre individu et société.
L'article comprendra une longue introduction générale présentant la méthode, les choix épistémologiques et quelques éléments historiques écrits collectivement.
Le récit biographique d'Alain Dupont sera présenté en quatre chapitres, lesquels correspondent aux 4 recueils de son témoignage, dans 4 lieux différents et abordant, outre les évènements et actions entreprises, une réflexion parcourant l'ensemble du texte. Les étudiants seront à même d'apprendre en écrivant ce récit biographique grâce à la retranscription minutieuse des 4 entretiens.
L'intérêt du récit biographique est de situer la personne dans le temps et de lui donner une place particulière dans le champ de l'antipsychiatrie et de son histoire; une place à la fois unique et représentative d'une génération ou d'un groupe générationnel. Alain Dupont se prête particulièrement bien à l'exercice en occupant une place unique par la persistance de son engagement entre 1966 (premier stage de formation effectué) et aujourd'hui, par ses choix politiques, ses méthodes et sa personnalité. Dans le dernier entretien, il avouera: "Sincèrement je ne me sens pas dans l’antipsychiatrie. Sincèrement moi, j’ai toujours cru, alors que c’est une erreur aujourd’hui, qu’une institution comme Bel-air ou le centre psychosocial, c’était possible de changer l’institution en soi." Certes dans ce travail de remémoration, on prend de la distance critique. Mais le risque est aussi pris de reconstruire le passé en fonction du présent et d'en faire la critique surtout lorsque la personne a, avec le temps, modifié sa manière de travailler ou de penser. Le mouvement antipsychiatrique de l'après Mai 68 avait des velléités de destruction radicale des institutions totalitaires et les alternatives se faisaient d'abord en dehors. Or, Alain Dupont s'est-il positionné dès ses premiers pas dans un réformiste tempéré, tel qu'il est amené à se considérer aujourd'hui? Ou est-ce aussi les opportunités et les expériences qui l'ont incliné progressivement vers plus de consensus? Dans le premiers cas, il faudrait alors considérer le mouvement antipsychiatrique genevois comme étant divisés entre des militants qui s'opposent, sont contre ce qui se passe et ceux qui comme Dupont sont des militants qui proposent d’autres pratiques à l’intérieure même de l’institution. Dans le second cas, on peut faire l'hypothèse que l'institution psychiatrique s'est aussi transformée par la rencontre de deux champs disciplinaires: la médecine psychiatrique et le travail social, lequel apportait de nouvelles méthodes: le case work (travail centré sur la personne), l'intervention en milieux ouverts, la pratique des réseaux et qu'une personne comme Alain Dupont a pu être un lien entre une culture antipsychiatrique militante (n'a-t-il pas révélé avoir détruit des appareils d'électrochoc ou voler des clés dans un hôpital psychiatrique français où il se rendait pour en faire l'évaluation dans les années 1980?) et une culturel de l'institution psychiatrique qui elle-même a dû réagir aux attaques qu'elle subissait (notamment lors d'arrestation de militants politiques ou lors de la mort d'Alain Urban).
Mais bien des questions resteront ouvertes qui nécessiteraient d'autres entretiens avec Dupont, d'autres recherches dans les archives et qui sait d'autres témoins pour mieux saisir la diversité des postures antipsychiatriques dans ces années de contestation des pouvoirs.
Entre trajectoire individuelle et histoire collective: un subtil maillage
L'histoire de l'antipsychiatrie s'inscrit non seulement dans l'histoire de la psychiatrie, mais aussi dans celle de la santé (soins à la personne) et de l'éducation qui ont particulièrement marqué le champ de l'éducation spécialisée dans les années de l'après-guerre. De cette génération des Trente Glorieuses, de la révolution cubaine à celle de Mai 68, bien des acteurs se sont engagés socialement pour des valeurs de justice et d'égalité sociales, promouvant des modèles d'intervention sociale novateurs ou s'inscrivant dans une tradition de l'éducation sociale (milieu ouvert, communauté d'enfants, communautés thérapeutiques notamment). Ces acteurs et actrices critiques des institutions traditionnelles ont été des contre-pouvoirs souvent créatifs proposant des contre-modèles institutionnels. Les critiques portent autant sur l'école, la prison et l'hôpital psychiatrique qui apparaissent alors comme des institutions totalitaires. Les travaux de Michel Foucault ont particulièrement abordé leur histoire dans cette perspective et ont été une référence importante pour cette génération. Mais d'autres auteurs ont aussi été des références incontournables comme Yvan Illitch, auteur de "Une société sans école", Franco Basaglia, auteur de "L’institution en négation", ou encore Thomas Szasz, ayant écrit "Le mythe de la maladie mentale", renvoyant à une critique de l'institution, mais aussi de la norme questionnant ainsi la normalité tout en revendiquant une normalisation de la vie des handicapés et des malades psychiatrisés. Fondamentalement, c'est la critique de l'enfermement qui se déploie, que cela concerne l'enfermement de l'enfant handicapé dans sa famille ou le malade psychiatrique dans l'asile. Franco Basaglia est incontestablement la personne qui a encouragé la désinstitutionnalisation plus que personne en Europe. Il a cassé net avec les habitudes hiérarchiques propres à l’institution jusqu’alors, mettant à pied égal médecins, infirmiers, infirmières et malades, imposant le tutoiement entre le personnel soignant et les malades et vice-versa, ouvrant grand la porte aux malades et à leur famille, encourageant le libre court des projets des malades, ce qui a amené à la création des centres psychosociaux de quartiers, qui ont remplacé les institutions psychiatriques dans toute l’Italie.
Deux grands modèles vont émerger, en France, dans les années d'après-guerre: la sectorisation et les communautés de vie.
Le secteur, groupe de prise en charge ambulatoire et de suivi des malades dans les quartiers, reste tout de même lié à l'hôpital psychiatrique. L'usage des neuroleptiques, dès les années cinquante, a favorisé cette prise en charge ambulatoire. Néanmoins, c'est aussi le manque de structures sociales de prise en charge qui a empêché certains patients de sortir de l'hôpital, d'où la nécessité de créer des lieux alternatifs. Or, faute de pouvoir sortir le malade de l'hôpital psychiatrique, celui-ci s'ouvre à d'autres pratiques de thérapies sociales, telles la sociothérapie ou l'ergothérapie. Le courant de la psychothérapie institutionnelle prône pour les malades psychiatriques un possible retour à la vie normale.
Les modèles des communautés de vie, par exemple, revendiquant une vie comme tout le monde et une certaine "normalisation" de la vie quotidienne pour les handicapés mentaux comme pour les malades psychiatrisés, ont donné lieu à des expériences originales (voir l'exemple en France, dans les années soixante, l'Arche de Jean Vannier [[4]] ou Fernand Deligny à la Grande cordée [[5]] et en Suisse, dans les années septante la communauté vaudoise filmée film de Catherine Scheuchter:"Dans l'aventure du non de la parole". Même si les conceptions ont pu être différentes dans les pratiques, un objectif peut, dans l'histoire de l'antipsychiatrie, les fédérer: le désir de s'approprier sa propre vie qui apparait alors comme un quasi droit en dehors des diktat des institutions de la famille, à la prison en passant par l'école et 'hôpital psychiatrique
Le mouvement antipsychiatrique participe de cet élan à la fois critique de l'institution et revendicatif d'une normalisation, comme l'a aussi été celui de l'intégration sociale des handicapés prônant une vie comme tout le monde pour les enfants non scolarisés et souvent à la charge de leur famille (jusqu'à l'entrée de l'A.I en 1959). Le monde de la psychiatrie a été bouleversé de l'intérieur, dès les années soixante, par des changements apportés par des médecins, comme, à Genève, Juan Ajuriaguerra, mais aussi par la pression, à l'extérieur, des militants et des usagers de la psychiatrie. Une troisième voie entre l'alternative radicale et le changement à l'intérieur de l'institution a été l'ouverture de lieux, dans la ville-même, obligeant à contrôler médicalement les personnes (notamment grâce aux médicaments psychotropes, comme le Gardénal) tout en laissant une liberté de mouvement qui indéniablement a permis de changer le regard porté sur la folie.
Ainsi à Genève, en 1973, à l'intérieur même de l'institution psychiatrique, agitée par ces différentes forces, des alternatives sont proposées notamment la communauté thérapeutique. Mais la direction veille au grain et deux médecins sont renvoyés (dont Bierens de Hahn). A l'extérieur des murs, une foule de collectifs se constitue avec une vie éphémère autour d'évènements particuliers. En juin 1977, lors d'une manifestation à Gosgen, une militante anti-nucléaire est arrêtée et internée à Bel-Air; elle subit des électrochocs contre sa volonté. Cette mobilisation s'est particulièrement cristallisée autour d'un jeune homme, Alain Urban, interné en juin 80 sur un mode non volontaire (entre 1981 et 1989, on est passé de 1005 à 2034 internements non volontaires, chiffres donnés par Rolf Himmelberger, lors de la soirée antipsychiatrie des Archive contestataires). Un comité se crée pour la libération d'Alain, s'y joignent des femmes du Centre femme, le Comité contre l'internement psychiatrique, le Réseau romand contre la psychiatrie (qui édite d'ailleurs un bulletin) et le Comité contre Verbois nucléaire. Mais Alain meurt le 19 juin après une cure de sommeil. Mise en cause des professionnels qui travaillent dans l'hôpital et du pouvoir qui leur est attaché, et contestation de la hiérarchie médicale. L'hôpital psychiatrique est considéré au même titre que la prison comme un lieu d'enfermement, lieux d'abus de pouvoir dans lesquels l'individu est nié. Le mouvement antipsychiatrique genevois lutte alors pour le droit des usagers, un accès à l'information médicale, un accès au dossier personnel et exige le consentement éclairé du patient.
C'est aussi une manière différente de concevoir la maladie mentale qui progressivement se dessine. L'association ADUPSY, association pour le droit des usagers, est créée en 1979 (dont le fonds d'archives est déposé à l'association des archives contestataires) et sera un moteur pour les luttes antipsychiatriques, en particulier entre 1970 et 1980. Une autre association «SUCCES», initiatives et expériences constructives en santé mentale, présidée par Alain Dupont, est crée dont le but est d’améliorer le fonctionnement des services et institutions de santé mentale à Genève en faisant connaître des initiatives, des expériences d’organismes locaux de santé mentale. C’est une tentative destinée à montrer qu’il existe des institutions efficaces, faisant preuve d’imagination et de faciliter les échanges d’informations.
C'est donc dans ces années "chaudes" que s'inscrit le premier engagement d'Alain Dupont, lorsqu'il ouvre un service de sociothérapie à l'hôpital psychiatrique de Bel-Air avec le Dr. Eisenring, en 1972, premier acte d'un itinéraire qui l'amènera progressivement à multiplier les créations sociales (Le Quatre, Trajets, T-Interactions pour les plus connues)[[6]]. Ces créations l'amèneront progressivement à glisser de l'action sociale (publique) à l'entreprise sociale mixte (privée et publique). Des actions et des entreprises de solidarité qui incarnent des idées et des méthodes travaillées dans des lieux de formation (il est enseignant à l'École de travail social dès 1972), et dans la recherche-action telle qu'elle est prônée à l'université où il entre dans les années 70. Sa pensée est marquée par des thématiques dominantes dans le champ du social et des sciences de l'éducation de cette génération 1970-1990, dont il sera l'un des représentants: la normalisation, la valorisation des rôles sociaux, l'observation, l'évaluation, l'intervention en réseau. Un itinéraire marqué aussi par un engagement social fort, hors des institutions traditionnelles, ralliant un réseau de soutien politique et financier à des idées qui étaient loin d'être dominantes. Entre le respect des institutions et de leur politique et l'engagement militant et contestataire des associations d'usagers, le chemin d'Alain Dupont est un entre-deux où domine un goût pour la création, la conduite d'équipe et l'ambition de réussir dans un esprit de liberté. Posture personnelle, politique, philosophique, générationnelle qu'il s'agit de tenter de mieux comprendre.
Le récit biographique: quelques points de méthode
Selon Descamps (2006), «la révolution technologique du numérique devrait encore accroître et perfectionner le recours aux sources orales.» Certes, aujourd'hui le matériel d'enregistrement est léger et pratique d'utilisation. On part avec deux caméras au poing et deux enregistreurs audio qui permettront la retranscription aisée sur wiki [[7]].
En ce qui concerne la collection des traces, notre travail se base essentiellement sur quatre entretiens menés, tous abordant une étape de la vie professionnelle ou plus personnelle d'Alain Dupont, auxquels s'est ajouté un premier entretien informel lors de la première rencontre avec Alain Dupont. Chaque entretien dure environ 90 minutes devant une caméra qui le film et l’enregistre. Ces entretiens ont eu lieu dans quatre endroits différents, particulièrement sélectionnés. Le récit biographique s’est ainsi construit par les lieux et dans la chronologie: en partant du bureau personnel d'Alain Dupont pour évoquer les débuts de son aventure professionnelle, où il parle du Quatre, puis en se rendant à l'Hôtel Pension Silva pour traiter de l'Association Trajets; le troisième entretien, qui a eu lieu au restaurant Le Pyramus, portait sur l'Association T-Interactions; enfin, au cours du dernier entretien, réalisé au Café Cult, Alain Dupont a évoqué son enfance. Des lieux hautement représentatifs pour Alain Dupont et qui permettent, comme l'affirme Descamps (2006), de « situer le témoin dans son environnement familier». De surcroît, ces lieux ont créé à chaque fois une atmosphère particulière, intime, qui a permis d'être transporté dans l'histoire, de mieux se représenter le quotidien d'Alain Dupont, de rendre plus concrets certains faits évoqués pendant la narration. Malheureusement, dans les lieux publics (café Cult et Pyramus), le bruit inévitable de la salle a interféré avec la parole enregistrée et a rendu la retranscription plus fastidieuse.
Les entretiens ont fait l'objet d'une retranscription car, comme l'écrit Fanch Elegoet dans "Le recueil d'une histoire de vie" (1980), « l’information écrite se manipule plus aisément et circule plus facilement que l’information orale. Le passage nécessaire de l’oral à l’écrit impose donc une restructuration de l’information. Cette réorganisation ne vise que l’accroissement de la lisibilité du texte. » C'est d’ailleurs uniquement à partir de textes retranscrits que le récit biographique s'est reconstruit. Quelques documents d’archives ont été ajoutés, afin d’illustrer un point particulier. Une transcription systématique et totale a été effectuée afin de ne pas opérer une censure non raisonnée du matériau. Cependant, certaines anecdotes ont parfois été résumées ou uniquement indiquées, car peu pertinentes pour le récit final. De plus, les tics de langage et les répétitions ont été supprimés. Les passages ou mots incompréhensibles, perdant leur sens, sont représentés dans la retranscription par des « points de suspension ». Blanchet (1985) parle de transcription en « intégrale allégée » lorsqu'il s'agit de fluidifier le récit en supprimant quelques marques discursives comme certaines interjections. L’oral permet bien souvent de saisir le sens par les non-dits, les sourires, les clins d'œil et cela se perd avec l'écrit, rendant parfois difficile la compréhension, le sens, alors clairement perçu lors de l'entretien.
Ces divers entretiens représentent des matériaux riches en information car Alain Dupont a la parole facile, il est donc difficile de l’interrompre et d’intervenir dans l’entretien. Les questions de chaque entretien étant écrites sur la page du wiki, il est possible qu'il en ait pris connaissance et ainsi construit son discours qui apparaît plus ou moins préparé par avance. Par conséquent, il a pu venir avec une idée de fil directeur précis et s'est laissé assez peu réorienter par les questions nouvellement posées. Ainsi, il ne répond pas toujours à toutes les questions. Et malgré la vive tentation de poser de nouvelles questions, pour relancer la discussion ou pour ouvrir sur un nouveau thème (sa famille, sa vie personnelle...), le risque n'a pas été pris, afin de ni l’embarrasser ni l'éloigner du thème. De plus, pris par sa propre narration, Alain Dupont a perdu parfois une certaine cohérence, sautant d'une idée à l'autre. Le manque de datation précise de certains évènements a aussi rendu difficile la cohérence biographique et a nécessité une recherche à l’aide d’autres sources, notamment le C.V remis après les entretiens[[8]]. A plusieurs reprises, il a d'ailleurs souligné que cette démarche le "faisait travailler".
Par la suite, en ce qui concerne le traitement des données, nous avons procédé à l’analyse des entretiens, tentant de restituer une certaine chronologie des événements évoqués et suivant plusieurs thématiques structurant notre article, autour de la vie d'Alain Dupont: 1) L'expérience d'éducateur collectif (stage, École Pahud) 2) Caritas, Le Quatre, la Vendée 3) Trajets 4) T-Interactions
Toute cette démarche - des entretiens jusqu'à la rédaction de l'article biographique final- s'est effectuée à l'aide de la plateforme Dewiki, outils d'intelligence collective. L'usage de la plateforme oblige a un rythme soutenu qui n'a pas toujours pu être respecté. Ainsi trop souvent, alors que la retranscription s'est faite rapidement, le passage au récit n'a été rédigé en ligne que tardivement. Cela est essentiellement dû au fait que les étudiantes ont rédigé leur texte sur word et les ont travaillée individuellement avant de les "versé" sur la page dewiki. Ce mode de faire montre les résistances (par manque de pratiques) à l'usage de wiki (difficulté à écrire directement sur la page), mais aussi à l'écriture collective qui oblige à dépasser la propriété privée de l'écrit pour une représentation d'un texte partagé, auquel on contribue constamment comme un bien commun à toujours alimenter et améliorer.
Alain Dupont est une personne qui, aujourd'hui, analyse beaucoup ce qu'il a fait par le passé et prend du recul par rapport à ses actions du passé. Il tient à revenir sur ce qu'il a fait auparavant afin d'évoluer et de mettre sa pratique toujours en question. Cela reflète une qualité d'analyse de sa pratique professionnelle qui permet une autoformation constante.
Alain Dupont s'est raconté avec beaucoup d'enthousiasme. Très vite, il s'est montré passionné par la démarche, mais c'est en même temps l'homme qui est passionné par ce qu'il entreprend, par les challenges qui s'offrent à lui, par la connaissance aussi. Se connaître soi-même est aussi une démarche passionnante. Comment recevra-t-il en retour ce que les intervieweuses lui renverront de son témoignages avec des mots peut-être différents, avec une structure du récit qui le contiendra dans un plan en titre et sous-titre, lui qui n'aime pas l'enfermement? Premier thème qui apparaît et qui traverse son récit: l'enfermement, celui de la cellule comme celui des catégories que pourtant il promeut à travers l'évaluation qui est un de ses chevaux de bataille dans le champ du social: pour plus de professionnalité, plus de justesse et de justice aussi. Son engagement est constamment étayé par une réflexion souvent poussée: il n'agit pas sans évaluer, analyser, sans aussi se faire évaluer. Il ne craint jamais la critique, celle qui permet d'avancer dans l'expérience, dans les savoirs toujours soutenus par des valeurs qui semblent s'enraciner dans une éducation catholique, mais aussi qui sait dans une histoire familiale, un milieu, un roman; celui de la guerre, du passage des frontières, des retrouvailles, des connivences, de l'aide charitable. Ces origines semble lui donner une force hors du commun pour se confronter aux institutions psychiatriques, pour prendre des risques financiers autant qu'éducatifs, misant toujours sur l'humain. Difficile de réduire Alain Dupont à une catégorie socioculturelle: militant, réformateur, entrepreneur; à un statut: formateur, directeur, conseiller social, consultant, ou à une fonction: assistant social, professeur, enseignant, éducateur, psychologue, formateur. Il sait prendre la posture nécessaire en toute discrétion, humilité même, semblant se satisfaire uniquement de voir ses projets se réaliser, durer, aider, servir. Il y a quelque chose du service aux autres: non seulement rendre service comme il le faisait dans l'enfance, mais contribuer à un monde plus humain, respectueux des gens et permettant à tous de participer à la collectivité, à la communauté.
Alain Dupont dans l'histoire de l'anti-psychiatrie genevoise
L'enfance du refus de l'enfermement
"L’enfermement ce n’est pas que les murs; l'enfermement il est chez soi. On s’enferme dans notre propre histoire sans jamais la mettre en question, sans jamais se questionner" Alain Dupont
Alain Dupont est un enfant de la guerre. La Seconde guerre mondiale avec ses violences, ses déplacements de populations, ses secrets. Ses grands-parents sont des paysans qui ont une petite ferme en Haute-Savoie et pour compléter le salaire, son grand-père est cantonnier à la commune. Son père est blessé, près de la frontière suisse en Savoie. Il est soigné à l’hôpital de St. Julien. Mais grâce à un aumônier, il passe, en 1944, la frontière à la Pierre-à-Bochet , là où il y a une petite rivière et des barbelés avant d’arriver en Suisse. Arrêté, il est conduit dans un camp de réfugiés à Viège en Valais où il travaillera pendant plusieurs années.
La mère d’Alain a fait le même parcours. Arrivée en Suisse clandestinement, elle a passé la frontière sous les barbelés au même endroit. Elle s’est retrouvée à Epalinges vers Lausanne dans un camp de réfugiés pour femmes avec son fils aîné. Or le directeur du camp était aussi directeur d’une maison pour personnes handicapées à Moudon. Elle est donc allée travailler dans cet établissement.
Alain a été conçu dans un contexte de guerre par des parents réfugiés français en Suisse, mais ce dont il est sûr, c’est d’être né à Genève, second fils de la famille. A cette époque, en 1946, la famille vit aux Charmilles chez des gens, dans les combles où il fait froid l’hiver. Il s’en souvient : de la neige, de ses peurs d’enfants et des angoisses de sa mère, parce qu’ils sont encore dans une période d’insécurité, de cette période de l’après guerre. Ils sont restés trois ans sous ce toit et son père, qui était cordonnier de métier (fabriquant de bois de galoche), est alors entré en formation comme mécanicien à Châtelaine.
Puis la famille avec un troisième enfant, un garçon, a déménagé dans le quartier de Plainpalais dans lequel Alain a grandi au rythme des cloches de l’Église St. François. Dans les valeurs transmises, la famille est quelque chose d’important et il faut travailler pour la nourrir. Il n’y a pas toujours suffisamment à manger sur la table et on ne gaspille rien. Sa mère, parce que le salaire du père est insuffisant, s’est mise à faire des veilles, toutes les nuits à Carouge, dans une pouponnière, chez sœur Madeleine. Le matin elle est debout pour le réveil de ses enfants, pour le petit déjeuner et les préparer pour aller à l’école: "Elle a fait ça pendant des années et des années pour que l’on puisse bien vivre. Et vivre correctement" dit Alain Dupont.
Neuf ans après le quatrième enfant de la famille naît, une fille.
Alain reçoit une éducation catholique avec les pratiques religieuses et les valeurs chrétiennes. Il suit une voie très claire en terme de valeurs : la charité chrétienne. A l’époque, dans la paroisse, il y avait un curé et cinq prêtres pour le quartier de Plainpalais. Il va à la messe le dimanche – le jour du Seigneur – fait son catéchisme et est enfant de chœur comme bon nombre de gamins du quartier de la paroisse. En grandissant, il y a aussi les groupes de jeunes, le club du jeudi, les colonies de vacances, le scoutisme, les journées missionnaires d'Afrique; en quelque sorte, des animations socioculturelles de l’époque ! Dès l’âge de six ans, il part en colonie de vacances, pendant six semaines à Bogève avec soixante enfants de six à quinze ans. Ils sont entourés de prêtres et de séminaristes. Il n’y a que des hommes. Tardivement, il entre chez les scouts où il va prendre des responsabilités. C’est cela l’univers d’Alain Dupont : un univers baigné dans les valeurs partagées par la famille, d’aide aux plus démunis et de supériorité des Blancs. L’Église a encore une emprise très forte sur tout ce que les jeunes peuvent faire et réaliser dans le quartier.
Il nous avoue que les études l’agacent, et qu'il aurait pu faire un apprentissage, ayant un besoin de création constante. Son père lui apprend tout, il sait se servir de ses mains en l'ayant vu faire. Ils font de la récupération, comme pour son premier vélo qui coûte bien trop cher. Alors, ils récupèrent tout ce qu'il y a au bord de la rue, pour en fabriquer un pour le jour de son anniversaire. C'est un vélo reconstitué, avec pleins de couleurs: il est donc magnifique. A 10 ans, il a constamment le nez dans les moteurs, car il adore les voitures, il se destine donc à devenir menuisier, mécanicien.. Mais il rencontre Klaus Engler par le biais du scoutisme.
Le scoutisme est une occasion de mettre en pratique l’aide à autrui, mais aussi de prendre des responsabilités. D’un côté, il faut rendre service, donner un coup de main à quelqu’un, aider une personne âgée à monter le bois, le charbon ou le mazout pour l’hiver. De l’autre on s’engage à incarner ces valeurs et les transmettre dans l’action et aussi aux plus jeunes. Alain, très rapidement, prend des responsabilités dans les colonies de vacances. Il enseigne les travaux manuels, puis les jeux aux enfants. Il se forme aussi à ce qui est à l’époque le centre d’entraînement aux méthodes actives [[9]]) A quinze ans et demi, il est aide-moniteur pour les plus jeunes. Mais déjà vers seize ans, l’aspect militaire des colonies ne lui convient pas, ni l’enfermement d’ailleurs, ni cette autorité qui sous prétexte de partage entraîne de la souffrance parce que le devoir est imposé. L’obligation de partager par exemple les friandises reçues des parents (lors du retour du linge propre) avec tous les enfants dans la caisse commune et devoir, sur l’ordre du moniteur (qui était un curé, un prêtre ou un séminariste) y mettre justement ce qui est le plus apprécié au nom d’un quelconque combat contre le péché de gourmandise certainement ! Cela amenait la souffrance de l’apprentissage au renoncement, mais aussi à la transgression, par derrière, pour bien vivre.
Lorsqu'Alain est à l’école primaire de la Roseraie, il est marqué par l'organisation enseignante. Il retrouve les mêmes lignes qu'il avait vécues durant les colonies de vacances, et qui lui rappelle l'armée. A cette époque, la discrimination existe à l’intérieur de l’école. Il se souvient d’ailleurs d’un jeune homme qui comme lui s'y trouvait et était désigné comme turbulent ou bien caractériel. Un jour, cet enfant est en train de tailler son crayon avec un couteau, et l’enseignant lui fait une remarque qu'il trouve injustifiée. L'instituteur lève la main et en lui mettant une claque voit sa main transpercée. Il y a du sang partout, et un autre enfant s'évanouit. L'enfant sera puni et exclu de l’école. Pour Dupont, cet évènement restera marqué comme de la pure injustice. Mais ce sont aussi les expériences de la maladie au risque de mourir et de l'accident entraînant sa défiguration par une morsure de chien. En vacances chez son oncle, qui était boucher charcutier à Viuz-en-Sallaz, deux chiens, qui faisaient partie de la boucherie, se trouvaient là. Tout à coup, un des deux perd la tête et bondit sur le petit Alain, lui arrachant la figure. Il crie, les gens viennent et découvrent un trou dans sa joue. On le conduit chez le médecin qui ne peut rien faire, mais qui met tout de même une épingle pour conserver un peu la peau. Puis, il est conduit à l'hôpital pour être recousu. Le drame commence : "Jamais Alain tu vas pouvoir trouver une femme." Il est obligé pour atténuer la cicatrice de se frictionner deux fois par jour avec une pommade durant trois ans. En tant qu'enfant, il ne questionne pas le choix des adultes, et obéis tout simplement. Les gens lui font comprendre que sa vie est détruite, qu'il ne peut plus rien en faire car il est défiguré. Il devient, selon lui, une personne handicapée. Aujourd'hui encore, il a cette crainte lorsqu'il croise un chien. La finitude et le handicap l'ont marqué profondément. Qui sait, des écueils qui lui donne cette énergie de vivre et de se battre pour prouver –se prouver à soi-même – que s'est possible d'échapper à la mort et au handicap.
Le sentiment d'injustice, il le vivra plus tard à Serix lorsqu’il apportera du pain et de l’eau à des enfants dans le cachot, parce qu'ils ont déplu à l’éducateur. Et même au sein de la paroisse et durant les colonies de vacances. Tout ces aspects liés à l'injustice sociale et qui ne correspond pas au discours qu’on tenait à l’époque. Il y a un fort décalage entre les valeurs chrétiennes, ce qui est annoncé et ce qui se passe réellement. Au scoutisme, on leur demande d’être les meilleurs et ceux qui n’arrivent pas à suivre, ils sont tout simplement évacués. Il n’y a donc pas de place pour les personnes plus démunies, ou alors elles sont systématiquement montrées du doigt. Il faut également préciser que dans le quartier de Plainpalais, il n’y a pas de noirs et les gens ne parlent pas dans toutes les langues comme aujourd'hui. C'est pareil dans les écoles. Cependant, ils apprennent le racisme. Ils lisent « Tintin au Congo » qui comporte un vocabulaire et des images plutôt racistes. Les missionnaires viennent leur dire que ce sont des sous-hommes et qu’il faut les éduquer. Le racisme et la charité sont donc au fondement de l'aide. Mais jeune déjà, il ne se laissera pas envahir par ces élans, car si on cède, on risque toujours de tomber dans des extrêmes et des abus.
Ainsi Alain Dupont est très tôt frappé par cette injustice et lorsqu’il travaille comme premier conseiller social auprès Klaus Engler dans le premier cycle d’orientation de l’Aubépine à Genève. Ce dernier voit toute sorte de choses chez lui, qu'il ne réalise qu'aujourd'hui, sans regrets. C'est lui qui la encouragé d'ailleurs à suivre l'école Pahud. Alain voit la manière dont les enseignants agissent, et tout ce qui est mit en place. Il prend la défense des gens qui en ont besoin, tout comme il l'a fait en colonie de vacances, ou bien à l’école primaire. Au collège, il se souvient d’un ami qui était dans la même classe que lui. Il arrive pour un cours et il tombe. Il a compris bien après que c’était une crise d’épilepsie et du jour au lendemain, la personne disparait de la circulation, sans qu’on n’en parle et se retrouve à Lavigny.
Jeune il a aussi été marqué par des personnes comme Michel Bassot qui est un français qui partait dans l’humanitaire et qui leur parlait de ses expériences. Il le considère aujourd'hui comme un homme génial dans ce qu’il propose comme action et comment il construit les choses. C'est cet aspect qu'Alain Dupont a repris de lui, comme un résiliant qui s'oppose au manque de dialogue et qui remet en question la pseudo démocratie. Sinon il aurait choisi la transgression ou la délinquance pour combattre l'injustice et l'exclusion. Mais il a donc préférer construire quelque chose pour donner une place aux personnes les plus démunies.
En 1966, faire l'école d'éducateur à Lausanne (l'école Pahud) est une voie séduisante (il n'y a pas encore de section de formation d'éducateur à Genève). Il suit des cours de sculpture et de peinture chez un ami artiste à raison de 4 heures par semaines. C'est ainsi qu'il arrive à payer en partie ses cours à l'école Pahud, en vendant ses tableaux. Dupont a des idéaux de liberté à partir de ce qu'il avait appris déjà de la vie et de l’enfermement. Cette formation qui se fait en internat demande aussi des stages dans des établissements qui sont eux aussi des internats.
Lieux d'enfermements où l'on apprend la vie. Une institution avec 60 enfant de 6 à 16 ans. Il prend les petits. Ces enfants sont placés et à 7 ans déjà on les désigne comme "caractériels". Lui a à peine 20 ans et de voir cet enfant déjà stigmatisé cela lui fait bizarre. Il passe dans les différents groupes et qu'est-ce qu'il y voit? Que l'éducation, c'est d'abord dire aux gamins tout ce qu'ils ne devaient pas faire dans la vie pour être heureux leur donner leur parcours déjà défini et défini par le personnel éducatif, qui n'était d'ailleurs que des hommes (il n'y avait pas d’éducatrice). "On n’était pas dans la prise en charge, mais les mettre dans la droite ligne". Il y avait aussi des instituteurs/trices spécialisé(e)s et cela devait marcher à la baguette. Il y constate de la violence: celle de l'institution (éloignement de la famille, horaire stricte, conduite militaire...), mais aussi de la part des éducateurs tabasser des jeunes et les voir dégringoler dans l’escalier central, ou se battre avec un jeune de 14-15 ans pour ensuite aller l’enfermer. Mais aussi de la violence entre les jeunes jusqu'aux coups de couteau.
Première interrogation sur le rôle de l'institution, sur la formation reçue, sur le mode de faire. Premier refus de sa part de faire porter à la personne les stigmates de l'institution: sa violence symbolique et réelle, sa non-remise en question.
De l'enfermement à la libération
Alain Dupont part de Serix pour voir des choses plus merveilleuse. Mais en psychiatrie, il découvrira l'enfermement pire qu'à Serix. Il s'interroge sur son avenir. Va-t-il rester à Genève ou partir en Afrique faire de l’humanitaire ? Finalement, il fait le choix de rester. Il sait ce qui se passe dans le monde par le biais de Caritas qu'il connaît bien, Caritas-Suisse. Il participe au bureau international BICE et il se dit: "Non il faut rester là, il y a du travail à faire".
Lors d'un autre stage à Eben-Hezer avec des personnes adultes handicapées mentales, nouvelles déconvenues. Il réalise que quelque chose ne joue pas, rien n’est proposé à ces personnes, elles sont littéralement livrées à elles mêmes. Pour lui, selon les valeurs qui lui ont été enseignées, il y a une place pour tous le monde dans la communauté. Il se souvient d’ailleurs du jour où il est arrivé à Eben-Hezer pour demander une place de stage. Le directeur, Monsieur Montvert, lui a annoncé qu’il était le premier à demander un stage ici. Alain Dupont a envie de connaître les gens les plus démunis, pour voir comment il peut les aider. Il déclare avoir assisté à certains évènements qui ne se disaient pas à l’époque mais qui sont dénoncés aujourd’hui. Tout le thème de la pédophilie, il a pu l’observer durant les colonies de vacances, ce qui n’est pas en accord selon lui avec l'évangile et les valeurs qui lui ont été inculquées. Il réalise que quelque chose ne va pas, et il décide de transformer ce questionnement en actions contre l’enfermement.
De retour à Genève, il s'engage comme conseiller social au cycle d’orientation de l’Aubépine. En quelque sorte Klaus Engler a été son coach dans son cheminement de création. Dupont devient l'un des premiers éducateurs de rue, il crée des services pour être dans la communauté avec les gens. C'est ce genre de rencontre qui font qu'il a choisi ce métier, sans se départir de sa timidité et de sa réserve tout en s'ouvrant au monde Il accompagne des jeunes qui sont en situation familiale difficile pendant quelques années et il enseignait aussi au cycle d’orientation dans des classes professionnelles, des classes observation dans lesquelles sont mis ceux qui ont des difficultés. Dupont prend conscience que l'école façonne et que ce sont surtout les enseignants qui désirent un parcours professionnel pour les élèves. Il y retrouve le même schéma: on dit aux gens ce qui est bon pour eux! Si on est intelligent il faut aller à l'université même si le jeune veut devenir maçon.
L'enfermement ce n'est pas que les murs, selon lui, c'est aussi son propre corps et son propre esprit. On s'enferme dans sa propre histoire sans jamais la remettre en question. Certaines personnes peuvent vous enfermer, mais il existe un enfermement de soi. Il a été proche de la mort étant petit à cause de deux erreurs médicales. A la demande des médecins ont est venu, un après midi, le chercher dans son école primaire de la Roseraie pour qu'il subisse une opération attendue depuis deux ans, mais devenue plus qu'urgente et prioritaire.
Le choix entre la vie et la mort est un point crucial à ce moment de son parcours.
En 1970 Alain Dupont aux côtés de Jean Grob, ancien directeur de Caritas-Genève, devient le premier directeur de Caritas-Jeunesse Caritas. En 1970, Caritas-Jeunesse organise des séjours de vacances pour les enfants de familles en situation précaire. Une importante mobilisation et participation active de bénévoles permet d'encadrer des camps de vacances promouvant ainsi durant cette même période, la formation de jeunes et amenant à la création trois ans plus tard, par Alain Dupont, d'un secteur pour personnes handicapées.
La rencontre avec le neuropsychiatre Jean-Jacques Eisenring, médecin et professeur de médecine, alors renommé s’est faite au sein du comité de Caritas. Cette rencontre marque un tournant dans la vie d'Alain Dupont par une collaboration étroite entre deux hommes engagés auprès des personnes déficientes.
Il a tendance à répéter son histoire en prenant à chaque fois le rôle de chef de patrouille.
Il part ensuite en Suède avec quarante enfants en vacances. Ils sont seulement trois responsables, mais il réalise ce qu'il leur fait vivre sans avoir pour autant de l'argent. Ils font donc des crêpes à Plainpalais pour le financement. Il réutilise ensuite cette technique pour le potager de la Vendée. Aujourd'hui, il ne s'y prend plus de la même manière, et une vraie place est accordée à ces personnes. A l'époque justement, il est encore dans de l'aide de patients, de fous et n'est pas convaincu que ces gens puissent modifier des choses dans leurs vies. En situation de crise, les psychiatres et les soins étaient d'une grande aide sans compter les neuroleptiques.
Il est témoin de situations d’enfermements en psychiatrie. Une personne, qu'il retrouvera plus tard sur sa route, faisant une école d'ingénieur, pète les plombs et se retrouve à Bel-Air. Le psychiatre annonce qu'il y passera toute sa vie. Alain n'en croit pas ses oreilles et décide d'aller voir le psychiatre en question. Il s'avère que c'est un jeune psychiatre, puisqu'à Bel Air, il change tout les premiers octobre les assistants. Le psychiatre prend le DSM-III et lit. Durant le début des années 80, plus de 80% finissent à Bel-Air justement. C'est de l'enfermement, et c'est ce que Monsieur Dupont dénonce... Il ne se considère encore une fois pas comme un militant, ayant mis en place des stratégies pour les personnes et les structures.
Réforme dans les institutions et création de réseaux sociaux
Projets en collaboration avec le Centre universitaire de diagnostic et de soins de la déficience mentale
En 1972, Eisenring est en charge du Centre universitaire de soins et de diagnostic de la déficience mentale. A Genève, la prise en charge des personnes déficientes se fait alors dans un pavillon retiré à Bel-Air à l’hôpital psychiatrique. Émergent alors de nouvelles idées. Eisenring, est en avance sur son temps; il a une autre vision de l’accompagnement de ces personnes, il veut mettre en place un service de sociothérapie à l’extérieur de la clinique. C'est une nouveauté, car le service de sociothérapie existait déjà, mais il n'était destiné qu'à des personnes psychiatrisées à l’intérieur du bâtiment, dans le pavillon nommé Les Lilas. Le professeur propose donc à Dupont de travailler avec lui et de diriger le service de sociothérapie en déficience mentale et de mener à bien cette nouvelle expérience en entreprenant un travail individuel avec ces personnes. Dupont est très enthousiaste et excité à l’idée de mener ce projet. Lorsqu’il arrive au pavillon des Grands Bois, il est choqué de voir l'environnement et la situation dans lesquels vivent ces personnes. Celles-ci passent du dortoir au réfectoire, du réfectoire à une grande salle de 3m50 de hauteur qui possède un poste de télévision, une chaise, et où l’espace restant est occupé par des personnes qui vont et viennent d’un coin de la pièce à un autre, qui tournent en rond et surtout qui ne revêtent rien d’autre qu’une simple blouse d’hôpital. Il constate qu’il n’y a que du personnel médico-infirmier dans ce pavillon, un personnel qui fait d'ailleurs un travail remarquable, mais qui n’a qu’une vision médicalisée, axées uniquement sur les soins. Tout comme les infirmiers, Dupont a beaucoup de réticences mais il cherche à rester objectif.
Débute alors son "côté militant" et l’idée de vouloir réformer certaines pratiques des institutions psychiatriques. Dupont est un battant qui n’a pas peur de relever des défis et qui mène avec acharnement les projets qui lui sont confiés. Ainsi, il décide de prendre ces "malades" sous son aile. Dans un premier temps, il faut que ces personnes soient habillées, chose avec laquelle le personnel a de la peine à s'astreindre. Or, il obtient qu'on les habille pour sortir de l'hôpital psychiatrique, avec lui ; une personne à la fois, pour une heure, puis, petit à petit, plusieurs personnes. On augmente progressivement le temps qui leur est consacré. Mais, Dupont craint ces sorties, car il a peur d'être vu avec ces personnes qui n'étaient jamais sorties de l'hôpital depuis longtemps. Il commence donc par aller se promener à la campagne. Or, ces moments lui permettent d’entrer en relation et de faire de l’observation. Car Alain Dupont devient observateur. Il constate que le personnel médical soigne bien les patients et a créé des relations de type non-verbal qui permettaient aux différentes personnes de se comprendre. Il prend conscience qu’il vient déranger un système déjà bien établi, mais l’idée de l’enfermement lui est insupportable. Il souhaite avant tout faire changer les comportements face au handicap et malgré les déficiences, essayer de mettre en place des apprentissages pour ces personnes, car pour favoriser les apprentissages, il est important d’être dans un milieu propice. L'hôpital psychiatrique ne l'est pas avec sa télévision et une seule chaise dans une grande salle! Ses peurs et ses craintes se sont, au fil du temps, amenuisées, et il prend conscience que le fait d'aller en campagne lui permettait de ne pas se confronter au regard des autres. Une fois ses peurs dissipées, se rendre en ville avec ces personnes devient une évidence. Avec cette activités nouvelle, Dupont rencontre des personnes extraordinaires comme « les Roland », deux personnes qui présentent une déficience importante et jugées « irrécupérable ». Malgré ce handicap, il reste persuadé qu’un travail sur les comportements peut être réalisé, de telle sorte qu’il soit possible de mettre en place des apprentissages. Il souhaite que ces personnes soient simplement confrontées à des situations de la vie quotidienne et les prémisses de son combat a été d’aller marcher tout simplement à la campagne. Le handicap ne peut, certes, pas être effacé mais les comportements de tous les protagonistes peuvent s’en voir modifié.
Entre les années 1972 et 1975, Eisenring préconise aussi le droit au logement pour les personnes déficientes si on leur offre quelque chose de différent, des possibilités d’apprentissage et un environnement autre que celui du pavillon essentiellement axé sur les soins. Ensemble, ils ont senti que le moment était peut être propice à en faire l’expérience. D'ailleurs durant la même période, des expériences similaires découlant de la sociothérapie ont été menées en Angleterre, dans les pays scandinaves et des résultats ont pu être constatés. Ont commencés, alors, le projet des premières locations d'appartements (à Grange-Canal). Mais cela a été une levée de boucliers, personne n’était préparé à ces choses : c’était bien trop tôt.
Pourtant, il ne se sens pas vraiment un antipsychiatre, il croit en la possibilité d'un changement dans l'institution en soi. Il veut être acteur de ce changement et de ces modifications. C'est la raison pour laquelle il est resté dans ces institutions : pour voir ce qui se passait et pour proposer d'autres choses. Aujourd'hui, il réalise bien que la tâche est utopique à cause des luttes de pouvoir et les strates qui existent. Il ne se compare pas à Alain Riesen et Roger Schuler, qui sont des militants [[10]].
Il voit, il dénonce, il se bat mais pas frontalement. Il est assez stratégique et tactique dans ce qu'il met en place. Il est à l'écoute des besoins des personnes et de la communauté.
Le mot psychiatrie vient de psyché et de iatros qui veut dire médecin, c'est donc la médecine du psyché. Le mot a été dit pour la première fois en 1808 et est vu comme le soin de l'âme.
Il voit ce qu'il a mit en place plus comme un complément à la psychiatrie. Il a été à l'interne pour voir ce que vivent les médecins, les infirmiers et les ergothérapeutes. Ensemble, ils peuvent réfléchir, et Monsieur Dupont a tout de même fermé des institutions.
Il parle de Genève comme étant la Mecque de la psychiatrie de l'époque. Et de ce fait, on ne touche pas à cela. Il le réalise aujourd'hui comme une erreur de vouloir modifier certains aspects de la psychiatrie institutionnelle. Les manifestations sont inutiles aux changements pour ces personnes. Il ne suffit donc pas de mettre en place Le Quatre, Trajets, T-interactions, mais il faut créer des partenariats, ouvrir un dialogue même si c'est difficile. Il organise donc une journée, en 1981, pour parler des valeurs et des concepts, de ce qui sera laissé derrière ou bien de comment ils travailleront. Le colloque a accueilli 80 personnes à Genève du monde de la psychiatrie. Cette journée a été remplie de découvertes et a permis une ouverture de certaines portes. Il conclue donc qu'il ne suffit pas de lancer des piques et de dénoncer, mais il faut également avoir un regard critique sur ce qui se passe chez soi.
Le point de départ est le scoutisme. Il adopte la même manière de travailler au Quatre et à Trajets quelques années plus tard.
Dans le même état d'esprit, la créativité prend une part très importante dans sa vie. Il a plusieurs idées qui lui viennent toutes les minutes, ce qui peut être assez fatiguant. Il travaille alors avec André Blanchet, habitant à Boston. Ce dernier est un militant, qui se bat contre les hôpitaux psychiatriques, contre l'enfermement. Il a dû quitter sa région pour cause de condamnation à un procès. Il intervient, à la demande d'Alain, à Genève lors d'une formation de trois ans sur l'intégration communautaire du CEFOC (IES), dont Alain Dupont est formateur. L'expérience vécue par une quinzaine de personnes ne sera pas renouvelée, parce que les instituts sont fait comme cela. Ils suivent la mode du moment.
La première structure d'accueil voit le jour
Convaincu que la vie est dans la vraie vie, là où sont les gens, les citoyens, Dupont a l’idée de créer un club de rencontre au Grand-Lancy dans un centre de loisirs. Grâce à un réseau de 300 bénévoles environ, dont une cinquantaine de personnes plus permanentes, ils réfléchissent ensemble à des projets ayant pour but de faire connaître le handicap qu’est la déficience mentale et d’offrir aux patients un cadre autre que celui des soins où les échanges sont possibles. L’idée première de ce lieu est d’organiser des moments qui privilégient le côtoiement. Ainsi, il ne sera plus simplement question de travail individualisé, mais d'un endroit où toutes personnes seraient les bienvenues pour réaliser des activités, telle que la cuisine par exemple.
Par la suite, ce club aura lieu le mercredi et portera le nom du « club du mercredi ». Il accueille certains jours jusqu’à une centaine de personnes. A partir de là, et ce dès les années 1975, l’idée de partir en vacances et de partager des loisirs avec ces personnes, paraît être la suite logique de toutes ces expériences. Au départ, le nombre d’accompagnants est largement supérieur au nombre de personnes handicapées. Ces camps de vacances permettent aussi de faire de la recherche. La rencontre avec le psychologue Bernard Pasche notamment, a conduit à des recherches plus spécifiques sur les représentations que pouvaient avoir les différents acteurs autour de la déficience, comme les médecins, les infirmiers, les psychologues et autres, mais aussi sur les représentations des personnes dites ordinaires qui participaient au club du mercredi ou aux vacances, sur le handicap et sur les personnes déficientes. La recherche tient aussi à prendre en considération les représentations des concernés sur la population ordinaire. Cette recherche permet à Dupont de se rendre compte qu’ils sont encore dans l’idée de côtoiement. Lui, il souhaiterait tendre vers une réelle intégration. Il voudrait aller plus loin, notamment lorsqu'il prend conscience qu'au couple "soignant-soigné" de bel-Air est substitué dans le club de rencontre celui d'"aidant-assisté". Or ce sont les compétences et capacités qu'il faut stimuler en donnant des responsabilité. L’hôpital psychiatrique, de par son manque d’ouverture au monde extérieur, rend impossible l'éveil chez ces personnes de leurs capacités à apprendre et à évoluer. Lorsque Dupont observe qu'une personne grabataire réagit aux différentes odeurs, il a l'idée d’aller avec elle dans plusieurs marchés et de voir qu’il y avait différents parfums, mais aussi d’autres stimuli tel que les bruits, les couleurs, mais bien évidemment aussi le contact direct avec la population. Ceci est une expérience parmi d’autres, et pour lui cela démontre l’importance d’ouvrir les possibles et de les laisser faire des choix dans le but d’acquérir de l’autonomie.
C’est à partir d’expériences telles que celle-ci qu’est né le projet de vie.
Au travers de ces rencontres, Alain Dupont apprend surtout à se connaître lui même et avec le recul, c’est sans doute un des éléments qui lui ont donné l’envie d’aider les personnes déficientes parce qu'elles ont aussi des choses à lui apprendre. Pour lui il ne suffit pas comme professionnel de dire aux autres "rencontrez ces personnes", il faut partager de réelles situations de vie au quotidien: partager des repas et boire un verre. Des amitiés fortes se créent, car des émotions, des sentiments et simplement des choses de la vie sont ainsi partagés.
Création du "Quatre", lieu d'accueil et de rencontre non médicalisé
En 1975, Dr Eisenring et Alain Dupont donnent une conférence au sein du Centre Psychosocial Universitaire de la Jonction, le CPSU, sur les expériences menées avec les personnes handicapées mentales. Deux professeurs sont présents, le Prof. André Haynal, un adepte de la psychanalyste, et le Prof. Gaston Garonne, qui s’intéresse à la psychiatrie sociale, ainsi que le directeur administratif du Centre Psychosocial, Jean-Claude Droz. Quelques temps après, Jean-Claude Droz prend contact avec Alain Dupont. Autour d’un repas, il lui propose de reproduire les mêmes expériences du Club du mercredi avec les personnes dites chroniques de Bel-Air. L’équipe veut avant tout que ce nouveau lieu d’accueil soit démédicalisé et dépsychiatrisé. En parallèle, Dupont continue de travailler à Caritas et est toujours formateur à l’institut d’études sociales.
En élaborant le projet, les auteurs savent déjà que ce lieu d’accueil se trouverait à l’extérieur de Bel-Air. Alain Dupont en parle avec les étudiants de l’Institut d’études sociales et leur donne l'opportunité d'acquérir de l’expérience en participant à ce projet en tant que stagiaire. Il commence avec six étudiants. Il essaie de négocier avec Caritas pour obtenir les locaux vétustes appartenant à la paroisse Notre-Dame. La machine est lancée: les locaux leur sont accordés pour une période fixée à une année et le Centre Psychosocial loue les lieux pour 5000 frs par an. Ce nouveau lieu de rencontres et de loisirs est différent du Club du mercredi, car il propose le développement d’activités, de loisirs, d’occupation, de travail, d’animations et de repas.
C'est la naissance du Quatre qui tire son nom du numéro de la rue, 4 rue des Pâquis et de la date de l'inauguration le 4 janvier 1977. Dans le prolongement du Club du mercredi, le Quatre se prédestine à une intégration journalière avec des horaires prédéfinis pour ne pas empiéter sur les heures d’ateliers et de travail. Les permanences ont donc lieu en dehors de ces moments, soit de 11h00 à 14h00 et le soir dès 17h00. Les premières personnes qui viennent bénéficient d’un service de transport qui les descend directement de Bel-Air. La clientèle est hétérogène, il y a des personnes de niveaux sociaux-économiques différents, des personnes institutionnalisées, des personnes sous médicaments, mais aussi des gens du quartier, des gens extérieurs au "milieu". Le Quatre n’est pas un lieu de soin ni infirmier, ni personnel médical y est autorisé à venir. La particularité du projet est de créer un lieu démédicalisé, afin de sortir du contexte hospitalier et d’offrir à ces personnes un lieu différent ou les mots d’ordre sont : apprentissages, partage, rencontre, respect et ouverture vers le monde extérieur.
Un jour, au travers d’une conversation avec un dénommé Jean-Pierre, qui lui expose son envie d’avoir « un job, un appart, des amis », Alain Dupont se rend compte que ces personnes expriment des besoins, des désirs et leurs remarques met en question le bien fondé le l'hôpital psychiatrique. Si Alain Dupont ne se considère pas comme un militant antipsychiatrique, il doute sincèrement de l’efficacité d’une vie médicalisée dans un lieu fermé. Mais il ne suffit pas de vouloir l'intégration, il faut aussi la réaliser et la tâche n’est pas toujours facile. En effet, il faut être prêt à faire face aux crises, aux hurlements, aux coups violents, aux objets voler d’un coin de la pièce à l’autre voire à des gestes d’automutilation et ceci peut être choquant. Une fois par semaine, au Quatre, le personnel se réunit pour partager les observations de l’équipe faites durant les ateliers des jours passés. Ces synthèses permettent de poser les choses, de trouver des explications et des solutions face aux situations de crises et d’élaborer des projets de vie. C’est une des manières de répondre aux attentes de la personne qui parfois n’a pas la parole pour en rende compte. De plus, les synthèses permettent aussi aux stagiaires d’avoir un bagage qui encourage les discussions à l’école et une trace écrite du travail réalisé sur le terrain. mais pour la direction administrative du CPSU et de Bel-Air, la condition pour que le projet puisse s’inscrire dans la durée, est d’obtenir de réels résultats observables déjà au mois de juin. Malheureusement, en six mois, il est quasiment impossible de changer les choses qui ont pris plus de 35 ans pour être mis en place. Trente-cinq ans, c’est le temps qu’il a fallu à Ginette pour essayer de dire effectivement qu'elle est une personne et non pas uniquement une malade qui pousse des cris pour pouvoir s’en sortir et se faire entendre. Il est donc nécessaire de se faire entendre sur l’importance qu’il faut accorder au temps nécessaire pour créer et tisser des liens, pour ensuite, tendre à une réelle progression et à des apprentissages.
Durant l’été 1977, l’équipe décide de partir en vacances à Rochefort du Gard, dans une petite maison louée, avec une dizaine de personnes dites malades mentales. À leur retour, la direction administrative a décidé d’arrêter son financement, il n’y a plus d’argent. Consterné de cette décision, l’équipe s’est retrouvée chez un des membres pour discuter de la suite des évènements. Bien sûr, Dupont ne veut pas abandonner ce projet et décide de poursuivre. Le reste de l’équipe le suit dans son engagement, tout en sachant qu’à partir de là, ils seront des bénévoles. Bel-Air et le Centre Psychosocial en est informé. Dans un premier temps, l’équipe décide de poursuivre jusqu’à décembre, pour finalement prolonger encore l’expérience de quelques mois. Cet engouement et cette persévérance à sans doute mis mal à l’aise la direction administrative du CPSU qui décide donc d’accorder des contrats renouvelables tous les six mois, pour ensuite les fixer d’années en années. Au vue de la progression et des résultats effectifs que pouvaient obtenir les personnes pour leur propre bien être, la direction administrative décide de payer le rétroactif.
Une désinstitutionalisation libératrice
L’expérience du Quatre a amené Alain Dupont à réfléchir à l’organisation de la suite de ce projet de lieu d’accueil pour des personnes à besoin social ou psychosocial. Cette nécessité s'est faite sentir d’autant plus que Caritas avait pris congé de ses engagements, en 1978, après seulement une année d’activités, laissant un grand vide dans le champ des personnes à besoin social. Comment sortir ces personnes psychiatrisées non seulement des murs institutionnels, mais aussi de la pensée institutionnelle ou des attitudes comportementales propres à la vie en institut. Elles ont vécu si longtemps en institution, qu’elles ont adopté un comportement formé et cadrer dans les fonctionnements institutionnels. Il fallait trouver la manière de leur faciliter une pensée autonome pour être les acteurs de leur propre projet. La pression psychiatrique a pesé sur certaines personnes à un point qu'elles ont tout simplement perdu l’habitude de se penser elles-mêmes. Plus Dupont vit parmi des personnes psychiatrisées, plus il se sensibilise à leurs besoins, à leur misère et à leur abandon social, c'est pourquoi lors d’une formation qu’Alain Dupont donne dans un hôpital psychiatrique en France et, devant l’image de ces infirmiers et infirmières qui jouent au scrabble, pendant que les malades sont complètement abandonnés à leur sort, à leur totale inoccupation, Dupont est non seulement choqué, mais révolté devant l’attitude de ce personnel soignant restant totalement indifférent, laissant errer ces malades, faisant en sorte qu’ils ne se sentent pas concernés le moindre du monde par leur immobilisme.
Stimulé par le Prof. Gaston Garrone et le Dr Goldmeister, Dupont est amené à organiser l’ouverture d’un lieu d’accueil hors des murs de Bel-Air pour des personnes hospitalisées à Bel-Air. Le foyer Gevray avec qui Dupont collabore, permettra ainsi aux personnes psychiatrisées de Bel-Air d’aller en foyer de jour et en ville. En observant, il remarque que les personnes à besoins sociaux ou psychosociaux se racontent, se disent dans la rencontre avec d’autres personnes, les relations élargies leur facilitent le chemin de leurs propres découvertes. Leur autonomie dépend de la possibilité de prendre part à des activités sociales et d'être progressivement les acteurs dans de nouvelles relations.
Influencé par l’exemple de la désinstitutionnalisation et de dépsychiatrisation de Franco Basaglia à Trieste, Alain Dupont s'imprègne de cette idée, inscrite sur le mur de l’institution à Trieste «la liberté est thérapeutique» En France, les deux personnes auxquelles il se réfèrent sont Tony Lainé,psychiatre et réalisateur du film «La raison du plus fou» et Jean Vannier qui a mis en place une communauté pour personnes handicapées en créant l’Arche, près de Compiègne, qui existe aujourd’hui partout dans le monde et dans laquelle Dupont ira vivre quelque temps. Lainé lui fait prendre conscience du poids que représente pour les personnes handicapées le regard qu’on pose sur elles, et en particulier l’influence d'une psychiatrie qui se contentant de poser un diagnostic sur elles sans tenir compte de leur parole. Il l'invite à Genève avec l’équipe du Quatre et les futurs professionnels de Trajets.
Dès 1981, alors que François Grasset développe des ateliers d’occupation protégés, Alain Dupont implante des entreprises sociales dans leur propre environnement afin de vivre au sein de la communauté même. Un prêt financier est alloué cette même année à l’entreprise Trajets. C’est dans les baraquements non utilisés de l’église Saint François de Plainpalais que les bureaux administratifs de Trajets s’installent. La recherche de subventionnements continue, mais il faut déjà se battre pour faire reconnaitre le mot psychiatrie dans la loi de l’assurance invalidité (sera pris en considération en 1998 seulement). Ce combat vise à faire reconnaitre le droit de cité des personnes psychiatrisées. En 1983, des postes de travailleurs sociaux sont financés dans l’entreprise Trajets grâce à l'OFAS (Office Fédéral des Assurances Sociales). Trajets a pour objectif de trouver du travail pour les personnes psychiatrisées, en tenant compte de leurs besoins et de leurs spécificités (aménagements du temps de travail notamment). C'est une fondation qui offre des prestations tant au niveau socio-économiques (ensemble d'entreprises employant des personnes psychiatrisées; offres de formation), qu'au niveau social (propositions d'hébergements, organisation de temps de loisirs et de rencontres le weekend et pendant les vacances) et qu'au niveau psycho-éducatif (accompagnement des personnes psychiatrisées et centre de jour).
Cette nouveauté aura comme conséquence de faire sortir les personnes psychiatrisées de l'institution psychiatrique de Bel-Air, afin qu'elles bénéficient du même droit de cité que chaque citoyen. Ce sera l'objectif principal d'Alain Dupont lequel parvient à changer les pratiques des travailleurs sociaux tout en valorisant les rôles sociaux des personnes psychiatrisées. Mais pour intégrer les personnes psychiatrisées au sein de la communauté et les faire participer socialement de façon active, il faut y mettre des moyens.
Poursuivant son objectif d'intégration dans la communauté, Alain Dupont estime que les personnes ayant vécu en institution sont en droit de vivre en appartement individuel, dans des conditions humaines plus dignes et sur le long terme. A cet effet, plusieurs appartements sont loués sous son nom pour loger les personnes (la loi ne permettant pas encore de faire figurer plusieurs locataires sur un même bail, le nom de l’association Trajets apparaitra plus tard sur les bails de location). D'abord tombés dans les extrêmes de cacher la location de certains appartements en ville à des personnes psychiatrisées, c'est en se servant des exemples de la vie ordinaire que petit à petit, Dupont et ses collègues régulent leurs pratiques de professionnels.
Trajets et le changement des pratiques sociales
Educateur de formation initiale, Dupont n'hésite pas à remettre en question les pratiques sociales jusque-là établies donnant le pouvoir légitime aux éducateurs. Il choisit de mobiliser le réseau de l'entourage familial et d'amis pour donner une place aux personnes souvent "enfermées en institution psychiatrique" en s'appuyant sur le modèle du travail social en réseaux. Kouri (1986) souligne que "nos sociétés contemporaines sont marquées par l'envahissement de l'appareil gouvernemental dans la vie privée, y compris la prestation de services socio-sanitaires". Au moyen de thérapies brèves du changement, l'intervenant social peut choisir de se retirer plus rapidement de la vie des patients, après avoir impliqué un réseau de proches auprès de lui et avoir accompagné le patient dans la construction de sa place de travail. Trajets offre cet espace de mise à disposition de places de travail pour personnes souhaitant ne plus vivre que par l'institution psychiatrique. C'est en se faisant connaitre du public et des politiques que Trajets et ses membres se sont fait connaitre aux yeux de la cité. Er c'est bel et bien en se dirigeant vers l'extérieur, vers la communauté, que des liens et des réseaux se créent.
L'éducation du public est un point extrêmement important selon Dupont. En poursuivant sa formation, il découvre en 1983 un article de Wolfenberger concernant la valorisation des rôles sociaux. La valorisation des rôles sociaux est primordiale à la valorisation de la personne parce qu'une personne peut être valorisée à l’intérieur de l’institution, sans que ses rôles sociaux soient reconnus. Le programme d’analyse du système des services est un outil d’évaluation des institutions en vue de la désinstitutionnalisation, mis en place par Wolfenberger. Après s'être formé auprès des Canadiens à l'origine de ce courant, Alain Dupont décide de venir à Genève pour y introduire la valorisation des rôles sociaux. Jacques Pelletier, formateur également de ces pratiques, et toujours consultant aujourd'hui auprès des entreprises sociales, vient l'aider à réfléchir sur ce qui est mis en place pour l'association Trajets et autour.
L'éducation du public joue un rôle dans la valorisation des rôles sociaux d'une personne et sur la façon d'entrer en matière avec la population. En effet, ce n'est pas en regroupant dans le même endroit toute sorte de "déficiences" que l'intégration au sein de la communauté de ces mêmes personnes aboutira. Par exemple, lorsque dans un supermarché sont aperçus une dizaine de personnes handicapées accompagnées de quatre éducatrices, l'image montrée est négative: les éducatrices renvoient une image des personnes handicapées comme si ces dernières étaient incapables, incompétentes. Ce n'est pas ainsi que l’éducation du public procède: "parce que les gens changent de trottoir". L’éducation du public se passe par l’expérience, par la rencontre, afin que les personnes puissent se croiser. C'est pourquoi des lieux de rencontre, des lieux où les personnes peuvent se découvrir, ont été créés.
Des programmes individualisés sont alors mis en place, par Alain Dupont, pour revendiquer les différences entre les personnes psychiatrisées, leurs divers projets et besoins spécifiques, tout ceci, en travaillant avec Jacques Pelletier. Le projet de réalisation personnelle et la réalisation de soi avec une vision holistique est créé selon ces objectifs en incluant la communauté, les proches, les amis, la famille et toute autre personne. Les différents lieux de rencontre ont pu être mis en place à Trajets en terme d’accueil, d’accompagnement psycho-social. Des travailleurs sociaux ont mis en place les ateliers, les entreprises pour offrir du travail. Puis des possibilités de vacances, de loisirs, culture, ont été créés pour se rencontrer. L'idée n'étant pas de devenir une association totalitaire mais simplement de répondre aux besoins.
C'est en 1978 que Dupont a créé le potager de la Vendée, sur un terrain qu’on lui a mis à disposition à Chêne-Bourg, qui est le premier pas de l'Association Trajets.
Une réalisation qui a permis de proposer une activité aux personnes à besoin psychosocial. Parallèlement, il a installé un atelier vidéo au 4, rue des Pâquis. Par le visionnement des enregistrements qui y ont été réalisés, il a été possible d’analyser et de modifier l’approche comportementale des travailleurs sociaux. Pas loin de cet atelier vidéo, rue de Plantamour, dans les locaux délaissés par Caritas, Dupont a réalisé un atelier de restauration de meubles, avec toujours comme double stratégie d’employer des personnes à besoin social et d’ouvrir leur activité aux gens du quartier. bien que ces projets, autant que les organisations de vacances et des activités de fin de semaine ont déjà été dans les prémices de Trajets, l’association Trajets voit le jour officiellement le 19 juin 1979. Avec les moyens du bord, autour d’une table de ping-pong avec une poignée de personnes de tout bord, ont été définis les premiers statuts de Trajets : de créer une association qui avait comme but la création, la gestion de secteur destinée à répondre aux besoins spécifiques de jeunes et d’adultes éprouvant ou ayant éprouvé des troubles psychologiques ou des difficultés d’intégration dans le vie sociale. Poursuivant la philosophie du Quatre, c.à.d. d’ouvrir l’espace où s’active le monde psychosocial à Monsieur et Madame tout le monde, toujours avec comme mode de conduite d’élargir leur fréquentation relationnelle, s’approchant de l’espace social en se l’appropriant et vice versa. Manifestant des tentatives de plus en plus ambitieuses de socialisation des personnes psychosociales, avec comme finalité de projet la réintégration de ces personnes autant que possible dans le contexte social. La présidence de Trajets avait été prise par William Lenoir, juge à la cour. Le projet de Trajets, autrement dit, la fréquentation des personnes psychosociales a sensibilisé le juge à un point qu’il en a modifié sa vision de jugement à la cour. Pour faire fonctionner ses projets, Dupont emploie des travailleurs sociaux qui ont été mis à disposition par les IUPG. Il a toujours refusé d’étatiser ses créations afin de conserver un maximum d’indépendance, ce qui lui a valu d'ailleurs plusieurs coups tordus (tentatives de sabotage de ses réalisations) de la part du monde politique.
Aux yeux d'Alain Dupont il est important de créer un endroit permettant la rencontre de tous.
Par son analyse de la mobilisation du réseau au profit de tous, il nous renvoie à un auteur Vité (2000) qui souligne aussi l'importance de la pratique de la connotation positive qui "consiste à relever chez l'autre tout ce qu'il fait de bien, souligner tous les efforts qu'il produit pour se sortir de sa situation". La connotation négative, toujours selon ce même auteur, vise quant à elle le blâme, le jugement et fait prendre à celui qui la pratique une position supérieure. Position de pouvoir que Dupont a conscience et refuse d'exercer: "On s’est dit non on ne va pas continuer cet étiquetage, on ne va pas continuer à prendre pouvoir sur eux [les gens vivant en institution psychiatrique]". C'est ainsi, entre autres, une façon pour Dupont d'envisager la valorisation de tous les citoyens, et les personnes ayant vécu ou vivant en institution psychiatrique sont des citoyens à part entière. Comme dit (Vité, 2000): "Valoriser l'autre, c'est lui redonner une place qui est la sienne dans le système. Même malade, le système est fait de tous ceux qui le composent et à ce titre, tous sont capables d'agir sur le système, d'où l'importance pour chacun de se considérer comme faisant partie du problème".
L'entreprise Trajets a pour objectif principal de donner une place aux personnes ayant effectués des séjours en institution psychiatrique au sein de la communauté: par des soins ambulatoire, par le travail, par le logement, par le loisirs, au sein de la communauté. Des entretiens entre Alain Dupont et ses "patients citoyens" visent à organiser des rencontres avec l'entourage du patient afin de mobiliser son propre réseau et se sortir de la solitude, solitude risquant d'engager la personne vivant en institution psychiatrique dans un cercle vicieux. Selon Vité (2000), il s'agit de "mettre en route un ensemble de personnes concernées à un titre ou à un autre pour créer une alliance de travail et une convergence d'actions pour sortir la personne de sa situation problématique". Les relations entre les personnes se modifient adéquatement, ce qui a un effet sur le système lui-même également.
Une intégration « apparente » : le paradoxe de l’aide
Alain Dupont a toujours œuvré pour que les personnes en rupture sociale, enfermées dans des institutions psychiatriques, puissent participer socialement et ainsi accomplir un rôle social valorisant dans la collectivité. Trajets a alors contribué à l’intégration sociale et professionnelle de personnes rencontrant des difficultés psychologiques ou psychiatriques. Si cette organisation leur offre de l’aide dans tous les domaines de vie, soit, entre autres, pour le logement, le travail, l’accompagnement psycho-social, les loisirs et les vacances, cette forme d’aide est vue de l’extérieur comme « totalitaire ». Dès lors, Alain Dupont prend conscience que malgré la mise en contact de ces personnes avec le monde extérieur, Trajets reproduit un autre type d’enfermement, celui de la prise de contrôle « totale » de leur vie.
Alain Dupont s’est alors rendu compte de certains effets néfastes de l’organisation interne de Trajets. Les travailleurs sociaux étaient constamment présents dans les entreprises, aux côtés des personnes « intégrées », ou devrait-on plutôt dire des personnes « assistées ». En effet, malgré les intentions louables de Trajets, la forme d’aide apportée empêche l’autonomisation et la responsabilisation de ces personnes. La prise en charge mise en place les rend d’une certaine manière totalement dépendantes de l’aide qui leur est offerte, ce qui, involontairement, met un frein à leur intégration « réelle ». De plus, cela véhicule le message implicite de leur incapacité à accomplir un véritable rôle social de travailleur.
Par ailleurs, Alain Dupont confie qu’il est particulièrement « aisé » de recevoir un subventionnement pour la « défense d’une bonne cause », si l’on spécifie que celle-ci concerne des personnes « psychiatrisées ». Or, ceci va totalement à l’encontre de ses valeurs éthiques puisqu’une fois de plus, cela enferme ces personnes dans le statut dévalorisant d’« assistés » au lieu de les considérer avec équité, comme des individus et des citoyens à part entière, soit sans indulgence particulière ni pitié. Le subventionnement a donc, aux yeux d’Alain Dupont, un effet pervers puisque la dimension psycho-sociale prend le dessus, au détriment de la réalisation d’une intégration « réelle » de ces personnes dans la vie professionnelle.
En 1991, Alain prend conscience que les valeurs premières ont été mises au service d'autrui. On fait d'abord les choses pour soi, on vit ses expériences. Son moteur n'est donc pas le militantisme mais le plaisir. Chaque soir, le point est fait sur ce qui a été entrepris, ce qui reste à améliorer dans le futur. Tous les soirs, il sait ce qu'il va faire le lendemain. Il y a une certaine prise de distance, un certain regard sur une nature nourrissante. Il a pour but d'aller vers l'excellence par rapport à ce qui est déjà fait. Il a constamment un regard critique, et garde une certaine approche réflexive dans ses démarches. S'il devait changer de métier aujourd'hui, il se lancerait dans l'artistique. Il a un atelier où il "bricole". Il le considère comme un monde de trésor, n'étant pas capable de voir quelque chose trainer dehors, il le met dans sa voiture et il lui redonne une seconde vie. Ce ne sont d'ailleurs pas les idées qui manquent. Il met encore une fois ses talents au service des autres en mettant en place des activités avec des gens en graves difficultés psychologiques et psychiatriques. Cela n'aurait pas été possible sans l'aide précieuse de différentes personnes . Aujourd'hui, ces personnes font quelque chose de leur vie, sans que ce ne soit malheureusement reconnu, puisqu'il n'y a pas de rémunération. Mais ce n'est pas le travail qui est important, c'est le choix de l'activité que vous voulez faire. Quand vous vous levez le matin, vous avez le bonheur devant vous. C'est la règle pour toutes les personnes. Si en vous levant, vous faites la gueule, alors il faut changer de métier, car il existe une multitude d'activités pour gagner de l'argent. Aujourd'hui, Alain Dupont se lève à 5h30 du matin, non par obligation, mais pour le plaisir d'une nouvelle rencontre.
Une intégration « réelle » par la transformation du rôle du travailleur social
L’objectif d’Alain Dupont est donc de passer de l’« aide » à l’« accompagnement » des personnes en rupture sociale. Afin que celles-ci puissent davantage se responsabiliser et devenir « actrices » de leur propre projet professionnel, il s’agit alors de revoir la place et le rôle du travailleur social. En effet, Alain Dupont est d’avis qu’il incombe aux professionnels spécialisés dans leur domaine d’encadrer les personnes sur leur lieu de travail et dans les ateliers, et non aux travailleurs sociaux. Il en allait déjà ainsi dans le projet des logements, puisque les personnes hébergées vivaient seules mais pouvaient cependant bénéficier de l’aide du travailleur social qui se tenait à leur disposition pour un accompagnement ou une adaptation dès qu’elles en ressentaient le besoin.
C’est pourquoi, en se référant aux formations qu’il avait reçues dans le champ de l’analyse institutionnelle et de la psychosociologie, Alain Dupont décide d’ouvrir un bureau d’ingénierie sociale pour que les travailleurs sociaux puissent véritablement réfléchir au projet de vie des personnes, en concertation avec elles. Il s’agit alors de transformer la relation asymétrique présente en une « relation plus équitable » avec elles, tel que l’affirme Alain Dupont au cours de l’entretien. Ce dernier relève, en effet, qu’il est nécessaire de ne plus mettre la personne « au centre » en prenant les décisions à sa place, mais de la mettre « à côté », le travailleur social devant l’épauler seulement en cas de difficulté. C’est une condition essentielle à ce que la personne devienne véritablement « actrice » de son projet de vie.
Par ailleurs, le bureau d’ingénierie sociale donne aux travailleurs sociaux l’opportunité de réfléchir à leur intervention et de partager leurs expériences, par le biais de réunions et de colloques. Cela leur donnerait un rôle « plus global », selon Alain Dupont. Par ce positionnement, ce dernier souhaitait leur redonner une place beaucoup plus valorisante, en leur attribuant une réelle posture d’« accompagnants », et non plus d’« aidants ».
Les conséquences de l’évaluation globale externe de Trajets
La crise dont Trajets est victime en 1994 se situe à trois niveaux: au niveau de la population, des travailleurs sociaux et de la politique. Quel en est l’élément déclencheur ? Comment se déroule-t-elle ? Quelles en sont les retombées ? Tout d’abord, la crise découle directement du changement idéologique, selon lequel il est important que les travailleurs sociaux se retirent des entreprises sociales, afin de donner un réel rôle de travailleur à toute personne bénéficiaire des services de Trajets. Cependant, cette idée innovante a malencontreusement été mal interprétée par les principaux intéressés. Moins présents sur le terrain, les travailleurs sociaux se sentent exclus et ne trouvent plus leur place. Cette incompréhension va donner lieu à de graves mouvements de revendications : la crise survient alors !
En 1993, Alain Dupont, voulant mettre en œuvre son projet de transformation, fait appel aux compétences de consultants externes, Jacques Pelletier et Jean-Philippe Nicoletti, afin de procéder à une évaluation externe globale de Trajets. Ce rapport permet d’obtenir des pistes d’actions à tous niveaux (la gestion, l’administratif, le financement) en se basant sur l’audition de tous les professionnels et de tous les partenaires concernés, soit les subventionneurs, les politiques, les employés, la famille, etc. Alain Dupont, de nature idéaliste et humaniste, croyant « au partage et à la transparence », va mettre à nu Trajets en dévoilant le rapport à toutes les parties. Le rapport devient alors public. Aujourd’hui, il sait qu’il ne reproduira plus cette même erreur puisque cela a provoqué une crise qu’il qualifie « d’extrêmement violente ». Effectivement, la pertinence et l’ampleur de Trajets aiguisent la jalousie de certains partenaires qui n’hésitent pas à le critiquer ouvertement. De plus, en 1994, l’Office Fédéral des Assurances Sociales (OFAS), diminue le subventionnement de l’association Trajets pour des raisons budgétaires. Comment effectuer les transformations suggérées par le rapport malgré ce manque de moyens ? Soucieux d’éviter tout licenciement, Alain Dupont propose une solution égalitaire : accepter une baisse de salaire pour tous. Pour les travailleurs sociaux, c’en est trop ! Ils contactent les politiques afin de « dénoncer ce qui se passe à Trajets ». Par l’alliance des travailleurs sociaux et des politiques, l’affaire est médiatisée. Certains membres du comité transmettent illégalement les procès-verbaux de Trajets à l’instance politique. Ainsi, en 1996, le département supprime totalement le subventionnement de fonctionnement et gèle également la reprise du lieu d'accueil Le Quatre par Trajets, alors qu’avant cet événement, il s’était engagé à financer cette reprise en octroyant la somme de 500'000 Frs sur 5 ans. D’autres organismes tels que l’Office Fédéral des Assurances Sociales (OFAS) et d’autres associations apportent leur soutien à Trajets.
Cependant, l’association continue ses activités car Alain Dupont est un battant. Il persévère, ayant «l’habitude d’assumer jusqu’au bout » ce qu’il entreprend. En 2002, il quittera la direction de Trajets, mais restera en tant que conseiller car « ce n’est pas parce qu’il y a une crise qu’on s’en va », affirme-t-il. À cette époque, un changement d’idéologie politique s’opère : c’est une vision socialiste radicale qui succède à une vision libérale. Ainsi, le Tout État prend le contrôle de Trajets qu’il subventionne intégralement. Dès lors, Trajets s’éloigne de plus en plus des valeurs fondamentales d’Alain Dupont. Cette situation reflète le dilemme et les contradictions de la société actuelle. Dans l’idéal, l’État devrait être «humaniste », s’intéresser à l’humain en priorité, mais il ne cherche que le profit, le gain, aux dépens des valeurs humaines et sociales concède Dupont. Par ailleurs, lorsque le Tout État se met en place, la liberté et les marges de manœuvre sont de plus en plus limitées. En effet, le subventionnement crée une dépendance car il implique de rendre des comptes à l’État.
Un paradoxe intéressant émerge alors. Le projet d’Alain Dupont vise à combattre toute forme d’enfermement : il sort les personnes psychiatrisées des institutions en favorisant leur intégration sociale. Or, suite à ces événements, lui-même se retrouve dominé par l’Institution qu’est l’État au sein de sa propre entreprise. Empreint de liberté, des projets plein la tête et voulant être en accord avec son « idéologie », il se libère de cette dépendance, en mettant en place, en 2002, l’Association T-interactions , la petite sœur libre et non subventionnée de Trajets.
Le passage de l’Association Trajets à T-Interactions marque une évolution idéologique, philosophique et conceptuelle importante, se rapprochant encore davantage, par l’insertion sociale de personnes en difficulté, des concepts humanistes qui sont au centre de la désinstitutionnalisation. Sa vision de l'intégration évolue et de nouvelles actions réelles en résultent. Par le biais de l’Association T-Interactions, créée en 2002, Alain Dupont pourra mettre en pratique les valeurs qu’il a tenté d’instaurer, en vain, lorsqu’il était encore à la direction de Trajets.
T-Interactions : vers un renouveau idéologique du social
Une vision élargie des difficultés sociales
T-Interactions ouvre ses portes à un public désormais plus large : il peut s’agir de personnes rencontrant des difficultés sociales, psychiatriques, psychosociales, mais également de personnes en fin de droit de chômage, prises en charge par l’Hospice Général ou l’AI. Les étudiants en difficulté financière ou des personnes victimes de violences peuvent également recourir à ce service. En été, beaucoup d’étudiants travaillent dans les diverses entreprises sociales. Ainsi, « aucune porte n’est fermée à qui que ce soit », proclame Alain Dupont, à l’exception des personnes souffrant de toxicomanie, en raison de son manque de spécialisation dans ce domaine. D’autres structures sont plus enclines à répondre à leurs réels besoins. Cette importante mixité permet une confrontation entre les personnes, soit une synergie et un enrichissement tant personnel que professionnel.
Une mission économique au même titre qu’une mission sociale
L’un des principes fondamentaux qui caractérisent l’Association T-Interactions est de ne pas être subventionnée. Cependant, comment se déroule, dès lors, la création de ces entreprises jusqu’à l’aboutissement du projet ? Alain Dupont rédige un business-plan, répertoriant tous les détails du projet qu’il soumet au Président, Philippe Aegerter et au Directeur, Toni Manzolillo et à différentes personnes, dont Jacques Pelletier qui l’évalue. Puis, cela devient le projet de toute une équipe qui doit œuvrer à sa réussite. Ainsi les personnes impliquées, quelles qu’elles soient, doivent être suffisamment compétentes pour faire « tourner » l’entreprise. Par le biais du business-plan, Alain Dupont cherche donc véritablement à donner à T-Interactions une mission économique, au-delà d’une mission sociale.
Le 23 décembre 2007, le directeur de Trajets et son président annoncent à Alain Dupont qu’il ne veut plus de ses projets, tels que le Domaine de la Pierre Bleue "Gîte de France", les Jardins d'Humilly, l’Hôtel Pension Silva et le Café Cult. Ces projets sont alors repris par T.Interactions, au compte de T-Interactions. Ces entreprises étaient alors déficitaires et l'association T-Interactions s’est retrouvée avec près de 400'000.- de Frs. de dettes. Téméraire et ne reculant pas devant la prise de risques, il met avec le Président et la direction tout en œuvre pour que les projets aboutissent.
L’Hôtel Pension Silva, ouvert le 15 mars 2008, en est un exemple évident. Ce projet rapporte à l’entreprise entre 100'000 et 200'000 Frs. de bénéfice. Cet argent a ainsi pu être réinvesti, entre autre, pour l’engagement de personnel supplémentaire. Cela contribue donc au développement de l’entreprise, par l’autofinancement.
Professionnalisme et formation, un pas vers la responsabilisation
Contrairement à Trajets, T-Interaction est axée principalement sur le domaine professionnel. L’objectif principal est de donner de réels rôles sociaux aux personnes en situation d’exclusion, par leur intégration dans des entreprises sociales. En effet, dans notre société, la valorisation d’un individu passe énormément par la reconnaissance professionnelle. Si l’aspect social des interventions n’est plus ici la priorité, une aide psycho-sociale est tout de même dispensée en cas de besoin. La mission de l’Association est de considérer les personnes en rupture sociale ou rencontrant des difficultés comme des professionnels ordinaires, afin de favoriser au mieux leur insertion professionnelle et sociale. Il est important de relever que, depuis le 15 mars 2008, 85 emplois ont été créés à T-Interactions, des emplois RÉELS: il faut insister! Ainsi, toute personne reçoit un salaire, essentiel à sa dignité. Puis, un réel contrat de travail est proposé à ces personnes. Si elles peuvent bénéficier des mêmes droits que les autres travailleurs, elles sont également tenues aux mêmes devoirs. En effet, ce ne sont plus des employés « à protéger ». Ils ne rencontreront donc pas plus d’indulgence en raison de leur vécu, et ne seront pas à l’abri de licenciements éventuels. Ainsi, l’un des objectifs moteurs de T-Interactions est la responsabilisation du travailleur. Autrefois, les ateliers protégés étaient mis en place, mais les personnes restaient coupées de la société en étant trop encadrées. Désormais, ce service d’insertion permet une intégration dans le marché du travail ordinaire, donc dans la société.
Le mandat de T-interactions propose, de plus, deux prestations : des stages et une formation professionnelle. Les bénéficiaires peuvent effectuer un stage aboutissant, suite à une évaluation des compétences, à un engagement, soit à l’obtention d’un emploi « réel » et non plus à un emploi de solidarité. De plus, un partenariat dynamique est établi entre trois pôles, à savoir l’usager, les professionnels spécialisés et T-interactions. T-interactions propose, en effet, une formation continue à tous les usagers de l’Association. En ce qui concerne les personnes spécialisées dans le domaine professionnel, T-interactions leur propose une formation interne puisqu’ils seront tout de même amenés à travailler avec un certain type de personnes. Ils sont en quelque sorte outillés pour intervenir auprès d’elles de façon adéquate.
De plus, contrairement à Trajets, les personnes « intégrées » pourront être formées par des personnes spécialisées dans le domaine professionnel, au lieu d’être uniquement prises en charge par des travailleurs sociaux. Par exemple, concernant le restaurant Pyramus, l’une des entreprises sociales créées par Alain Dupont, c’est un chef cuisinier expérimenté, soit un grand professionnel de la restauration, qui accompagne les personnes en difficulté.
Par ailleurs, un suivi individualisé est établi avec les personnes bénéficiaires de l’Association et défini selon leurs besoins individuels, afin « de leur donner de réelles possibilités, de réelles chances de réadaptation et de trouver un emploi : « Il ne sert à rien de vouloir prendre le pouvoir sur les gens. Ce sont eux qui sont capables de nous dire quels sont leurs projets et comment ils entrevoient leur vie ». Le suivi individualisé de la personne garantit ainsi une certaine continuité, essentielle pour le projet de vie de tout un chacun. . Ainsi, T-interactions permet à chacun d’accomplir ce projet de vie et d’en être l’acteur principal, tout en misant sur le « principe de réciprocité », c’est-à-dire trouver une place de travail qui corresponde aux attentes de la personne, tout en s’assurant que celle-ci corresponde également aux attentes de l’entreprise.
Enfin, un outil essentiel au développement de certaines compétences est mis en place. Chaque employé en insertion possède un portfolio d’intégration professionnelle, en rapport avec son projet personnel et professionnel. Ce portfolio permet un suivi de l’apprentissage, de la progression et de l’accompagnement mais favorise surtout l’auto-évaluation des compétences, des savoir-faire et des savoir-être, ainsi que des comportements adaptatifs et habiletés sociales essentielles à sa progression.
Conclusion
De nombreux projets répondant aux valeurs humaines prônées par Alain Dupont ont vu le jour grâce à T-interactions. Depuis 2002, 11 entreprises ont déjà été mises sur pied, lesquelles s'ajoutent à l'ensemble des entreprises créés grâce à son action [[11]]. Cette dernière association représente donc une avancée supplémentaire contre l’exclusion sociale et professionnelle des personnes « différentes ». Contrairement à ce qui se pratique dans le milieu de la psychiatrie, tel que cela nous a été décrit dans le récit d'Alain Dupont, l’individu est ici perçu en fonction de ses compétences et de ses difficultés, et non en fonction d’un diagnostic. L’objectif est de faire confiance afin de responsabiliser les personnes et leur assurer une certaine autonomie et reconnaissance nécessaires à leur bien-être et à leur épanouissement. En quarante année, c'est aussi une autre conception de la psychiatrie qu'il a cherché à faire vivre et entendre: une conception d'abord de la personne, remettant en question constamment les stéréotypes attribués à la folie, à commencer par désigner les pathologies par ceux qui s'y autorisent et ont le pouvoir. Il reste, malgré tout, de l'antipsychiatrie militante des années 70 un souci de désenfermement. Chose importante, il ne se repose jamais sur ses acquis, créant constamment, ayant de nouvelles idées, se remettant en question pour donner une prestation à la hauteur de ses valeurs et convictions.
Alain Dupont garantissant une prestation de qualité des entreprises sociales de T-interactions, il ne nous reste plus qu’à passer une nuit à l’Hôtel Pension Silva, siroter un verre au Café-Cult, savourer un sorbet aux Glaces Inuit, hésiter entre déguster une fondue à la Yourte aux fondues ou un plat moins convivial mais plus raffiné au restaurant Le Pyramus…