Retranscription

De DeWiki
Aller à la navigation Aller à la recherche

Mercredi 26 septembre: premier contact dans la salle de cours (Uni-Mail)

C'est une aventure, un exercice sûrement difficile parce que reprendre et repartir de toute l’histoire et mon histoire dans la construction de différents éléments pour permettre l'intégration sociale de personnes en difficulté psychiatrique, psychologique ou en rupture sociale. On élargira peut-être la question. Après avoir rencontré Martine qui me posait toutes sortes de questions, sur ma vie parce que c’est toute une vie cela part de mes motivations ce qui remontent très loin par rapport à tout ce que je vais pouvoir vous raconter à travers d’anecdote, à travers de faits, d’éléments contruits ; à partir de l’empirique parce que bcp de choses se sont faites dans l’empirique car on avait pas de cadre de références théoriques conceptuels par rapport à ce que nous mettions en place à partir des années 70. C’est pourquoi je dis que c’est un exercice difficile. J’ai recherché un certain nombre d’archives, de livres, de conférences, de choses que j’ai pu mettre en place pour essayer de construire des choses pour plus de participation sociale de ces personnes exclues. En deux mots je suis heureux pouvoir participer à cette expérience. Quand Martine m’a posé la question j’ai dit oui sans savoir où j’allais, mais je pense qu’un c’est aussi avec un inconnu organisé que l’on peut mettre en place, organiser un certain nombre de choses.

Je voulais vous dire aujourd’hui c’est peut-être retracer… Martine m’avait demander un C.V, mais je n’ai jamais fait de C.V puisque je n’ai jamais postulé à qq part. Mon expérience professionnelle remonte en 1966 je suis allé faire un stage comme on doit le faire depuis l’école Pahud. J’avais des idéaux sur l’éducation : liberté et ce que j’avais pu apprendre de la vie et de l’enfermement, Quand j’ai découvert cette institution avec 60 enfant de 6 à 16 ans et j’ai commencé avec les petits. Vous vous trouvez en face d’enfants qui venaient et qui étaient placés ici dit « caractériels » et vous avez un enfant de 7 ans qui est étiqueté comme caractériel et vous vous trouvé à 20 ans avec la vie devant vous aimant la vie. Et voir cet enfant ici cela fait bizarre. J’ai passé dans les différents groupes. On n’était pas dans l’éducation mais leur dire tout ce qu’on ne doit pas faire dans la vie pour être heureux et on leur donnait leur parcours déjà défini et défini par le personnel éducatif. Il faut vous dire aussi en se remettant à l’époque il n’y avait que des hommes (pas d’éducatrice) et l’Ecole Pahud (école d’éducateurs de Claude Pahud depuis 1954) essayait de placer ces éducateurs. C’était des hommes qui s’occupaient de ces enfants. On n’était pas dans la prise en charge, mais les mettre dans la droite ligne. Il y avait aussi des institueurs/trices spécialisées et cela devait marché à la baguette. Les gens devaient réaliser exactement ce qu’on leur indiquait soit à l’école ou dans la partie éducative. On vivait dans des groupes de 8 à 10 personnes. La question que je me posais : on est pas là comme éducateur pour faire le jardin…. Il y avait une maltraitance par rapport à ce qu’on offrait à ces personnes dans la manière dont on s’adressait à elles, les violenter, et violences physiques que je découvrais. J’avais fait du scoutisme, des CEMEA, des grandes colonies de vacances jusqu’à 150 personnes (avec une organisation quasi militaires) et je retrouvais la même chose jusqu’à la punition. Où les gens ne devaient pas savoir ce qui leur arrivait. Et on pouvait les mette au cachot avec pain et eau. Et quand vous faites cela et que vous avez un idéal de les faire participation à la vie et des apprentissages : cela m’a ébranlé et permis de faire des choix (exp. de violence sur un jeune homme qui avait un Q.I de 160 un homme brillant qui manipulait tout le monde suivi par Dr. Bergier et je devais mettre ma casquette de chauffeur pour aller à Lausanne chez le psychologue. On arrivait après le repas et on mangeait à la cuisine et on mangeait sur la grande table et je mangeais au retour avec Michel. Et un autre homme était un peu démuni sur le plan intellectuel. Et Michel savait comment vous titiller et savait comment vous prendre pour agacer énerver et ce jour-là Gilbert n’en pouvant plus sort un couteau de cuisine et lui traverse le ventre. Une anecdote qui vous refroidit un peu. Ce qui m’a frappé la réaction du personnel : « Mais que va penser le Dr. Bergier le psychiatre ». C’était cela la réflexion Gilbert est parti est parti et derrière Serix dans la forêt (il a fugué) et pour allé l’enfermer à l’hôpital psychiatrique. Personne ne s’est posé la question sur la situation : c’est lui qui a payé. Ce n’était plus une personne qui avait droit à l’instruction il va être enfermé à Cery avec médication etc. Je me suis interrogé sur ce que j’étais en train de faire. Moi je ne pouvais pas participer à ces choses là. J’avais fait des ateliers – je bricole et j’aime l’art – et on était parti en méditerranée pur apprendre à faire de la voile. On devait vivre sur place et on n’avait pas le choix et c’était aussi dur que les enfants. Ma chambre était sous les toits et dans ma chambre il faisait 6 degrés. On disait qu’il n’y avait pas d’argent, mais on construisait une villa pour le directeur… J’ai été marqué et disant moi je ne peu pas. J’avais décidé de partir et le directeur me disait qu’il voulait me garder pour les 40 ans avenir. Surtout parce que je savais bricoler et j’avais construit une salle et j’avais fait des vitraux (ils n’y sont plus !)…. A partir de là j’ai donné mon sac et en même temps j’ai fait ma formation d’ "éducateur de groupe » (aujourd’hui éducateur spécialisée) en internat. Moi je ne supporte pas l’enfermement, je le sens à distance. Après ceci je vais partir de mon parcours professionnels et de ma formation. L’école Pahud m’a ouvert les yeux, lorsque le neurologue nous emmenaient à Eben Ezer voir les monstres ! La déficience intellectuelle dans le quartier de Plainpalais il n’y avait pas de personne handicapée. J’ai toujours fait plusieurs choses à la fois (je suis incapable de faire qu’une chose) je me suis engagée dans la formation, l’enseignement et la recherche pour relier les choses, mais aussi c’est un stimulant dans la pratiques. Quand vous faites intervenir des gens de l’extérieur cela stimule lorsque vous devez enseignant aux étudiants, vous devez d’abord être au clair vous même. J’ai été le premier conseiller social au cycle d’orientation. J’avais un ami éducateur, Wengler (?) qui travaillait au service de protection de la jeunesse dirigé par Valy Degoumois. C’était à l’Aubépine et cela me convenait pour accompagner des jeunes qui étaient en situation familiale difficile ; mais c’était pas vraiment ma tasse de thé ; j’ai fait cela pendant quelques années et j’enseignais au cycle d’orientation dans des classes professionnelles (cela n’existe plus maintenant) des classes observation dans lesquelles on mettait ceux qui avaient des difficultés. Je les aidais pour qu’ils puissent faire un apprentissage. Je me suis aperçu que le système de l’école façonnait et c’est surtout les enseignants qui avaient envie du parcours de ses jeunes. Il y avais un jeune particulièrement doué tous les conseils de classe voulait qu’il aille à l’université. Il voulait être maçon : il a fallu se battre pou cela ! On est dans les mêmes schémas où on indique aux personnes ce qui est bon pour eux. J’ai été à Caritas jeunesse dans les années 70 mis en place le service Caritas jeunesse et dans mon état d’esprit on organisait les camps de vacances, des colonies. J’aime bien créer de nouvelles choses : et j’ai accueilli dans les camps de vacances des gens handicapés avant de mettre en place à Caritas le secteur des handicapés. Et ça c’est une création que j’ai fait pendant une dizaine d’année et parallèlement j’ai été enseigner à l’école d’éducateur à Genève. L’école c’est créée en 1970 c’est Paul Weber a qui on a demandé de mettre cela en place et comme on avait faite des formations ensemble, il est venu me demander si je voulais être formateur (il n’y avait pas de formateur à plein temps) et comme je touchais au champ de la déficience, le Dr Eisenring qui travaillait à Bel-Air et qui avait créé le centre universitaire de diagnostic et de soins de la déficience mentale. Bel –Air qu’on appelait aussi IUPG il est venu me demander si je ne voulais pas créer avec lui un service de sociothérapie pour des personnes handicapées mentales profondes. Il y a avait à Bel-Air des pavillons réservés pour eux. (le film San Clemente de Depardon fait en 1980, mais si on remonte en 1970 c’était exactement ça). Je partais de Serix pour voir des choses plus merveilleuse, en psychiatrie j’ai découvert l’enfer, pire que Serix. Je me suis posé des questions personnelles. Est-ce que je vais rester à Genève ou partir en Afrique faire de l’humanitaire. Finalement j’ai fait le choix de rester. Je savais ce qui se passait de par le monde par le biais de Caritas, Caritas-Suisse qui avait cette vision j’avais été au bureau international BICE puis je me suis dis: "Non il faut rester là il y a du travail à faire". Le Dr. Eisenring avait 20 ou 30 ans d’avance de son temps. Il disait ces gens n’ont pas leur place ici et j’aimerais que tu fasses un travail individuel avec chaque personne. Et, en 1972, essayez d’imaginer ce que cela peut représenter. J’ai commencé un travail individuel et cela est devenu ma tasse de th encore aujourd’hui et je me suis battu et je faisais partie de l’institution : ils passaient du dortoir, au réfectoire de trois mètres 50 de haut, où il y avait une télévision dans un coin et une chaise pour l’infirmier. Et ces personnes n’étaient pas habillées à l’époque et je me battais pour dire il faut habiller la personne, car je vais passer la prendre et sortir une matinée. En même temps je découvrais de façon empirique que personne ne savait que faire avec ces personnes. On avait mis en place tout sorte de moyens car j’avais aussi toute sorte de sentiment, de peur, de honte, de peur que lorsque je croise quelqu’un qu’il me reconnaisse. Ces personnes n’étaient jamais sorties, jamais sorti de l’hôpital. J’ai fait un bout de chemin avec deux Roland. Si vous les aviez vu en ville les gens changeaient de trottoir le vide se faisait cent mètres à la ronde (celui qui tourne sur lui-même, celui qui baisse son pantalon et urine juste devant la fanfare des Vieux Grenadier aux Bastions). Moi je ne j’étais là et je me suis mis à distance ; vous comprenez le mécanisme, je ne savais comment m’y prendre, que faire ! ça été le point de départ. Nous nous sommes dits et là on est avant la maladie psychique, il faut les sortir de là les mettre dans un habitat. En 1972, on avait trouvé des appartements à Grange-Canal, cela a été une levée de boucliers, c’était bien trop tôt, personne n’était préparé à ces choses là. Alors j’ai continué pendant dix ans, en parallèle, mais j’ai aussi intégré ces personnes dans les loisirs, dans les vacances, convaincu que j’étais que la vie est dans la vraie vie là où sont les gens, les citoyens. Avec eux, j’avais monté un club et j’allais dans le centre de loisirs Marignac de Lancy. On côtoyait d’autres personnes. Bien sûr on avait réservé une salle, car il y avait des peurs, il ne fallait pas mélanger les torchons et les serviettes : cela ne se fait pas ! Lorsqu’on parle de politique, moi j’ai toujours en tête de faire en sorte de ne pas faire de la politique, mais la cité appartient à tout le monde et aussi à ces personnes et qu’est-ce que ces personnes ont à nous apprendre, à m’apprendre? Et ce n’est pas que dans un sens c’est quelque chose de réciproque. Ce sont ces personnes qui m’ont appris mon métier, beaucoup plus que ce qu’on apprenait à l’école Pahud : c’était extraordinaire, mais on était hors réalité, à côté de la plaque. Et puis avec le Dr. Eisenring et Bernard Pasche, un psychologue un homme génial aussi, on faisait de la recherche sur l’image, sur les représentation dans la communauté, on a fait toute sorte d’interviews ici au marché de Plainpalais, et on donnait même des résultats par des conférences. Un moment donné sur le club des loisirs, le Dr. Eisenring avait organisé une journée d’étude au centre psychosocial au centre universitaire de la Jonction et était présent des professeurs de la psychiatrie adultes ; psychiatrie adultes les personnes qui vivaient à Bel-Air, on vit encore à Bel-Idée il y a encore près de 60 personnes qui vivent enfermés aujourd’hui il y a peu de choses qui ont changé, dite chronique. On ne peut rien faire avec eux. Le Prof. Garonne a écouté tout cela avec Burgmeister, médecin chef et Jacqueline Lalive chef de clinique m’ont contacté quelques jours après pour me rencontrer avec Jean-Claude Droz qui était l’administrateur des IUG pour me dire mais en fin de compte c’est génial mais pourriez-vous mettre cela pour la psychiatrie. Comme j’aime le travail, j’ai dit pourquoi pas et on a réfléchi à ceci et en 75-76 et on a ouvert un lieu d’accueil qui s’est appelé le Quatre. J’ai fait cela bénévolement. Je suis un homme passionné, passionné par ce que je fais et par la vie. Et puis on a créé le Quatre, lieu d’accueil, alors c’est extraordinaire : on fait une expérience de 6 mois, cela vous va ? Et si ça fonctionne on continue. On fait des rapports, des observations quotidiennes, des comptes rendus, un rapport tous les mois et un rapport au bout de 6 mois. Et on continue. Lieu d’accueil cela veut dire lieu ouvert à la population. Parallèlement je travaillais à Caritas jeunesse et j’avais un réseau de 300 bénévoles et une cinquantaine de bénévoles permanents ils côtoyaient les personnes. Au bout de 6 mois on dit il y a plus d’argent (aujourd’hui on dit toujours pareil !). Moi je dis "Ecouter vous me dites que si cela fonctionne : moi je ne marche pas". "Mais vous comprenez il n’y a pas ci il n’y a pas ça"…Je dis "stop". J’avais pris des étudiants pour l’IES pour des stages et ils étaient d’accord d’assumer cela, il y avait 6 personnes, et elles faisaient leur stage pour éducateurs et assistant sociaux. J’ai réuni l’équipe et j’ai dit : on fait quoi ? L’équipe a dit « Nous on continue même sans salaire ». Vous voyez les motivations ! En même temps c’était complexe, mais c’était génial. C’était la première fois que s’ouvrait à Genève dans le champ de la désinstitutionalisation et dans le champ démédicalisé. C’est ce qu’on a voulu avec le prof. Garonne un homme fabuleux, après Ajuriaguerra. J’ai eu l’occasion de suivre ses cours : c’était un homme merveilleux. Lui a enlevé les barreaux à Bel-Air comme François Tosquillès à Saint Alban faisait la psychothérapie institutionnelle Il y avait tous ces courants et on a forcé la main aux politiques et aux administratifs et on a fonctionné pendant 6 mois sans salaire. Et après 6 mois ils étaient tellement gênés qu’ils ont dit attendez : et on a fonctionné ainsi de 6 mois en 6 mois avec une inconnue totale de savoir si les choses allaient se poursuivre. Et en parallèle on écoutait les personnes car c’est cela qui est important écouter la parole de ses personnes qu’on exclut qui vivaient à Bel-Air et qui disait en fin de compte moi j’aimerais avoir un job, moi j’aimerais avoir des amis, un logement. Et travaillant à Caritas, ils étaient d’accord d’entrer en matière, mais quand ils ont vu les fous, ça sentaient mauvais, Le directeur m’a dit : vous comprenez Monsieur Dupont moi je reçois ici des gens de l’aristocratie genevoise qui viennent faire des dons et des legs et vous vous avez votre bureau à cinq mètres: ça sent mauvais. Sûrement il y avait quelques odeurs. J’ai dit stop on va créer une association et c’est comme cela que Trajets est née. Parce qu’on avait mis des activités en dehors du lieu d’accueil et la première activité a été comme le potager de la Vendée. J’avais une amie dont les parents avaient un bout de terrain au bord de la Seymaz et ils étaient d’accord de nous mettre à disposition et on s’est mis au travail avec les personnes. Je vous dis pas le bonheur de ces gens qui vivaient à Bel-Air, qui avaient toutes sortes de choses et qui ont commencé à avoir une activité on ne va pas dire un travail mais une activité. Et comme Caritas ne voulait pas on a monté une association article 60 et suivants comme on en trouve de multiple et on a préparé le terrain et le 19 juin 1979 on a créé Trajets. Moi je faisais cela bénévolement : j’avais un salaire de l’IES et de la consultation et des enseignements que je donnais. (Ne prenez pas ça comme quelque chose de glorieux, mais je gagnais ma vie, pour me nourrir et nourri ma famille. Je dors 6 heures par nuit. Le matin je suis debout à 5 heures, je n’ai aucun mérite cela fait partie de mon rythme biologique. Mais quand vous commencez à 6 heures et que les gens commencent à 9 heures vous avez déjà fait une matinée. Et moi j’aime le matin. (Un des principes, c’est avoir du plaisir, avoir du plaisir tout le temps et comment offrir du plaisir à ces personnes. On a mis cela en place et depuis 79 Trajets qui existe encore aujourd’hui jusqu’en 2002 où j’ai décidé… après j’ai été un bout salarié de salarié en 94 ou 96 j’en avais comme fondateur la direction je coordonnais le tout ; je vous raconterai les mésaventures politiques car cela amené la critique surtout du côté de la gauche ou gauche gauche et le monde du travail social comme si on allait leur piquer leur travail. Je me suis passionné pour cela en 2002 j’ai quitté Trajets j’avais d’autres envie toujours avec les mêmes thèmes sur la participation sociale et l’intégration. Depuis le début depuis les années 70 j’ai monté ma propre entreprise personnelle de consultation, individuelle et collective, pour faire de l’audit, j’ai une formation à l’IES et dans la FAPSE, je me suis formé dans différents domaine entre autre de l’évaluation et j’ai fait une formation au Canada et aussi une formation dans le champ de l’intervention communautaire et l’intervention communautaire pendant trois ans. Et j’ai continué la formation comme la recherche aller chercher des informations. C’est peut-être ma force je reste un T.S mais je me suis passionné pour l’organisationnel, le management, j’ai fait une formation en psychosociologie, en psychodrame, en sociodrame. Mais je n’ai jamais fait cela à plein temps. Cela est venu me nourrir tout cela. Quand on avait une question, j’allais me former. Comme l’intervention de réseau ; on parle beaucoup de réseau, mais on travaille très peu en intervention de réseau au sens politique du terme comme Brodeur et Rousseau a développé. Pour qu’une communauté puisse prendre en compte ses préoccupations. C’est un acte politique, la communauté elle appartient aux gens qui viennent dans cette communauté : est-ce qu'on peut leur donner un coup de main. Et j’ai développé l’intervention de réseau avec les personnes psychiatrisées ce n’est pas seulement les parents, mais les amis, les gens du quartier, le voisin qui sont des partenaires tout cela s’est développé avec Trajets. En 2002 toujours avec cette idée d’évolution, je fonde T (=tolérance) interaction est aussi une association, mais il y avait un lieu avec ce que j’ai mis en place à Trajet et c’est tout le champ de l’entreprise sociale et le champ du travail. Il y eu d’abord une réflexion. Il y a le champ des entreprises (car j’en ai créé plus d’une trentaine à ce jour) mais il y à le travail où travaillent les gens Mais les concepts ont évolué. On a ouvert une dizaine d’entreprises depuis 2008. La dernière : le Pyramus (Augustin Pyrame de Candolle). La ville de Genève avait 12 millions pour changer la buvette. On a fait le concours et on a gagné ce concours. On a un chef cuisinier hors pair, un second, un responsable, un gérant et son adjoint. Le reste, se sont des personnes qui ont des difficultés. Mais on n’a pas de subvention Inauguration le 30 octobre : quelques discours, voir le lieu et boire un verre (la chose la plus importante). En parallèle, j’ai fait de l’enseignement, j’étais jusqu’en 85, ou 88, à l’IES : 18 ans ou 15 ans et à l’intérieur j’étais avec l’école d’éducateurs, mais les 5 dernières années j’étais au CEFOC (centre de formation continue) pour mettre en place différentes formations longues durées, séminaires. J’ai enseigné à l'enseignement spécialisé à Lausanne, à la pédagogie curative à Fribourg, à l’Université de Mons en Belgique avec Prof.Magerotte et à l’université d’Ottawa. Je suis aussi formé ISO les normes ISO. J’ai fait cette formation au Canada. Mais dans ce parcours, j’ai réussi à former des institutions comme l’Espérance à Etoy, à Lavigny, les Epis et on est bien dans le champ de la désinstitutionalisation. Mais je fais aussi es audits pour le gouvernement du Québec, j’étais un des membres de l’équipe pour aller vérifier ce que donnait la désinstitutionalisation et je travaillais aussi à Triestes avec ce qui a été mis en place avec Basaglia puis après avec Franco Rotelli (à Naples), un homme aussi merveilleux. Tout cela vous apprend votre métier. Je crois beaucoup à l’observation, j’ai enseigné l’observation, à l’évaluation. Je penses que ce sont des thèmes importants par rapport à ce qu’on a à se dire. J’ai créé d’autres associations. On rencontre des gens fabuleux Rotelli, Jacques Pelletier, Dr. André Blanchet, des professeurs de psychiatries à Boston, comme Wolf Wolfenberger sur la valorisation des rôles sociaux (VRS). Mon cheminement est comme cela tout reste une hypothèse de travail, même aujourd’hui en mettant le Pyramus, lorsque je rencontre le directeur on s’est vu avec J. Pelletier qui est notre consultant qui vient depuis le Canada pour faire l’évaluation. Je leur ai fait une communication sur "T-Interaction ne remplit pas sa mission sociale". Ce sont les gens qui ont la solution et qui nous apprennent avec des gens de part le monde.

Mercredi 31 octobre dans le bureau d'Alain Dupont

Myriam:

Tout au long de votre vie vous avez œuvré pour une certaine catégorie de personne, à savoir les personnes dites « déficientes » mentales, physiques ou psychiatriques. Quels sont les liens que vous avez tissés avec ces personnes ? Quels ont été les apports de ces rencontres et à quel niveau ? (plan humain, plan professionnel, plan personnel, etc.)

Perrine :

Alors, une toute première question : Suite à une rencontre avec un neuropsychiatre, Monsieur Eisering, vous avez décidé de mettre en place un premier lieu d’accueil à Genève, qui s’appelle « Le Quatre », et pour des personnes handicapées mentales. Est-ce que vous pourriez nous parler de vos expériences antérieures qui ont été probablement a l’origine de ce lieu de rencontre et ensuite pourriez vous nous parler de la création du quatre qui a ouvert le 4 janvier 1977 ?

Merci. En 1970 je travaillais également pour Caritas. Vous allez voir que c’est une institution qui a pris de l’importance à un moment donné pour la création du lieu d’accueil « le Quatre ». Et à Caritas j’organisais pour le…, ça s’appelait Caritas jeunesse à l’époque. Peut être que c’est encore le cas aujourd’hui. Et à Caritas jeunesse, j’organisais pour des familles plutôt en situation précaire, des séjours de vacance, comme on appelait ça a l’époque, des camps de vacance pour des enfants pour des adolescents. Et puis très rapidement c’était un nombre important pour les périodes des vacances scolaire. Et à partir de ceci, j’avais un réseau extrêmement important de bénévoles qui venaient encadrer ces camps de vacance. En même temps on réalisait de la formation. Et puis le professeur Jean-Jacques Eisenring, médecin neuropsychiatre, à l’époque, faisait aussi parti du comité de Caritas et nous avions l’occasion de nous rencontrer et on se connaissait. En 1972, le professeur Eisenring ma demandé de partager un repas avec lui pour me dire que là il avait en charge, enfin ce que je savais à l’époque, le centre universitaire de soins et de diagnostic de la déficience mentale, un nom extrêmement long pour dire que l’on prenait en charge des personnes déficientes mentale, que l’on appelait handicapés mental à l’époque. Et ces personnes vivaient à bel-air, dans un pavillon. Des personnes avec leurs histoires de vie avaient été placées parce que, comme dans bon nombre de pays, on ne savait pas trop comment s’y prendre avec ces personne. Et en me temps, les lieux qui accueillait ces personnes, comme par exemple en Italie à Cottolengo pour les personnes dites handicapées mentales profondes comme on les nommait, et bien simplement l’asile les accueillait, donc l’hôpital psychiatrique. Et pour Genève, c’était quelque chose d’identique même s’il y avait déjà des réflexions qui venaient mais qui étaient récentes. Quand on pense aux premières réflexions de Nietzsche, de Benbengelssen (je ne suis pas sûre) qui date des années soixante par rapport aux personnes handicapées mentales, en disant que ces personnes auraient la possibilité de pouvoir vivre différemment. Et bien le professeur Eisenring qui était un homme avec une humanité assez extraordinaire avait une autre vision de la prise en charge. Je crois qu’on appelait ça aussi de cette façon, on le verra beaucoup plus tard, que simplement ces mots se sont transformés et heureusement pour permettre une vision différente, avec l’accompagnement de ces personnes. Et il ma contacté, puis autour d’un repas, il me suggère de travailler avec lui. Je trouvais ça intéressant. Je ne sais pas si vous vous souvenez que j’avais fait, quand j’ai fait ma formation à Lausanne, à l’école Pahud, j’avais fait un stage à Ebenessere à la Prairie avec des adultes où le directeur, M. Monver avais été surpris qu’un étudiant demande à faire un stage. Et moi j’avais été intéressé par la découverte dans mes études de ce monde là que je ne connaissais pas du tout, mais du tout. Je veux dire, on en croisait pas dans la rue. Là, maintenant, il suffit de se promener ici, dans la rue de Carouge et on en voit partout. Je veux dire des personnes qui se promènent. Elles sont même interviewées, si vous avez écouté la radio hier, Alexandre Jellien était interviewé pour son livre. c’était … ça date d’hier donc. Sur France-inter donc en même temps là maintenant c’est des personnes qui on le droit de citer et même un peu plus. On y mettra les nuances en temps voulu.

Et le professeur Eisenring souhaitait mettre en place un service de sociothérapie. Dans ce domaine là, puisque ça existait déjà à bel-aire pour les personnes adultes dites psychiatrisées, comme elles étaient nommées aussi au pavillon des Lilas, à l’intérieur de la clinique. Et lui, dès le départ, son service n’était pas à l’intérieure de la clinique, et c’est ça qui moi m’a intéressé, également c’est qu’on se trouvait à la rue du 31 Décembre. Et lui me proposait de commencer un travail individuel avec des personnes qui se trouvaient dans un pavillon à Bel-Air. Et petit à petit d’autres choses sont arrivées, on arrivera au Quatre après, mais il m’a demandé de pouvoir faire un travail individuel. Misère ! Aujourd’hui ça parait évident, mais à l’époque… ?! d’abord moi, quand je sui rentré dans le pavillon, ça m’en donne des frissons là maintenant, je veux dire de voir que ces personnes qui vivaient là dans le pavillon, passaient du dortoir à la salle à manger et dans une grande salle, ça m’avait marqué. Et puis je crois que je garderai cette image toute ma vie, avec un poste de télévision, vous savez ces grandes salles de trois mètre cinquante de haut, puis il y avait une chaise puis le reste c’était des personnes handicapées qui tournaient en rond et qui allaient, venaient, d’un coin de la pièce à un autre…et pas habillées! Elles n’étaient pas nues comme on a pu le voir dans le film sur Leros, mais vous savez ces blouses de l’hôpital là! Blouse blanche, habits blancs et autres.

Et puis, j’ai d’abord été rencontrer le personnel qui n’était que du personnel médical, médico-infirmier. Et qui faisait un travail, moi je dis, remarquable mais avec une vision médicale et une vision de soins, puis pour eux, je vais vous dire pour moi la même chose, quand j’ai vu les personnes : dire « mais attends… Jean Jacques Eisenring me demande de réaliser quelque chose avec ces personnes. Je suis là un peu, qu’est-ce qu’on va pouvoir réaliser ? Qu’est-ce qu’on va pouvoir faire ? »

Alors on a commencé avec les infirmiers, qui avaient énormément de réticences, parce que certains étaient là aussi depuis des années et le disaient très franchement : « mais je veux dire on ne peut strictement rien faire avec ces personnes ! Regardez ! Certains ne parlent pas ou ânonnent ou simplement tournent en rond, tourne en rond sur eux-mêmes ! J’ai dit mais, « on va essayer ! ». Alors je leur ai demandé au point de départ puis avec l’appui, parce qu’il y avait des résistances énormes à ce qu’ils sortent du pavillon. C’était déjà ça. Parfois ça leur arrivait de, dans le parce de Bel-air qui est un parc magnifique, se retrouver derrière le pavillon comme on le voit à de nombreux endroit. Et de leur demander de les habiller, était déjà quelque chose qu’ils avaient beaucoup de peine à comprendre. On s’est mis d’accord que je viendrai prendre une personne après l’autre et au début ça serait une heure. On a passé d’une heure à deux heures, trois heures etc.

Et simplement moi je ne vous dis pas aussi toutes mes peurs, c’était effrayant ou parce qu’on va le voir par la suite moi qui, de me retrouver avec ces personnes, alors… moi habillé en civile comme eux habillé en civil… je vais croiser du monde ?! Parce que l’objectif c’était de commencer à faire des apprentissages dans la cité. Les premiers apprentissages dans la cité… moi je suis à la campagne…, j’avais tellement la trouille que l’on me voit avec ces personnes que là je me suis dit : « Nan mais ce n’est pas possible! » Alor c’est comme ça que ça a commencé et puis chaque fois bah je demandais aux infirmiers, ce que je me suis rendu compte, je parle de résistances qui pour moi étais naturel, parce que en terme de soins moi je crois qu’ils étaient bichonné pis c’était devenu euh… ils avaient créé des relations avec ces personnes, des relations de type non-verbale mais n’empêche qu’ils se comprenaient. Ils arrivaient à faire en sorte qu’ils y aillent… allé, on va dire une certaine qualité de vie dans les soins. Donc je venais déjà à ce moment là déranger un système extrêmement important, pesant et qui faisait que ces personnes on les avait condamnées au point de départ.

Moi ca m’est apparu flagrant puisque si vous vous souvenez l’enfermement c’est quelque chose qui m’est insupportable et moi j’ai assisté à cet enfermement et j’ai commencé avec des personnes… deux, trois, quatre, cinq, mais j’ai deux personnes avec qui j’ai fait un travail qui étaient des personnes extrêmement touchées au niveau de leur santé, en terme de déficience. Des choses comme on le sait « irrécupérable », mais des comportements pourraient être modifiés et moi c’est ca qui m’est apparu. Ok la déficience elle est là pis on sait qu’elle est acquise et puis que ma foi, il va falloir faire avec, mais qu’est-ce qu’il est possible de mettre en place comme apprentissage ? Et ça c’est un thème qui moi est récurent encore aujourd’hui dans ma pratique professionnelle. C'est-à-dire que comme nous, tout un chacun à le droit de faire des apprentissages et on ne fait pas des apprentissages dans une salle ou il n’y a rien. Voyez, je veux dire comment voulez-vous apprendre des choses, vous confronter à la vie, vous confronter… je le dit avec ces mots là aujourd’hui. Mais en allant à la campagne, puisque je suis d’abord allé à la campagne, je prenais ma voiture. Les gens disaient : « mais déjà il faut être un peu fou pour les prendre dans la voiture », mais en même temps ces personnes m’ont appris des choses, quand ils ont découvert qu’ils s’asseyaient à droite, je veux dire, c’était extraordinaire. Et puis je partais dans la campagne Genevoise et puis on s’arrêtait. On sortait. A partir de là, c’était la marche… mais en même temps c’était me donner l’occasion d’entrer en relation. On va mettre ça avec beaucoup de nuances, mais en même temps, de mettre en place des observations. Et pis de voir que petit à petit, et c’est pour ça que je crois que et je continu à être persuadé qu’on fait parti d’un environnement. On fait parti de groupes sociaux. Mais en même temps je reste un individu puis chaque individu a son projet individuel. Mais on était bien avant tout…, ces thèmes qui ont pu être travaillés ensuite dans les écoles sociales où le projet individuel, qu’on appelait entre autre PI à l’époque, je veux dire c’est venu que dix, quinze ans après, ce type de choses là. Mais nous on n’avait pas, moi j’avais aucune référence théorique par rapport à ca, donc tout est parti de façon totalement pudique. Et avec le professeur Jean Jacques Eisenring qui lui était des années lumières en avance me disait aussi ces personnes ont droit à un logement, un habitat comme le notre. Il me dit : « et on va tenter ». J’ai trouvé à Grange-canal des logements qui pourraient les accueillir. Là on se trouve dans les années soixante-douze, soixante-quinze. Okay. Lui avait tout ça en tête, dans sa tête c’était clair. Pas dans la mienne. Et dans sa tête, lui, se disait que ces gens là pouvaient faire des progrès si on leur offrait quelque chose de différent, des possibilités d’apprentissage, un environnement différent que celui du pavillon et que des soins. C’est pour ça qu’il met en place le service de sociothérapie. Il y avait des expériences en Angleterre, puisque la sociothérapie vient de l’Angleterre, et effectivement surement qu’il y avait déjà des résultats. Alor ça c’est un premier travail et alors je ne vais pas les prendre mais je pourrais vous conter un nombre d’anecdotes, parce que je suis parti à la campagne mais de la campagne je suis revenue en ville. C’est-à-dire que, pas parce que les personnes ne pouvaient pas être en ville mais parce que moi mes peurs étaient tombées. Je pense que ça c’est important. La question elle n’est pas chez les personnes handicapées mentale, elle est chez nous enfaite et moi j’avais découvert ça, que la question elle était chez moi mais vous verrez qu’en psychiatrie des personnes sont venues m’interroger quand on a mis en place le Quatre.

Et à partir de là, ces personne qui essayaient bien de faire un travail individuel une ou deux heures par semaine mais qu’est-ce qu’il est possible de mettre en place autrement ? et avec d’autre types d’expériences ? C’est là qu’on a eu cette idée de créer un club, qui n’était pas le Quatre, mais qu’on a appelé un « club de rencontre ». Et ce club de rencontre, qui a eu lieu tout d’abord dans un centre de loisir, centre de loisir au Grand-Lancy, et pour se dire : « allons un bout plus loin ! » Quand j’étais en train de faire des apprentissages dans la ville et faire des observations et bien il n’y avait même pas de côtoiement. Parce que moi j’ai bien des exemples qui montrent que les personnes changeaient de trottoir. Même mes propres amis changeaient de trottoir. « Ah mais je ne t’avais pas vu ! » quand je les rencontrais après. C’était quand même une indication, c’est-à-dire qu’eux aussi n’en avaient jamais vu. Ils les avaient comme ça. Et puis je peux comprendre ça, parce que, j’avais deux personnes absolument merveilleuses et si je devais donner leur prénom, elles s’appelaient Roland alors je les appelais les Roland. Mais si vous les aviez vu en train, vous savez de, marcher, faire un tour sur eux-mêmes, on marche, on tourne sur soi-même. Quand vous êtes sur le trottoir à croiser des personnes, je vais vous dire ça fait un peu bizarre. Vous allez au Parc des Bastion et quand vous avez une personne qui est en train de fermer la porte des Bastion, parce que lui sa hantise c’était les portes ouvertes. Toutes les portes il les fermait, j’ai fait tous les parcs publics et il les fermait. C’est pour ça que je dis que c’était des observations pour essayer de comprendre aussi, les comprendre. Ces deux personnes n’avaient pas la parole. Comment est-ce qu’on pouvait entrer en matière? C’était par le regard, par le touché, par des moyens que, moi je découvrais je veux dire on n’était pas dans les soins infirmiers ou avec des soins d’hygiène ou des choses de cet ordre là. Puis aucune référence. Et on s’est dit : « mettons en place ce club. Le club il est né parce que, avec les séjours de vacance que j’organisais, moi j’avais un réseau de trois cent bénévoles dont une cinquantaine de personnes plus permanentes, avec qui on montait des projets ou qui, eux, avaient des projets puis de dire bah tiens je vais organiser un séjour pour des enfants. Voilà l’idée que j’ai etc. Donc on travaillait ça et comme on se rencontrait régulièrement on s’est dit : « pourquoi ne pas mettre en place aussi, comme on l’avait fait à Lancy, une soirée de rencontre ? ». Une soirée de rencontre et vous allez le voir c’est dramatique mais c’est comme ça, c’est qu’on avait une soirée de rencontre pour les personnes les plus handicapées puis une autre soirée pour les moins handicapées. On faisait nous même des ségrégations. Et tout ça a évolué avec le temps mais parce que on a compris petit à petit. Et ces rencontres ce sont faites, et moi j’ai appelé ça du côtoiement. Des personnes comme vous et moi venaient, mais quand je dis venaient c’est pas une ou deux personnes. On avait jusqu'à cent-cinquante personnes qui venaient au club du mercredi, on appelait ça le club du mercredi, c’était extraordinaire. Et on venait, les personnes qui étaient à Bel-Air à l’époque, les infirmiers les descendaient au club et puis on passait un moment ensemble et à la fin on faisait plus que passer un moment ensemble, on préparait un repas et on partageait un repas ensemble, alors ce n’était pas cent-cinquante personnes qui prenaient le repas mais c’était le passage entre l’ouverture et la fermeture à 24h. Des gens qui venaient et de là est né, et c’est pour ça que je crois et je crois encore aujourd’hui que c’est extrêmement important la culture, les loisirs, les vacances. Parce que ça donne des occasions naturelles de pouvoir partager un moment de vie. Et ça c’était une découverte parce que tout d’un coup, bon évidement il a fallut dire : « mais ok pourquoi est-ce que telle ou telle personne ne viendrait pas en vacance avec nous ? » C’était une question, mais comment est-ce qu’on va faire ? Parce qu’on passait une soirée ensemble, vous passez dix jours ensemble, et là il y avait déjà une question. J’étais déjà convaincu de ceci mais j’avais une petite longueur d’avance par rapport à eux par rapport à, d’abord aussi à toute sorte de lecture et avec bah mon prof. Jean Jacques Eisenring qui, lui, pouvait aussi parfois mettre des mots. Alors nous sommes partis en vacance, on a organisé des vacances ensemble. On est parti, je retrouvais ça dans mes documents, on est partis faire des vacances à la montagne, entre autre dans les Grison.

Myriam : Vous êtes partis en quelle année ?

Dès les années septante-cinq. Avant le Quatre, avant la psychiatrie. C’est même plus complexe avec la psychiatrie.

Par contre on n’a pas pris, on en a pris deux trois, quatre, cinq mais jamais un grand nombre pour qu’il y aille…, je ne sais pas ou on est allé chercher ça au point de départ c’est peut être simplement nos peurs de pouvoir assumer la situation et simplement, la proportion de personnes non-handicapées, comme on le disait à l’époque, était beaucoup plus grande, on était à du quatre-vingt-cinq, quatre-vingt-dix pour cent et je pense que c’était important. Et les responsables sont entrés en matière, ce qui nous a fait, quand on a proposé ces choses là, et on a rencontré aussi les parents. Ça aussi c’était une redécouverte de dire mais « hun ! En fin de compte là mon fils, ma fille, il va partir en vacance », je ne sais pas si vous imaginez ce que ça peut représenter. Alors on fait ça et, comme vous avez repéré le centre universitaire de diagnostic et de soins de la déficience mental, il y a le mot universitaire derrière, c’est que constamment on était en situation de recherche et moi ça, ça m’a aussi ouvert les yeux pour la suite entre la recherche, l’enseignement et l’enseignement parfois c’était simplement donner une conférence. Et on a fait ça très rapidement où avec Bernard Paz, le psychologue, on a mené des études sur l’image sur les représentations que pouvaient avoir, alors avec des personnes moins touchées que celles que je vous ai nommé au point de départ… Quelles étaient leurs représentations de la population ordinaire ?, quelles étaient pour la population normale les représentations des personnes handicapées ou autre ? Comme on a fait une recherche à un moment donné qui a été publiée et même nommée dans un congrès à Washington. On est allé rechercher la population ordinaire qui ne connaissait pas et qui ne côtoyait pas. On a pris des catégories de population qui participaient au club du mercredi, qui participaient aux vacances, personnes handicapées, non handicapées qui ne participait pas au club. Alors on avait fait la recherche aussi avec des photographies pour pouvoir permettre à ces personnes aussi de pouvoir dire des choses. Et on s’était aperçu aussi que là, même si on appelait ça « club de rencontre » on était encore dans le côtoiement, il fallait encore aller beaucoup plus loin parce que, toute cette notion et je pense que c’est quelque chose d’important, euh de voir que ce que moi je voyais quand on se trouvait à Bel-Air entre soignant-soigné. Je vais le dire comme ça, nous on était dans aidant-aidé ou aidant et assisté. Effectivement dans exactement le même model, simplement on était à l’extérieur avec d’autre gens et autres. Et on a découvert ça au travers de la recherche, au travers des différentes rencontres, de… je dirait la supervision que l’on a fait de notre travail. Pour moi c’est quelque chose d’important d’avoir constamment des personnes qui sont à distance de ça et au travers de nos observations que l’on puisse dire : « voilà ce que nous réalisons, voilà ce qui se passe en terme de comportement, voilà ce qui se passe dans la rencontre ! Et aussi bien avec les personnes non-handicapées que les personnes handicapées.

On a fait ce bout de chemin, on est même parti en vacance trois semaines, on partait en Normandie. Je ne vous dis pas ! Partir trois semaines en Normandie sous tentes ?! On se donnait un peu, quand même, des moyens en terme de sécurité, mais nous sommes jamais partis avec du personnel médicalisé, parce qu’on se dit : « là-bas il y a un hôpital, il y a des infirmières à domicile, enfin tout existe. On utilisera ce qu’il faut. » Le choc c’était de voir combien ces personnes, en trois semaines, quittaient des comportements, que j’y reviendrais pour la psychiatrie, mais quittaient des comportements, commençaient à avoir des habilités. C’était sommaire mais plutôt que de faire, vous savez comme on le fait, d’encastrement avec des cubes et autres, qui sont, qui était des choses géniales et je pense qu’à faire avec des enfants et autres… Mais là, de voir ces personnes tout d’un coup parce que vous êtes euh vous faite du camping, vous êtes au bord de la mer, vous allez à la plage bah vous allez faire vos courses, vous faite à manger puis vous êtes avec ces personnes pour aller faire vos courses, pour faire à manger puis très rapidement un mot est apparu : leur donner des responsabilités, les responsabiliser. Voilà moi, je vous dis tout ça par rapport aux personnes déficientes parce que je crois qu’on leurs doit beaucoup, à ces personnes, ensuite par rapport à la psychiatrie. Ils nous ont appris beaucoup de choses, d’abord un parce qu’ils ont un rythme alors ils ont beaucoup de rituels, beaucoup d’aspects obsessionnels, comme nous du reste. Et puis à partir de là, vous savez c’est lent et il y a une application pour travailler avec ces personne c’est de découper tout. Vous voulez faire un apprentissage, nous on fait ça naturellement, mais avant de courir vous avez appris la marche et vous vous êtes peut être mis à quatre pattes ou sur le derrière pour avancer. Nous tous ça, nous on a oublié depuis et puis tous nos comportements, enfin tous ceux qu’on a intégré comme ça. Vous êtes avec une personne déficiente intellectuelle, faut refaire le chemin inverse parce qu’il faut commencer par adapter l’environnement pour que la personne puisse faire ses apprentissages très modestement puis certains font des apprentissages. C’est extraordinaire a voir, alors c’est eux qui nous apprenaient notre métier en même temps. Puis automatiquement si tout ça vous le découvrez et vous vous dites : « mais allons, faisons un pas de plus avec ces personnes », d’où l’histoire du logement, d’où après l’histoire du travail. Mais là, à cette époque toutes les résistances se mettaient en place automatiquement. Ce qui est bon pour eux c’est l’institution!

C’est extraordinaire mais vous vous êtes pris là dedans, dans ce modèle, moi j’étais pris. J’ai relu des textes, avant notre rencontre ce matin, il y a des choses je me dis : « mais attends Alain, t’a osé écrire des choses comme ça, t’allais pas au bout de ton idée ou de ce que tu voulais parce que tu fais parti du système, tu veux bien le déranger un petit peu mais jusqu’où ça va aller ? Et puis, c’est que petit à petit les choses se sont mises en place. Alors à partir de là, si vous voulez, c’est toute cette première partie qui moi me semble importante et est ce qui m’a fait créer à Caritas, ce qui existe je crois encore, ce qu’on appelait le secteur pour personnes handicapées. Donc vous savez, c’était à Caritas Jeunesse du premier responsable pour les séjours de vacance puis on a crée le secteur pour personnes handicapées. Ne me demandez pas la date je suis incapable de, je pourrais peut-être la retrouver mais… simplement pour continuer cette démarche. Et pourquoi Caritas ? Simplement parce que dans mon parcours à moi, j’avais des amis du quartier ou autre et puis je connaissais de Caritas et de pars la paroisse et tout ça, toutes ces choses sont nées comme ceci. Mais il y avait une idée derrière, qui était de sortir de l’hôpital, donc d’avoir une institution qui n’est pas une institution psychiatrique et je pense que ça c’est un point extrêmement important. Mais vous savez, on pense que on va faire des miracles et moi la même chose. J’ai aussi pensé que l’hôpital psychiatrique, et puis je continue à le penser aujourd’hui, ce n’est pas quelque chose d’excellent pour les soins à longue durée. Pour quelqu’un qui se trouve en situation de crise et je ne crois pas à l’hôpital, je pense qu’il vaut mieux comme ça a été fait, ici à l’hôpital cantonal, il y a un secteur pour la psychiatrie adulte pour accueillir les personnes en situation de crise, où comme ça s’est fait en Italie avec les centres de santé mentale, on y reviendra quand on parlera de la psychiatrie avec Basalia, Franco Rotelli. Et puis, au niveau des personnes déficientes, ok, on avait enfoncé un coin Caritas… le secteur pour personnes handicapées mais c’est une institution, c’est énorme Caritas, c’est sur le plan Suisse, sur le plan international et autre. Et derrière, alors on revient dans l’histoire il y a tout cet état d’esprit de charité. Okay. Je pense que c’est un mot extraordinaire mais qui était très, très mal utilisé et moi je crois que la question n’était pas comprise. Quand je dis la question, c’est que ces personnes ont le droit de citer. On n’est pas là pour les assister, pour leur faire la charité et puis pour simplement leurs donner à manger ou autre, non, ils ont des droits. Et ces droits, et si vous regardez la charte des personnes handicapées, c’est extraordinaire tout est dit dedans, dans les différents articles. Elle a besoin d’être un peu mise à jour même en terme de vocabulaire, parce qu’on parle d’handicapés, on parlait même pas de la personne à l’époque, ce n’était pas considéré comme des personnes. Moi ce que j’ai appris c’est que c’était des animaux, ce n’était pas comme nous. Et pourtant, ces gens là, lorsqu’il y a la rencontre et puis j’ai écouté ce que disait Jean Valse ou ce que disait Raymond Uldry quand il parlait de sa fille. C’est extraordinaire, je veux dire et je crois que c’est à écouter ceci, et de voir la manière dont ces personnes ont leur place, mais parce que, il faut que j’entre en matière… elles ont quelque chose à m’apprendre ce n’est pas que dans un sens, c’est dans la réciprocité qu’on n’avait pas, quand on avait le club du Mercredi ou les vacances au point de départ, c’est des choses qu’on a découvert.

Ca c’est le point de départ de la sociothérapie et ce service de sociothérapie moi je l’ai développé. Je l’ai développé, je l’ai quitté en quatre-vingt-trois parce que…, simplement pour d’autres engagements. On le verra après avec la mise en place de Trajet, il est difficile d’être partout et puis il y avait le lieu d’accueil le Quatre. Avec le professeur Eisenring, comme je vous l’ai dit, on avait la recherche mais en même temps on faisait savoir. Lui il écrit énormément, moi je ne suis pas très doué pour ceci, mais j’ai participé, j’écrivais aussi mais ce n’était pas tellement ma tasse de thé je suis plutôt un praticien. Mais je m’y suis mis, je trouve ça très intéressant de poser des mots et d’être capable de les fixer à un moment donné même en sachant qu’ils n’ont de valeur qu’aujourd’hui, au moment où vous les écrivez, après les choses évolues. Et moi je me suis retrouvé dans cette situation, d’écrire mais avec beaucoup de peurs de figer les choses parce que je les voyais évoluer dans la pratique et en même temps les figer c’était nous donner l’occasion de poser des hypothèses de travail et on a fait ça constamment. À cette période là moi j’ai commencé à apprendre un peu mon métier. Ce n’est pas tellement à l’école que j’ai appris, à l’école Pahud, même si je suis très satisfait de ce qui s’y est passé. Mais je veux dire on nous formait pour être à l’intérieur de l’institution, c’est tout. Et ça, c’est un sacré piège. On n’était pas là pour nous former, pour faire en sorte que les personnes deviennent des personnes et mettent en place leur projet de vie. Quelque soit le… On aura peut être l’occasion, beaucoup plus tard, de… je pourrais vous raconter une ou deux histoire de personnes grabataires avec qui ont a mis en place des projets de vie. Personnes grabataires qui étaient à Bel-Air, attachées, les mains, les pieds. Et quand vous voyez que ces personnes, je fais juste une petite parenthèse parce que moi c’est ce qu’elles m’ont appris, je ne vais pas conter cette histoire parce que ça prendrait trop de temps mais c’est de découvrir qu’elles ont des talents que moi je n’ai pas, elles n’ont pas ce que j’ai mais elles en ont…


Perrine

Au bureau de M. Dupont, le 31.10.2012 (Deuxième partie de l’entretien. Enregistrer à partir de la 45ème minute).

Cette personne aveugle ne parlait pas, simplement elle avait trouvé des moyens de s’occuper, parfois l’automutilation c’est aussi ça. Ce n’est pas simplement que dans la tête, faut bien que je m’occupe. Vous savez, être dans un lit 24h/24h ce n’est pas très drôle. Moi j’avais découvert cette femme, tout à fait par hasard, et puis grâce à une autre femme, qui était là avec moi quand je faisais la rencontre de ce pavillon, j’enseignais l’observation et puis les gens me disaient : tu es un peu secoué avec ce que tu nous dis. Viens voir la clientèle, il ne savait pas mon histoire et puis que j’en connaissais un petit bout. Simplement en faisant le tour, je vais l’appeler Marie, quand on est allé lui dire “bonjour“, elle a eu des mimiques sur son visage. Deux choses : tiens, il y a eu une nouveauté, ce n’est plus le même son de voix, et ma collègue avait un parfum, je ne sais plus lequel, et elle, elle avait perçu cela, à partir de cet élément là, vous pouvez construire un projet de vie. Et cette personne a le droit d’avoir un appartement ici, et d’avoir son projet de vie, et évidemment, dans sa situation, avec un accompagnement pour toutes les choses où elle a besoin d’être accompagnée. Mais il y a des choses je vais vous dire, je vais simplement prendre l’odorat parce que moi j’ai découvert cela avec les personnes comme Roland, aller faire le marché de Plainpalais ou faire le marché de Provence ou aller à la criée à Cherbourg, vous n’avez pas les mêmes odeurs, pas les mêmes bruits, les mêmes environnements, ça change tout. Et votre vie après, vous devez faire des choix, elle, avec le développement de son odorat, elle s’est mit à faire de la cuisine parce qu’elle est gourmande… et c’est ce que je disais, le découpage, tout ces gens me l’ont appris mais vous verrez que pour la psychiatrie, c’était extrêmement important. Le découpage c’était de dire, vous savez sur cette terre il y a un millier de sorte de pommes, elles n’ont pas toutes le même goût. Chez nous, il n’y en a pas beaucoup, c’est 5 ou 10 sortes. Vous verrez quand psychiatrie j’ai monté une petite entreprise avec le QUATRE, où on travaillait il y avait mille pommiers, et il y a une personne comme cela qui a travaillé là, je vous expliquerai cela parce que c’était aussi avec la notion du travail. Mais en même temps, Marie nous apprend qu’elle est capable de choisir ses pommes, vous allez au marché, si vous ne la mettez pas en situation, moi, c’est ce que j’ai appris, c’est l’expérience, c’est leur donner la possibilité de vivre des expériences pour que ces personnes puissent prendre leur responsabilité et faire leur choix. Les pommes il y en a plusieurs sortes et bien, elle peut les sentir, mais ensuite vous savez, même pour éplucher les pommes, ça existe depuis des dizaines d’années, ce petit appareil, comme elle avait la mobilité au niveau de ses membres pas de souci, elle pouvait éplucher les pommes et quand vous cuisez une tarte aux pommes chez vous, vous faites pas ça chez vous ? si… ça a une odeur… et Marie elle peut partager sa tarte aux pommes. Elle apporte quelques chose à la communauté, elle peut recevoir les membres de sa famille et puis avoir fait une tarte aux pommes, même si ma foi, elle n’a pas la motricité avec ses jambes, c’est pas bien grave cela, c’est même jamais grave.

Avant d’arriver au sujet concret du QUATRE, vous parlez des sorties au Bastion, au marché et les personnes avec qui vous partez en campagne, toute votre vie vous avez œuvré pour une certaine catégorie de personnes, à savoir les personnes dite déficiente, physique, mentale, psychiatrique et autre et je me posais la question, à savoir quels sont les liens que vous avez tissé avec ces personnes quand elles vous ont appris des choses, vous disiez justement, elles vous ont permis de voir les choses différemment, de passer de la théorie à la pratique et vous absorber de ces personnes, et qu’elles ont été les apports de ces rencontres et à quel niveau ? Est-ce que c’était plus personnel, plus dans les recherches à venir comme vous étiez en train de faire avec M. Eisenring en parallèle ? Ou est-ce que c’était au niveau humain que vous avez appris des choses sur vous ou sur les autres de manière général ? Plus se situer sur ces personnes et qu’est-ce qu’elles vous ont apporté ? Et peut-être même au final, vous ont aidé à construire le QUATRE ?

Le QUATRE, ce que je fais aujourd’hui ce que je suis aujourd’hui. Merci de votre question parce que je crois qu’elle est importante. Moi je crois que pour pouvoir travailler, mais rencontrer ces personnes j’ai dû m’ouvrir à moi-même. Je pense que ça, ça a été un point extrêmement important, c’est-à-dire m’interroger sur moi, sur qu’est la vie, sur c’est quoi mes valeurs, et je pense que ça c’est un point important qu’elle m’ont apporté parce que.. vous savez, moi j’avais appris qu’il y avait le bien et le mal, vous savez ces choses là. J’ai eu une éducation religieuse, catholique, qui fait qu’il y a le bien le mal, et puis le pêché véniel et mortel, je crois que je les ai pratiquement tous fait à part tuer du monde, parce que c’est bon la transgression, et puis ces personnes m’ont appris la transgression, m’ont appris l’humain, mais m’ont appris le fait que, là attend, Alain tu es qui dans cette situation pour te permettre de juger? Et pourtant, c’est important de porter des jugements, parce qu’il y a que comme cela qu’on peut construire aussi des relations. Enfin quand je vous vois, et c’est la même chose pour vous, simplement vous portez un jugement sur qui je suis, moi sur vous, mais simplement parce que je vous vois, je vous regarde et autre, par ce que je suis, et quand je vous vois, je me vois, vous êtes un miroir et les personnes, c’est d’accepter que ces personnes déficientes étaient un miroir pour moi. Donc est-ce que j’ose prendre le risque de m’interroger et d’oser prendre le risque qu’elles ont quelque chose à m’apprendre. C’est quelques chose qui m’est resté, donc oui j’ai rencontré des personnes, il y a des personnes avec qui je suis toujours en lien là aujourd’hui. Il y a des personnes que je n’ai jamais quitté comme relation, certaines oui, ça a disparu comme beaucoup de relations. Dans ma vie j’ai croisé des centaines, miliers de personnes, de part mon activité et puis certaines sont devenues des amis, et puis chez ces personnes, la même chose, simplement on ne partage pas toujours comme… je vous en parlerai quand on parlera d’ici et maintenant, moi j’ai des amis qui étaient là hier, je veux dire avec qui on partage le quotidien mais ces personnes… votre question est intéressante car il ne suffit pas comme professionnel de dire aux autres, rencontrez ces personnes, partagez des moments, soyez des amis! Il faut, c’est ce que j’ai appris et continue à mettre en place, balayer devant sa porte, mais en même temps faisant l’expérience avant de dire à d’autres de la faire comme professionnel, parce qu’il ne suffit pas d’être dans un bureau, il faut oser partager un repas et boire un verre avec mon ami Juan, qui habite juste en face et puis aller chez Servette, là à côté, et puis boire un verre avec lui et partager son quotidien, ou avec Patrick, même si ces personnes, parce que la vie est faite comme cela, les systèmes sont fait comme ça… Là, aujourd’hui, on retourne à l’enfermement et ces personnes, aujourd’hui se retrouvent en institution, c’est triste au possible, mais on est impuissant face au système, et je pense que c’est important de le savoir.

Avec le professeur Eisenring, on proposait logement, habitat, loisirs et autres. Il y a des choses qui continuent comme ceci mais on a créé des grandes institutions toutes ces dernières années. Et je pense que c’est quand même important de le savoir, oui c’est beau, à Genève on a énormément d’argent mais moi ce que je vous dis je l’ai réalisé, je l’ai proposé à des amis. Ils ont découvert au travers du club du mercredi, des vacances, il y a eu des rencontres, des vraies rencontres dans la vraie vie, comme ça peut se passer avec vous, des personnes de votre entourage, de votre quartier, ou comme ça, dans un tram, vous croisez un regard et vous tomber amoureuse, et puis à partir de là, moi j’ai des personnes aujourd’hui, vous imaginez, des années après, qui continuent à se voir, sont devenues des amis parce qu’ils partagent des repas une fois par semaine en famille, parce que la personne handicapée était pendant des années seule et autre, ça fait des années que cela dure, mais tiens, j’aimerai me trouver un logement, la personne fait marcher son réseau et autre, et je pense à une personne Patrick, il était en institution et ensuite en foyer et ensuite en logement, il a voulu déménager, il a fait marcher son réseau, c’est-à-dire les amis, comme vous et moi. S’il va se présenter dans une régis vous oubliez… on lui ferme la porte sur le champ. Et là je ne parle même pas de personne psychiatrisée, mais avec sa dégaine un peu tordue quand il marche sur le trottoir, c’est un homme extraordinaire, vous pouvez le rencontrer il prend son café le matin au début de la rue de Carouge. On se croise, on discute et autre, pas de souci. Oui des rencontres réelles, sur le plan humain, de personne à personne, c’est à dire que l’on a des choses à partager en terme d’émotions, de sentiments, des choses de la vie, moi je crois que c’est ce qui me permet de réussir ma vie, c’est la rencontre avec autrui, parce que autrui vient m’interroger. Est-ce que je suis capable de m’interroger par des personnes qui apparamment sont, peu ou gravement touchées. Si je me laisse touché par ça oui, pas de souci.

Pourrions nous revenir sur le QUATRE ?

Ça me semblait important les prémisses, vous comprenez, parce que la psychiatrie, vous savez, c’est un monstre… avec des professeurs, des docteurs, des médecins-chefs, des chefs de clinique, des infirmiers, des concepts, des DSMIII, IV, je crois qu’on est au V là maintenant qui augmente chaque fois parce qu’on définit les maladies, et puis il y a les malades et nous ! et avec Jean Jacques Eisenring on était au CPSU, Centre Psychosocial Universitaire de la Jonction, c’est intéressant en terme de désinstitutioNnalisation parce que psychothérapie institutionnelle, la biologie, et puis là on reparlera du professeur Tissot à qui on a confié ce secteur là, même quand il y a eu l’affaire d’Alain Urban, toute la structuration, je l’ai ici dans un texte. On lui confie après toute la chaire de biologie et puis Bierens de Hahn, tout ces gens qui avaient d’autres visions. Et avec Eisenring on a donné des journées d’études, on a présenté nos expériences avec les personnes handicapées mentales et le professeur Garonne, qui était en charge du CPSU. Il y avait deux personnes, le professeur Haynal, il était plus branché sur psychanalyse, et puis le professeur Garonne sur tout ce qui était psychatrie sociale. Ils étaient là les deux lorsque nous avions fait cette journée d’étude en 1975 et puis, Garonne, quand il a entendu ça, c’est un homme extraordinaire, en politique et autre… misère pourquoi pas faire ceci avec des personnes dites chroniques de Bel-Air ? Moi j’ai reçu un coup de téléphone, il y avait Jean-Claude Droze, qui était le directeur administratif du centre psychosocial. Là même chose qu’avec Einsenring, on s’est rencontré, on est allé manger ensemble… Est-ce que tu serais prêt à mettre en place la même chose que vous faites, on parlait du club du mercredi avec des personnes venant de la psychiatrie adulte dite chronique ? J’en connaissais un petit bout, là j’ai parlé des vacances et autres ,mais un champ que j’avais développé, ça va un petit bout sur le champ de ma formation artistique, j’avais développé tout le côté artistique des personnes handicapées mentales, à l’époque, et entre autre avec une artiste Françoise Regamet et on avait mis en place des ateliers, et quand j’étais à Bel-Air en sociothérapie, mais psychiatrique, pas avec les personnes déficientes intellectuelles, j’avais travaillé à Chougny, il y avait un pavillon en dehors de la clinique, tenez vous bien… vous allez comprendre, ça va rejoindre le QUATRE, on avait exclu les personnes dites chroniques à l’extérieur de la clinique, on les avait mis dans un pavillon a Chougny, vous savez le village… et il y avait une très belle maison de maître. On était de nouveau dans les soins et autres, et moi j’avais travaillé avec eux, avec ce que l’on trouvait à l’époque, j’avais trouvé de la peinture, et autres, toutes sortes de choses et autres, des dessins, on avait même fait une exposition pour dire venez voir ! Je crois que nous avons eu une personne quand même, c’était sympa…qui était venue de Bel-Air. Mais bref, nous nous avions eu notre plaisir et Garonne dit : Avec toutes ces personnes et les pavillons de Bel-Air, est-ce que nous pourrions mettre quelque chose en place d’eux-même ? Vous savez moi je suis plutôt un homme spontané pur, qui aime un peu l’aventure, je sais que j’avais dit oui, mais sur le champ, un peu inconscient quand même. Alors on va réfléchir ensemble et c’est comme ça que dans les années 75-76, une réflexion s’est mise en place, eux savaient aussi que je continuai de travailler à Caritas, j’étais formateur, professeur à l’institut d’études sociales et puis, à ce moment, on s’est dit mettre en place un lieu d’accueil, on a appelé ça comme ça, mais on voulait un lieu démédicalisé et dépsychiatrisé.

Garonne voulait un lieu démédicalisé, hors des soins, c’était sa vision même comme psychiatre, la psychiatrie sociale appartient aussi à d’autres personnes qu’au médecin psychiatre et aux infirmiers, je pense que là, ça me convenait, et on ne mettra pas cela en place, comme il existait à Bel-Air la sociothérapie au pavillon des Lilas, on mettra cela en place à l’extérieur. Comme j’avais le club du mercredi qui se passait au Pâquis, j’ai essayé de négocier avec Caritas, et les personnes qui étaient là à l’époque pour dire, est-ce que vous seriez d’accord ? les locaux qu’on utilise peu, c’était des locaux vétustes quand on les a pris, qui appartenaient à la paroisse Notre Dame mais qui étaient inutilisés depuis des années. Et puis, on a écrit, on a essayé de vendre notre histoire en disant on a besoin de vous Caritas, ce n’était pas l’aspect catholique, c’était simplement parce que l’expérience avait déjà été faite avec les personnes handicapées mentales eux ont été d’accord pour une année, et le centre psychosocial louerait les locaux, 5000 frs par an et puis. Eux on été d’accord qu'à l’intérieur il y ait le club du mercredi qui n’avait rien à voir avec le QUATRE. Ok ! On a mis cela en place pour les personnes, et le même mécanisme s’est fait, les personnes venaient de Bel-Air mais on avait cette idée dans ce que nous avions imaginé de faire venir les gens du quartier, c’était dans les objectifs. Ce n’est pas quelque chose qui s’est produit au départ. D’abord un, je pense que cela c’était une erreur, de faire rentrer les gens du quartier dans une institution plutôt que nous d’aller vers l’extérieur. Et le lieu d’accueil du QUATRE, nous avions aussi imaginé les permanences, en dehors, et volontairement, ce n’était pas toute la journée. Vous savez, la psychiatrie de secteur avait mis en place des ateliers protégés, des centres de jour, des centres d’occupation sociale, le COS, et même après il y a eu une plateforme, et à partir de là, on fait une permanence le midi de 11hoo à 14hoo et le soir dès 17hoo. Pourquoi on avait déjà cette idée, on ne veut pas que cela empiète sur les heures d’ateliers ou de travail, c’est des rencontres, un moment de partage avec d’autres personnes, et voilà comment est né le QUATRE, à partir d’un exposé qu’on avait pu faire et d’un travail et d’un intérêt et ce qui est intéressant, qui va bien avec les universitaires et les politiques justement.

Ok, on met ceci en place, pour une année après on verra, c’est génial, je saute sur l’occasion. Comme j’étais à l’IES, j’avais une équipe d’étudiants de travailleurs sociaux, un peu bouillonant, qui faisait la révolution à l’institut , moi j’étais là comme enseignant, et l’école d’assisants sociaux, m’a demandé de faire avec eux, car j’ai une formation dans ce domaine, de regarder la dynamique de groupe, et de faire l’enseignement et à un moment donné j’ai donné l’idée à cette classe, que j’allais ouvrir un lieu et que si des étudiants voulaient faire un stage, pas de souci. Je me suis organisé avec l’institut, j’étais leur praticien formateur. Il y a 6 personnes qui ont décidé de faire leur stage, et le 4 janvier 1977, on a ouvert ça au 4 rue des Pâquis, voilà pourquoi, c’est aussi simple que ça, on n’a pas chercher midi à 14hoo. L’immeuble où on a commencé a été détruit puis reconstruit, et simplement on a entamé avec nos permanences, et quelques personnes ont commencé à venir, et souvent on les descendait de Bel-Air, il y avait un service de transports, avec l’écriteau sur le côté comme ça on sait qui c’est qui vient! En terme d’image c’est assez intéressant. Et c’est extraordinaire ce qui s’est passé à ce moment parce qu’on se retrouve avec des personnes, ça n’a plus rien avoir avec la déficience intellectuelle, on a des gens brillants qui ont fait des études, des apprentissages, il y en a qui sont institutionnalisés ou qui sont à l’hôpital depuis 10-20 ans, il y a une personne ici, j’ai son dossier complet, et ceci rejoindra votre question, par ce que c’est elle qui m’a appris mon métier. Avec des gens, sous médication, avec des gens qui là, viennent voir, et on les rencontre, on s’assoit, partage un repas, on s’était installé un petit bout de cuisine, c’était modeste mais ça a eu un impact assez important au niveau des personnes mais aussi au niveau infirmier et médical. On s’était fixé une règle, il ne venait pas mettre les pieds dans ce lieu, car ce n’était pas un lieu de soins. Je crois que cela était important. Et là très rapidement ces personnes ont exprimé des désirs, besoins, et qui étaient par mon ami J-P : Ecoute Alain, toi tu as des amis, un appart, un job, moi j’aimerai vivre comme toi, quand on vous dit… Moi j’ai honte, je lui ai dit, mais soigne toi, quand ça ira mieux on verra ! J’ai honte… Vous savez ce qui m’a répondu ? Alain, ça fait 35 ans que j’essaye de me soigner ou que je me soigne, et vous êtes mal avec ça. C’est là qu’on vous renvoit des questions. C’est vrai mais est-ce qu’on peut se soigner à l’hôpital et vivre à l’hôpital ? là dessus il avait raison, c’est tout d’un coup il vous renvoit des choses de la vrai vie, c’est-à-dire ce que vous vivez. Mais vous, comme on est dans la psychiatrie, et je vais parler des peurs avec les personnes déficientes, là vous avez encore les chocottes, parce que des crises il y en a eu. Des gens qui ont tout cassé, des gens qui vous agressent, et ça c’est nos mots, ce que l’on s’aperçoit, c’est que nous étions pas capable d’être à l’écoute réellement de ces personnes et de leurs besoins, il ne suffit pas de les nourrir et d’avoir un toit.

Alors, avec l’équipe du QUATRE, c’était extraordinaire, on faisait un point systématiquement. Mais tous les jours étaient notés les informations, j’aimerai remettre la main dessus. Il y a des observations de toutes les personnes et une fois par semaine, on s’arrêtait un après-midi pour remettre toutes ces choses, et pour savoir où on allait. Et en même temps comme c’était un stage, ils avaient des comptes à rendre à leur école. Une des choses qui avait été dit à la direction administrative, au CPSU et à Bel-Air, si l’expérience est positive, on continue. En juin, on fait le point, un rapport avec tous le monde, la direction administrative mais en 6 mois, vous ne pouvez pas changer quelque chose qui a pris 35 ans, une personne a pris 35 ans pour essayer de dire que effectivement elle est une personne et pas uniquement une malade, qui pousse des cris pour pouvoir s’en sortir et se faire entendre, mais plus elle poussait des cris, plus elle voulait se faire entendre, et plus on médicalise parce que vous voyez bien, elle est en crise. On a vécu toutes ces choses là, et pourtant il y a eu une évolution, on est parti en vacances, je vous dis pas, j’avais entraîné cette équipe à partir en vacances, à Rochefort du Gard. On arrive à Rochefort du Gard avec toute l’équipe du QUATRE, et une dizaine de personnes dites malades mentales, on avait loué là-bas une petite maison. La personne vient nous ouvrir. A la personne décrite comme la plus folle: "Bonjour, parfait, vous êtes arrivés, entrez, je vais vous montrer que vous puissiez installer les personnes". On a commencé comme ça, c’était la personne la plus touchée, elle n'avait vu que du feu, elle ne devait pas savoir qui était qui, ça devait être la responsable, on s’est regardé, comme ça, c’est ça les apprentissages, vous êtes là et vous vous dites là il se passe quelques chose. Je reviens… la direction administrative nous dit on arrête là, il n’y a pas d’argent. Alors là, pour ceux qui me connaissent je monte les tours, je deviens un peu mauvais, vous nous faites faire cette expérience, c’est pour quoi, écrire un article ? Parce que là vous nous dites, il n’y a pas d’argent, d’abord un, vous le saviez avant, vous nous avez promis quelque chose là vous n’avez pas le droit de… Je veux dire c’était assez virulant, on s’est réunis à notre retour de vacances, on est en 77, fin juillet 77, on se retrouve toute l’équipe chez un des membres, on travaille toute la journée on fait quoi ? On va vous cherchez du travail, moi je dis, je poursuis qui poursuis ? Sans argent … tout le monde était partant, un engagement de ces gens là , pas dans la semaine des 35 hrs, on décide de poursuivre, à partir de là, on a annoncé à Bel-Air et au Centre Psychosocial qu’on poursuit. On poursuit jusqu’à décembre, et puis les gens non non, on continue. On a mis tellement les gens mal à l’aise que l’expérience était en train de grandir que 6 mois plus tard, on essaye de faire les fonds de tiroirs. Très bien, nous on est d’accord de vous payer de 6 mois en 6 mois. Les gens ont été d’accord d’avoir des contrats de 6 mois en 6 mois, et puis d’année en année, jamais de contrat fixe, c’était renouvelé tout le temps. Tellement mal à l’aise et au vue de la progression, voyant les résultats que les personnes pouvaient obtenir pour elle même, ils ont même décidé de payer le rétroactif. À partir de là, c’était important qur des gens puissent s’engager. Le lieu d’accueil s’est mis à vivre, s’est mis à être à l’écoute, de pouvoir rencontrer des personnes dites malades chroniques, c’était pour des incurables vous comprenez, parce que vous vous apercevez que personne n’y croit que ces personnes ont un potentiel, des capacités, peuvent modifier quelques chose dans leur vie. Mais il n’y a pas que les soins, il y a aussi les aspects psychosociaux, et il peut y avoir un partenariat qui se met en place sans créer la confusion… Mais vous y connaissez rien M. Dupont, vous n’êtes pas psychiatre, vous ne pouvez pas savoir le nombre de fois que je l’ai entendu, vous, les personnes la maladie mentale, stop, je veux dire, même si j’avais suivi les cours de Ajuriaguerra, Garonne, au même titre que font les personnes psychiatres en dehors de la médecine avant, je veux dire, je peux vous conter quelques anecdotes, on a rencontré des personnes, je pourrai vous citer des parcours de vie mais on voulait que le QUATRE puisse vivre, tout en faisant partie, mais en étant à l’extérieur, du centre psychosocial, et on verra qu’il y a toute la naissance de TRAJET mais grâce aux personnes, nous ont aimerait bien avoir des activités et c’est comme cela que le potager de la Vendée à été mis en place au QUATRE, on en parlera la prochaine fois mais c’est le point de départ, mais c’est identique aux personnes handicapées mentales, là c’était des personnes dites chroniques dans un lieu démédicalisé, où on peut tenir compte des réseaux naturels qui existe au sein d’un quartier, au sein de la vie en général, voilà en deux mots.

7 novembre: Trajets 1977-1979 (19 juin) (Diona, Sandra) Hôtel, pension Sila, rue Jean-Robert Chouet (arrêt Tram)

1.== Diona : == A la fin de votre exposé, sur le Quatre, vous avez parlé de démédicalisation ou désinstitutionalisation?. Peut-on considérer la création de «Trajets» comme une stratégie, une sorte d’encouragement à la continuation de la mouvance antipsychiatrique ?

2. Sandra: question sur le thème des nuances: désinstitutionnaliser pour libérer les gens: entre "flicage (cf chap 2 "mort de l'asile", P. 51) et "abandon" des patients à eux-mêmes. Quelle procédure de suivi pour respecter au mieux la liberté des patients? Que faire quand la liberté des patients confronte les questions de sécurité de "la cité", des familles, du personnel soignant et du patient lui-même? la société peut-elle participer à la désinstitutionnalisation; à quel prix?

A. Dupont : L’hôtel pension Silva (on aura l’occasion d’en reparler) : cet hôtel qui était une entreprise, mais c’est la suite du Quatre et de Trajets et de T-Interaction, en tout cas un aboutissement aujourd’hui avec toutes les recherches que l’on continue de faire pour offrir du travail à des personnes en difficulté sociale ou psychosociale et en fait, c’est un hôtel qui a pris forme ces dernières années et puis qui a une particularité, c’est d’accueillir des personnes qui peuvent être en difficulté, il y a quelques chambres. Il y en a aussi pour les étudiants à revenus modestes et puis la majorité ce sont des touristes puisqu’on ne veut pas recréer un ghetto, mais c’est l’occasion pour ces personnes aussi de se rencontrer, de se croiser et parfois de prendre un petit déjeuner ensemble, je pense que c’est un point important, et puis, pour repérer peut-être aussi … mais comme tout ce que l’on fait aujourd’hui … mis en place. Ici, nous travaillons systématiquement sur le beau et après en termes d’esthétisme ou autre, il y a des goûts différents, mais c’est notre volonté, nous travaillons qu’avec des professionnels. Il n’y a pas de sociaux ou de psychosociaux qui se retrouvent ici à travailler à l’hôtel, ce sont des professionnels de l’hôtellerie, je pense que c’est un point important, et en plus, cet hôtel qui est aussi unique puisqu’il est adapté sur les 5 étages à des personnes à revenus réduits, et en plus, il y a des chambres avec chambres pour accompagnants attenantes pour des personnes à mobilité réduite, donc l’hôtel commence à être connu. L’établissement est utile entre autre sur le plan international et est fréquenté par des gens qui voyagent avec des personnes à mobilité réduite accompagnées. Diona : A la fin de votre exposé sur le Quatre, vous avez parlé de démédicalisation, désinstitutionalisation : peut-on considérer la création de Trajets comme une stratégie, une sorte d’encouragement à la continuation de la mouvance antipsychiatrique ? A. Dupont : Merci de votre question : cela permet de faire le lien avec ce qui a été dit la dernière fois avec la création du Quatre, lieu d’accueil et qui avait été créé si vous vous souvenez en 1977. Mais c’est au travers de ce lieu que l’on a pu prendre conscience des besoins qui étaient exprimés par les personnes. Je pense que c’est un point important, parce que les personnes se disaient au travers des rencontres et c’est là que nous avions commencé les premières expériences en termes d’habitat ou en termes d’activités hors du lieu, et si vous vous souvenez, Caritas était impliqué dans cette action et a mis fin très rapidement après une année de fonctionnement, ce qui nous a invité à réfléchir comment nous pourrions poursuivre. Quand on parlait de démédicalisation, je pense que c’est un point important, pour qu’il n’y ait pas de confusion, ce n’est pas un lieu où il n’y a pas de médication, c’est un lieu où, et vous verrez qu’il y a même des incohérences parfois au travers de notre discours, de ce que nous mettons en place, mais par manque de moyens au point départ, mais c’est en fait que nous souhaitions qu’il n’y ait pas une équipe d’infirmiers qui fassent partie du projet. Je pense que c’est un point important, nous l’avions vu avec le Pr Gaston Garrone et le Dr Goldmeister, simplement le fait d’avoir un lieu qui soit dans la cité, même hors des murs de l’institution psychiatrique, c’est dans ce sens là démédicalisation. Je pense que c’est important et puis Trajets va poursuivre ceci. En 1978, quand Caritas a décidé de mettre un terme à notre relation, je crois qu’ils ont eu peur de prendre ces risques là avec nous, mais très rapidement au travers de la réflexion, je pense qu’on est dans le champ de l’antipsychiatrie ou de la dénonciation de ce qui se passe dans les hôpitaux psychiatriques ou dans le champ de la psychiatrie. J'ai eu eu la chance de rencontrer 2 personnes Jean Vannier, je pense que c’est un point important, qui avait mis en place des communautés pour les personnes handicapées mentales au point départ en créant l’Arche, j'ai passé quelque temps, quelques jours à Compiègne en France. Jean Vannier est une personne qui vient du Canada et qui a réalisé toute son activité au départ à Compiègne en France, là maintenant sur le plan international, puisqu’on retrouve l’Arche dans tous les pays et en vivant avec cette communauté personnellement, cela m'a ouvert les yeux sur le type de rapports, de relations qui pouvaient être créés avec les personnes. Mais il y a eu une autre chose, c’est que Tony Lainé, a sorti son film, «La raison du plus fou» et j'ai été marqué par ceci, comme toujours parce que je ne peux pas m’empêcher de ceci , et je les a appelés et je les a fait venir ici à Genève, et on a passé plusieurs jours avec Tony Lainé et j'ai même retrouvé mes notes, c’est extraordinaire, je ne savais pas que j'avais conservé ceci, mais en travaillant j'avais invité d’autres personnes qui souhaitaient passer ces quelques jours avec nous. Il y avait l’équipe du Quatre et les futurs professionnels du Trajets qui se trouvaient là, et Tony Lainé a été assez clair au niveau de la psychiatrie, sur la manière dont on peut prendre pouvoir, je reprends ses mots sur les personnes au travers du regard que l’on pose au niveau d’une personne dite psychiatrisée, je vais le dire comme cela que l’on ne leur donne pas tellement la parole, qu’on est pas tellement à l’écoute, nous avons commencé cela avec le Quatre, et en fait cela a pris corps et nous avons dès 1978 commencé à réfléchir avec différentes personnes, puis entre autre Lainé est reparti dans son pays, mais avec des personnes d’ici, mais ce qui est important et cela va dans le sens de ce que vous dites démédicalisation c.à.d. que nous sommes allés cherché des gens de la communauté tout de suite, cela allait de gens du politique, de gens de monsieur et madame tout le monde, qui fréquentaient aussi le lieu d’accueil pouvant simplement venir passer un moment avec ces personnes. Nous nous sommes réunis, nous avons travaillé ensemble pendant une année pour pouvoir en même temps réfléchir, mais pour pouvoir dire quelle structure il est possible de mettre en place, je crois que c’est important, une structure qui permette la participation, qui permette la souplesse, qui permette de cheminer en toute liberté, je crois que ce que j'avais appris entre autre à Trieste, avec Basaglia, parce qu’on voit à Trieste à un moment donné, sur un des murs de l’hôpital quelque chose d’extraordinaire : «la liberté est thérapeutique». je pense comme le dit Tony Lainé, je crois qu’il explique aussi cette part de liberté comme quelque chose d’essentiel dans la construction de toute personne. Donc, on a cherché une structure souple qui nous permette de faire ceci, on verra que la souplesse est parfois relative aussi. Mais en même temps à Genève, je pense que c’est important, avec l’ouverture du lieu d’accueil nous avions réfléchi, si vous vous souvenez aussi à ces questions liées à l’habitat, lié à l’occupation, à l’activité, et est né aussi le foyer Gevray, la responsable du foyer Gevray était une travailleuse sociale, mais c’était permettre à des personnes de la Clinique psychiatrique de Bel-Air de faire le pas et d’aller en foyer. Ceci en vue pour cela je le précise là maintenant, parce que vous verrez qu’à Trajets, avec la construction on a mis en place des possibilités de logement pour ces personnes, mais que les personnes fassent des apprentissages. On croyait à l’époque que le passage hôpital il y avait la nécessité d’aller en foyer, puis ensuite d’aller en appartement collectif, puis ensuite d’aller en appartement individuel, avec tous ces aspects là aujourd’hui, je pense que c’est une erreur, on aura l’occasion d’en reparler de cela. Mais n’empêche que c’était extrêmement important et la même chose était un lieu ce foyer aux Pâquis, et puis pas très loin du Quatre, et les personnes fréquentaient aussi le lieu d’accueil donc, c’est toutes les prémices, mais en même temps c’est pour cela que je dis qu’il y avait aussi des contradictions, on avait pas les moyens, un infirmier en psychiatrie avait été engagé à cette époque, il avait été détaché par Bel-Air pour l’animation psychosociale, s‘est il pas beau cela? une animation psychosociale ? Mais bon c’est comme ça ! Durant cette même année nous avions créé ce qu’on appelait le potager de la Vendée, c.à.d. un lieu de travail parce que, comme il y avait des besoins donc, on est toujours dans les prémices de Trajets, et vous allez voir l’importance que cela a pu prendre par la suite, c’est parce que c‘est ce qui a permis aussi de montrer que nous pouvions aller un peu plus loin que simplement le lieu d’accueil ou l’accompagnement psychosocial des personnes. Donc, on avait trouvé un terrain à Chêne-Bourg, mais je vais vous dire aussi pourquoi je veux dire en toute honnêteté, c’est parce que comme travailleurs sociaux, qu’est-ce qu’on sait faire de nos mains ? On s’est dit planter des légumes, je veux dire cela qui paraît assez simple, donc on a mis cela en place, on a trouvé ce terrain, on l’a défriché, on nous l’a mis à disposition, et c’est devenu le potager de la Vendée. Parallèlement, comme on faisait des travaux temporaires de vendanges, peinture, réfection de locaux, nettoyages, préparation des repas, on avait créé toutes sortes de petites activités qui n’étaient pas sur la durée, les vendanges, c’est le temps des vendanges, mais en même temps cela nous permettait de découvrir qui étaient les personnes, autrement, différemment comme le disait Tony Lainé, quel regard il est capable de porter ? Cela nous avait ébranlé quand même, toutes ces réflexions, et son film, je vous invite à le regarder, je pense que l’on peut le trouver encore aujourd’hui, et on avait parallèlement même mis en place un atelier vidéo autour de la formation, c.à.d. de pouvoir en même temps utiliser, cela se faisait beaucoup à l’école, et c’était un des premier atelier de vidéo ici à Genève, qu’on avait mis en place, et on le louait, c’est une manière de se faire de l’argent, mais en même temps de se poser avec les personnes, et puis de regarder un peu quels étaient nos attitudes, nos comportements, comment on s'y prenait avec ces personnes et tout ça dans le monde ordinaire et dans le monde social et pas du tout de la psychiatrie. On a même, puisqu’on se trouvait au 4, rue des Pâquis, mis en place un atelier de réparation de meubles, je veux vous dire la petite histoire cela va vous parler, Caritas avait son dépôt de meubles vous savez comme la Renfile au CSP, qui se trouvait à la rue Plantamour, derrière la rue des Pâquis, en voyant tout ça je me suis dit, là il y a une occasion de faire quelque chose, on était aussi dans «le faire avec les personnes», mais pas uniquement dans l’entretien, parce qu’il y avait d’abord tellement l’habitude de ceci, parce que influencés par la psychiatrie, la psychanalyse et autre, la psychothérapie, enfin toutes ces personnes avaient l’habitude, et quand ils se contaient, ils parlaient mieux que les psychiatres de leurs maladies. Je crois qu’ils les connaissaient aussi bien sur le plan théorique, parfois en termes d’introspection, pour voir modifier quelque chose ou changer quelque chose de leur vie. On s’est dit faisons des choses avec ces personnes en vue de créer une relation, et on a mis en place cet atelier de réparation de meubles, qu’on a quitté après parce que, comme c’était en lien avec Caritas, c’est devenu le Carré qui avait mis en place (le nom me revient : M. Zanoli), avec qui on a créé ceci, et après cela a été repris puisque son nom est connu par Jean-Marie Viennaz, mais c’est pas lui sur le moment le Carré. Parce que le Carré c’était un sigle, je ne sais plus ce que cela signifiait et je pense que c’est important de voir ceci. Avec l’accompagnement à la vie sociale, l’organisation de vacances, de week-ends de loisirs en Suisse et à l’étranger, tout cela, c’était les prémices de Trajets. On avait du matériel pour travailler avec les personnes qui étaient d’accord d’entamer et de réfléchir sur la création. C’est comme cela que toute cette étude pour la création d’une association au travers d’un groupe de travail de recherches d’un futur comité, il fallait bien qu’on trouve des personnes qui avaient envie de s’engager, et on a créé le 19 juin 1979 l’association Trajets. On a créé alors, je vais vous le dire, les moyens qu’on avait, c’est pour ça quand je vois la différence avec aujourd’hui, dans la salle où l’on se trouve, on a créé cela autour de la table de ping-pong, parce que j'ai toujours conservé cette image. Et à l’intérieur de cette première assemblée constitutive, et bien, il y avait toutes sortes de personnes, et monsieur et madame tout le monde, mais cela allait déjà dans nos valeurs des personnes, on les appelait des usagers du Quatre, étaient présentes et cela dès le point de départ, j'ai voulu que les personnes concernées participent et soient présentes, parce que ce sont elles qui savent leur histoire, et le changement ne peut s’opérer que si elles sont actrices au sein de la communauté, mais aussi que ces personnes puissent être actrices du changement qu’elles veulent avoir pour elles-mêmes. Je pense que c’est un point important. On avait même des gens du département, je dis ceci parce que nous avions été cherchés des politiques, mais on avait entre autre le secrétaire général du département, qui aujourd’hui s’appelle l’action sociale, cela avait un autre nom à l’époque, et le secrétaire de ce département a joué une histoire, parce qu’il s’était implanté dans toutes les associations genevoises, mais on verra beaucoup plus tard, c’était aussi celui qui était le moteur de la destruction de Trajets ou de sa volonté à un moment donné. Tout cela pour des questions idéologiques, politiques, parce que comme je viens de vous le dire, nous souhaitions, nous ne voulions pas que ceci soit étatisé, et je pense que c’est important, donc on a créé cette association qui avait pour but la création, la gestion de secteurs destinés à répondre aux besoins spécifiques de jeunes et d’adultes éprouvant ou ayant éprouvé des troubles psychologiques ou des difficultés d’intégration à la vie sociale. Cela sont les premiers statuts, ce que je viens de vous dire maintenant de 1979 autour de cette table pour l’assemblée constitutive. Nous ne sommes pas allés chercher, il y avait des sociaux bien sûr, parce que d’abord c’était mon milieu mais ce qui a été important, c’est que la présidence avait été prise par William Lenoir. William Lenoir était juge à la cour, je ne le connaissais pas, mais c’est par quelqu’un qui était bénévole, et c’était son beau-père, je lui ai dit cela vaut la peine de le rencontrer, je prend son téléphone, je l’ai appelé, j'ai souhaité le rencontrer et je lui a expliqué ce qu’on était en train de mettre en place. Ce qui est extraordinaire, c’est qu'il n'avait aucune connaissance de tout cela, mais il a accepté et il dira plus tard, parce qu’après, quand il a été remplacé pour des questions de santé à l’hôpital, juste avant de décéder, il lui a dit, parce que c’était extraordinaire qu’il avait modifié sa vie, changé sa vie depuis qu’il a découvert cela, et il avait même changé sa manière d’entrevoir les personnes quand il y avait procès. C’était fabuleux à entendre. Mais on ne le savait pas au départ, mais cet apport des personnes dites psychiatrisées à l’époque à la communauté, parce que tout un coup il a découvert des personnes, il a pas découvert que les malades, parce que par le regard que l’on porte, on pose une étiquette sur les gens. Ceux qui viennent au début, ce sont des malades, nous avons essayé d’aligner tous ces mots volontairement, mais cela a pris du temps, c’était extrêmement difficile parce que nous-mêmes sommes imbibés de ces choses là, il a dû transformer beaucoup de choses dans sa vie, dans sa vie personnelle, professionnelle, pour essayer de modifier, puis d’être un peu innovant c.à.d. de prendre des risques c.à.d. de sortir de la sécurité que nous offre les institutions. Pour lui c’est aussi cela la désinstitutionalisation, c’est partir en dehors des sentiers battus, prendre ce risque là. C’était extraordinaire de voir cette évolution, et on a repris dès cet instant là, toutes les activités qui étaient au Quatre, le potager de la Vendée, les week-ends, les vacances, les camps d’accompagnement, et pour pouvoir fonctionner nous avions du personnel, c’étaient des travailleurs sociaux qui étaient prêtés par les IUPG, car nous n’avions pas la possibilité de financer quoi que ce soit, on avait aucun moyen, et vous verrez combien c’est difficile, et puis, on se réunissait, on avait même pas de locaux, le Quatre existait comme lieu d’accuei,l mais Trajets tout d’un coup se retrouvait sans locaux et comme, … à Annemasse … on se réunissait toutes les trois semaines, parce qu’en même temps c’était un comité, et en même temps on réfléchissait à la mise en place de tout ceci. Donc, c’était en même temps un peu un comité exécutif. Je pense que c’est important de voir ceci. Personnellement j'étais là comme bénévole, j'ai constitué mon activité au service de sociothérapie, que j'avais mis en place comme consultant et très rapidement en reprenant toutes ces activités il y en a une que je n’avais pas nommée, mais qu’on a arrêtée, parce que quand je disais qu'on est parti avec ce potager de la Vendée, il y a une autre ou l’on faisait le marché aux puces, on vendait des frites, on faisait cela avec une personne, mais c’était l’occasion deux fois par semaine avec toujours cette idée d’être en lien direct avec la communauté. Ce dont nous étions aperçus au Quatre, lieu d’accueil, nous voulions que l’extérieur vienne au lieu d’accueil, c’est une utopie, c’est du rêve ceci. On pensait que les gens du quartier des Pâquis allaient venir. Au point de départ, ce sont nos amis, c’est nos connaissances, c’est nos propres réseaux qui sont venus, cela s’est élargi un petit peu mais très très peu. Donc l’idée c’est d’aller sur l’extérieur et de mettre en place des activités sur l’extérieur, c’est pour cela le marché aux puces, c’était quelque chose où de toute manière on était confronté avec des personnes, mais il y avait un lien étroit avec le Quatre. Il pense que c’est important, aussi parce qu’on a poursuivi, le Quatre a permis le lancement de l’association Trajets, mais en même temps il y avait des liens étroits, puisqu’on s’est retrouvé avec la même clientèle, en fait, puisque ce sont principalement des personnes dites psychiatrisées, dites chroniques qui venaient à Trajets, et c’était cette volonté là, d’offrir à ces personnes, on était pas du tout dans la convention, nous accueillons des personnes qui ont un très très long parcours ou passé psychiatriques. Cela aussi était une question, après nous sommes ouverts à toutes sortes d’autres personnes comme nous le faisons aujourd’hui. Mais je pense que c’est important, parce que nous avons découvert des gens qui avaient un syndrome institutionnel très très important, qui n’avaient même plus la possibilité de dépasser ceci. Syndrome institutionnel c.à.d. il s’est construit à l’intérieur de l’institution, c’est tout cela son cadre de référence et des repères, il ne peut même plus essayer d’imaginer ou de penser qu’il existe autre chose et qu’il pourrait peut-être penser autrement. Donc avec ces personnes nous avons poursuivi, en essayant très très modestement d’améliorer leur qualité de vie, je pense que c’est un point important, puisque on a poursuivi la démarche avec le foyer, également parce qu’on offrait habitat, travail, loisirs, vacances, culture, et si vous vous souvenez aussi dans l’atelier de sociothérapie, il avait mis en place aussi des ateliers de création, on va y venir puisqu’on en a créé un pour ces personnes là, et puis au niveau de l’habitat, il y avait un lien étroit avec le foyer. Mais comme je vous est dit, on devait passer par un passage obligé, c’est même contradictoire avec ce que l’on pensait, nous n’étions pas suffisamment à l’écoute des personnes, voilà ce que tu dois faire, voilà le parcours que tu dois suivre, je ne sais pas si vous vous souvenez, je dénonçait cela quand j'étais à Cery, et pourtant, c’est tellement ancré en nous, puisque nous on sait, c’est pas eux qui savent alors que ce n’est pas vrai, mais maintenant on tenait le discours responsabilisez-vous, et en même temps on leur disait, voilà ce que vous devez faire pour réussir, grave, non ? Non, si je reprends des faits précis, c’est la honte d’avoir osé avancer des mots comme cela, et puis des choses qu’on entend encore aujourd’hui, et avec ces personnes, ce sont ces personnes qui ont construit Trajets, parce qu’elles étaient aussi au comité, puis on les rencontrait quotidiennement.


Sandra: Dès 1981 parce que LE QUATRE continuait à vivre et à organiser l’asssociation, c’est que c’était quelque chose qui était devenu important parce que ça se chiffrait quand meme à des dizaines de personnes au niveau des statistiques de la fréquentation. Et il y avait des listes d’attentes. Quand je regarde ceci, je me dis, c’est un peu bizarre d’écrire des attentes mais c’est vrai qu’on n'avait pas les moyens et qu’il n’y avait rien d’autre à Genève. Je pense que sur le plan de la psychiatrie il y avait les ateliers protégés de la rue Modoir et du boulevard divoit, je ne sais pas si vous avez connu ces choses là ; c’était François Grasset qui avait mis ça en place. Son nom me vient là maintenant. Il était un psyciatre. François Grasset qui avait fait la mise en place lui a développé tous les ateliers protégés d’occupation et protégés. Mais quand on allait voir ceci et qu’on était dans l’occupation entre 9h et 15h ou entre 10h et 16h c’est des choses de cet ordre là... De nouveau avec des sociaux comme nous; la seule différence c’est que nous on était implantés dans l’environnement et qu’on avait pas dans le même atelier 20 ou 30 personnes. Je pense que là il y a une petite nuance. Mais ce qu’on a fait c’est qu’on a négocié aussi avec les UPG pour avoir un minimum d’argent c’est-à-dire par le biais de professionnels. Et on 1981 eh ben les UPG nous ont fait un prêt important, à l’association TRAJETS je pense que c’est important de signaler parce que ça montre aussi l’intérêt qu’ils portaient à ceci. Ils ont fait un prêt financier que l’on devait rembourser un jour. Il n’a jamais été remboursé enfin ça a été écrit mais parce que c’est devenu un don vous connaissez les institutions, je veux dire quand vous avez changé d’année ce n’est plus dans les comptes, je veux dire, ce sont des choses qui disparaissent. En même temps nous avions commencé à créer aussi un des baraquements, on était vraiment sous équipés, dans l’église St François à Plainpalais. ça vous dit quelque chose, ils existent toujours ces baraquements. Il y avait des baraquements derrière l’église qui étaient inoccupés. Alors moi j’ai été voir les responsables de l’église et on avait pu prendre ces baraquements et c’est là qu’on avait créé aussi un secteur de travaux de bureaux. En même temps ça faisait toute l’administration de TRAJETS et au moins on avait un bureau qui était à notre disposition. Donc c’était un secrétariat puis qu’est devenu un... C’était un secrétariat fait avec des bénévoles je pense que c’est le point de départ de cette organisation où le bénévolat était extrêmement important. Mais avec des gens compétents dans le domaine parce que vous avez besoin d’une comptable, vous avez besoin d’une secrétaire ... Ce qui est aussi important c’est qu’on a commencé nos premiers contacts avec l’office général des assurances sociales, que ça c’est une longue histoire avec Berne pour essayer de leur dire voilà ce que l’on met en place... Mais il faut que vous sachiez que dans la loi de l’AI et dans les articles 74 et 73 le mot psychiatrie n’existe pas , pas avant 98. C’est important de savoir ça parce que c’était un combat, pour dire alors les gens étaient à l’AI oui mais attendez ce ne sont pas des handicapés mentaux, ce ne sont pas des handicapés physiques, ce ne sont pas ... Parce que vous pourriez faire le parallèle avec ce que Jean Wahl expliquait dans la création de l’association pour des parents et amis de personnes handicapées mentales ou celle de Clairbois c’est la même chose. C’est une association de parents qui a mis ça en place et pour eux il n’y avait pas trop de difficultés pour trouver les fonds. En psychiatrie attendez on est dans les soins vous comprenez et c’est là que tout d’un coup cette histoire de milieu médical revenait sur le tapis. Parce que vous avez à faire à des malades. Il a fallu se battre moi le 33 rue Fingestrasse je le connais par cœur je sais où on prend le train à Genève et où on atterrit à Berne j’y suis allé un bon nombre de fois, je les ai fait venir pour qu’ils comprennent. Et vous savez on avait aussi des personnes je pense aux travaux de bureau dans les travaux de bureau on avait une personne qui venait travailler. c’était une belle femme comme vous et qui vient travailler ici. Cela se voit en quoi que cette personne a des difficultés quand ils sont venus ils la voyaient travailller elle était dans une phase absolument extraordinaire. C’est une femme qui était maniaco-dépressive et qui était attachée à un radiateur complètement prostrée dans un coin. Quand moi je l’ai rencontrée la première fois avec des gens qui sont de l’ADUPSI, la MPDINA et c’est lui qui m’avait appelé « j’ai quelqu’un ici moi je pense que on peut faire autre chose que simplement une vie à Bel Air". Alors je suis allée la voir j’ai dit mais ou lala, il fallait la voir qu’elle était mais prostrée dans un coin je lui ai dit bonjour on a échangé quelques mots . J’ai revu MEDINA juste après je lui dit « mais attends voir elle peut sortir » « mais bien sur pas de souci » et je lui ai fixé un rendez-vous dans le bistrot à côté de Bel air, au début de l’avenue de Bel Air. Elle est venue. Le comportement était totalement différent . Mais quand vous la voyez à Bel air vous la voyez au bistrot... C’est comme ça qu’on a commencé son projet. C’est une personne qui a fait un apprentissages d’employé de commerce par la suite, qui était dans un des appartements dit communautaire et cette personne leur phase (???XXX) ils la voient en santé sur le moment « monsieur Dupont vous êtes en train de nous conter des histoires, je veux dire ces gens là peuvent travailler». Et puis ils venaient inspecter deux trois fois par année. On avait des subventionnements. Mais quand ils sont revenus mais « elle est où la personne que j’avais vu » « ben là elle avait été en crise elle se trouvait à Bel Air ». Là un petit déclic s’est fait quand même. Et je pense que c’est important parce qu'il a fallu se battre tout au long, ça ce sont des faits importants pour faire reconnaitre le fait que ces gens là ont des droits. Ils ont le droit de cité. Ils ont les mêmes droits que moi par rapport à leur vie. Et puis ben le PHASE petit à petit est entré en matière parce que c’était des conventions. Mais je dois dire que j’ai eu la chance de rencontrer là-bas entre autre un responsable, qui était extraordinaire, qui lui avait pigé, alors est-ce qu’il avait un membre de sa famille ou une connaissance. Et il m’a donné les clés sur comment rentrer. Je ne vous dit pas, je ne l’ai jamais dit à personne je ne suis pas sur que je le dirais un jour. Et c’est grace à cet homme si nous avons pu entrer à LEPHASE et créer des postes à partir de l’année 1983. Il m’a donné une clé sur comment entrer en la matière, c’était extraordinaire, il avait tout pigé. Intervention de Sandra : je me permets de rebondir (mais oui) sur le droit de cité que vous venez juste de citer à l’instant. Un peu auparavant vous mentionnez puis vous insistez un peu qu’on tenant à ce que les gens soient plus libres et à leur accorder la liberté. Mais ils sortent quand même d’un cadrequi étagit très lourd enfin ils avaient des repères . du coup ils passent de quelque chose où ils sont très encadrés, on aimerait leur accorder la liberté, est-ce qu’il n’y a pas un risque qu’ils soient abandonnés à eux-mêmes ? comment ça a été fait pour, enfin vous avez parlé , vous avez déjà mentionné ça des appartements communautaires, qui sont devenus appartements individuels mais quand même ils ont été habitués à des repères ils deviennent seuls. Quel, quel chemin , où on en est aujourd’hui et aussi, par rapport à ce droit de cité eub ben les personnes , vous avez dit que les personnes elles doivent elles-mêmes s’introduire et puis arriver sur l’extérieur parce que l’extérieur ne vient pas à eux . est-ce que, comment justement on pourrait éduquer cette cité qui doit ou qui peut ou ne peut pas accueillir ces gens qui arrivent avec leurs propres problématiques ?

Merci vous en avez d’autres des questions comme ça. Vous avez deux questions.

Oui il ya deux aspects.

Redites-voir la première, juste un mot.

La première en gros c’est entre abandonnés à eux-mêmes et trop de repères de l’institution.

Oui. Parce que je pense que quand je disais que c’était fait de façon empirique... vous savez au début on ne savait pas, on est tombé dans l’extrême et je pense que c’est important de le savoir parce que nous ne voulions pas que la communauté sache que ces personnes étaient des personnes psychiatrisées, qu’elles avaient un lourd passé, un long passé psychiatrique. Et pourtant pour certaines personnes même si on n’est pas dans la déficience mentale ou physique, certaines personnes ça se voit. Juste là à côté rue de la prairie on avait un appartement un des appartements qu’on avait eu, tout ça on louait les appartements, je crois que c’est important de savoir ça. C’est une volonté aussi qu’on soit aux prises avec chaque citoyen donc les gens devaient aussi payer. Donc il y avait des négociations aussi avec le financement lien avec une assurance invalidité ou autre pour avoir les gens ou d’autres fonds. Ici à la rue de la prairie on avait strictement rien dit. Et il y avait un homme qui était là et quand vous voyez son visage noir, sombre, qui descendait les escaliers, qui allait faire ses courses et qui remontait puis qui croisait les gens et qui, pour vous ça vous paraissait naturel... Parce que, là on se trouve au début des années 80, ça fait 10 ans que vous faites ça, vous vous êtes habitués à autre chose. On avait rien dit à l’immeuble. Un dimanche matin, la police m’appelle. Il y a une plainte comme quoi un des petits enfant d’une famille de l’immeuble a été violé. Vous êtes mal. Tout de suite vous débarquez. Puis vous regardez Et il y a une plainte qui a été déposée. Et tout. Alors là à ce moment là vous dites on est tombé dans l’autre extrême c’est pour ça qu’on s'est pris différemment. Même l’histoire n’existe pas. Simplement les gens avaient la trouille, de voir cet homme. Les enfants avaient la trouille et eux s’étaient mis avec d’autres personnes de l’immeuble vous comprenez et puis je pense le raz de bol. Je pense que la gamine est rentrée en pleurs parce qu’elle avait été acheté du pain ou je ne sais quoi. Et on s’est posés. Je résume. On s’est posés avec tous ces gens là. Et on nous nous sommes aperçus là que ces gens mais les avaient comme ça vous savez. Je veux dire et moi je pense que c’est naturel, normal. Et en même temps dans la réunion... Moi j’ai fait une réunion avec les gens de l’immeuble une réunion avec les gens de l’immeuble mais les gens aussi. Tout ça pour s’apercevoir que tous ces faits étaient complètement erronés. Mais en même temps leur disant droit dans les yeux « votre place est à Bel Air ». Puis vous vous êtes là vous dites, attendez et on a pu entamer comme ça on a découvert dans le dépôt des plaintes parce qu’ils avaient un membre de leur famille qui n’avait pas de logement et eux en disant votre place est à bel air voulaient récupérer l’appartement pour pouvoir loger les gens parce qu’en plus il étaient en lien avec le propriétaire que j’ai fait venir à un moment donné et on s’est assis. L’appartement il existe toujours où il y a des personnes dedans. Simplement. C’est pour ça que votre question est importante. C’est parce que on avait l’expérience vous savez les foyers Gevrets et autre on s’est dit non on ne va pas continuer cet étiquetage, on ne va pas continuer à prendre pouvoir sur eux, on va prévoir l’imprévisible en permanence et c’est ce qu’on fait tout le temps pour se rassurer soi-même: on prévoit l’imprévisible. Là simplement on allait beaucoup trop loin dans cette histoire vous comprenez. Alors j’ai plein de petites anecdotes comme ça mais ce qui nous a permis de réajuster...

Si vous prenez un appartement on s’est reposé la question de l’ordinaire, comment ça se passe dans l’ordinaire. Vous déménagez, vous téléphonez à vos amis à votre famille et vous pendez la crémaillère. Nous on n’a pas fait ça vous comprenez. Vous allez dire bonjour aux voisins au concierge etc ! Nous on était complètement à l’extérieur de ceci. Je pense que ce sont des faits importants qui nous ont permis de comprendre que nous nous devions nous y rendre différemment avec les personnes pour entrer en matière leur donner la possibilité de rencontrer aussi les autres personnes. Il faut savoir que tous les appartements, tous les locaux loués, il n’y a pas une régie qui était d’accord de la donner à l’association Trajets. Pas une. Donc je me suis retrouvé à avoir des locaux dans tout Genève, à mon nom. C’était le seul moyen. L’appartement était à mon nom. Je veux dire c’est, parce que personne ne voulait prendre le risque et c’est encore des choses difficiles comme ça aujourd’hui dans la même situation. Au-delà de la situation de logement qui est extrêmement tendue mais personne... Donc c’était faire un choix. Puis après j’ai trouvé des personnes qui prenaient le logement, j’en ai un peu rendus. Actuellement j’en ai encore à mon nom mais petit à petit j’ai ajouté l’association parce que on a le droit là maintenant, il y avait aussi ça à l’époque, là maintenant on peut avoir deux noms pour un logement. Je veux dire je mets l’association . Alors ça c’était un point important. Et simplement pour tout ce qu’on a fait on a commencé et c’est ce qui nous a invité aussi à organiser des fêtes à peu près tous les deux ans on a organisé des fêtes pour faire connaitre, mais faire connaitre à la population, faire connaitre aux politiques . Parce que moi le premier conseiller d’Etat que j’ai rencontré m’avait dit « mais faites vos preuves, quand vous aurez fait vos preuves on verra bien » . C’était la première reflexion. Je veux dire alors mais c’est gentillet tout ça pour 60'000 francs de subvention qu’on demandait. Et pourtant et pourtant avant celui qui est parti de Prechet, c’est la secrétaire générale était une travailleuse sociale qui elle comprenait et qui nous soutenait mais quand vous êtes assis il y a le conseiller d’état puis vous etes là avec sa secrétaire générale vous pouvez défendre tout ce que vous voulez c’est une question de fric, de budget, de tout ce que vous voulez. C’était constamment comme si mais si vous remarquez c’est le même mécanisme qu’on avait pris. C’est-à-dire le conseiller d’état on va le voir puis on lui dit « mais croyez nous » . aux gens de l’immeuble, « croyez nous ». et cette expérience de la rue de la prairie je l’ai vérifiée à plusieurs endroits ; ce qui fait qu’on a modifié. Parce que je crois que d’aller à l’extérieur d’où l’organisation de fêtes mais d’où l’organisation de, je veux dire, on va dire bonjour aux voisins, on apprend à dire bonjour aux voisins, on apprend à, tout cela s’est modifié à la rue de la Prairie. Les gens, ensuite, se rendaient des services. Comme quand vous avez besoin, vous avez plus de sucre un soir, vous avez invité votre copain et vous allez faire une bonne tarte aux pommes ou je ne sais quoi puis tout d’un coup vous avez plus de sucre , vous allez sonner chez le voisin. Les magasins sont fermés etc. Est-ce qu’on peut partir de cet ordinaire ? C’est ça. Et là moi j’ai appris que d’aller dans les extrêmes parce que j’ai été très souvent dans les extrêmes comme ça vous savez de, de faire en sorte de dénoncer quelque chose. Mais ça reste vous comprenez. On a eu un décès récemment ici, il y a dix jours, dans cet hôtel . Les travailleurs sociaux ne se sont pas déplacés. Il est mort ici. Je vous conterai l’histoire à un autre moment mais moi ça me fout dans une rage. On aurait été à l’époque, on était à l’époque, moi je débarquais au casse pour leur dire ce que j’en pensais, vous comprenez, puis je faisais un scandale! Là aujourd'hui je m’y prends un peu différemment parce que c’est les personnes qui vont payer derrière. Là vous savez et puis quand vous avez vu ça puis vous dites attendez ya du personnel il se trouve là et autre, pas de souci, vous savez Monsieur c’est vendredi midi. Cet après-midi on est fermé. Oui mais attendez on vit dans la communauté! Alors c’est ça l’histoire vous comprenez.

Et puis vous aviez une deuxième question.

(Sandra) Est-ce qu’il était possible d’éduquer justement la cité et comment on peut appliquer

Moi je crois que l’éducation du public est un point extrêmement important. Là aujourd'hui si vous remarquez ben il se passe quoi dans la réalité de la vie et je vais faire une petite, une petite parenthèse . Dans l’analyse, je vous ai amené le passe droits parce que je vais vous dire pourquoi je vous ai amené ça. Parce que j’ai eu l’occasion en, de découvrir cet ouvrage et de découvrir des formations qui vont avec. Et ça c’est en 83. Et j’avais lu un article aussi de Wolfenberger qui a écrit la valorisation des roles sociaux. Mais son article qu’il écrit avec un monde dit combien la valorisation de la personne et ensuite la valorisation des rôles sociaux. Ce qui est important c’est la valorisation des rôles sociaux et pas tellement la valorisation de la personne parce que vous pouvez valoriser une personne à l’intérieur de l’institution ça ne va strictement rien changer , vous comprenez. Et puis c’est en lien avec votre question ça c’est le programme d’analyse du système des services c’est un outil d’évaluation des institution en vue de la désinstitutionalisation. C’est quelque chose qu’il avait mis en place. Moi quand j’ai vu ça je suis parti faire des formations, c’est les Canadiens qui faisait ces formation dans le nord de la France à Caen et à St Lo. J’en ai fait je ne sais combien et j‘ai découvert les gens très rapidement, et j’ai décidé de venir à Genève pour lancer la valorisation des roles sociaux. Et pour la valorisation des rôles sociaux on m’a fait aussi découvrir une personne Jacques Pelletier qui est cité dans cet article je dois dire d’art Wolf et qui est le premier un des premiers à avoir utilisé la valorisation et Jacques Pelletier est toujours consultant ici donc voyez ça date il arrive là prochainement puisqu’il vient 4 fois par an il vient nous aider à réfléchir sur tout ce qu’on met en place. Parce que ça rejoint votre question et là à l’intérieur vous avez entre autre ces choses là se sont améliorées après il y a le passé toute sorte de choses, mais il a un item qui est éducation du public. Wolf avait pensé à ça, comment est-ce qu’on s’ prend il ne suffit pas de dire on va dans la communauté puis on va voir il ne suffit pas dire voyez l’environnement c’est quelque chose d’important, comment est-ce qu’on va s’y prendre pour entrer en matière avec la population. Tous est fait selon moi parce que c’est surement le plus important c’est pour ça qu’on a commencé par mettre en place des fêtes et les gens se cotoyaient, les gens se croisaient etc. et comme vous le verrez pour T-Interaction on est vraiment au fait de ça. Mais en même temps on s’est fait lancé des article dans la presse, on s’est fait en sorte que nous soyons bien implantés dans l’extérieur vous comprenez. Lorsque vous êtes dans une dans un immeuble je vais prendre l’immeuble rue de Carouge et rue de la Maladière de Minoteries où vous avez regroupé dans le même immeuble Clairbois, avec toutes les délinquances avec euh je cherche le nom là le , vous avez regroupé encore tout plein il y en 5 ou 6 ou 7 institutions dans le même village, vous oubliez on ne parle plus d’intégration . C’est terminé parce que vous avez regroupé dans le même endroit tout le fait pour nous de réfléchir sur si on veut faire éducation du public si vous, enfin vous êtres là-bas à la Migros rue de Carouge sans faire de publicité parce que je les ai croisés vous avez dix personnes déficientes ah oui parce qu’après il y a les minoteries encore qi se trouve à côté des EPI de la Comble je veux dire et vous trouvez à la Migros et vous voyez tout d’un coup « ah je vais me dépécher je vais faire mes courses ici il n’y a personne » vous avancez puis derrière vous voyez qu’il y a un rayon à 9 personnes et puis trois éducatrices qui sont là une qui tient le billet, l’autre qui prend dans les rayons et puis vous avez celle qui met dans le chariot, qui tient le chariot. Et puis vous avez les 9 personnes qui sont là vous savez qui regardent comme ça, c’est arrivé dernièrement. On n’est pas dans l’éducation du public parce qu’on se rend compte qu’on doit faire peur vous comprenez. On va montrer que ce sont des incapables, des incompétents le fait qu’ils ne sont pas rien, tout simplement plutôt que de partir des besoins. Moi je les vois passer depuis mon bureau, vous voyez où est mon bureau (non vous n’étiez pas là) simplement vous les voyez passer sur le trottoir alors comme il y a Clairbois ben c’est des gens très touchés en terme d’infirmité motrice cérébrale mais des gens géniaux mais si vous vous mettez avec cent de chez là dans le groupe il va passer comme tous les autres vous comprenez. Avec san de chez là pour s’en sortir il a dû quitter l’institution aller dans la vraie vie. Et puis à partir de là vous les voyez passer sur le trottoir ils sont un deux trois quatre cinq six dix fauteuils roulants à se pousser l’un derrière l’autre puis à discuter entre éducatrices et éducateurs . On n’est plus dans l’éducation du public . Parce que les gens changent de trottoir moi je l’avais vécu quand je vous avais raconté vous comprenez. C’est de faire en sorte pour moi l’éducation du public se passe dans l’expérience, dans la rencontre que les personnes puissent se croiser donc créons des évènements, créons des lieux où les personnes peuvent se découvrir parce que toute personne, il y a plein de personnes ici à Genève qui n’ont pas de difficulté quelle qu’elle soit vous comprenez là simplement elles sont peut être un peu plus marquées mais si, parce moi je vois bien et j’aimais bien ce que disait Laimé sur notre désir de mort par rapport à ces personnes . C’est pas un désir de vivre là vous savez quand on les accompagne en camp à , c’est pour ça qu’on prévoit tout et on organise tout mais plus vous allez alors ça c’est ce qu’a mis en place Trajets c’est tout un travail en individuel, un travail individuel avec chaque personne parce qu’il n’y a pas une personne qui se ressemble il n’y a pas une personne qui aime , on a tous des besoins ( ???) pas de souci mais à partir de là il suffit de vous regarder je veux dire il n’y a pas une personne qui est habillée de la même chose vous avez pas les mêmes envies, vous avez pas les mêmes désirs etc etc . Est-ce qu’on peut construire à partir de là ? Tout le fait dès les années 80 alors ce qui avait été mis en place ce qu’on avait mis en place c’était des programmes individualisés à l’intérieur parce que c’est devenu des plans de services PSI plans de service mais qui restaient à l’intérieur et travaillant avec Jacques Pelletier puis à partir des rôles à partir de la valorisation des rôles sociaux eh bien simplement c’est comme ça qu’on a créé le projet de réalisation de personnes et la réalisation de soi avec une visions élistique et pas uniquement dans un champ mais la communauté est présente là dedans les proches les amis familles et autre parce que eux aussi souffrent de ces situation et en même temps comment est-ce qu’on pourrait se rencontrer. Vous pouvez traiter des questions on l’a fait à Trajets qu’avec le réseau des personnes De la communauté qui eux s’investissent mais tout ceci il faut leur faire découvrir. Parce que quand vous avez une personne en crise, tout le monde disparait. J’aurai une histoire fabuleuse à vous raconter mais ça prendrait trop de temps, sur la construction et la reconstruction des réseaux personnels qui vont jusqu’aux fait que des personnes je vais prendre en terme d’emploi je pense à cette femme je vais l’appeler Marie-Claire, cette femme Marie-Claire elle était complètement isolée chez elle, les volets fermés, s’alcoolisait, ne mangeait plus enfin bref. Il lui restait un ami. Qui est venu me trouver parce qu’il faisait ce que je faisais et que je connaissais. Cet homme « moi là j’ai une personne c’est terrifiant » je ne vous décris pas je suis allé la voir et puis quand je l’ai rencontrée je l’ai écouté mais j’ai tenu 20 minutes pas plus je suis parti en courant. Le vieux réflexe il est toujours présent « ah il faut qu’elle parte pour Belle-Idée » mais vous vous donnez des curs. Puis je partais en voyage en Canada ça m’a permis de réfléchir je lui ai dit « à mon retour je viens vous voir ». Je suis venu mais ce qu’était intéressant dans ce qu’elle racontait de sa vie c’est qu’elle nommait des gens, des prénoms. Nous sommes partis de ceci pour reconstruire et moi je l’ai aidée à reprendre contact avec toutes ces personnes et on a fait un première soirée. A l’intérieur de ses amis il y avait une femme psychiatre qui travaillait à Belle-Idée. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que ça signifie. On s’est rencontrés on avait préparé nos connaissances et autres il y avait les membres de la famille, il y avait les petits neveux, toute sorte, elle avait un réseau extrêmement important c’est parce qu’on est dans l’éducation du public quand je dis ça . Et puis à partir de là ben « bonjour, Marie-Claire avait envie de vous rencontrer  » puis là, on avait préparé elle a pu dire des choses avec son amie etc puis elle dit alors la psychiatre « oui mais » enfin bref je dis « stop » je la connaissais je dis « madame là vous êtes comme amie, pas comme psychiatre, donc vous restez amie » parce que tout d’un coup elle voulait prendre le contrôle quand on dit pouvoir, on sait aussi où se trouve le pouvoir et puis Marie-Claire à un moment donné, dans la préparation, s’est de ses besoins « ben moi là je ne suis pas capable de sortir, le week end je suis toute seule je ne peux pas aller à la pharmacie je ne peux pas aller faire mes courses euh je suis incapable » elle hurlait de douleurs c’était dans sa tête et physique et autre, fallait reconstruire tout ça. « attendez, qui est prêt pour venir là remarque il y a 20 personnes, on les a fait parler vous comprenez qu’est-ce qui fait que vous avez laché Claire-Marie » « ah, moi c’est mes propres peurs qui ont fait que ». tout était reconstruit jusqu‘au travail. On a retrouvé un travail à mi-temps elle faisait deux choses c’était une artiste et puis en même temps elle faisait du secrétariat des choses comme ça. On a trouvé un mi-temps de secrétariat. Une de ses amies compétentes dans le domaine a vu l’employeur. Marie-Claire était là (montre de la main vers le bas) son amie était là (montre de la main un peu plus haut) et on a fait comme ceci. C’est-à-dire que tout le travail était exécuté. On a dit à l’employeur « vous avez aucun souci » l’amie elle vous coute rien et puis Marie-Claire a fait comme ça (montre de la main vers le haut) et puis l’amie a fait comme ça (montre de la main vers le bas) jusqu’au moment où tout était bon puis elle a eu son job. C’est le réseau, c’est la communauté. L’employeur il en était mais complètement gaga de voir que simplement. Alors ce qu’on a fait aussi j’ai repris « madame il faut vous soigner » je fais le lien avec les soins je veux dire moi il faut entrer en matière on va quand même faire une vérification sur le plan des soins physiques et puis psychiatriques. Elle m’a dit « oui oui vous venez me chercher» je suis venu la chercher elle a quitté la jonction et là il y a un couple médical de psychiatres alternatifs qui sont juste en-dessous. Il y a quelques années de ça pour venir de la jonction jusque là ça m’a pris une matinée parce qu’elle devait rouler à deux à l’heure tellement elle avait peur. Pour vous dire. Où vous faites le choix de l’ambulance où vous faites pas, y a toute sorte de choses à construire comme ceci en fait le 60, je ne sais plus comment on l’appelle je vous décrivais de la situation vous vous dites « c’est pas possible ». Sa santé physique allait bien, santé mentale on avait quelques questions, elle avait quelques questions quand même à régler. Alors mais c’est éducation du public je vais vous dire parce qu’il y avait les parents qui étaient là. Cette fameuse soirée on en a fait plusieurs comme ça le père mais m’a agressé en me disant « vous m’excusez mais là elle a besoin de soins, il faut l’interner » et elle avait la psychiatre qui était là « non » « comment vous êtes prêts à faire quoi pour votre fille » vous comprenez. Mais juste ça (montre de la main un peu, on vous demande pas de faire ça (montre de la main beaucoup) mais comme père là vous êtes prêts à entrer en matière et puis c’est un chemin qui se fait. Et avec la population c’est la même chose vous comprenez mais quand il y a côtoiement, quand il y a rencontre, ici il y a des personnes, je pense à une personne on a un homme d’affaire qui est resté plus de trois semaines ici c’était pendant les fêtes de Genève il a côtoyé des gens qui se retrouvaient là qui sont venus prendre un café il causait avec. C’est la personne qui a des difficultés qui ne travaille pas qu’est allé faire le tour avec lui des fêtes de Genève, qui lui a montré comment ça se passe à Genève. Lui il a appris quelque chose et la personne qui a des difficultés aussi. Mais nous on favorise ça c’est pour ça que je dis il faut créer l’évènement. Alors si vous voulez nous on a construit petit à petit toutes ces choses avec les différent lieux qu’on a pu mettre ne place à Trajets en terme d’accueil, d’accompagnement psycho-social mais ça rejoint votre question. Je pense que c’est un point important il y avait des travailleurs sociaux on a mis en place les ateliers, les entreprises pour offrir du travail on a mis en place des possibilités de vacances, de loisirs, culture, euh on a mis en place aussi pour permettre à ces personnes là de se rencontrer. Ce que je disais avant. De créer des évènements on a mis en place des possibilités d’habitat. L’idée derrière n’était pas simplement d’avoir, de devenir totalitaire comme association mais simplement de répondre aux besoins et ensuite on avait d’autres qui prenaient le relais comme ça s’est fait à un moment donné à la FHP ici à Genève a repris toute l’histoire du logement etc. qui a été reprise ensuite par les EPI et autre on aura le temps d’y revenir sur le système de balancier mais l’idée c’était chaque fois de se dire en partant des besoins est-ce qu’on va créer mettre en place quelque chose. Je pense que ça c’est fondamental. Et ça depuis les années 81. On aura l’occasion de se parler aussi de tout la euh la jalousie et puis toutes les attaques qu’il y a eu je pense que c’est important et vous verrez les risques aussi de la, mettre en place ceci. Mais je vais m’arrêter là pour aujourd'hui . Merci pour vos questions.

14 novembre: Pyramus T-interaction 2002 (Isabelle, Daphné) au restaurant même

Isabelle: À la fin de l’entretien de la semaine passée, vous nous aviez fait part des vives réactions que l’intégration de personnes en rupture sociale a suscitées au sein de la société, en raison des logements et des emplois qui leur ont été attribués. Quelle ampleur ont pris ces mouvements et comment Trajet y a-t-il fait face ?

Daphné: Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à créer T-Interactions à la suite de Trajet sachant que ces deux associations semblent poursuivre les mêmes principes, et visent les mêmes objectifs, c’est-à-dire la mise en œuvre de plans d’action contre l’exclusion ? (Qu’a apporté de plus T-Interactions par rapport à Trajet ?)

Isabelle: Comment a été accueilli ce nouveau projet par la société et dans quelle mesure avez-vous été soutenu par la classe politique, tant du point de vue idéologique que financier ?

Isabelle: Comment avez-vous procédé pour la concrétisation de vos projets, tels que le Cult café, l’hôtel Silva ou la yourte aux fondues ?

Isabelle: Comment un partenariat s’est-il mis en place pour la construction du restaurant « La Pyramus » dans lequel nous nous sommes réunis aujourd’hui ?

Daphné: Pouvez-vous nous parler de votre expérience d’Audit (AD Consultant). Pourquoi vous êtes-vous lancé dans cette voie ? Avez-vous constaté des changements importants dans les pratiques des professionnels ?

Daphné: Depuis les années 70 jusqu’à nos jours, de nombreux progrès sont survenus dans le domaine de la psychiatrie et de l’antipsychiatrie. Quels seraient, selon vous, les domaines qu’il faudrait encore développer pour atteindre un idéal démocratique ?


Ce restaurant vient d’être inauguré, si vous vous souvenez. En quelques mots, on collabore avec le Jardin Botanique pour qu’il y ait des synergies qui soient créées, puisqu’il y a 150 employés qui travaillent au Jardin Botanique.

Cela fait quand même beaucoup!

M. Loizeaucf. index, le directeur, enseigne en biologie à l’Université. C’est important de savoir qu’il y a des conservateurs et 4 à 500'000 visiteurs par an ici, au Jardin botanique. Mais on en reparlera quand on parlera de T-Interactions.

Madame Ruchat :

Bonjour et bienvenue ici au Pyramus. Donc, je vous remercie de vous être déplacées depuis Uni-Mail pour venir au Jardin Botanique - ce n’est pas à côté - pour continuer le 3ème entretien (14.11.12) avec Alain Dupont sur la question des entreprises sociales, en particulier T-Interactions qui fait suite à Trajets. Donc, cela nous permet d’avancer dans cette biographie où l’on voit non seulement une œuvre sociale mais aussi le travail d’une personne au sein d’une collectivité et on voit aussi avancer cette idée de l’antipsychiatrie puisque c’était le départ de notre périple dans notre cours, la question de l’antipsychiatrie s’est transformée en quelque sorte, passant d’une certaine contestation, je dirais presque de la rue, des années 70 vers une sorte d’entreprise sociale intégrée dans la collectivité avec toutes les difficultés aussi, les résistances. On en a vu un certain nombre et on verra peut-être aujourd’hui, dans le récit d’Alain Dupont, la suite de ce travail. Alors,je passe la parole aux deux étudiantes qui l’interrogent aujourd’hui.

- Bonjour, M. Dupont.

- Bonjour.

- Durant l’entretien de la semaine dernière, vous nous aviez fait part des vives réactions que l’intégration de personnes en rupture sociale a suscitées au sein de la société, en raison des logements et des emplois qui leur ont été attribués. Vous nous aviez raconté quelques histoires assez marquantes. Et justement, on voulait savoir quelle ampleur ont pris ces mouvements et comment Trajets a-t-il fait face aux réactions de la société ?

- Merci de votre question. Je vais tenter d’y répondre sans y mettre trop d’émotion parce que cela a été une période extrêmement vive au niveau des réactions qu’il y a eues. J’avais raconté l’anecdote de "la Rue de la Prairie" mais vous allez voir que ça a pris de l’ampleur à un moment donné. Il y a eu quelques événements déclencheurs que je vais citer parce qu’il y a eu des réactions qu’on peut voir au niveau de la population mais aussi au niveau du travail social. Il y a eu beaucoup de réactions au niveau politique aussi, sur le plan idéologique. Alors, si vous vous souvenez, on a toujours été, avec Trajets, assez innovants, créatifs dans ce que l’on a mis en place car on essayait de passer à autre chose que de simplement vouloir aider la personne. On voulait faire en sorte, et avec T-Interactions cela est flagrant, que cette personne puisse être actrice et puisse avoir sa place puisque, même au début de Trajets, dès l’instant où l’on avait créé l’association, en 1979, les personnes avaient leur place, même au sein de l’association. Ça, c’était sur le papier. Cependant, je pense que dans la réalité, en fin de compte, ces personnes, nous les considérions toujours comme des personnes à aider. C’est pour ça que le mot je l’ai modifié à un moment donné et que l’on est entré dans "l’accompagnement". On verra les nuances après avec T-Interactions. Et puis, j’avais aussi évoqué la notion de « totalitaire » parce qu’on regroupait le logement, le travail, l’accompagnement psychosocial, les loisirs, les vacances, les centres de jour, enfin tous ces éléments, et les gens voyaient ça aussi comme quelque chose de totalitaire. Mais ce qui était le plus marquant à un moment donné, c’est que c’est au travers du travail qu’on s’est principalement rendu compte des choses. On avait tout cet aspect des loisirs avant qui nous avait montré le chemin. Mais le travail a été le révélateur parce qu’à Genève, si vous vous souvenez, le Dr Grasset avait mis en place les ateliers du Boulevard d’Ivoy et de la Rue Maunoir, ateliers dits « protégés » au sens de l’OFAS, l’Office Fédéral des Assurances Sociales. Et puis, à partir de là, en mettant en place ces éléments, nous avons voulu prendre la tangente, mais, dans les faits, en termes de subventionnement, ça restait identique aux ateliers protégés, sauf en termes de nombre de personnes accueillies. Je pense que ça, c’était l'un des premiers éléments, mais à l’intérieur des premiers ateliers comme l’atelier de reproduction et d’impression, que ce soient les centres de jour ou le Trajets-jardin que l’on avait mis en place à Chêne-Bougeries, il y avait chaque fois des travailleurs sociaux à l’intérieur qui n’étaient pas forcément des maîtres socio-professionnels comme on le voit là, maintenant, même si la formation existait à Lausanne. La formation pour les MSP avait été mise en place par l’ancienne Ecole Pahud. Et puis, on partait avec les travailleurs sociaux qui étaient à l’intérieur de l’entreprise. Puis, à un moment donné, on s’est rendu compte qu’on faisait plus de social que donner un rôle de travailleurs aux personnes et je pense que ça, c’est un point important, parce que c’est l’un des éléments des crises qui se sont produites. Il y en a eu plusieurs quand même. La première, c’est parce qu’au travers des évaluations aussi faites par l’externe, au travers de nos observations, nous nous sommes rendu compte que nous dévalorisions les travailleurs sociaux en les mettant dans ce champ-là. Mais cela n’a pas été compris comme ça. En tout cas, moi, mon idée, c’était de redonner une place aux travailleurs sociaux, leur place de personnes accompagnantes, responsables avec les utilisateurs de nos services de leurs projets de vie, quelque chose de plus global et puis parce que le travailleur social a besoin de se rencontrer, il a besoin de parler, il a besoin de colloques, de réunions, il a besoin de pouvoir partager tout ce qu’il vit avec les personnes et avec d’autres partenaires.

Lorsque vous vous trouvez dans l’entreprise, on n’est pas dans le même monde. Je vais prendre l’exemple de l’imprimerie que nous avons mise en place, qui existe encore aujourd’hui mais qui s’est également transformée. Et bien, simplement, le responsable, Robert Vanderlan, qui avait une sensibilité sociale, lui, avait tout compris. Il n’a jamais fait de colloques. Par contre, il faisait des réunions de travail et tous les employés, quels qu’ils soient, y participaient. Lui, ne comprenait pas pourquoi, quand on avait des réunions d’employés, ceux-ci ne venaient pas, parce que dans sa tête, il avait compris que c’étaient des employés peut-être limités, peut-être avec des difficultés, peut-être avec un besoin d’accompagnement professionnel mais c’est ce qui nous a fait dire que la place des travailleurs sociaux n’était pas dans ce milieu. On a fait le choix au comité de dire « non », redonnons une place aux travailleurs sociaux, donc créons une entité mais externe aux entreprises, externe à l’habitat, parce que pour l’habitat on avait déjà fait ça. On a pu prendre modèle là-dessus, on ne vivait pas avec les personnes, contrairement aux foyers et aux institutions. Par contre, on était disponible 24 heures sur 24, selon les besoins, pour un accompagnement, pour une adaptation, etc., et on a voulu réaliser la même chose dans le travail. Qu’est-ce qu’on n’avait pas dit là ? de mettre à la porte les travailleurs sociaux? Cela a été entendu comme ça et là les personnes ont commencé à monter au créneau. Et je pense que c’est un point important. La première crise se passe avec les travailleurs sociaux. Elle s’est même amplifiée après. Je crois par incompréhension ou peut-être parce que l’on n’a pas su expliquer correctement les choses. Ce n’est jamais que d’un côté et peut-être que nous étions trop tranchants quand nous évoquions les choses, même si ceci se passait au travers de faits concrets, parce que tout à coup les travailleurs sociaux étaient capables de dire « on ferme l’entreprise parce qu’on a besoin de réfléchir ». C’est comme si, ici, au Pyramus, où nous sommes aujourd’hui, les responsables disaient « on ferme une semaine, on part au vert réfléchir » ! Ce n’est pas sûr qu’à la fin de la semaine on ait les rentrées d’argent et que la clientèle soit satisfaite. Ça, c’est le premier élément, c’est ce qui nous a amenés à parler des travailleurs sociaux et ça n’a jamais pu prendre. Pour moi, l’idée était de mettre en place, et j’ai beaucoup réfléchi à cela, un bureau d’ingénierie sociale, parce que je crois en ce qu’a écrit une personne dans son livre sur l’ingénierie sociale. Je suis en train de chercher le nom de cet auteur mais cela me reviendra tout à l’heure!

Je me suis également basé sur la formation que j’avais eue avec Arbano, avec Lebroc, sur tout le champ de la désinstitutionnalisation ou de l’analyse institutionnelle. Je vous rappelle que j’ai fait aussi une formation avec l’Institut canadien Alan Roer, l’institut canadien pour la déficience mentale. J’ai donc fait une formation dans le domaine de l’analyse institutionnelle car je pense que c’est quelque chose d’important et je l’ai pratiqué que ce soit ici en Suisse, en France, en Italie ou au Canada pour essayer de comprendre ces mécanismes. Ce qui fait que ça m’a fait mettre en place ce bureau d’ingénierie sociale, c’est-à-dire travailler principalement au niveau de la personne, avec son projet. A l’époque, on disait, et vous verrez qu’on a complètement modifié les choses, « mettons la personne au centre ». Vous avez sûrement déjà entendu ça : « mettons la personne au centre ». Il n’y a rien de pire que de mettre la personne au centre parce que vous vous réunissez, vous la mettez au centre, et puis tous les professionnels sont autour. En plus, la personne n’est pas là puisque ça reste un dossier. Que se passe-t-il si ce n’est un enfermement où chacun a un avis? Vous verrez qu’à T-Interactions et dans toute la réflexion que l’on a pu mener, ce sont des éléments qui ont conduit aux différentes crises. Après, je vais venir sur l’aspect financier et politique. Mais simplement, si vous mettez la personne que vous accompagnez à côté de vous, vous pouvez continuer à voir les professionnels concernées par le projet de la personne mais la personne devient actrice. Pour nous, à cette période-là, la personne n’était pas actrice, « auteur de son projet ». On restait encore, malgré nous, des aidants dans cette relation-là et il n'y avait pas de relation plus équitable avec ces personnes. En voulant tenter de modifier cela, je pense qu’on butait contre un mur, contre des idéologies, des formations et des personnes qui restaient ancrées ou enfermées dans leur propre histoire professionnelle et la question n’était pas chez les personnes. Et je pense que cela est le premier élément. Alors, les gens sont montés au créneau assez rapidement. Tant mieux, cela nous a permis de réfléchir. Par la suite, nous avons fait faire ce qu’on appelle un audit, une évaluation globale de l’ensemble de Trajets par des personnes de l’extérieur, venant de Suisse, de France et du Canada. C’est Monsieur Jacques Pelletier qui a conduit cette évaluation externe mais globale. Il devait alors produire un rapport. Alors, on se retrouve à ce moment-là en 1993, pour avoir des pistes de transformations, puisqu’on avait déjà eu tous ces éléments de transformations mais qui nous revenaient à la figure, sans que nous puissions en faire quelque chose. Tout le monde a été écouté pour ce rapport, mais quand je dis « tout le monde », ce n’est pas uniquement en interne, c’est aussi les politiques, la population, les personnes concernées, les familles, les professionnels du travail social mais aussi l’ensemble des professionnels. Tous les aspects de gestion, les aspects administratifs, de financement, tout avait été passé en revue. Cela a duré quelques mois pour pouvoir auditionner toutes les personnes et faire ce rapport. Ce qui a été aussi intéressant, c’est que les personnes concernées devenaient également actrices de l’évaluation. C’était une évaluation externe mais en même temps chaque fois que l’on fait une évaluation et qu’on interroge les gens concernés, cela amène déjà l’installation de changements pour nous-mêmes. Ces personnes qui participent à l’évaluation commencent à se poser les bonnes questions au travers des entrevues et commencent déjà le changement qui va leur être demandé par le rapport. C’est fort intéressant comme mécanisme qui est mis en place. Moi, je vous invite à faire de l’évaluation, car cela est fabuleux, on le voit. La semaine prochaine, une évaluation est faite pour T-Interactions, on recommence le même exercice. J’espère que cela n’aura pas toujours les mêmes effets. On en a fait plusieurs d’évaluations globales mais celle-ci était importante. Nous sommes aussi allés interroger tous nos partenaires. Là, aujourd’hui, j’hésiterais car l’on avait donné le rapport aux subventionnaires, aux politiques, aux partenaires, à l’ensemble des employés, aux familles, à tout le monde, partant d’une bonne intention. On leur a présenté nos questions, et la manière dont nous pensions répondre à ces questions. Je ne vous dis pas, on avait donné un bâton pour se faire battre! C’était les éléments qui ont provoqué la crise, mais une crise extrêmement violente, qui me remonte encore quelques fois. Les partenaires, tout à coup, – j’avais évoqué le mot « jalousie » au dernier entretien – ont vu l’ampleur qu’avait pris Trajets. Bel-Air, IUPG (Institut Universitaire Pierre Goursat), m’avait demandé de mettre en place ce qu’ils avaient appelé un « Secrétariat de coordination », c’est-à-dire de réfléchir à comment regrouper toutes ces associations avec qui on échangeait en permanence, que ce soit Appartement de jour, Arcade 84, Réalise, le Centre Gaspard de la Rive, qui a été le premier centre de loisirs pour personnes psychiatrisées à Genève, il ne faut pas l’oublier, cela existe depuis très longtemps. Mais, tout à coup, les gens ont redécouvert où ils pouvaient entrer pour mettre un poing dans la porte et dire des choses. Je fais juste un petit parallèle : l’Office fédéral des Assurances Sociales, comme cela se passe maintenant, avait annoncé en 1994 une diminution des subventions pour des raisons budgétaires. On a ce rapport, on a une diminution de subventions, alors j’ai cru bien faire, croyant au partage et à la transparence. Là aussi, j’ai modifié aujourd’hui mes discours par rapport à tout cela. À partir de là, nous avions réuni tout le personnel pour réfléchir à des solutions sur la base des questions de l’audit, des projets de transformations et de la diminution du subventionnement. On a donc partagé toutes ces choses pour regarder ensemble les solutions. Troisième élément, j’avais fait une demande pour les transformations à la Loterie Romande qui nous a accordé 300'000 Frs. pour les travaux. À l’époque, cela était une somme extrêmement importante mais prévue seulement pour les travaux. La Loterie Romande ne donne que pour du matériel, des travaux, pour l’achat d’une table, d’un meuble ou autre, et vous présentez un budget. Vous ne pouvez donc pas utiliser cet argent pour autre chose. Cela a été un élément important car comme le Domaine de la Pierre Bleue se trouve en France, c’est comme si l’argent de Genève partait pour la France. On a donc évoqué tout cela en Assemblée générale. Ce qu’il faut savoir aussi, c’est qu’en donnant de l’argent, la Loterie Romande était dans l’acte de vente et ce n’était donc même pas Trajets qui était propriétaire totalement du Domaine de la Pierre Bleue, de cette ferme qu’on avait achetée en France. On ne pouvait donc rien faire sans l’aval de la Loterie Romande. On aurait voulu la vendre mais l’argent serait retourné alors à la Loterie Romande. On a partagé tout cela, j’ai donné mes options. Si nous voulions vivre, on aurait pu aller vers des licenciements. Mais en termes d’égalité, je pensais qu’il était important que chacun puisse faire un effort et accepte de diminuer son salaire. Cela aurait permis pendant quelques temps, avant que nous trouvions d’autres solutions, d’avoir aucun licenciement. Ceci n’a pas été entendu et les gens, sans le dire – car dans le monde du travail social, nous sommes pour le dialogue, le partage et la transparence, mais tout cela vous oubliez – sont allés voir les politiques, en disant « voilà ce qui se passe à Trajets », et à partir de là, le politique est intervenu. Alors je ne vous dis pas à quel point cela a été extrêmement contradictoire. Je vous donne encore cet élément car le politique, le chef du département, a décidé en 1993 que le lieu d’accueil Le Quatre deviendrait Le Centre de Jour de Trajets avec toutes les activités et qu'il donnerait pendant 5 ans, 100’000 Frs. Et que pour mener ceci à bien, il donnerait pour un salaire 100'000 Frs. par an pendant 3 ans, pour coordonner l’ensemble de l’activité : en tout, 800'000 Frs. sur 5 ans. Et en même temps, le politique « débarque » au sein de Trajets pour dire « stop à tout cela, il y a la crise ». Les journaux s’emparent de tout cela mais on s’est aperçu que le fils du chef de cabinet de ce département était journaliste des journaux locaux et c’est lui qui faisait les articles avant même que des décisions aient pu être prises et dénonçait la situation. Le coulage était venu des travailleurs sociaux et d’un membre du comité qui transmettait tous les PV au département… Ce n’est juste qu’un petit détail ! On s’est rendu compte de ceci par la suite. Cela a été une crise énorme, ce qui a fait que le département en 2 ans, en 1996, a décidé de supprimer le subventionnement. Cela n’était pas énorme, 170'000 Frs., c’est une bricole. On a dû dire au revoir au département mais on a poursuivi l’activité. Ceux qui nous ont soutenus, c’est l’Office fédéral des Assurances sociales et les autres associations comme Arcade 84 et autres. Je revoyais certaines personnes une fois par mois pour faire le point par rapport à la psychiatrie, au militantisme. On se demandait que faire. Une personne responsable d’une petite organisation avec qui j’ai discuté m’a dit à un moment donné : « si tu savais ce que je suis satisfait », c’est pour cela que j’avais parlé de jalousie, « de ce qui se passe là, pour Trajets, pour toi, parce que je suis jaloux depuis le début de ce que tu arrives à mettre en place ». J’ai payé ma consommation et puis je me suis levé et suis parti.

- Justement, d’après ce que j’ai compris, vous avez quitté Trajets pour recréer T-Interactions. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à créer T-Interactions à la suite de Trajets sachant qu’au final ces deux associations poursuivent les mêmes objectifs ?

Je n’ai pas quitté Trajets. J’ai quitté cette association plus tard car j’ai l’habitude d’assumer jusqu’au bout ce que j’ai mis en place et j’ai fait le choix de quitter la coordination, la direction de Trajets en 2002. Je pense que cela est important car ce n’est pas parce qu’il y a une crise qu’on s’en va, même si tout le monde voulait me voir partir. Mais, attendez, il n’y avait pas que des détracteurs non plus. Sur 100 personnes, les détracteurs étaient au nombre environ de 6 à 10 personnes. Donc, nous avons poursuivi. Mais comme les détracteurs étaient des travailleurs sociaux, ils savaient faire du bruit. Quand vous êtes imprimeur, ce n’est pas votre tasse de thé, vous ne prenez pas la parole de la même manière devant des journalistes, devant un groupe et autres. Les travailleurs sociaux et le politique avaient même décidé qui prendrait la direction de Trajets. Sur le plan idéologique, je vous rappelle que le premier Conseiller d’État que j’avais rencontré, celui qui a essayé de nous faire quelques misères par l’intermédiaire de son chef de cabinet, m’avait dit « Faites vos preuves et après on verra ». Et c’est toujours le même mécanisme mais là, on était avec un Conseiller d’État libéral. Ensuite, on s’est retrouvé avec un Conseiller d’État radical socialiste et avec un chef de cabinet socialiste. Et dans l’idéologie, maintenant qu’on a fait nos preuves, c’est le Tout État qui vient en place. Regardez, c’est ce qu’il s’est passé en déficiences intellectuelles avec Les Épis. Les Épis est un Établissement public d’Intégration. Cette organisation a un conseiller d’administration mais le financement est totalement, à 100%, fait par l’État. Et il n’y a plus de marge de manœuvre. Moi, je ne voulais pas perdre la liberté, la créativité, l’innovation. Cela est important de voir que là derrière, il y a des dimensions différentes. Je crois à ce qui se dit dans le parti socialiste mais je ne crois pas au Tout État. Je pense qu’il doit y avoir les deux aspects, entre le privé et l’État. Et en 2002, j’ai fait le choix de quitter la direction et de rester comme conseiller. Tout cela était vu avec Monsieur Aegerter qui était président à l’époque, dans le but simplement de pouvoir continuer à mettre en place des projets, car tout cela prend du temps. Nous avons alors décidé que je resterais à l’intérieur de Trajets comme conseiller et la direction a été confiée à une première personne qui est partie, puis à une deuxième personne qui est venue du Département et qui simplement, peut-être que cela n’a pas été mesuré par le Conseil de Fondation, a une autre vision, a d’autres valeurs liées au Tout État. Là, aujourd’hui, il y a pour plus de 10 millions de subventionnement. Au début, il n’y avait pas un franc! Quand j’ai quitté la direction en 2002, on a mis en place un projet de loi, c’est ainsi que la Fondation de Trajets s’est mise en place, dans le but d'avoir un meilleur contrôle sur les organisations, parce que l’État a besoin de ceci, et cela peut se comprendre. Je veux bien que l’État contrôle mais que ce soient des choses limitées par rapport à ce que nous pouvons réaliser. À partir de là, j’ai commencé à mettre en place des projets. En 2002, il y a la création de la Fondation de Trajets. L’association Trajets reste mais elle devient T-Interactions. L’association T-Interactions, c’est l’association Trajets du 19 juin 1979. Cela n’a pas changé.

- Donc, Trajets et T-Interactions existent toujours. Mais est-ce les mêmes objectifs ?

- Non, pas tout à fait. Je vais vous parler des différences. Le cheminement, le développement, la réflexion, toutes les évaluations qu’on a pu faire, toutes les interrogations qu’on s’est posé, nous voulions les mettre en œuvre. Moi, je voulais les mettre en œuvre à l’intérieur de Trajets. Malheureusement, les choses ne se passent pas toujours comme nous le voulons. L’hôtel Pension Silva, où nous étions la dernière fois, je l’ai mis en place pour Trajets, et non pour T-Interactions. Idem pour le Café Cult où l’on sera la prochaine fois, idem pour le Domaine de la Pierre Bleue, idem pour les Jardins du Milly, avec Aquaflore, le paysagisme, etc. Le nouveau directeur n’a rien voulu de tout cela, n’a rien voulu d’Alain Dupont. C’est autre chose, vous comprenez. Il disait poursuivre ce qui était mis en place, mais non! C’était tout autre chose qui était en train de se mettre en place. Il parle d’entreprises sociales. Nous, nous avions fait le choix de peu de logements, un maximum de 15 personnes, pour des questions de projets de vie avec certaines personnes. Et lui, il parlait d’entreprises. Alors, parmi toutes ces entreprises, les unes ont fermé, les autres sont toutes déficitaires à ce jour. Par contre, il y a 65 personnes au niveau du logement parce que cela rapporte beaucoup d’argent. Je vous passe les détails, on ne va pas parler de Trajets aujourd’hui. Mais l’information que je vous donne vient d'hier soir. Ce ne sont pas des chiffres en l’air. En mettant en place T-Interactions, le président me demandait de mettre en place des projets, et c’est ce que je voulais faire. Le projet de l’hôtel Pension Silva avait une originalité. On mettait en place de réelles entreprises sociales, avec un business-plan au point de départ, parce qu’on entrait avec une mission sociale et une mission économique. Je pense que c’est un point important mais c’était continuer à aller dans le sens de donner aux travailleurs des rôles sociaux réels. Donc on quitte le champ où l’on a un subventionnement. Ça, c’est la volonté de T-Interactions. Nous ne sommes pas subventionnés pour un franc pour le fonctionnement. Entre 10 millions et rien, il y a une petite nuance, mais nous avons fait le choix, parce que quand le directeur actuel de Trajets a dit au président qu’il ne voulait plus ni du Domaine de la Pierre Bleue, ni des Jardins de Milly, ni de l’hôtel, ni du Café Cult - c’était un 23 décembre 2007 - on était en plein travaux à l’hôtel. Les travaux pour l’hôtel s’élevaient à 2,5 millions de Frs. Mais tous les fonds, je les avais cherchés par le biais de Trajets. À la Loterie Romande, j’ai envoyé un projet Trajets. On fait quoi ? On s’est assis, on a ouvert une bonne bouteille, on s’est regardé. C’est aussi simple que ça avec le président. Nous nous sommes dits : « Que faisons-nous ? » - « Eh bien, on prend cela à T-Interactions ». C'était donc T-Interactions qui mettait dès lors en place les travaux.

- Donc, T-Interactions a été en quelque sorte une issue de secours pour maintenir le projet ?

- C’était volontaire quand on l’a mis en place parce que le politique s’en prenait constamment à la Pierre Bleue car c'est sur France, et je vais y revenir avec T-Interactions. Il faut être Genevois ! Donc, à Genève, moi, à moins que vous ayez vu ça, je n’ai pas encore vu les bords de mer… Il y a les bords du Lac qui sont magnifiques mais ce n’est pas les bords de mer. À partir de là, on s’était dit qu’on laisserait cela à l’Association Trajets qui est devenue T-Interactions en quelques mois, de même que les Domaines du Midi. On a des terrains à Plan-les-Ouates où l’on fait le maraîchage et les plantes aquatiques. Quand le directeur et son nouveau président de Trajets ont décidé de lâcher tout cela, on s’est dit : « On prend ». Mais on s’est retrouvé avec 400'000 Frs. de dettes, plus les dettes du Domaine de la Pierre Bleue qui étaient de 800'000 Euros. On avait 1,2 millions de dettes. C’est juste un petit souci mais on s’est lancé ce défi. Ensuite, on a pris l’hôtel Pension Silva, et on l’a ouvert le 15 mars 2008. Cela a été rapide car le projet existait déjà. Et on a engagé un directeur le 1er janvier 2008. Puis, on a engagé du personnel. Alors, on n’était pas encore avec du personnel du type École hôtelière ou autre, car on n’avait pas les moyens, donc on a travaillé avec des stagiaires et des étudiants. Si vous voulez, j’ai revécu ce que j’avais mis en place au Quatre, au début. Des stagiaires nous ont aidés à monter cela et puis très rapidement l’hôtel a eu une progression en termes de réservations, soit par rapport à la clientèle, car je vous ai expliqué que c’était un projet mixte avec des étudiants, avec des personnes en difficulté et des touristes, et là, aujourd’hui, cet hôtel est très largement bénéficiaire, beaucoup plus que ce que l’on avait imaginé dans notre plan d’affaires au point de départ. On a fait jusqu’à 100'000 – 200'000 Frs. de bénéfices, uniquement pour l’hôtel. Cela nous a permis de réinjecter de l’argent, d’engager du personnel et de faire en sorte que cela tourne. Il s’est passé la même chose pour le Café Cult puisque les projets ont eu lieu en même temps, en 2005, mais cela prend toujours beaucoup de temps selon qui est le partenaire. Et il fallait aussi trouver de l’argent. L’hôtel, 2,5 millions, le Café Cult, où l’on sera la prochaine fois, c’est 900'000 Frs. C’est cela que nous avons mis en place. Donc, le premier choix, c’est pas de subventionnement pour le fonctionnement. Le deuxième choix est que toute personne ait un salaire et soit rémunérée. Cela est une autre option. Je vais vous dire le piège de ce que j’avais pu mettre en place à Trajets. Lorsque vous avez une personne performante et qu’elle vous coûte 2,50 Frs. de l’heure parce qu’elle touche l’AI, vous êtes peu tentés de mettre en place un projet avec elle pour qu’elle s’en sorte. Mais là, aujourd’hui, à l’imprimerie, au sein des photocopies, il y a une personne qui est à l’AI et si vous enlevez tout le personnel, elle fait tourner la maison. Donnez-lui un salaire pour sa dignité et pour qu’elle devienne véritablement une personne ! Nous, on a fait ce choix-là, elle est là, la nuance, c’est-à-dire d’aller jusqu’au bout et de ne pas simplement continuer à être pris par l’aspect social, psychosocial, car pour obtenir du subventionnement, c’est assez simple. On pourrait à T-Interactions car il suffit de mettre dans les statuts qu’on s’occupe de personnes en situation de handicap et on va mettre «psychiatrisées», etc., tout ce que vous voulez, qui va être validé par l’exécutif, le Conseil d’État. Ensuite, on va faire un projet de loi et on va entrer dans le système. Et là, on sera dans le budget. Ce n’est pas très compliqué. Cela prend un peu de temps, mais ce n’est pas très compliqué puisqu’on est de droit public, d’utilité publique et qu’on rend service à la communauté. Là, aujourd’hui, au mois de janvier, il y aura 85 employés. Depuis le 15 mars 2008, c’est 85 emplois que nous avons créés à T-Interactions. Et je dis bien des emplois, des emplois réels. Mais Trajets, c’était différent. La préoccupation, qui était aussi la mission et le point de départ, de prendre en charge – je dis volontairement ces mots, « de prendre en charge » – des personnes sur le plan psychosocial et sur le plan socio-professionnel – cela va être la nuance avec T-Interactions – nous amenait à aller chercher du subventionnement et, au niveau de la psychiatrie, des personnes. Mais quand vous ne vous portez pas garant de tout cela… Aujourd’hui, il y a 70 entrées à Trajets et 70 sorties au niveau du travail, chaque année, depuis deux ans. On n’est plus dans la continuité, mais ça, c’est l’autre aspect. Votre projet de vie, il a commencé le jour où vous avez été conçu et se terminera le jour où vous allez quitter ce bas monde. Et ça, c’est pour tout le monde. Mais tout cela doit se passer dans une certaine continuité. Si tous vos professeurs changent constamment, et qu’en X années vous avez 15 interlocuteurs différents, qu’est-ce que la continuité ? Votre dossier que personne ne lit ? Il n’y a plus de continuité. Que pouvons-nous mettre en place ? C’est une question que nous nous sommes posé. Ici, à T-Interactions, chaque employé à son porte-folio, par rapport à son projet professionnel. On n’est plus dans l’habitat, mais dans le domaine du travail. Si vous remarquez, j’ai dit professionnel et plus socio-professionnel. Même si à l’intérieur de ça, il y a des aspects psychosociaux puisque nous aidons des personnes qui ont des problèmes psychologiques, psychiatriques, qui sont à l’AI. Pour moi, une personne en fin de droit de chômage est aussi une personne qui rencontre des difficultés sociales.

L’autre chose… Si vous ne connaissiez pas ce lieu, regardez comme nous avons travaillé sur l’esthétisme ! Parce que c’est un point important, une nuance que l’on avait déjà à Trajets. Un point essentiel à T-Interactions est l’environnement. Vous vous souvenez des définitions de l’OMS sur le champ de la déficience mentale, entre incapacité et handicap, en 2002 ? Ils ont rajouté l’environnement car c’est quelque chose de capital. Il y a 11 entreprises construites au sein de T-Interactions. Nous en avons plus qu’à Trajets. Nous sommes passés de zéro franc, à 6 millions de chiffre d’affaires l’année passée. C’est un petit détail ! Simplement nous créons des emplois, mais nous voulons vendre notre produit et voulons qu’il soit de qualité. J’espère que vous vous en rendrez compte, lorsque l’on mangera ensemble tout à l’heure. Le chef aura fait un effort ultime pour nous. Mais ce que je souhaite, c’est qu’il le fasse pour tout client qui vient ici, vous comprenez ? Ce n’est pas le fruit du hasard si l’on se retrouve ici. C’est parce que nous avons fait le concours et que nous avons réfléchi à l’environnement. Nous avons remporté deux concours mais avons choisi ce lieu-ci car il offrait beaucoup plus de possibilités.

Et l’autre chose que nous avons développée à T-Interactions, c’est le champ de la formation. Toute personne, ici, quelle qu’elle soit, a de la formation en interne et va faire de la formation continue. À Trajets, nous ne formons que le personnel. Ici, Les gens rentrent en apprentissage. Ils peuvent venir des EFP pour obtenir un CFC ou la validation des acquis et des expériences, par exemple. A partir de leurs besoins, nous leur offrons des stages, des apprentissages. Nous avons des gens en apprentissage d’employés de commerce, dans la restauration, dans le graphisme etc. Tout cela pour donner de réelles possibilités, de réelles chances de réadaptation et de trouver un emploi.

Je vous donne un exemple : nous avons des personnes en stage que nous engageons au bout de deux ans et quelque mois ! Dans l’imprimerie de Trajets, par exemple, en janvier, nous avons une personne qui a fait tant de progrès au niveau personnel et au niveau de ses compétences qu’il devient un employé à part entière et ne sera plus en emploi de solidarité mais aura un salaire augmentant de 500 Frs. par mois, parce que nous avons reconnu ses compétences et que nous les avons évaluées. Ce sont peut être des nuances, mais moi, je peux vous dire que ceci est fondamental en termes de vision. Alors, notre vision a évolué.

- J'aimerais vous poser une question par rapport au partenariat. Comment l’équipe s’est-elle mise en place ? Était-ce la même équipe que pour Trajets, vu les tensions évoquées tout à l’heure ? Comment l’équipe s’est-elle reconstruite et quels sont les partenaires à qui vous avez fait appel pour reconstruire les emplois et former les personnes.

Votre question est intéressante car c’est vrai que nous nous y prenons différemment aujourd’hui. Intéressant car – ça c’est le monde du social ! – aujourd’hui, ils tentent de récupérer T-Interactions. C’est fabuleux à voir, je vous en dirais deux mots après.

Je vais prendre cet exemple-là : quand on veut mettre un projet en place, on voit une annonce et on se voit avec le président et le directeur. Puis, on décide de se lancer dans le projet. Moi, j’écris le projet de A à Z avec son business-plan. Tous les éléments sont dedans mais je rajoute toujours à qui cela s’adresse car nous avons des employés un peu particuliers, mais aussi toute la mission sociale et solidaire avec nos entreprises. Je veux respecter cette mission sociale. J’écris le projet et on le soumet à différentes personnes. Vous pensez bien la cuisine qu’il y a là-derrière… J’ai un ami "cuisto" 5 étoiles, je le contacte, et lui se met à critiquer les projets et nos exigences. Et je note. Jacques Pelletier voit le projet. Nous avons aussi des fournisseurs. Aujourd’hui, ce sont les gens compétents dans le domaine car les travailleurs sociaux ne sont pas compétents dans tous les domaines. Par exemple, moi, je peux écrire un projet car j’ai des formations sur ce qu’est un projet.

Donc nous avons gagné le concours. Mais maintenant, que se passe-t-il ? Il va falloir trouver du personnel qui va devenir acteur. Nous engageons du personnel 2 mois avant pour qu’il soit aussi partie-prenante dans le choix du matériel avec les fournisseurs. Ici, le projet correspond à 700'000 Francs d’investissement. C’est une prise de risque, vous comprenez. On vend le projet, à gauche, à droite. Pour le moment, il manque encore 150'000 Frs. Mais des gens nous ont aidés. Ils deviennent des partenaires. Monter un projet, ce n’est pas le projet d’Alain Dupont, le but est que cet endroit devienne le projet de ces personnes. Moi, je me suis porté garant pour une année. Ils vont me voir jusqu’au 1er septembre, parce que je viens ici, je regarde, j’observe. Il faut que le personnel soit formé. C’est la nuance avec Trajets. Là, les gens sont des professionnels de l’hôtellerie. Le responsable a fait l’école hôtelière, a voyagé, et a travaillé dans de nombreux hôtels 5 étoiles autour du monde, en Irak, en Égypte. De même pour son adjoint. Le chef cuisinier, mon ami, m’a dit qu’il connaissait quelqu’un. Il le connaissait depuis 25 ans, c’est lui qui l’a formé. C’est une perle, vous savez ! Magnifique ! nous l’avons engagé. On crée comme ça l’équipe. Et puis, à l’intérieur, ensuite, il y a la formation. Ils ont une sensibilité sociale, mais une formation interne est nécessaire puisqu’ils vont travailler avec un certain type de personnes. Par exemple, le second travaille avec des gens qui tout d’un coup peuvent être perdus dans leur tête, il pourrait trouver qu’ils ne vont pas assez vite. C’est ici que la formation est nécessaire. Il y a eu formation avant. Vous savez, ici, nous accueillons toute sorte de personnes quelles que soient les difficultés. Que vous soyez employé de solidarité, auxiliaire, ou en stage, les gens ont un contrat de travail. C’est comme ça que vous devenez travailleur. Si c’est l’AI qui vous place, vous avez simplement une convention avec la direction, mais pas un réel contrat… Depuis 2008, il y a des personnes pour qui ça ne va pas… Nous ne pouvons pas répondre à vos besoins : Au revoir ! On a des personnes qui nous mènent au Prud’Hommes. Il y a combien d’employés qui sont déficients dans les institutions, même à Trajets, et qui sont syndiqués ? Aucun ! Nous, nous avons des gens qui sont au syndicat. Je veux dire, tant mieux, car c’est un droit. Nous avons une personne qui est allée au syndicat car elle n’avait pas bien compris le système. Le syndic est venu, nous avons parlé et réglé le problème. Bravo, il a utilisé une ressource ordinaire. C’est des nuances importantes par rapport à Trajets.

Une autre histoire: une personne pique dans la caisse. Ok, elle peut avoir des troubles psychologiques, mais elle fait cela une fois, deux fois, trois fois… Votre caisse à la fin du mois, vous pouvez l'oublier ! Cette personne à été mise à la porte et nous a trainés au Prud'Hommes en nous réclamant de l’argent pour dommages et intérêts. C’est elle qui nous a rendu de l’argent en fin de compte.

La formation, l’aspect professionnel, le passage à de réelles entreprises sociales, et le respect de règles mises en place par la communauté, les ressources utilisées par Monsieur et Madame tout le monde… ça, c’est quelque chose d’important : Le portfolio !

Évidemment, quand vous mettez tout cela en place… Là, vous croyez que la crise de 86 vient de se repasser en début d’année... Des politiques se sont mêlés de ce que nous faisons. « Le président et Alain Dupont sont en train de s’enrichir ». On nous envoie la cour des comptes en février 2012! Ils ont mandaté une fiduciaire pour qu’elle vienne tout contrôler. Le 27 juin, nous avons eu une réponse selon laquelle tout était en ordre. Mais le fonds chômage de la ville de Genève a suspendu notre contre-prestation pour aider les personnes. J’ai d'ailleurs rendez-vous demain matin.

On recommence tout le temps. On veut une récupération, ça fonctionne c’est trop beau… La question est toujours, "comment faites-vous?" Des gens du Valais, de Vaud, sont venus voir. Nous aidons des gens à Neuchâtel à monter une entreprise, un pressoir de jus de pomme, de cidre car nous voulons aider d’autres à faire cela aussi, pas sous le nom de T-Interactions. Mais en même temps, les sociaux viennent voir. Demain, je suis invité à la commission d’indication. J’ai appelé en disant que je n’étais vraiment pas sûr que ce soit une bonne idée, le bon endroit. Car la centrale d’indication regroupe toutes les demandes à Genève pour les personnes déficientes, psychiatrisées et c’est eux qui décident, voilà tu peux aller à Trajets, à Clair-Bois, à la Fondation Espoir, à la Corolle… Il y a trois places là ou là…

Ils nous disent que c’est intéressant ce que l'on fait à T-interactions ! C’est une manière de nous faire rentrer dans ce système. Une façon de prendre pouvoir et de nous envoyer des personnes parce qu’ils ont besoin d’une place. Mais la personne, est-ce qu’elle a tout simplement le droit d’être entendue ? Demain après-midi, vous oubliez! Demain, je suis très très pris !

Il faut être réaliste, on ne va pas retourner dans les girons du social. Le social j’y crois, mais je suis convaincu que nous avons besoin de nous tous ici pour réaliser tout cela ! Mais avec une part égalitaire ! Cela ne sert à rien de vouloir prendre pouvoir sur les gens. C’est les gens qui sont capables de nous dire quels sont leurs projets et comment ils entrevoient leur vie. La personne doit trouver une place de travail qui lui corresponde, mais il faut aussi que cette personne corresponde aux attentes de la place de travail. Il faut qu’il y ait réciprocité. Et ce n’était plus le cas à Trajets, vous savez… On place les personnes ! Les personnes sont assez grandes, ce sont des adultes!

- Les personnes engagées par T-Interactions présentent quels types de déficiences ? Quelles sont leurs difficultés ?

- Ce sont des personnes qui rencontrent des difficultés sociales, psychiatriques, psychosociales, des personnes à l’AI, des personnes en difficulté sociale car elles se retrouvent au chômage, des personnes en fin de droit de chômage, des personnes de l’Hospice général. On accueille aussi des hommes et femmes battus, nous avons la discrétion la plus totale. Cela peut être simplement de durée limitée ou illimitée. Elles peuvent venir pour 15 jours, en stage, car elles ne savent pas ce qui leur plaît, quel type de travail elles voudraient faire. En été, nous avons beaucoup d’étudiants, car c’est dur de trouver un emploi. Nous sommes dans le mixte pour qu’il y ait confrontation entre les personnes parce que même quand je suis étudiant, je peux être en difficulté. Ne pas réussir à payer son loyer à la fin du mois est une difficulté sociale. C’est dans ce sens-là ! Aucune porte fermée à qui que ce soit. Sauf, je tiens à le préciser car nous ne sommes pas outillés, mais une personne souffrant de toxicomanie. La drogue, la drogue dure, nous ne savons pas faire, il y a certainement des structures mieux adaptées. Dans le domaine du travail, nous ne pouvons accueillir une personne totalement sous l'emprise de la drogue qui fera le servie. Tout d’abord, nous desservons la personne elle-même et nous desservons la clientèle aussi. Nous avons besoin de la clientèle externe! Si personne ne vient manger, si la clientèle n’est pas satisfaite… une personne de perdue, c’est 10 personnes de perdues !

- Et est-ce que vous engagez des personnes psychiatrisées ayant des comportements « particuliers » pouvant être considérés comme « dérangeants » au niveau social ?

- Tout à fait, mais ce n’est pas aux personnes qui viennent manger ici de supporter cela. C’est donc à nous de regarder quelle est la place de la personne. Je vais vous donner un exemple parlant. Nous avons accueilli un homme extraordinaire ayant le syndrome de Gilles de la Tourette. Je vous raconte cette petite anecdote, car elle répond à votre question à 100 %.

Nous allons l’appeler Pierre. Il a été placé à la clinique de Belle-Idée, à l’âge de 15-16 ans ! ça fait 8 ans qu’il est bouclé là-bas ! Et il a eu vent que T-Interactions se mettait en place. Un jour, le médecin-chef m’appelle. Il me dit : « écoutez, j’ai une situation dont je dois vous parler parce que je sais que vous faites des choses un peu particulières ». Nous fixons le rendez-vous. Il me demande de me déplacer jusqu’à la clinique et si son assistante sociale peut être présente. Nous parlons de Pierre à qui ils attribuaient tous les « maux » de la terre...

Résumé: Ensuite, Alain Dupont demande à rencontrer Pierre. Il sort sa carte de visite et demande s'il est possible que Pierre lui téléphone. L’assistante sociale lui dit qu’il n’appellera pas. Alain Dupont demande alors si Pierre est capable de se déplacer jusqu’à la clinique. Elle répond affirmativement, en précisant qu'il devrait y être conduit.

Alain Dupont sent l'agacement monter en lui et n'a pu se retenir de dire : «  j’espère que vous avez un bus avec écrit HP, un infirmier en blouse blanche à droite et a gauche ! » Par cette affirmation, il leur explique les valeurs qu’il défend en faisant comprendre que c’est Pierre qui est responsable de son projet ! Bien qu'il ait été placé en hôpital psychiatrique lorsqu'il était au Collège, à cause d'un grand nombre de comportements particuliers, Alain Dupont tient à nous préciser qu'il parle tout de même 5 langues.

Un jour, Pierre appelle : « Je suis Pierre ». Le point de départ de la relation commence dès ce coup de téléphone. En tant que travailleur social, tout doit être pris en compte. Alain Dupont lui fixe un rendez-vous à son bureau, le mercredi suivant, à 16h.

Le Jour J., Alain Dupont attend avec sa stagiaire. Tout le monde lui dit que Pierre est retardataire… À 15h.50, ils entendent des cris dans le couloir. Alain Dupont se lève pour aller voir et intervenir. Mais il s'arrête car il se rend compte que c’est lui qui a peur. Il fait confiance à Pierre qui lui avait dit qu’il serait là à 16 h.!

16h. précise : le voilà. Pierre, un garçon à forte carrure, qui pratique le karaté. Alain Dupont lui dit : « Bonjour Monsieur ! » Pierre semble surpris car, à la clinique, on le tutoie. A. Dupont lui demande ce qu’il désire. Pierre lui explique qu’il veut faire du service dans un restaurant. A. Dupont accepte mais lui rappelle qu’il a une maladie. À 24 ans, Pierre précise qu’il aimerait demander l’accord de ses parents. « Quand on passe son adolescence à la clinique, les transgressions, pourtant nécessaires à l’adolescence, sont interdites et directement punies… »

Lors d’une entrevue avec les parents et l’assistante sociale, Pierre serre tout le monde – le personnel médical y compris - dans ses bras. «Arrivé à ma hauteur, je lui tends la main, il serre la main… Il est important de mettre une distance».

Pierre affirme son envie de travailler mais demande l’encadrement d’un coach. Le projet se met en place. Il ne travaillera pas tout de suite en salle, mais tout d’abord dans un cagibi, derrière pour la plonge, puis au comptoir. «  Nous avons réfléchi à cela ensemble » affirme Alain Dupont.

Au bout de 6 mois, Pierre a appris à se maîtriser ne fait plus de crises durant 50 minutes, voire 1 heure durant le service ! « Nous lui avons appris à se maitriser !»

" Et tenez-vous bien, à la clinique, ils ne voulaient pas le croire. Mais vous savez, lorsque vous rentrez chez vous le soir, vous n’avez pas le même comportement, pas les mêmes attitudes normées que l’on a en société, en présence d’autres personnes. Pour lui, la clinique était « sa maison » "

Plus tard, le médecin-chef réalise qu’il n’a pas sa place à la clinique ! Alain Dupont lui indique de le mettre à la porte. Il a droit à un vrai logement. Pierre est ainsi reconnu, il n’a plus besoin de soins. Il quittera la clinique. Pour conclure cette anecdote, Alain Dupont nous explique que le médecin-chef qui s’occupait de Pierre lui proposa, par la suite, de donner des cours sur le thème de l'intégration, à l’université, pour les futurs psychiatres!


21 novembre: Café-Cult, place Jargonnant No5: les premiers pas - les motivations premières - les rencontres essentielles (Aline, Martine)

Martine: Dans ton témoignage, apparaît à plusieurs reprises des acteurs de l'église catholique (Caritas, Jean-Maire Vienat, prêtre catholique, l'Arche...) ou des symboles forts du christianisme (le repas, la communauté, la charité que tu oppose au droit, le lien social...), en quoi la religion, le christianisme et tes origines familiales ont-elles marqué ton engagement?

Aline : Vous dîtes que vous ne supportez pas l'enfermement, ou le non respect des droits de la personne par exemple: est-ce qu'il y a quelque chose (événement ou rencontre) de l'enfance ou dans l'adolescence qui aurait marqué vos choix: celui du premier stage à Serix, les visites à Eben-Hezer ?

Aline : Est-ce que vous avez toujours voulu faire ce métier? ou vous avez parfois voulu changer de voie? ou est-ce qu'un autre métier vous tenterait aujourd'hui?

Martine : Tu as nous raconté une histoire de l'anti-psychiatrie qui souvent est partie des murs même de l'institution (avec Eisenring, Garonne, etc.) et a été réalisée grâce à des choix politiques de l'Etat même si sur le terrain tout était à créer, à expérimenter (essai, erreur, évaluation, rectification, etc.) : te considères-tu comme un militant de l'anti-psychiatrie? et vers quoi ta critique se porte aujourd'hui ?

Alain Dupont : Non mais avant de commencer, juste vous dire : Vous êtes ici dans une des entreprises de T-Interaction. On a commencé ce projet en 2005. Ici, vous vous trouvez dans un bâtiment classé qui appartient à la paroisse protestante des Eaux-vives. Il y a le temple juste à côté. Et puis cette salle était une des salles de la paroisse. Il y en a une très belle en dessus, je dis bâtiment classé parce qu’il y a un plafond, ça vaut la peine d’aller le voir, peint du 19ème, fin 19ème. Et puis ici c’est une salle inutilisée et en 2005, quand on a vu cette salle, il y avait d’autres personnes intéressées. Ils cherchaient à la louer, ou éventuellement en faire quelque chose. Et moi, j’ai déposé un projet comme on fait chaque fois, mais en 2005 on était sur cyber café et puis toute les négociations et autres ont pris énormément de temps. Alors en plus, tout n’est pas tout à fait terminé. Où il y a les grands parasols, la terrasse dehors, c’était un parking sauvage. Donc il a fallu faire des négociations, parce qu’une partie c’est la paroisse et une partie c’est l’église protestante à qui ça appartient. Et puis ici, ce que vous avez devant les fenêtres venait à un mètre, c’était un mur qui montait devant les fenêtres ici. Et il n’y avait pas de portes. Donc il a fallu demander toute sorte d’autorisation puisque c’est bâtiment classé. Savoir si les monuments et sites nous autorisaient et puis avec le temps, et bien on a bifurqué pour en faire un café restaurant. Parce que de nombreux cyber café, café internet s’étaient ouverts donc ça n’avait plus de sens. Et en mettant en place ceci et bien on a voulu en faire une entreprise sociale comme les autres entreprises. Et puis, on a inauguré en 2010, alors en même temps et c’est pas le cas là aujourd’hui, c’est un lieu d’exposition. Je pense que c’est important de le savoir. Ici, on organise des concerts, on a fait avec le festival du Bois de la Bâtie, on y a participé. Là il y a eu un concert, il y a eu également des expositions d’artistes. Donc les murs permettent de faire galerie. On a eu Jacqueline Bachmann, Poussin, enfin quatre ou cinq et là prochainement il y a un photographe. Et on fait ceci, c’est une occasion pour nous en terme d’intégration sociale, parce qu’on fait venir nos amis et autres, on invite. C’est toujours entre 200 et 300 personnes qui viennent au vernissage. Donc c’est l’occasion de pouvoir rencontrer des personnes. C’est ouvert tous les jours, sauf le dimanche. Le dimanche, ici, dans le quartier c’est plutôt mort. On pensait qu’avec la paroisse il y aurait du monde. On oublie, je pense qu’il doit y avoir trois ou quatre personnes qui viennent de temps à autre. Je sais pas… Et puis donc on a fermé le dimanche. Mais autrement c’est ouvert du matin jusqu’au soir. Vous pouvez regarder si vous le voulez la carte des menus. La même chose, on fait avec des produits du terroir. C’est que des vins, par exemple Genevois, ici que l’on retrouve là. On travaille ici avec le gérant, et puis deux personnes en cuisine, qui sont des professionnels de la restauration. Cuisinier et autre, il y a des gens en apprentissage, il y a des gens qui ont déficience intellectuelle, difficultés psychologiques, psychiatriques, chômeuses, chômeurs, en fin de droit ou difficultés sociales. Donc on a aussi des gens en apprentissage, enfin comme on avait au Pyramus, alors voilà. Et une fois de plus, on a voulu que ce soit beau, donc on a travaillé avec des architectes de Ganz et Muller parce que c’était une salle où il y avait des toiles d’araignées. Le sol était comme dans la fosse ici. On a essayé d’imaginer pour en faire quelque chose d’agréable autant sur le plan esthétique que de la beauté. Alors voilà, et on a appelé ça Café Cult, parce qu’on a enlevé le E du Culte qui est à côté, mais sachez que le Café Cult existe dans d’autres pays, et entre autre à New York, il y a un café très connu qui s’appelle le Café Cult. Voilà, en deux mots…


Martine Ruchat : Merci beaucoup


Alain Dupont : Alors je vous invite à venir avec vos amis et votre famille pour partager un repas. Vous verrez c’est très agréable. Un petit peu de pub…


Martine Ruchat : Merci bien. Ce n’est pas seulement de la pub, mais c’est aussi pour connaître au fond une des dernières productions de T-Interaction. Et puis aussi de ton périple professionnel et personnel. Donc on est aujourd’hui le 21 novembre, et c’est le quatrième entretien et le dernier entretien que l’on fait avec Alain Dupont. Et donc l’idée était de revenir un peu sur les origines et sur le moteur, et sur le fil conducteur. Parce que maintenant, dans la suite de l’atelier que nous faisons, il va falloir écrire cette biographie. Et donc, il faut essayer de trouver maintenant un fil conducteur et une cohérence, un sens à tout ça. Alors, moi j’avais une première question : En réécoutant un certain nombre d’entretiens que l’on a fait jusqu’à présent. Enfin, les trois entretiens, je vois qu’il revient très souvent au fond des références à l’église catholique. D’abord Caritas, qui est l’association, enfin l'organisation dans laquelle tu as travaillé. Mais aussi, tu as cité des personnes, comme Jean-Marie Vienat, qui était un prêtre catholique. Et puis, j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de symboles du christianisme. C'est-à-dire, le repas, on mange beaucoup, on fait beaucoup de choses autour du repas, on se réunit. La dimension de la communauté aussi, qui est importante. Et puis, le symbole évidemment de la charité que tu opposes à un moment au droit. Et je me suis demandée en quoi finalement la religion ou le christianisme avait joué un rôle dans ton orientation pour aller aider, pour te battre au respect des droits des personnes. Et au fond, est-ce qu’il y a quelque chose de ton origine sociale aussi qui pourrait expliquer le chemin que tu as pris par la suite ?


Alain Dupont : Oui, je vais peut-être repartir de ma naissance. Comment je suis arrivé ici, parce que je pense que ça fait partie de tout ces éléments là. Parce que je suis retourné un peu en arrière aussi pour rechercher un peu mon histoire. Même s’il y a des bouts que je connais bien, mais peut-être redire que là, moi j’arrive après la guerre 1946. Donc on est à la fin de la guerre et puis, il y a toute une période devant qui s’annonce. Mais peut-être, de rappeler qu’en 1944 comme dans toutes les familles mais aussi lié à cette période, il y a beaucoup de secrets de famille. J’ai même des choses qui sont restées des secrets de famille à ce jour, d’autres qui ont disparu. Mais mon père se retrouve pendant la guerre, à avoir été blessé. Tout proche d’ici, dans la frontière, en Savoie. Et puis, en 1944, il a passé la frontière, venant de l’hôpital de Saint-Julien. Et c’est l’aumônier de l’hôpital de Saint-Julien qui l’a aidé à passer la frontière. Vous devez connaître c’est à Pierre-à-Bochet à la frontière ici, il y avait la petite rivière et les barbelés à passer avant d’aller ici. Blessé et puis il a été récupéré par les Suisses à ce moment-là. Mais tout de suite conduit dans les camps de réfugiés. Je pense qu’il a été soigné puis conduit dans les camps de réfugiés qui n’étaient pas mixte et puis, il s’est retrouvé à Viège en Valais où il a travaillé pendant des mois, des années avant de se retrouver avec ma mère qui a fait le même parcours. Et puis, il y avait le frère ainé mais son père lui a dit : mais fait le passage aussi sur Suisse donc aussi clandestinement. Elle a passé la frontière sous les barbelés, du reste, au même endroit. Et, je sais ça parce que c’est des choses qu’en tout cas on est allé voir, c’est pour ça qu’on connait l’histoire. Le pourquoi derrière, c’est très difficile à savoir parce qu’il y a aussi des histoires de camps, de villages et autres et d’options prises. Je n’en sais pas plus là aujourd’hui. Et puis, à partir de là, ma mère s’est retrouvée à Epalinges vers Lausanne dans un camp de réfugier pour femmes et avec son fils. Mais en même temps pendant toute cette période, elle est allée travailler à Moudon parce que le directeur du camp, était directeur d’une maison pour personnes handicapées. Il faut le faire quand même. Et puis, elle allait travailler là-bas, et ensuite, moi, vous dire comment et où j’ai été conçu, je sais pas. Donc, mais je sais où je suis né, parce que j’ai recherché ça et j’ai pris mon téléphone pour pouvoir vous le dire. Parce qu’en fait je suis né à Genève, parce que j’ai encore une tante qui vit, je l’ai appelé là, enfin deux qui sont des sœurs de ma mère, pour poser quelques questions. Parce que dans le livret de famille, que je n’ai pas, mais je l’avais photocopié à un moment donné, je l’avais eu dans les mains. Et je l’avais photocopié, et je suis le troisième alors qu’en âge je suis le deuxième. Voilà, je vais m’arrêter là parce qu’il y a peut-être des questions là derrière. Il faudrait que j’aille… J’ai jamais voulu creuser parce que je pense que les questions ne sont pas là. Et puis, donc je suis né à Genève. Et à l’époque, la famille vivait aux Charmilles. Moi j’en ai encore des souvenirs, même de tout petit gamin. Des deux trois premières années de ma vie, parce qu’on vivait chez des gens, sous un toit, où il faisait froid l’hiver, c’est les images que j’ai et avec la neige, et avec toutes les peurs et les angoisses que pouvait avoir ma mère à l’époque parce qu’on est dans cette période de l’après guerre. Et il y avait encore une insécurité, ne me demandez pas plus de détails, je ne les ai pas. Simplement, moi j’ai senti, vécu tout ça. Je l’ai vu aussi bien après et puis là, mon père, lui, qui faisait des bois de galoche, son métier, enfin c’est des souliers, et puis quand il est venu en Suisse ici, il a apprit le métier de mécanicien à Châtelaine. Et j’ai, du reste, retrouvé il y a pas très longtemps le fils du patron qui travaille chez Mercedes, là aujourd’hui. Et j’achetais des véhicules pour T- Interaction, parce qu’on nous avait donné de l’argent pour acheter mais on nous avait dit qu’il fallait acheter des Mercedes. Et j’ai retrouvé la personne qui vendait ces bus et bien on se connaissait en fait. C’est son nom qui m’a dit ça et puis à partir de là, ensuite on est venu dans le quartier de Plainpalais. Là où j’ai mon bureau. Et moi j’ai grandis dans le quartier de Plainpalais. Et avec quelque chose d’important, parce que je viens d’une famille catholique. Donc, éducation chrétienne avec toutes les valeurs qui vont derrière. Et mes parents étaient très engagés au sein de la paroisse, au mouvement populaire des familles. Cela me revient là maintenant, le MPF, parce qu’ils faisaient aussi des réunions à la maison. Donc, il y avait déjà ce côté aussi engagement avec des valeurs chrétiennes où le prochain c’est quelque chose d’important et puis où on donne un coup de main à autrui, donc ça en permanence. Et moi, je me suis retrouvé baigné là dedans et puis à pratiquer à la paroisse Saint-François. Vous devez connaître à Plainpalais, depuis l’Université vous devez entendre les cloches. Et moi j’ai grandi là et je pense que c’est un point important et malheureusement, parce que j’ai pas eu le temps non plus, j’ai trouvé une photo de mes grands parents, pour vous montrer, de leur mariage. Alors je vous l’ai amenée simplement parce que ça vous montre. C’est aussi parce que ça fait partie des valeurs. Eux sont des paysans. Et ils ont une petite ferme ici, en Haute Savoie où je suis allé. Mais, il y a tout ce côté environnement, nature, et autre. Et pauvreté, parce que quand je dis une ferme c’est pas 200 vaches. Et pour compléter le salaire, mon grand père était cantonnier à la commune, comme ça se faisait beaucoup. Donc moi je viens d’un milieu extrêmement modeste. Et quand on s’est retrouvé ici, il n’y avait pas toujours à manger sur la table, je pense que c’est important. C’est pour ça que je dis milieu modeste. J’ai été nourri, du reste, je mesure deux mètres, c’est des choses importantes, mais pour dire on gaspillait pas. On avait toutes ces notions là qui nous étaient inculquées. Les valeurs chrétiennes, il faut vous remettre à l’époque, simplement vous alliez à la messe le dimanche, c’était même pas le samedi, si vous vous souvenez. Le dimanche, le jour du seigneur, vous êtes là, vous participez mais en même temps vous faites votre catéchisme et vous participez, moi j’ai été enfant de chœur comme bon nombre de gamins du quartier de la paroisse. Mais tout ça, nous indiquait aussi une voie très claire en terme de valeurs. La charité chrétienne, comme c’était évoqué, même si le mot est galvaudé, moi j’ai vécu ça avec mes parents. D’abord un parce que la famille c’était quelque chose d’important et puis ma fois il fallait travailler, nourrir mais moi j’ai vu ma mère, parce que ce que pouvait rapporter mon père simplement ne suffisait pas, et ma mère travaillait toutes les nuits à faire des veilles à Carouge, je me souviens même du nom. C’était une pouponnière chez sœur Madeleine où elle faisait les nuits, les veilles, puis le matin elle était debout pour le réveil et puis qu’on ait le petit déjeuner, nous préparer pour aller à l’école et autre. Elle a fait ça pendant des années et des années pour que l’on puisse bien vivre. Et vivre correctement, donc si on revient à la paroisse, moi j’ai participé à tout ce qui se faisait dans la paroisse. A l’époque, la paroisse il y avait un curé, il y avait cinq prêtres, pour le quartier donc vous imaginez tout ce que ça peut représenter. Il y avait des groupes de jeunes, il y avait le club du jeudi, auquel on participait, mais tout ça était animé à l’époque, il n’y avait pas d’animateurs sociaux culturels, c’était la paroisse, c’était les prêtres, c’était des jeunes. Et en plus, il y a eu le scoutisme et bon nombre de personnes, même si j’y suis rentré assez tard, par rapport à d’autres personnes, mais j’ai fait du scoutisme où j’ai pu prendre des responsabilités. Il y avait des colonies de vacances. Je vous en ai parlé, puisque comme on était un milieu modeste, et bien c’est les paroisses qui avaient les colonies de vacances. Principalement, toutes les paroisses avaient leurs colonies de vacances. Et moi, dès l’âge de 6 ans, je partais en colonie de vacances, on partait six semaines à Bogève, mais en Haute Savoie. Mais on était entouré, puisqu’on est dans les valeurs chrétiennes, on était entouré de prêtres et de séminaristes. Il n’y avait pas d’autres bénévoles et autres, il n’y avait que des hommes. N’oubliez jamais ça, c’était 60 enfants de 6 à 15 ans, qui se retrouvaient là avec les prêtres de la paroisse plus les séminaristes, donc tout le monde était en soutane. Et pour vous montrer aussi toute cette période en terme de valeurs, chaque année, moi j’ai vécu les journées missionnaires. Vous savez bien qu’il faut aller éduquer en Afrique, en Amérique latine, et autre. Et des missionnaires venaient, puis on avait les journées missionnaires, où on nous parlait des personnes vivants en Afrique et puis de la manière dont elles pouvaient vivre quand même. Ces sous-hommes, on va le dire comme ça. Moi j’ai été marqué par ces choses là. C’est ensuite toute la critique qu’on a pu porter, rappelez vous que Mai 68 arrive donc c’est pas négligeable parce qu’il y a toute une évolution qui se fait mais moi toute mon éducation elle vient de là. Mais ce qui a fait aussi que cette éducation chrétienne, engagement, parce que c’était comme ça, on s’engageait. Mais quand je dis les valeurs de scoutisme, aider le voisin, donner un coup de main à quelqu’un, ça faisait partie de notre vie. On ne se posait même pas la question, moi pendant des années, j’ai aidé une personne âgée au boulevard de la Cluse, et en hiver, je revois ça parce que les immeubles existent encore même à la rue de Carouge, et là quand arrive l’hiver, il y a un camion qui vient avec le bois, le charbon, et puis le mazout. Vous savez ces petits bidons. Moi j’ai fait ça pendant des années dans le quartier parce que on rendait service et je pense que c’est important, mais moi ça m’a marqué vous pensez bien. Mais aussi en terme de responsabilité, en terme d’engagement, en terme de : le prochain c’était quelque chose d’important et puis, toutes les valeurs de l’évangile. Je parle de l’évangile et pas forcément celles de l’église et je pense qu’au niveau du quartier, il y avait une emprise quand même très forte sur tout ce que l’on pouvait faire et réaliser. Je pense que c’est un point important. De même que s’il faut regarder pour les colonies de vacances, moi j’ai pris des responsabilités très rapidement. Je ne sais pas si je vous ai dit ça mais, très rapidement, et j’ai fais des formations au CEMEA, les centres aux méthodes d’éducation active. J’ai fais toutes les formations nécessaires, mais à 15 ans et demi j’étais déjà aide-moniteur pour les plus jeunes. Et l’année suivante, lorsque j’avais 16 ans et demi, c’est juste pour la petite histoire, parce que ça me semble important par rapport à ce que je réalise aujourd’hui, moi l’aspect militaire des colonies de vacances, l’enfermement je ne supportais déjà pas. Moi je m’étais déjà organisé même quand j’étais comme colon comme on disait à m’organiser pour bien vivre, te fais pas de soucis pour moi et à transgresser tout ce qu’il fallait. Mais, parce que derrière, il y avait aussi, vous savez, d’abord on ne voyait pas les parents pendant six semaines, sauf un dimanche mais en terme de valeurs, je vais vous donner un petit fait. Il y avait la distribution des friandises tous les jours. Et quand on recevait un paquet, parce que le linge était lavé à Genève, dans le cornet il y avait les friandises. On devait ouvrir ça devant un moniteur, donc un curé, un prêtre, ou un séminariste et puis les parents avaient mis des friandises. Alors voilà, mais on partage donc il y a ce qui va dans la caisse commune. Ah et bien je vais donner ça, non c’est quoi que tu aimes le mieux. Ah mais spontanément on dit : c’est ça. Bien c’est ça qui allait dans la caisse commune. Je vous dis pas… Parce que derrière il y a aussi toutes les souffrances, il y a les apprentissages mais c’était ça. Donc apprendre à partager, c’est devenu depuis l’âge de… tout petit.


Aline Armeli : Alors vous dites que vous ne supportez pas l’enfermement et le non respect des droits de la personne. Est-ce qu’il y a quelque chose, par exemple un événement ou une rencontre dans l’enfance ou l’adolescence, qui a marqué votre choix, donc par exemple le stage à Serix-sur-Oron ou Eben-Hezer ?


Alain Dupont : Déjà avant, moi j’ai des faits qui m’ont marqué même quand j’étais à l’école primaire, à l’école de la Roseraie de la part d’enseignants. Et quand je vous disais colonie de vacances, moi très rapidement j’ai mis en place ce qu’on appelait un levé individualisé. Vous savez on devait tous se lever en même temps, alignés enfin on était comme à l’armée, ce qui est venu plus tard mais à l’école primaire, moi j’ai vécu la même chose, avec certains enseignants. Je pense qu’on ne va pas généraliser, mais où la discrimination existait à l’intérieur de l’école. Et moi, je me souviens, j’ai le nom de la personne là en tête, d’un jeune comme moi qui se trouvait à l’école primaire qui était un peu plus turbulent. On aurait dit avec Serix, un peu caractériel puisque c’était les mots qui étaient utilisés. Et puis, un jour, ce gamin à l’école, il était en train de tailler son crayon, l’enseignant lui fait une remarque qui n’était pas justifiée. Et lui lève la main, le prof va pour lui tirer une claque et le couteau à transpercé la main du prof. Et le sang c’est mis à pisser. J’ai mon collègue, mon ami Jean-Pierre, c’est pas le même qu’après, mais qui est tombé dans les pommes. Bref, mais pour dire, oui ça m’a marqué parce qu’on était dans l’injustice. Et, ce qu’il faut que vous sachiez, c’est que cet homme est parti en maison d’éducation. C’était comme ça, pour moi ça n’avait pas de sens, c’était pas forcément compris, comme gamin. Mais, c’est des événements comme ça, à Serix la même chose, quand vous portez du pain et de l’eau parce que vous avez mis des enfants au cachot, parce que l’éducateur… Moi j’ai vu la violence à Serix et moi toutes ces choses là m’ont marqué Et la même chose à l’intérieur de la paroisse, la même chose en colonie de vacances enfin, tout ces aspects liés à la justice, justice sociale. Parce qu’en même temps, on nous tiens un discours et moi c’est là que ça m’a choqué c’est que vous venez de valeurs chrétiennes, on vous annonce des choses et dans les faits c’est pas ça. Et moi, très très jeune ces choses là, cette incohérence m’a marquée. Et je l’ai retrouvé dans l’éducation au même titre quand vous parlez de Serix ou après si on reprend les débuts de la socio thérapie, du Quatre ou autre c’est ces choses là. Et oui, alors c’est pour ça que je dis l’école primaire. Mais la même chose quand vous organisiez, au scoutisme c’était la même chose parce qu’on nous demandait d’être les meilleurs en même temps. Les autres qui n’arrivaient pas à suivre, alors qu’on tenait un tout autre discours, bien simplement, elles étaient évacuées. Il n’y avait pas de place pour les personnes plus démunies à l’époque. Ou elles étaient systématiquement montrées du doigt. Et essayez de vous imaginer que dans le quartier de Plainpalais, où là si vous vous promener aujourd’hui ça parle de toutes les langues, il y a toutes les couleurs et à l’époque, les noirs il y en avait pas. Or vous êtes là, mais il n’y en avait même pas à l’école, mais on nous apprenait le racisme aussi. Bien oui, lisez « Tintin au Congo », c’était nos lectures, essayez de regarder le vocabulaire, les images et autre et les missionnaires venaient vous dire que c’était des sous-hommes, qu’il fallait les éduquer. Vous êtes là, vous vous dites, attendez où est-ce que je suis, à un moment donné, parce que comme moi j’ai toujours été assez critique, et puis je reste aujourd’hui critique par rapport à toute organisation, même par rapport à T-Interaction. Je pense que c’est extrêmement important. Mais cette mise en question, alors que j’y ai participé et moi le racisme il est au fond de moi, la charité elle est au fond de moi. Voilà les mécanismes qui sont… comment je peux mieux gérer ça aujourd’hui, parce que si vous laissez remonter ça, bien simplement vous tombez dans des extrêmes et des abus comme ça peut exister aujourd’hui. Alors oui moi j’ai été marqué même après Serix quand j’ai travaillé comme premier conseiller social après Klaus Engler au cycle d’orientation de l’Aubépine. Premier cycle d’orientation, et puis avec le premier conseiller social moi j’ai vu la manière aussi dont les enseignants, avec tout ce que l’on met en place. Et c’était fait assez finement en fait et moi j’ai pris la défense de ces gens là. Mais déjà en colonie de vacances, déjà à l’école, moi j’ai vu quand j’étais au collège, j’ai un copain qui était dans la classe qui a disparu de la circulation, on n’a jamais voulu nous en parler. Il arrive pour un cours, on se trouvait vers le collège Calvin, et à partir de là il tombe. On a compris bien après, c’est une crise d’épilepsie, il a disparu de la circulation. Lavigny est fait pour ça. On l’a jamais revu mais en plus toutes ces choses là étaient tues. On en parlait pas, il y avait pas une question de dialogue. Moi j’ai souffert de ces choses là, je pense que c’est des éléments qui m’ont amené à mettre en place, parce qu’en même temps on parle de démocratie, vous êtes où ? Je suis pas sur qu’on soit dans le vrai en terme de dialogue, en terme de poser les choses sur la table parce que vous venez du secret dans la famille. Il y a pleins d’autres secrets qui se passent ailleurs, oui j’ai été marqué mais j’ai aussi été marqué par des personnes. Moi si je prend Michel Bassot parce que j’ai refais la liste, une quarantaine de personnes qui ont été sur mon parcours quelques instants ou plus longuement. Moi j’écoutais cet homme, c’est un français, Michel Bassot, qui partait dans l’humanitaire et qui vient nous parler, je parle du scoutisme là. Cet homme là était génial dans ce qu’il proposait comme action c'est-à-dire de construire les choses. Et moi je crois que j’ai pris ces aspects là, moi je pense que je suis plutôt un homme résiliant parce qu’autrement j’aurais choisi la transgression mais dans le sens de la délinquance pour combattre ces choses là. Et je pense que ça sert pas à grand-chose sous cette forme. Comment est-ce qu’on peut analyser, comprendre et puis essayer de construire à partir de ça. Pour ça que moi je suis heureux que vous voyez ces choses là, parce que c’est une construction de quelque chose pour donner place à ces personnes les plus démunies. Et je pense que j’ai été marqué par ça. Et comme quand j’avais fait mon stage à Eben-Hezer, après Serix où là comme on était avec des jeunes et puis il y avait beaucoup de violence et puis moi j’ai vu du personnel éducatif, donc des éducateurs, moi mon éducateur chef je l’ai vu tabasser les jeunes. Mais je les ai vu dégringoler dans l’escalier central à Serix qui existe encore là aujourd’hui, à se battre avec un jeune de 14-15 ans et tout ça pour ensuite aller l’enfermer. Vous dites attendez mais en même temps vous tenez le discours de l’éducation, c’est quelqu’un qui avait une formation d’éducateur. Vous dites il y a quelque chose qui ne joue pas. En tout cas moi je ne comprenais pas ce type de choses là, et puis je crois que je ne veux toujours pas comprendre. Et à mon avis c’est ça, quand je vais à Eben-Hezer, je me suis retrouvé avec des personnes adultes déficientes intellectuelles mais on va dire graves. Puis vous êtes là, mais livrées à elles même, on leur propose rien vous comprenez donc quand vous regardez ça, vous vous dites tien il y a quelque chose qui ne joue pas dans la communauté il y a une place pour tout le monde. Moi c’est ce qu’on m’avait appris en terme de valeurs, donc oui moi j’ai été marqué par ça ou quand j’ai vu… je revois le visage du directeur d’Eben-Hezer, monsieur Montvert, son nom m’est tout le temps resté. Quand je suis arrivé pour lui demander une place de stage mais il m’a dit mais c’est génial, vous êtes le premier à demander un stage ici. Lui c’était la révélation, il se demandait pourquoi, moi j’ai envie de connaître les gens les plus démunis pour voir comment est-ce qu’on peut entrer en matière parce que c’est bien ce qu’on nous a appris. Si vous relisez l’évangile, il y a tout ça dedans. Et puis c’est décrit de façon claire, pas toujours comme l’église nous l’a appris ou nous l’a fait comprendre etc. Parce que l’autre chose qu’il faut que vous compreniez, c’est que moi j’ai assisté aussi ce qui est dénoncé aujourd’hui, mais à l’époque on n’en parlait pas. Tout le thème de la pédophilie, je peux vous en parler de long en large en colonie de vacances donc je vous ai parlé de qui se trouvait là. Moi je peux vous dire, je peux vous donner le détail. Et vous êtes là, c’est quoi ces histoires qui se passent. Et vous vous avez vécu ces choses là. Vous dites, non il y a quelque chose qui ne va pas et comment vous allez transformer ça. C’est pour ça, moi j’ai toute sorte d’événements comme ça mais qui se retrouvent toujours avec cette histoire d’enfermement parce que l’enfermement ce n’est pas que les murs, c’est aussi soi où on s’enferme. Et on s’enferme dans notre propre histoire sans jamais la mettre en question, sans jamais se questionner mais parce que oui il y a d’autres personnes qui vous enferment mais l’enfermement il est chez soi et puis qu’est-ce que je fais de ces questions qui m’arrivent quotidiennement depuis que je suis gamin. Alors l’autre chose, je vais vous dire, parce que j’en ai jamais parler, mais moi j’ai été proche de la mort, comme gamin aussi. Je crois que j’ai jamais évoqué ça, parce que j’ai vécu deux erreurs médicales assez sérieuses, et puis j’en veux pas aux médecins c’est comme ça. A l’époque je pense qu’on n’avait pas toutes les clés. Mais on est venu me chercher à l’école primaire, à l’école de la Roseraie, pour subir une opération, ça faisait deux ans qu’ils cherchaient ce que j’avais et ils ne comprenaient pas. On est venu me chercher en classe pour me dire, tu files juste en dessus, pour être opéré parce que j’étais à l’article de la mort, vous allez y mettre les nuances mais vous êtes en situation de survie. Et puis je vais vous donner un autre exemple, en situation de survie qu’est-ce que vous faites de ça, vous choisissez la vie ou la mort ? J’étais avec ma grand-mère, là c’est les habits du mariage, vous imaginez là où ils vivaient et puis je pars en vacances chez un oncle qui était boucher charcutier à Ville-en-Salaz et c’est juste une petite anecdote mais qui moi m’a marquée. C’est parce que vous posez ceci, et puis où on m’a enfermé aussi mais je me suis laissé enfermer. Jusqu’au moment où j’avais la capacité d’agir et réagir mais là bas, j’ai été, vous avez peut-être vu que j’ai une fossette là qui fait tout mon charme, et à partir de ça c’est un chien qui était bien des mètres plus loin, il y avait deux chiens qui faisaient partie de la boucherie et autre etc. Et puis qui tout d’un coup a perdu la tête et puis il a bondit, il est venu vers moi et il m’a arraché la figure. Il y avait juste le trou là et je me revois, j’ai crié, j’ai poussé un cris donc les gens sont venus, j’ai même pas pleuré, ça c’est les choses de mon histoire et puis à partir de là, c’est tout le discours, c’est pas le fait. Alors on m’a conduit chez le médecin, il m’a dit on ne peut rien, il a mit une épingle pour conserver un peu la peau et autre et puis c’est pas pratique de manger par le côté, il vaut mieux manger par le devant, je vous le dis. Et puis, ils m’ont conduit à l’hôpital et ils m’ont recousu. Le drame, jamais jamais Alain tu vas pouvoir trouver une copine, une femme ou autre. Mais j’en ai entendu, et on m’a obligé pour atténuer la cicatrice et tenez vous bien, je sais plus ce que c’est comme pommade deux fois par jour de me frictionner pour atténuer la cicatrice. C’était comme ça et ça a duré deux trois ans, parce que j’étais haut comme trois pomme donc vous obéissez. Mais attendez, ça a des limites l’obéissance. Et en fait c’est ce qui fait que j’ai trouvé je ne sais combien de femmes dans ma vie. Mais simplement pour vous dire, oui mais c’est un fait marquant vous comprenez où vous êtes là parce que non… on avait détruit votre vie, vous allez pas pouvoir en faire quelque chose parce que vous êtes défiguré. Vous êtes devenu une personne handicapée, et bien excusez moi, non. Enfin bref, intérieurement je ne le vivais pas du tout comme ça. Enfin bon, pour moi j’ai été mordu, j’ai été mordu. Et en plus, même mon oncle n’en pouvait rien. Simplement c’était un Berger-Allemand, vous savez et puis il était très âgé et puis il parait que ces bêtes là à partir d’un certain âge ça arrive ce type de choses. Moi j’en sais rien mais pour l’avoir entendu après puisqu’il y en a souvent qui se font mordre par des chiens. Mais personne ne m’a aidé à construire avec ça. J’ai eu peur des chiens, je suis pas toujours tranquille avec mais ça a mis des années pour que j’ose (Anecdote) Mais simplement vous faites avec ça, mais personne, oui il fallait que je frotte là sur le handicap physique que j’avais.


Tu as nous raconté une histoire de l'anti-psychiatrie qui souvent est partie des murs même de l'institution (avec Eisenring, Garonne, etc.) et a été réalisée grâce à des choix politiques de l'Etat même si sur le terrain tout était à créer, à expérimenter (essai, erreur, évaluation, rectification, etc.) : te considères-tu comme un militant de l'anti-psychiatrie? et vers quoi ta critique se porte aujourd'hui ?

(38 :01)

Sincèrement je ne me sens pas dans l’anti-psychiatrie. Sincèrement moi j’ai toujours cru alors c’est une erreur aujourd’hui qu’une institution comme Bel-air ou le centre psychosocial, c’était possible de changer l’institution en soi. Moi je suis et je l’ai toujours annoncé comme tel moi je veux être à l’intérieur pour changer des choses, modifier des choses. Et je suis resté en même temps pour voir ce qui se passait et pour proposer d’autres choses à l’intérieure de l’institution. Moi je crois que l’institution est trop puissante et n’est pas prête à modifier avec toutes les strates qui existent et avec toutes les luttes de pouvoir et en fin de compte même le cadre de Trajets n’était pas un contre-pouvoir par rapport à ça. Moi je ne me trouve pas comme d’autres militants comme Alain Riesen et Roger Schuler. Moi je ne peux pas me poser en contre simplement dans le sens où je l’entends ou dénoncer, j’ai passé à ma vie à dénoncer et me battre mais pas comme un militant qui sort et qui se pose contre ce qui se passe. Je ne sais pas faire cela. Par contre je suis assez stratégique et tactique dans ce que je mets en place. Je suis parti de ce que je voulais dès le départ. Pour moi il n’y avait pas de dialogue-. Comment est-ce possible d’être entendu ? Mais pour cela il faut être à l’écoute des personnes et d’une communauté. Et d’être à l’écoute. La psychiatrie s’est le psyché et iatros, c’est le médecin. On est dans la médecine du psyché. Le mot a été dit en 1808. C’est les soins de l’âme ; on va faire le lien avec les valeurs chrétiennes. Mais moi ce que j’ai mis en place comme militant, mais comme psychosocial en psychologie sociale et psychosociologie qui ne se pose pas en contre la psychiatrie, mais en complémentaire avec quelque chose qui existe. Et en ce sens j’ai voulu me faire entendre. Mais dans ce sens là cela m’a servi d’être à l’interne et voir ce que vivent les médecins, les infirmiers et les ergothérapeutes qui étaient à l’intérieur. Et peut-être ensemble de pouvoir réfléchir. C’est quelque chose de très complexe. Car je l’ai vécu puisque j’ai fermé des institutions quand même. Il y a une institution de 98 personnes avec des troubles intellectuels : ces gens vivent dans la communauté : il a fallu travailler avec le personnel. A Genève on est la Mecque de la psychiatrie à l’époque, Genève est regardée comme la Mecque au niveau de la psychiatrie. Vous ne toucher pas à cela moi-même j’ai fait une erreur. Une erreur de vouloir modifier tous ces aspects là. Vous pouvez faire toutes les manifestations que vous voulez ça ne changera rien pour ces personnes. Actuellement il y a encore 50-60 personne qui vient à la clinique : cela a modifier quoi pour eux ? Rien au-delà des personnes concernant personnes des articles 49 où on a commué la peine de prison en internement psychiatrique. C’est quelque chose qui m’a toujours frappé. Il ne suffit pas de mettre en place trajets, T-interaction il faut faire des partenariats. Moi je suis plus dans cet état d’esprit De poser le dialogue, même si c’est difficile. En 1981, un psychiatre m’avait dit vous n’avez pas de concepts. J’ai dit stop on va organiser une journée et on va parler des valeurs et des concepts et de ce qu’on met derrière et comment on travaille. Ils étaient très surpris : il y avait 80 personnes à ce colloque qu’on a fait ici à Genève pour les gens de la psychiatrie. Et à partir de là ils ont découvert et cela ouvert des portes. Je ne suis pas sur qu’il faille tirer à boulet rouge dessus. Que l’on dénonce que l’on se pose en personnes critiques, mais regardons aussi chez nous. Là je suis entrain de scanner des milliers de photos et clichés quand je vois le point de départ et aujourd’hui : c’est le jour et la nuit. Le point de départ c’était le scoutisme. On travaillait de cette façon là au départ du Quatre et de Trajets : eux ils n’avaient pas été scoutes, mais moi j’étais chef de patrouille. Quand on a fait le potager de la Vendée j’étais parti chercher de l’argent : moi j’ai répéter une histoire. Moi j’étais parti avec quarante gamins en Suède faire un camp de vacances en Suède on était trois pour trente gamins, c’était génial on leur a fait vivre tout sorte de chose, mais en même temps on n’avait pas d’argent. On avait fait des crêpes on avait récolté de l’argent pour ces gamins de Plainpalais. Le potager de la Vendée c’était la même chose. On avait récolté 10'000 Frs de la même manière. Et moi quand je regarde aujourd’hui on s’y prend différemment aujourd’hui on donne une vraie place aux personnes. A l’époque on était encore dans l’aide, de patients, de fous. Je suis sur que je n’étais pas convaincu que les gens pourraient modifier des choses de leur vie. On les voyait en situation de crise et on avait besoin des psychiatres et des soins on était bien content qu’il y ait des neuroleptiques en situation de crise. On peut dénoncer des manières de faire ou simplement … parce que j’ai assisté à des situations où es psychiatres qui enfermais des gens. J’ai retrouver quelqu’un à Trajets : lui avait fait une école d’ingénieur et avait péter les plombs et c’était retrouver à Bel-Air. Et moi je l’avais vu et puis le gars qui gérait l’entreprise de pommiers (on avait planter mille pommiers) m’a dit de venir, et le type me dit que le psychiatre à Bel-Air lui avait qu’il y passerait toute sa vie. J’ai dit il délire et on va voir le psychiatre et on a attendu parce qu’on est patient. Et quand le psychiatre est venu, c’était un jeune psychiatre parce qu’il change tout les premiers octobre les assistant ! Je lui dit ça et il me dit oui c’est vrai et il prend le DSM III il prend ça et il lit eh oui parce que 80% des gens finissent à Bel-Air c’était au début des années 80 ! C’est la règle : c’est ça l’enfermement. Et moi je dénonce. Et je l’ai dénoncé, mais je ne suis pas sur… que c’est une forme de militantisme, mais moi j’ai mis en place des stratégies où les personnes et les structures, et une des stratégies avec Trajets de faire en sorte que cela grandissent et qu’ils ne puissent pas récupérer. Car dès le début ils voulaient récupérer et mettre ceci à l’intérieur de l’institution. Je dis non on est dans la communauté et on veut y rester. Et quand vous avez mis en place bureau service, le potager de la Vendée, bureau service, les loisirs les vacances, et autres et que cela touche une centaine de personnes, on y touche moins. Mais la récupération c’est le risque c’est ce qui se passe aujourd’hui. L’enfermement, on y retourne et on y est avec bon nombre d’institutions qu’on a fait grandir ; mais c’est le politique qui a fait grandir. Ma critique aujourd’hui c’est que d’abord : il n’y a plus de militant pas dans le sens pas s’opposer en contre mais de militer pour des valeurs. Oui j’ai milité non pas contre la psychiatrie mais pour l’intégration sociale, professionnelle pour une justice sociale pour que les gens aient une place dans la communauté une place au travail. Là on a rassemblé tout le personnel pour leur annoncer que les bénéfices qu’on a fait cette année on va le partager. Ils ont droit au partage des bénéfices. Je crois à cela c’est des stratégies. On s’est posé la même question pour T-Intéraction parce qu’on cherche à récupérer…. Les Epis le nouveau directeur général écrit au directeur de T-Intéraction il propose qu’ils se voient… on est loin des ateliers protégés avec 300 personnes on est à des kilomètres de distance. Il faut qu’on se voie pour mettre en place des partenariats. Mais ce sont les prémisses à une récupération. Là il y a un risque c’est un système… ce n’est jamais terminé… là on s’adresse à de personnes fragilisées, mais c’est la même chose pour les requérants d’asile, ou les Roms et ceux qui cherchent une place fixe dans le canton de Vaud, il faut se battre. Le risque aussi c’est le management parce qu’aujourd’hui on est plus dans la rencontre de l’humain, on parle management et on crée des strates qui dirigent. Moi je n’ai rien contre le management : Trajets a été ISO, et la buanderie de Pont d’Arve a été la première entreprise sociale en psychiatrie à être ISO, 2001 : c’est important. J’ai une formation dans le domaine et je crois à la qualité et on a besoin d’avoir des procédures et autres mais il faut limité. Quand j’étais à Trajets c’était une obligation de l’OFAS 2000 il y a fallu créer 3 postes pour savoir où cette tasse a été inventoriée et quel est le prix etc. Vous me direz que cela crée de l’emploi, mais cela fait aussi que vous ne bougez plus au niveau des personnes ! Il y a aussi le risque que comme militant, ma fois les horaires : les gens ils vivent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 comment on peut les suivre ? Est-ce qu’on peut continuer à s’engager ? Je n’étais pas parti pour cela. Au départ. D’abord un les études m’agaçais j’aurais fait un apprentissage j’ai besoin de créer. Heureusement mon père m’a appris. Je sais tout faire de mes mains. Je l’ai vu faire. On récupérait tout. Mon premier vélo, il n’y avait pas d’argent pour l’acheté, on récupérait tout ce qu’il y avait au bord de la rue je l’ai reçu à mon anniversaire il avait toute sorte de couleurs : c’était magnifique. J’aurais voulu partir comme menuisier. J’adorais les voitures, à dix ans j’avais toujours le nez dans les moteurs. Puis j’ai rencontré Klaus Engler, qui avait fait sa formation chez Pahud à Lausanne. Je l’ai rencontré par le biais du scoutisme. Et lui a vu toute sorte de choses chez moi que je fais aujourd’hui. Mais lui avait vu moi pas Mais je ne regrette rien du tout. Dans le scoutisme j’enseignais lesn travaux manuels et puis les jeux avec les gamins. Et lui ma dit il faut que tu fasses l’école Pahud. Et j’ai dit eh bien oui. Il m’a dit il faut que tu aies à Serix et il a pris contatc et les choses se sont faites comme cela. Moi j’aurais fait des choses manuelles et j’aurais fait des chose sartisites. Et j’ai suiv des cours de sculpture et peinture. J’avais un ami artiste peintre et j’étais chez lui. J’ai suivais des cours 4 heures chaque semaine. J’ai payé mes cours chez Pahud en vendant mes tableaux ; je faisais de l’huile donc. Et cela va dans le même état d’esprit : la créativité, j’ai x idées par minutes. C’est fatigant des fois. Klaus Engler a été mon coach comme on dit aujourd’hui. Il a été le premier éducateur de rue à la PDJ et il avait créé ces services pour être dans la communauté avec les gens ; c’est lui qui a créer les conseillers sociaux avec Valy Degoumois qui était directrice de la Protection de la jeunesse, une femme extraordinaire, et c’est son mari qui était le premier président de Trajets en 1979. Un homme extraordinaire : c’était un juge. Ces rencontres là a fait que j’ai choisi ce métier là. Mais j’ai découvert que j’ai fait pour moi en fonction d’où je viens. Je suis resté timide et j’étais réservé mais avant j’étais très très timide. J’ai trouvé cela avec mon ami André Blanchet qui est à Boston. J’ai eu travaillé avec lui. C’était un militant, qui s’est battu contre les hôpitaux psychiatriques. Il a du quitter le Québec, il eu des procès, il a été condamné… et je l’avais fait venir à Genève pour un cours sur l’intégration communautaire. J’avais ouvert cela à une quinzaine de personnes, mais cela n’a jamais été renouvelé ; parce que les instituts sont fait comme cela c’est des questions de mode ! Je me souviens et un jour j’ai pris consciences de tout cela. En fait les valeurs premières je les ai mises au service d’autrui, mais c’est seulement en 91. Tout le chemin parcouru. On fait les choses d’abord pour soi après on les mets au service d’autrui Il a fallu que je fasse mes expériences C’est pour cela que je parle de résilience. Le moteur énorme ce n’est pas le militantisme c’est le plaisir. Tous les soirs je fais le point sur ce que j’ai fait et ce que je peux améliorer. Et tous les soirs je sais ce que je vais faire le lendemain. Puis je prends de la distance et je regarde la nature et je me nourris. C’est du bonheur. J’ai envie comme militant de poursuivre ces choses là. Un métier aujourd’hui si je devais changer je pense que je fais travailler encore dix ans pour améliorer et aller vers l’excellence par rapport à ce qu’on fait. Je reste très critique : il faut garder cette approche réflexive tout le temps. L’autre chose qui m’attire c’est tout le côté artistique : peinture sculpture. J’ai un atelier c’est un monde de trésor parce que je ne suis pas capable de voir quelque chose qui traine, je m’arrête, je le mets dans ma voiture et j’en fais quelque chose, Il y a un tel gaspillage et j’ai toute sorte d’idée de cet ordre là. Je l’ai fait avec des gens qui ont des graves difficultés et mis en place avec Jacqueline Backmann un atelier avec des gens qui ont des difficultés psychologiques et psychiatriques. Aujourd’hui elles font quelque chose de leur vie mais ce n’est pas reconnu, parce qu’il faut travailler. Mais c’est pas le travail qui est important c’est le choix de l’activité que vous voulez faire et quand vous vous levez le matin vous avez le bonheur devant vous. C’est la règle pour toutes les personnes. Si vous vous levez le matin et faites la gueule il faut changer de métier, car il y a toutes sortes d’activités pour gagner sa croûte. On va se mettre ensemble pour regarder ce qui est possible. Avoir un boulot alimentaire et pouvoir se réaliser. Moi je ferais des choses comme cela mais aujourd’hui je me lève à 5 heures du matin pas parce que j’ai des obligations, mais pour le plaisir mais j’ai besoin de la rencontre tous les matins.