« Alain Dupont: un entrepreneur social » : différence entre les versions

De DeWiki
Aller à la navigation Aller à la recherche
Ligne 110 : Ligne 110 :
''A venir''
''A venir''


== II L'expérience d'éducateur collectif (stage, Ecole Pahud)==
== II Réforme dans les institutions et création de réseaux sociaux==


En 1965 Alain Dupont aux côtés de Jean Grob, ancien directeur de Caritas-Genève, fonde Caritas-Jeunesse [http://%20http://www.caritasge.ch/p107001102.html Caritas].
En 1965 Alain Dupont aux côtés de Jean Grob, ancien directeur de Caritas-Genève, fonde Caritas-Jeunesse [http://%20http://www.caritasge.ch/p107001102.html Caritas].

Version du 23 décembre 2012 à 15:07

Préambule: psychiatrie et anti-psychiatrie aujourd'hui?

L'histoire de l'anti-psychiatrie n'a pas encore été faite. Seuls les travaux récents d'Isabelle von Bueltzingsloewen et le livre de Jacques Lesage de La Haye, paru en mai 2010, posent quelques jalons historiques. Wikipedia donne des éléments de base pour saisir rapidement les enjeux principaux [[1]]. Or, quelques articles récents dans la presse en Suisse romande ou une émission sur Antenne 2, à la télévision française, montrent un nouveau questionnement sur l'histoire de l'anti-psychiatrie, au moment même où la crise économique touche des pays comme la Grèce et affecte directement les soins psychiatriques. L'article de la Tribune de Genève, du ....., "Les fous de l’île de Leros", met en évidence le lien entre restrictions budgétaires (des subventions européennes qui ont servi à financer l’institution de «Leros») et les conditions de vie des personnes. Les restrictions budgétaires imposées par Bruxelles prive la Grèce. Les personnes handicapées mentales plus ou moins privées de voix sont abandonnées à leur sort. Si l'ingérence politique de la résonance financière des géants économiques de l’Union Européenne à l’organisation et à la surveillance des institutions grecques, conditionnelles aux emprunts, devient de plus en plus invivable pour la population grecque, cette “déconfiture“ institutionnelle de l’état grec est une véritable fabrique de personnes oubliées. Parmi elles, ce sont les personnes malades mentales, de part leur vulnérabilité, qui paient visiblement le prix le plus fort. La santé physique et la santé mentale de la population sont de parfaits indicateurs de la santé politique d’un pays. Il est difficilement concevable que le soutien financier des pays européens se fait au péril de la santé de la population grecque.

A Genève l'association les Archives contestataires [[2]] a récemment proposé une soirée sur le thème de "Psychiatrie et antipsychiatrie. Histoire, acteurs et enjeux d'une contestation, des années 1968 à nos jours" démontrant un intérêt pour l'écriture de cette histoire à partir d'archives et de la recherche de nouvelle archives sur ce nouvel objet de l'histoire du XXe siècle.

Un retour sur l'histoire de l'anti-psychiatrie genevoise dans les années 1970 et 1990, est un moyen de réflexion sur les formes qu'a prise alors la désinstitutionalisation, sur les moyens mis en oeuvre pour considérer le patient psychiatrique comme une personne et sur les enjeux idéologiques des choix politique faits. La désinstitionalisation n'est pas à confondre avec un simple retrait des prestation de l'Etat, c'est un choix de prise en charge ambulatoire, respectueuse de la vie quotidienne de personne qui ont des droits à "vivre comme tout le monde", selon une formule porteuse dans le champ du handicap mental dès la fin des années cinquante. Une telle réflexion est particulièrement importante aujourd'hui où le néo-libéralisme oblige à penser des entreprises sociales qui ne soient pas seulement subventionnées par l'Etat. Le parcours d'Alain Dupont est particulièrement emblématique: ayant débuté sa carrière professionnelle avant Mai 68, il a traversé la période militante contre l'enfermement, pour le respect de la personne et de ses droits (droit de l'usager) et il a fait le choix de créer des lieux de vie diversifiés (logement, travail, loisirs, vacances) en lien autant avec le réseau de la psychiatrie genevoise qu'avec des subventionnements privées et surtout des entreprises productives sur le modèle capitaliste.

Prendre un acteur important de cette époque est une occasion, pour lui, de faire un retour par la mémoire, l'archives (notamment photographiques) et pour les étudiantes de découvrir une époque inconnue, d'apprendre à recevoir un témoignage et à écrire une biographie, fusse-t-elle qu'une goutte d'eau dans le vaste champ de l'histoire de l'éducation spéciale et spécialisée du XXe siècle non encore exploré.

Diona Furrer

Introduction : Dire et comprendre pour écrire l'histoire (titre provisoire

Le récit que vous allez lire est le résultat d'un travail d'intelligence collective dans une communauté de travail de sept étudiantes en Master en enseignement spécialisé, d'un témoin, Monsieur Alain Dupont et de deux enseignant/e/s, l'une pour le suivi du cours-atelier en histoire de l'éducation spéciale et spécialisée et l'autre pour le soutien technique et théorique au wiki.

Le travail mené au cours de 13 semaines consiste pour les étudiantes à s'approprier minimalement le wiki, à acquérir une méthode de travail collective et une méthode de recueil de témoignage. Il s'agit de recueillir un récit autobiographique (avec enregistrement audio-visuel) et à en rendre compte par l'écrit. Le but poursuivi est de créer une archive audiovisuelle permettant d'alimenter le patrimoine de l'histoire de l'éducation spécialisée, et en particulier celui de la psychiatrie, et d'écrire un récit biographique explicitant le rôle et l'action d'Alain Dupont dans le développement du mouvement de l'anti-psychiatrie à Genève dans les années 1970-1990. L'idée générale est de permettre de construire collectivement une histoire individuelle dans une histoire collective et de mieux comprendre comment se font les interactions et influences entre individu et société.

L'article comprendra une longue introduction générale présentant la méthode, les choix épistémologiques et quelques éléments historiques écrits collectivement.

Le récit biographique d'Alain Dupont sera présenté en quatre chapitres, lesquels correspondent aux 4 recueils de son témoignage, dans 4 lieux différents et abordant, outredes périodes et actions historiques, une réflexion parcourant l'ensemble du texte. Les étudiants seront à même d'apprendre en écrivant ce récit biographique grâce à la retranscription minutieuse des 4 entretiens.

L'intérêt du récit biographique est de situer la personne dans le temps et de lui donner une place particulière dans le champ de l'anti-psychiatrie et son histoire; une place à la fois unique est représentative d'une génération ou d'un groupe générationnel. Alain Dupont se prête particulièrement bien à l'exercice en occupant une place unique par la persistance de son engagement (entre 1963 – premier stage de formation effectué – et aujourd'hui, par ses choix politiques, ses méthodes et sa personnalité. Dans le dernier entretien il dit: "Sincèrement je ne me sens pas dans l’anti-psychiatrie. Sincèrement moi, j’ai toujours cru, alors que c’est une erreur aujourd’hui, qu’une institution comme Bel-air ou le centre psychosocial, c’était possible de changer l’institution en soi." Certes dans ce travail de remémoration, on prend de la distance critique, mais le risque est aussi pris de reconstruire le passé en fonction du présent et de la critique surtout lorsque la personne modifie sa manière de travailler ou de penser. Car le mouvement anti-psychiatrique de l'après Mai 68 n'avait-il pas des velléités de destruction radicale des institutions totalitaires et les alternatives se faisaient d'abord en dehors. Alain Dupont s'est-il positionné dès ses premiers pas dans un réformiste tempéré, tel qu'il est amené à se considérer aujourd'hui ? Ou n'est-ce pas plutôt les opportunités et les expériences qui l'ont inclinés progressivement vers plus de consensus? Dans le premiers cas, il faudrait alors considérer le mouvement anti-psychiatrique genevois divisés entre des militants qui se posent contre ce qui se passe et ceux qui comme Dupont sont des militants qui proposer d’autres choses à l’intérieure de l’institution. Dans le second cas, on peut faire l'hypothèse que l'institution psychiatrique s'est aussi transformée par la rencontre de deux champs disciplinaires: la médecine psychiatrique et le travail social, lequel apportait de nouvelles méthodes: le case work (travail centré sur la personne), l'intervention en milieux ouverts, la pratique des réseaux et qu'une personne comme Alain Dupont a pu être un lien entre une culture anti-psychiatrique militante (n'a-t-il pas révélé avoir détruit des appareils d'électrochoc ou voler des clés dans un hôpital psychiatrique français où il se rendait pour en faire l'évaluation dans les années 1980?) et une culturel de l'institution psychiatrique qui elle-même a dû réagir aux attaques qu'elle subissait (notamment lors d'arrestation de militants politiques ou lors de la mort d'Alain Urban).

Histoire individuelle et histoire collective: une complexité phénoménale (titre provisoire)

L'histoire de l'anti-psychiatrie s'inscrit non seulement dans l'histoire de la psychiatrie, mais aussi dans celle d'une conception des soins à la personne qui a particulièrement marqué le champ de l'éducation spécialisée dans les années de l'après-guerre. De cette génération des Trente Glorieuses, de la révolution cubaine à celle de Mai 68, bien des acteurs se sont engagés socialement pour des valeurs de justice et d'égalité sociales, promouvant des modèles d'intervention sociale novateurs ou s'inscrivant dans une tradition de l'éducation sociale (communauté d'enfants, communautés thérapeutiques notamment). Ces acteurs et actrices critiques des institutions traditionnelles ont été des contre-pouvoirs souvent créatifs proposant des contre-modèles institutionnels. Les critiques portent autant sur l'école, la prison et l'hôpital psychiatrique qui apparaissent comme des institutions totalitaires. Les travaux de Michel Foucault ont particulièrement abordé leur histoire dans cette perspective et ont été une référence importante pour cette génération. Mais d'autres auteurs ont aussi été des références incontournables comme Yvan Illitch, auteur d'"Une société sans école", Franco Basaglia, auteur de "L’institution en négation", ou encore Thomas Szasz, ayant écrit "Le mythe de la maladie mentale", renvoyant à une critique de l'institution mais aussi de la norme questionnant ainsi la normalité tout en revendiquant une normalisation de la vie des handicapés et des malades psychiatrisés. Fondamentalement, c'est la critique de l'enfermement qui se déploie, que cela concerne l'enfermement de l'enfant handicapé dans sa famille ou le malade psychiatrique dans l'asile.

Deux grands modèles vont émerger, en France, dans les années d'après-guerre: la sectorisation et les communautés de vie.

Le secteur, groupe de prise en charge ambulatoire et de suivi des malades dans les quartiers, reste tout de même lié à l'hôpital psychiatrique. L'usage des neuroleptiques, dès les années cinquante, a favorisé cette prise en charge ambulatoire. Mais ce sont aussi le manque de structures sociales de prises en charge qui ont empêché de sortir de l'hôpital, d'où la nécessité de créer des lieux alternatifs. Faute de pouvoir sortir le malade de l'hôpital psychiatrique, celui-ci s'ouvre à d'autres pratiques de thérapies sociales telles la sociothérapie ou l'ergothérapie. Le courant de la psychothérapie institutionnelle prône pour les malades psychiatriques un possible retour à la vie normale.

Les modèles des communautés de vie, par exemple, revendiquant une vie comme tout le monde et une certaine "normalisation" de la vie quotidienne pour les handicapés mentaux comme pour les malades psychiatrisés, ont donné lieu à des expériences originales (voir l'exemple en France, dans les années soixante, l'Arche de Jean Vannier [[3]] ou Fernand Deligny à la grande cordée [[4]] et en Suisse, dans les années septante de la communauté de ... film de Catherine Scheuchter. Dans l'aventure du non de la parole). Même si les conceptions ont pu différer dans les pratiques, un objectif les fédérait: l'appropriation de sa propre vie qui apparaissait comme un quasi droit.

Le mouvement anti-psychiatrique participe de cet élan à la fois critique de l'institution et revendicatif d'une normalisation, comme l'a aussi été celui de l'intégration sociale des handicapés prônant une vie comme tout le monde pour les enfants non scolarisés et souvent à la charge de leur famille (jusqu'à l'entrée de l'A.I en 1959). Le monde de la psychiatrie a été bouleversé de l'intérieur, dès les années soixante, par des changements apportés par des médecins, comme à Genève Juan Ajuriaguerra, mais aussi de l'extérieur par la pression des militants et des usagers de la psychiatrie. Une troisième voie semble avoir été l'ouverture de lieux dans la ville-même, obligeant à un certain contrôle des personnes (notamment grâce aux médicaments psychotropes, comme le Gardénal) et à une modification du regard porté sur la folie par la population.

A Genève, en 1973, à l'intérieure même de l'institution psychiatrique des questionnements se font et des alternatives sont proposées notamment la communauté thérapeutique. Mais la direction veille au grain et deux médecins sont renvoyés (dont Bierens de Hahn). A l'extérieur des murs, Une foule de collectifs se constituent avec une vie éphémère autour d'événements particuliers. En juin 1977, lors d'une manifestation à Gosgen, une militante anti-nucléaire est arrêtée et internée à Bel-Air; elle subit des électrochocs contre sa volonté. Cette mobilisation s'est particulièrement cristallisée autour de la part d'un jeune Alain Urban, interné en juin 80 sur un mode non volontaire (entre 1981 et 1989 est passé de 1005 et 2034, chiffres donné par Rolf Himmelberger, lors de la soirée antipsychiatrie de des Archive contestataires). Un comité se crée pour la libération d'Alain, s'y joignent des femmes du centre femme, le comité contre l'internement psychiatrique, le réseau romand contre la psychiatrie (qui édite un bulletin) et le comité contre Verbois nucléaire. Mais Alain meurt le 19 juin après une cure de sommeil. Mise en cause des professionnels qui travaillent dans l'hôpital, le pouvoir qui leur est attaché et contestation de la hiérarchie médicale. L'hôpital psychiatrique est considérée au même titre que la prison comme un lieu d'enfermement, lieu d'abus de pouvoir dans lequel l'individu est nié. Le mouvement anti-psychiatrique genevois lutte pour le droit des usagers, un accès à l'information médicale, au dossier, et un consentement éclairé du patient. C'est aussi un manière différente de concevoir la maladie mentale. L'association ADUPSY, association pour le droit des usagers, est créée en 1979, dont le fonds d'archives est déposées à l'association des archives contestataires, sera un moteur pour les luttes anti-psychiatriques, en particulier entre 1970 et 1980.

C'est aussi dans ces années que s'inscrit le premier engagement d'Alain Dupont, lorsqu'il ouvre un service de sociothérapie à l'hôpital psychiatrique de Bel-Air avec le Dr. Eisenring, en 1972, premier acte d'un itinéraire qui l'amènera progressivement à multiplier les créations sociales (Le Quatre, Trajet, T-Interaction pour les plus connues). Ces créations l'amèneront progressivement à glisser de l'action sociale (privée et publique) à l'entreprise sociale mixte (privée et publique). Des actions et des entreprises de solidarité qui vont incarner des idées et des méthodes travaillées dans des lieux de formation (il est enseignant à l'École de travail social dès 1972), et dans la recherche-action telle qu'elle est prônée à l'université où il entre dans les années 70. Sa pensée est marquée par des thématiques dominantes dans le champ du social et des sciences de l'éducation de cette génération 1970-1990, dont il sera l'un des représentants: la normalisation, la valorisation des rôles sociaux, l'observation, l'évaluation, l'intervention en réseau. Un itinéraire marqué aussi par un engagement social fort, hors des institutions traditionnelles, ralliant un réseau de soutien politique et financier à des idées qui étaient loin d'être dominantes. Entre le respect des institutions et de leurs politiques et l'engagement militant et contestataire des associations d'usagers, le chemin d'Alain Dupont est un entre-deux où domine un goût pour la création, la conduite d'équipe et l'ambition de réussir dans un esprit de liberté. Posture personnelle, politique, philosophique, générationnelle qu'il s'agira de tenter de comprendre.

Le récit biographique: quelques points de méthode

Le récit biographique s’est construit à partir du témoignage d'Alain Dupont lors de quatre entretiens. Selon Descamps (2006), «  la révolution technologique du numérique devrait encore accroître et perfectionner le recours aux sources orales.» Chaque entretien, durant environ 90 minutes, a donc été filmé et enregistré. Ceux-ci ont eu lieu dans quatre endroits différents, particulièrement sélectionnés. Effectivement, les entretiens ont été réalisés au Pyramus, à l’hôtel Silva, dans le bureau d’Alain Dupont, ……, des lieux représentatifs pour Alain Dupont, car il semble être déterminant de « situer le témoin dans son environnement familier. » (Descamps, 2006) De plus, la découverte de ces différents endroits nous a plongée dans une ambiance à chaque fois particulière, intime, nous permettant de mieux nous représenter son quotidien, de rendre plus concrets certains fait évoqués lors de sa narration. Par ailleurs, il est important de relever que dans les deux lieux publics, le bruit inévitable de la salle a interféré avec la parole enregistrée et rendait alors la retranscription plus fastidieuse.

Ainsi, ces entretiens ont fait, dans un premier temps, l'objet d'une retranscription car « l’information écrite se manipule plus aisément et circule plus facilement que l’information orale. Le passage nécessaire de l’oral à l’écrit impose donc une restructuration de l’information. Cette réorganisation ne vise que l’accroissement de la lisibilité du texte. » (Elegoet, …….). C'est d’ailleurs uniquement à partir de textes retranscrits que le récit biographique s'est construit. Quelques documents d’archives ont été ajoutés afin d’illustrer un point particulier. Une transcription systématique et totale a été effectuée afin de ne pas opérer une censure non raisonnée du matériau. Cependant, certaines anecdotes ont parfois été résumées ou uniquement indiquée car peu pertinentes pour le récit final. De plus, les tics de langages, les répétitions ont été supprimées. les passages ou mots incompréhensibles, perdant leur sens sont représentés par des « points de suspension ». Cependant, nous remarquons que l’oral permet bien souvent de saisir le sens par les non-dits, les sourires, les clins d'œil… Ceci se perd parfois avec l'écrit, rendant parfois difficile la compréhension, le sens, alors perçu lors de l'entretien.

Ces divers entretiens représentent des matériaux riches en information car Alain Dupont est un homme loquace. Ayant la parole facile, il était donc difficile de l’interrompre et d’intervenir dans l’entretien. Puisque les questions de chaque entretien lui étaient transmises au préalable par le biais de la plateforme Dewiki, nous supposons que son discours était plus ou moins préparé à l’avance et par conséquent, il venait avec une idée de fil directeur très précis et se laissait très peu réorienté par les questions nouvellement posées. Ainsi, il ne répondait pas réellement à toutes les questions. Malgré une vive tentation de poser de nouvelles questions, pour le relancer la discussion ou pour ouvrir sur un nouveau thème (sa famille, sa vie personnelle...), le risque n'a pas été pris afin de ni l’embarrasser ni qu’il s'éloigne du thème. De plus, pris par sa propre narration, Alain Dupont a pu perdre une certaine cohérence, sautant d'une idée à l'autre. Le manque de datation précise de certains événements a rendu difficile la cohérence biographique et a nécessité une recherche à l’aide d’autres sources.

Par la suite, nous avons procédé à l’analyse des entretiens, tentant de restituer une certaine chronologie des événements évoqués et suivant plusieurs thématiques structurant notre article, autour de la vie d'Alain Dupont: 1)L'expérience d'éducateur collectif (stage, École Pahud) 2)Caritas, Le Quatre, la Vendée 3) Trajets 4) T-Interaction

Toute cette démarche - des entretiens jusqu'à la rédaction de l'article biographique final- s'est effectuée à l'aide de la plateforme Dewiki, outils d'intelligence collective.

Alain Dupont est une personne qui, au jour aujourd'hui, analyse beaucoup ce qu'il a fait par le passé et prend du recul par rapport à ses actions du passé. Alain Dupont tient à revenir sur ce qu'il a fait auparavant afin d'évoluer et de mettre sa pratique toujours en question. Cela reflète une qualité d'analyse de sa pratique professionnelle qui permet une formation constante.

Synthèse élaborée en commun

Mots principaux qui peuvent guider le récit et caractéristiques principales du personnage. Ces mots peuvent être la trame, titre et sous-titre du récit: (les mots principaux se trouvent à gauche; à droite se trouvent des thèmes qui caractérisent le personnage)

- Enfermement ----- Empirique, s’autoforme, formateur, évaluateur

- Rencontre, partage ----- Valeurs chrétiennes

- Engagement militant: réforme de l’institution ou destruction ? ----- Passionné

- Prise de risque quant à sortir de l’institution, pas de travailleurs, ni médecin ----- Entrepreneur, moi je

- Intégration, participation sociale, chacun a sa place dans la communauté ----- Humilité, ouverture face aux autres

Alain Dupont dans l'histoire de l'anti-psychiatrie genevoise

A. Retrouver la cohérence chronologique 1946 ou 1963-2012 (naissance à création T-Interaction): les périodes B. Trouver ce qui va guider le récit (enfermement, rencontre, engagement, participation sociale) C. Faire émerger la personnalité/le personnage (passionné, valeurs chrétiennes, entrepreneur, empirique donc autodidacte et formateur) D. Construire le récit de manière à dessiner un personnage par. ex. Un entrepreneur-né pour la valorisation de la personne et de ses rôles sociaux

Une enfance sous le regard de Dieu

Alain Dupont est un enfant de la guerre. La Seconde guerre mondiale avec ses violences, ses déplacements de populations, ses secrets. Ses grands-parents sont des paysans qui ont une petite ferme en Haute Savoie et pour compléter le salaire, son grand-père est cantonnier à la commune. Son père est blessé, près de la frontière suisse en Savoie. Il est soigné à l’hôpital de St. Julien. Grâce à un aumônier, il a passé la frontière à la Pierre-à-Bochet en 1944, où il y avait une petite rivière et des barbelés à passer avant d’arriver en Suisse. Arrêté, il est conduit dans un camp de réfugiés à Viège en Valais où il a travaillé pendant plusieurs années.

La mère d’Alain a fait le même parcours. Arrivée en Suisse clandestinement, elle a passé la frontière sous les barbelés au même endroit. Elle s’est retrouvée à Epalinges vers Lausanne dans un camp de réfugiés pour femmes avec son fils aîné. Or le directeur du camp était aussi directeur d’une maison pour personnes handicapées à Moudon. Elle est donc allée travailler dans cet établissement.

Alain a été conçu dans un contexte de guerre par des parents réfugiés français en Suisse, mais ce dont il est sûr, c’est d’être né à Genève, second fils de la famille. A cette époque, en 1946, la famille vit aux Charmilles chez des gens, dans les combles où il faisait froid l’hiver. Il s’en souvient : de la neige, de ses peurs d’enfants et des angoisses de sa ma mère parce qu’ils sont encore dans une période d’insécurité de cette période de l’après guerre. Ils sont restés trois ans sous ces toits et son père, qui était cordonnier de métier, est alors entré comme mécanicien à Châtelaine.

Puis la famille avec un troisième enfant, un garçon, a déménagé dans le quartier de Plainpalais dans lequel Alain a grandi au rythme des cloches de l’Église St. François. La famille est alors quelque chose d’importante et il faut travailler pour la nourrir. Il n’y avait pas toujours à manger sur la table et on ne gaspille rien. Sa mère, parce que le salaire du père est insuffisant, s’est mise à faire des veilles, toutes les nuits à Carouge, dans une pouponnière, chez sœur Madeleine. Le matin elle est debout pour le réveil de ses enfants, pour le petit déjeuner et les préparer pour aller à l’école: "Elle a fait ça pendant des années et des années pour que l’on puisse bien vivre. Et vivre correctement" dit Alain Dupont.

Neuf ans après le quatrième enfant de la famille naît une fille.

Alain reçoit une éducation catholique avec les pratiques religieuses et les valeurs chrétiennes. Il suit une voie très claire en terme de valeurs : la charité chrétienne. A l’époque, dans la paroisse il y avait un curé et cinq prêtres pour le quartier de Plainpalais. Il va à la messe le dimanche – le jour du Seigneur – fait son catéchisme et est enfant de chœur comme bon nombre de gamins du quartier de la paroisse. En grandissant, il y a aussi les groupes de jeunes, le club du jeudi, les colonies de vacances, le scoutisme, les journées missionnaires d'Afrique: les animations socioculturelles de l’époque ! Dès l’âge de six ans, il part en colonie de vacances, pendant six semaines à Bogève avec soixante enfants de six à quinze ans. Ils sont entourés de prêtres et de séminaristes. Il n’y a que des hommes. Tardivement, il entre chez les scouts où il va prendre des responsabilités. C’est cela l’univers d’Alain Dupont : un univers baigné dans les idées de valeurs familiales, d’aide aux plus démunis et de supériorité des Blancs. L’Église, au niveau du quartier, a encore une emprise très forte sur tout ce que les jeunes peuvent faire et réaliser.


Le scoutisme est une occasion de mettre en pratique l’aide à autrui, mais aussi à prendre des responsabilités. D’un côté, il faut rendre service, donner un coup de main à quelqu’un, aider une personne âgée à monter le bois, le charbon ou le mazout pour l’hiver, etc. De l’autre on s’engage à incarner ses valeurs et les transmettre dans l’action et aussi aux plus jeunes. Alain, très rapidement, prend des responsabilités dans les colonies de vacances. Il se forme aussi à ce qui est à l’époque le centre d’entraînement aux méthodes actives [[5]]) A quinze ans et demi, il est aide-moniteur pour les plus jeunes. Mais déjà vers seize ans, on est en 1963, l’aspect militaire des colonies ne lui convient pas, ni l’enfermement d’ailleurs, ni cette autorité qui sous prétexte de partage entraîne de la souffrance parce qu’il est imposé. L’obligation de partager les friandises reçues des parents (avec le retour du linge propre) avec tous les enfants dans la caisse commune et de devoir sur l’ordre du moniteur, qui était un curé, un prêtre ou un séminariste, y mettre justement ce qui était le plus apprécié au nom d’un quelconque combat contre le péché de gourmandise certainement ! Cela amenait la souffrance de l’apprentissage au renoncement, mais aussi à la transgression, par derrière, pour bien vivre.

La violence et l'injustice

Lorsqu’il est à l’école primaire de la Roseraie, il est marqué par des faits d’enseignants. Il retrouve les lignes qu'il avait perdu durant les colonies de vacances mais qui lui rappelait l'armée. La discrimination existe fréquemment à l’intérieur de l’école à cette époque. Il se souvient d’ailleurs d’un jeune homme qui comme lui se trouve dans cette école, mais qui est un peu turbulent, ou bien un peu caractériel comme ils disent à Serix. Un jour, cet enfant est en train de tailler son crayon, et l’enseignant lui fait une remarque non justifiée. Il lève la main, et l’enseignant est sur le point de lui mettre une claque lorsque le couteau lui transperce la main. Il y a du sang partout, et un enfant de la classe tombe dans les pommes. Ce passage de sa vie est marquant car c’était de la pure injustice. Cet homme est ensuite parti en maison d’éducation.


On retrouve d’ailleurs cette même injustice plus tard à Serix lorsqu’il apporte du pain et de l’eau à des enfants dans le cachot qui ont déplu à l’éducateur. Ou bien au sein même de la paroisse, et durant les colonies de vacances. Tout ces aspects liés à la justice sociale qui ne correspond pas au discours qu’on tient à l’époque. Il y a un fort décalage entre les valeurs chrétiennes, ce qu’on vous annonce, et ce qui se passe réellement. Il l’a retrouvé dans l’éducation au même titre que lorsqu’on parle de Serix ou bien après si on reprend les débuts de la sociothérapie, du Quatre et autre. Au scoutisme, on leur demande d’être les meilleurs et ceux qui n’arrivent pas à suivre, ils étaient tout simplement évacués. Il n’y a donc pas de place pour les personnes plus démunies à cette époque, ou bien elle sont systématiquement montrées du doigt.


Il faut également préciser que dans le quartier de Plainpalais, il n’y a pas de noirs et les gens ne parlent pas dans toutes les langues. Cela peut également se voir dans les école, cependant, ils apprennent le racisme. Ils lisent « Tintin au Congo » qui comporte un vocabulaire et des images assez racistes. Les missionnaires viennent leur dire que ce sont des sous-hommes et qu’il faut les éduquer. Le racisme et la charité sont donc au fond de lui, mais il ne les laisse pas remonter à la surface car tout simplement, si on y cède, on tombe dans des extrêmes et des abus.


Il est marqué par cette injustice lorsqu’il travaille comme premier conseiller social après Klaus Engler dans le premier cycle d’orientation appelé l’Aubépine. Il voit la manière dont les enseignant agissent, et tout ce qui est mit en place. Il prend la défense des gens qui en ont besoin, tout comme en colonie de vacances, ou bien à l’école primaire. Au collège, il se souvient d’un ami qui est dans la même classe que lui. Il arrive pour un cours et il tombe. Il a compris bien après que c’était une crise d’épilepsie et du jour au lendemain, il disparait de la circulation, sans qu’on n’en parle et se retrouve à Lavigny. Il n’y a donc pas de dialogue et il remet même la démocratie en doute. Il est ensuite marqué par des personnes, comme Michel Bassot qui est un français et qui partait dans l’humanitaire et qui leur parle de ses expériences. Il est considéré comme un homme génial dans ce qu’il propose comme action et comment il construit les choses. Il se considère comme un homme résiliant en fin de compte, car il aurait choisi la transgression dans un autre cas, dans le sens de la délinquance pour combattre ces faits-là. Mais cela est, selon lui, inutile sous cette forme car il n’est pas possible d’analyser, de comprendre et d’essayer de construire à partir de cela. Il a donc construit quelque chose pour donner une place à ces personnes les plus démunies.

De l'enfermement à la libération

A venir

II Réforme dans les institutions et création de réseaux sociaux

En 1965 Alain Dupont aux côtés de Jean Grob, ancien directeur de Caritas-Genève, fonde Caritas-Jeunesse Caritas.

Au début des années 70, Caritas organise des séjours de vacances pour les enfants de familles en situation précaire. Par la suite, un secteur pour personnes handicapées est créé. Dupont souligne alors l’importance de la mobilisation et de la participation active de tous les bénévoles, afin notamment d’encadrer les camps de vacances promouvant ainsi durant cette même période, la formation de jeunes. La rencontre avec le psychiatre Jean-Jacques Eisenring, médecin et professeur de médecine, alors renommé s’est faite au sein même du comité de Caritas. Cette rencontre marque un tournant dans la vie d'Alain Dupont par une collaboration étroite entre deux hommes engagés auprès des personnes déficientes. En 1972, Eisenring était en charge du Centre universitaire de soins et de diagnostic de la déficience mentale. A Genève, la prise en charge des personnes déficientes se faisait dans un pavillon retiré à Bel-Air à l’hôpital psychiatrique. Emergent de nouvelles idées. Eisenring avait une autre vision de l’accompagnement de ces personnes, il voulait mettre en place un service de sociothérapie à l’extérieur de la clinique. C'est une nouveauté, car le service de sociothérapie existait déjà, mais il n'était destiné qu'à des personnes psychiatrisées à l’intérieur du bâtiment, dans le pavillon nommé Les Lilas. Le professeur a donc proposé à Dupont de travailler avec lui, afin de prendre en charge cette nouvelle expérience. Eisenring lui propose d'entreprendre un travail individuel avec ces personnes. Plusieurs changements se sont passés entre les années 70 à aujourd’hui.

Alain Dupont fait allusion à la présence de personnes déficientes qui dans le passé étaient internées alors qu'aujourd'hui, nous pouvons les croiser dans la rue. Dupont est alors très enthousiaste et excité à l’idée de mener ce projet. Lorsqu’il est arrivé au pavillon Les Lilas, il est choqué de voir la situation dans laquelle vivent ces personnes et par leur environnement. Les personnes passaient du dortoir à la salle à manger, de la salle à manger à une grande salle qui possédait un poste de télévision, une chaise, et où l’espace restant était occupé par des personnes qui allaient et venaient d’un coin de la pièce à un autre, qui tournaient en rond et surtout qui ne revêtaient rien d’autre qu’une simple blouse d’hôpital. Il constate qu’il n’y avait que du personnel médical dans ce pavillon. Il a beaucoup de considération pour le personnel qui fait alors un travail remarquable, mais qui n’a qu’une vision médicalisée, axées sur les soins. Tout comme les infirmiers, Dupont a beaucoup de réticences mais il cherche à rester objectif. C’est le début de son "côté militant" dans l’idée de vouloir réformer certaines pratiques des institutions psychiatriques. Dupont est un battant qui n’a pas peur de relever des défis et qui mène avec acharnement les projets qui lui sont confiés. Ainsi, il décide de prendre ces "malades" sous son aile. Dans un premier temps, il fallait que ces personnes soient habillées, chose avec laquelle le personnel avait de la peine. Ils se sont donc mis d’accord puisque qu'il venait les prendre pour sortir de l'hôpital psychiatrique, une personne à la fois pour une heure puis, petit à petit plusieurs personnes avec un temps qui leur était consacré beaucoup plus long. Toutefois Dupont avait des craintes à sortir notamment d'être vu avec ces personnes qui n’en étaient jamais sorties. Il a donc commencé par aller se promener à la campagne et ces moments lui ont permis d’entrer en relation, et de faire de l’observation. Ses peurs et ses craintes se sont au fil du temps amoindries, jusqu’à se rendre compte que le fait d'aller en campagne lui permettait de ne pas se confronter au regard des autres. Une fois ses peurs dissipées, la projection d’aller en ville est alors une évidence.

Au début de ses sorties avec les patients de Bel-Air, Alain Dupont a pu voir que le personnel médical soignait bien les patients et avait créé des relations de type non-verbal – mais elles permettaient aux acteurs de se comprendre –. Il était conscient qu’il vient déranger un système déjà bien établi, mais l’idée de l’enfermement lui est insupportable. Il souhaite avant tout faire changer les comportements face au handicap et malgré les déficiences, essayer de mettre en place des apprentissages pour ces personnes. En effet, il juge que pour favoriser les apprentissages, il est important d’être dans un milieu propice le permettant, ce qui n’était pas le cas à Bel-Air, en se référent à la pièce n’ayant qu’une télévision et une seule chaise. Lors de cette prise en charge, il lui a été donné la possibilité de rencontrer des personnes, selon ses dires « extraordinaires », comme « les Roland ». Ces deux personnes présentaient une déficience relativement importante, « irrécupérable ». Malgré cet handicap, il reste persuadé qu’un travail sur les comportements peut être réalisé, de tel sorte à ce qu’il soit possible de mettre en place des apprentissages. Il souhaite que ces personnes soient simplement confrontées à des situations de la vie quotidienne et les prémisses de son combat étaient d’aller marcher tout simplement à la campagne. Le handicap ne peut, certes, pas être effacé mais les comportements de tous les protagonistes peuvent s’en voir modifié.

Entre les années 1972 et 1975, Eisenring préconise le droit au logement pour les personnes déficientes si on leur offre quelque chose de différent, des possibilités d’apprentissage et un environnement autre que celui du pavillon essentiellement axé sur les soins. Pour Dupont ce professeur de psychiatrie a des idées très novatrices pour son époque. Ensemble, ils ont senti que le moment était propice à en faire l’expérience. Durant la même période, des expériences similaires découlant de la sociothérapie ont été menées en Angleterre et des résultats ont pu être constatés.

Avant l’élaboration du QUATRE, Dupont a eu l’idée de créer un club de rencontre au Grand-Lancy dans un centre de loisirs. Grâce à un réseau de 300 bénévoles dont une cinquantaine de personnes plus permanentes, ils réfléchissent ensemble à des projets ayant pour but de faire connaître le handicap qu’est la déficience mentale et d’offrir aux patients un cadre autre que celui des soins où les échanges sont possibles. L’idée première de ce lieu était d’organiser des moments qui privilégient le côtoiement. Ainsi, il ne serait plus simplement question de travail individualisé mais d'un endroit où toutes personnes seraient les bienvenues pour réaliser des activités, telle que la cuisine. Par la suite, ce club se fera le mercredi et portera le nom du « club du mercredi ». Il accueillera certains jours jusqu’à une centaine de personnes. A partir de là, et ce dès les années 1975, l’idée de partir en vacances et de partager des loisirs avec ces personnes, paraissaient être comme étant la suite logique à toutes ces expériences. Au départ, le nombre d’accompagnants était largement supérieur au nombre de personnes handicapées. Ces camps de vacances ont aussi permis de faire des recherches. La rencontre avec le psychologue Bernard Pasche notamment, a conduit à des recherches plus spécifiques sur les représentations que pouvaient avoir les différents acteurs autour de la déficience, comme les médecins, les infirmiers, les psychologues et autres, mais aussi les représentations des personnes dites ordinaires qui participaient au club du mercredi ou aux vacances, sur le handicap et sur les personnes déficientes. La recherche tenait aussi à prendre en considération les représentations des concernés sur la population ordinaire. Cette recherche a permis à Alain Dupont de se rendre compte qu’ils étaient encore dans l’idée de côtoiement. Lui, il souhaitait tendre vers une réelle intégration. Il voulait aller plus loin, notamment lorsqu'il a pris conscience qu'au fond, à Bel-Air il y avait une duplicité "soignant-soigné" et finalement, on retrouvait plus ou moins ce même modèle dans le club de rencontre où il était question d'"aidant-assisté". Comme cité avant, Alain Dupont, avec ses années d’expériences, a remarqué qu’au travers de la responsabilisation de ces personnes il observait de réelles compétences et capacités chez chacune d’elle. L’hôpital psychiatrique de par son manque d’ouverture au monde extérieur montre effectivement l’impossibilité de réveiller chez ces personnes leurs capacités à apprendre et à évoluer. Pour illustrer ceci, reprenons d’Alain Dupont. Il a rencontré une personne grabataire qui au travers de différentes situations réagissait aux différentes odeurs. D’où l’idée d’apporter à cette personne la possibilité d’aller dans plusieurs marchés et de voir qu’il y avait différents parfums, mais aussi d’autres stimuli tel que les bruits, les couleurs, mais bien évidemment aussi le contact direct avec la population. Ceci est une expérience parmi d’autres, et pour lui cela démontre l’importance d’ouvrir les possibles et les laisser faire des choix dans le but d’acquérir de l’autonomie. C’est à partir d’expérience telle que celle ci qu’est né le projet de vie.

Au travers de ces rencontres Alain Dupont a surtout appris à se connaître lui même et avec le recul c’est sans doute un des éléments qui lui ont donné l’envie d’aider les personnes déficientes et fait remarquer que ces personnes avaient aussi des choses à nous apprendre. Pour lui il ne suffit pas comme professionnel de dire aux autres "rencontrez ces personnes" mais il faut partager de réelles situations de vie du quotidien comme partager des repas et boire un verre. Aujourd’hui il continue à voir certaines personnes avec qui il a créé une amitié forte car ils ont partagé ensemble en terme d’émotions, de sentiments et simplement des choses de la vie.

En 1975, Dr Eisenring et Alain Dupont donnent une conférence au sein du Centre Psychosocial Universitaire de la Jonction, le CPSU, sur les expériences menées avec les personnes handicapées mentales. Lors de la conférence deux professeurs étaient présents, le Prof. André Haynal, un psychanalyste, le Prof. Gaston Garonne, qui s’intéressait à la psychiatrie sociale, ainsi que le directeur administratif du Centre Psychosocial, Jean-Claude Droze. Quelques temps après, Jean-Claude Droze a pris contact avec Alain Dupont, et autour d’un repas, il lui propose de reproduire les mêmes expériences, comme le Club du mercredi, avec les personnes dites chroniques de Bel-Air. L’équipe voulait avant tout que ce lieu d’accueil soit démédicalisé et dépsychiatrisé. En parallèle, Alain Dupont continuait de travailler à Caritas et était professeur à l’institut d’études sociales. Lors de l’élaboration du projet, les auteurs savaient déjà que ce lieu d’accueil se trouverait à l’extérieur de Bel-Air. Alain Dupont en parla avec les étudiants de l’institut d’études sociales et leur proposa de pouvoir acquérir de l’expérience en participant à ce projet en tant que stagiaire. Il commença avec six étudiants. Alain Dupont essaya donc de négocier avec Caritas pour obtenir les locaux vétustes appartenant à la paroisse Notre-Dame. La machine était lancée. Les locaux leur ont été accordés pour une période fixée à une année et le Centre Psychosocial louerait les lieux à 5000 frs par an. Ce nouveau lieu de rencontres et de loisirs était différent du Club du mercredi car il proposait le développement d’activités, de loisirs, d’occupation, de travail, d’animations et de repas. Pour l’anecdote, le QUATRE tient son nom de part le numéro de la rue, 4 rue des Pâquis et de part l’inauguration faite le 4 janvier 1977. A contrario du Club du mercredi, le QUATRE se prédestinait plus à une intégration journalière avec des horaires prédéfinis pour ne pas empiéter sur les heures d’ateliers et de travail. Les permanences avaient donc lieu en dehors de ces moments soit de 11h00 à 14h00 et le soir dès 17h00. Les premières personnes qui ont commencé à venir bénéficiaient d’un service de transport qui les descendait directement de Bel-Air. La clientèle était hétérogène, il y avait des personnes médicamentés, des personnes de différents niveaux sociaux, des personnes institutionnalisées mais aussi des gens du quartier, extérieur à ce milieu. Par contre, n’est tant pas un lieu de soin aucun infirmier, ni personnel médical était autorisé à venir au QUATRE. La particularité des projets d’Alain Dupont était de créer des lieux démédicalisés afin de sortir du contexte hospitalier et d’offrir à ces personnes un lieu différent ou les mots d’ordre sont : apprentissages, partage, rencontre, respect et ouverture vers le monde extérieur. Un jour, au travers d’une conversation avec un dénommé Jean-Pierre , qui lui exposait son envie d’avoir « un job, un appart, des amis », Alain Dupont s’est rendu compte que ces personnes exprimaient des besoins, des désirs et ce sont des remarques telles que celles-ci qui l’interroge sur le bien fondé des établissements psychiatriques. Même si Alain Dupont ne se considère pas comme un antipsychiatrique, il est vrai qu’il doute de l’efficacité d’une vie médicalisé dans un lieu fermé. Même en ayant une envie d’intégration, la tâche n’était pas toujours si facile. En effet, il n’était pas rare d’observer des crises, des hurlements, des coups violents, des gestes d’automutilation, des objets voler d’un coin de la pièce à l’autre et ceci peut être choquant. Une fois par semaine, le personnel appréciait les observations de l’équipe faites durant les ateliers des jours passés. Ces synthèses permettaient de poser les choses, de trouver des solutions face aux possibles raisons de crises et d’élaborer des projets de vie. C’était une manière de répondre aux attentes de la personne qui parfois n’avait pas la parole pour le rendre explicite. De plus, les synthèses permettaient aux stagiaires d’avoir un bagage qui encourageait les discussions à l’école et une trace écrite du travail réalisé sur le terrain. Pour la direction administrative du CPSU et Bel-Air, la condition pour que le projet puisse s’inscrire dans la durée, était d’obtenir de réels résultats observables au mois de juin. Malheureusement, en six mois, il est quasiment impossible de changer les choses qui ont pris jusqu’à lors plus de 35 ans. 35 ans c’est le temps qu’il a fallu à Ginette pour essayer de dire effectivement elle est une personne et pas uniquement une malade qui pousse des cris pour pouvoir s’en sortir et se faire entendre. Il était donc nécessaire de se faire entendre sur l’importance qu’il fallait accorder au temps nécessaire pour créer et tisser des liens, pour ensuite, tendre à une réelle progression et à des apprentissages. Durant l’été 1977, l’équipe décide de partir en vacances à Rochefort du Gard, dans une petite maison louée, avec une dizaine de personnes dites malades mentales. À leur retour, la direction administrative à décider d’arrêter son financement, il n’y avait donc plus d’argent. Bien sûr, Alain Dupont en a décidé autrement. Après s’être consterné de cette décision, l’équipe s’est retrouvée chez un des membres pour discuter de la suite des évènements. Alain Dupont, ne voulant pas abandonner ce projet, décide de poursuivre. Le reste de l’équipe le suit dans son engagement, tout en sachant qu’à partir de là, ils seront bénévoles. Bel-Air et le Centre Psychosocial en a été informé. Dans un premier temps, l’équipe décide de poursuivre jusqu’à décembre, pour finalement prolonger encore l’expérience de quelques mois. Cet engouement et cette persévérance à sans doute mis mal à l’aise la direction administrative du CPSU qu’il décide donc d’accorder des contrats renouvelables tous les six mois, pour ensuite se fixer d’années en années. En vue de la progression et des résultats effectifs que pouvaient obtenir les personnes pour leur propre bien être, la direction administrative décide de payer le rétroactif. En 1978, vue l’ampleur que prend le QUATRE, il fonde le potager de la Vendée.

IV Trajets

LA DESINSTITUTIONNALISATION LIBERATRICE L’expérience du Quatre a amené M. Dupont de réfléchir à l’organisation de la suite de ce projet de lieu d’accueil pour des personnes à besoin social ou psychosocial. Cette nécessité s'est fait sentir d’autant plus que Caritas a pris congé de ses engagements en 1978, après seulement une année d’activité, laissant un grand vide dans le champ des personnes à besoin social. Comment sortir ces personnes psychiatrisées non seulement des murs institutionnels mais aussi de la pensée institutionnelle ou des attitudes comportementales propres à la vie en institut. Ces personnes ont vécu si longtemps en instituts, qu’elles ont adopté un comportement formé et colmaté relatif aux fonctionnements institutionnels. De trouver la manière qui leur faciliterait une pensée autonome, d’être les acteurs de leur propre projet, ces besoins se sont faits sentir avec la fréquentation de ces personnes. La pression psychiatrique a pesé sur certaines personnes à un point qu'elles ont tout simplement perdu l’habitude de se penser elles-mêmes. Plus il vit parmi des personnes psychiatrisées, plus il se sensibilise à leurs besoins, à leur misère, à leur abandon. La réaction que M. Dupont met à jour, lors du visionnement d’un film sur une maison psychiatrique en France, en témoigne de manière manifeste : devant l’image de ces infirmiers et infirmières qui jouent au scrabble, pendant que les malades sont complètement abandonnés à leur sort, à leur totale inoccupation, Dupont exprime bien clairement qu’il est non seulement choqué mais révolté devant l’attitude de ce personnel soignant restant totalement indifférent, laissant errer ces malades, faisant en sorte qu’ils ne sont concernés pas le moindre du monde tout en se trouvant à leur côté. Motivé par le Prof. Gaston Garrone et le Dr Goldmeister, M. Dupont est amené à organiser l’ouverture d’un lieu d’accueil hors des murs de Bel-Air pour des personnes hospitalisées à Bel-Air. Le foyer Gevray permettait aux personnes psychiatrisées à Bel-Air d’aller en foyer. Par l’observation, M. Dupont remarque que les personnes à besoins social ou psychosocial se racontent, se disent dans la rencontre avec d’autres personnes, les relations élargies leur facilitent le chemin de leurs propres découvertes. Leur indépendance est donc relative à la possibilité de prendre part dans la société et progressive d’être les acteurs de nouvelles relations. Les voyages formant l’esprit, probablement influencé par l’exemple type de désinstitutionnalisation, de dépsychiatrisation de Franco Basaglia à Trieste, M. Dupont est imprégné de cette inscription qu’il a relevé sur le mur de l’institution à Trieste «la liberté est thérapeutique» (Franco Basaglia est incontestablement la personne qui a encouragé la désinstitutionnalisation plus que personne en Europe. Il a cassé net avec les habitudes hiérarchiques propres à l’institution jusqu’alors, mettant à pied égal médecins, infirmiers, infirmières et malades imposant le tutoiement entre le personnel soignant et les malades et vice-versa, ouvrant grand la porte aux malades et à leurs familles, encourageant le libre court des projets des malades, ce qui a amené à la création des centres psychosociaux de quartiers, qui ont remplacé les institutions psychiatriques dans toute l’Italie.). Les deux personnes auxquelles se réfèrent M. Dupont quant à son influence dans le regard relatif à la nécessité de la dépsychiatrisation sont M. Tony Lainé, réalisateur du film «La raison du plus fou» et M. Jean Vannier qui a mis en place une communauté pour personnes handicapées en créant l’Arche, qui existe aujourd’hui partout dans le monde. D’origine canadienne, M. Vannier a organisé l’Arche depuis Compiègnes en France. Il a été possible à M. Dupont de vivre quelque temps au sein de cette communauté. M. Lainé a rendu M. Dupont conscient du poids que pouvait prendre pour les personnes handicapées le regard qu’on posait sur elles, il y voit d’autant plus l’indispensable nécessité de structurer ces futurs lieux d’accueil en rapport avec cette élucidation, en organisant une rencontre à Genève entre M. Lainé, l’équipe du Quatre et les futurs professionnels de Trajet. M. Lainé met l’accent sur l’importance du poids que peut prendre l’influence psychiatrique exercée sur une personne psychiatrisée. Se contentant de poser leur diagnostic sur eux, les psychiatres ne tiennent pas compte de la parole d’une personne psychiatrisée. Diona


Dès 1981, alors que François Grasset développe des ateliers d’occupation protégés, Alain Dupont implante des entreprises sociales dans l’environnement afin de vivre au sein de la communauté même. Un prêt financier est alloué cette année là à l’entreprise Trajets. C’est dans les baraquements non utilisés de l’église Saint François de Plainpalais que les bureaux administratifs de Trajets s’installent. La recherche de subventionnements continue, mais il faut déjà se battre pour faire reconnaitre le mot psychiatrie dans la loi de l’assurance invalidité (sera pris en considération en 1998 seulement). Ce combat vise à faire reconnaitre le droit de cité des personnes psychiatrisées. En 1983, des postes de travailleurs sociaux sont financés dans l’entreprise Trajets grâce à LE PHASE. Trajets a pour but de trouver du travail aux personnes psychiatrisées, en tenant compte de eurs besoins et de leurs spécificités en terme d'accueil et d'aménagements du temps de travail. C'est une fonation qui offre des prestations tant au niveau socio-économmiques (ensemble d'entreprises employant des personnes psychiatrisées; offres de formation), qu'au niveau social (propositions d'hébergements, organisation de temps de loisirs et de rencontres le week end et pendant les vacances) et qu'au nivau psycho-éducatif (accompagnement des personnes psychiatrisées et centre de jour).

Nous allons vous présenter l'entreprise Trajets en développant deux objectifs principaux d'Alain Dupont à ce moment là. Tout d'abord, il vise à faire sortir les personnes psychiatrisées de l'institution afin qu'elles bénéficient du même droit de cité que chaque citoyen. Alain Dupont y parvient en changeant les pratiques de travailleurs sociaux de l'époque et en valorisnt les rôles sociaux des personnes psychiatrisées. Ensuite, nous mettrons en avant les moyens mis en place par Alain Dupont pour intégrer les personnes psychiatrisées au sein de la communauté en les faisant participer socialement de façon active.

Prise de risque à sortir de l'institution

Au vu des conditions assez précaires fournies par l’institution psychiatrique, Alain Dupont estime que les personnes ayant vécu en institution sont en droit de vivre en appartement individuel, dans des conditions plus dignes humainement sur le long terme. A cet effet de nombreux appartements sont loués au nom d’Alain Dupont pour loger les personnes (la loi ne permettant pas encore de faire figurer plusieurs locataires sur un même bail, le nom de l’association Trajets apparaitra plus tard sur les bails de location). (EN CONSTRUCTION)


Trajets et le changement des pratiques sociales

Socio-éducateur de formation initiale, Alain Dupont n'hésite pas à remettre en question les pratiques sociales jusque-là établies en choisissant de mobiliser le réseau de l'entourage familial et d'amis pour donner une place aux personnes souvent "enfermées en institution psychiatrique" plutôt que d'exercer le pouvoir légitime et omniprésent sur l'individu d'éducateur. Kouri (1986) souligne que "nos sociétés contemporaines sont marquées par l'envahissement de l'appareil gouvernemental dans la vie privée, y compris la prestation de services socio-sanitaires". Au moyen de thérapies brèves du changement, l'intervenant social peut choisir de se retirer plus rapidement de la vie des patients, après avoir impliqué un réseau de proches auprès de lui et avoir accompagné le patient dans la construction de sa place de travail. Trajets offre cet espace de mise à disposition de places de travail pour personnes souhaitant ne plus vivre que par l'institution psychiatrique. (EN CONSTRUCTION)

La valorisation des rôles sociaux

(à venir)

Viser l'intégration et la participation sociale des personnes psychiatrisées

(intro à venir)

Mobilisation du réseau au profit de tous

Aux yeux d'Alain Dupont il est important de créer un endroit permettant la rencontre de tous. Par son analyse de la mobilisation du réseau au profit de tous, il nous renvoie à un auteur Vité (2000) qui souligne aussi l'importance de la pratique de la connotation positive qui "consiste à relever chez l'autre tout ce qu'il fait de bien, souligner tous les efforts qu'il produit pour se sortir de sa situation". La connotation négative, toujours selon ce même auteur, vise quant à elle le blâme, le jugement et fait prendre à celui qui la pratique une position supérieure. Position de pouvoir que Dupont a conscience et refuse d'exercer: "On s’est dit non on ne va pas continuer cet étiquetage, on ne va pas continuer à prendre pouvoir sur eux [les gens vivant en institution psychiatrique]". C'est ainsi, entre autres, une façon pour Dupont d'envisager la valorisation de tous les citoyens, et les personnes ayant vécu ou vivant en institution psychiatrique sont des citoyens à part entière. Comme dit (Vité, 2000): "Valoriser l'autre, c'est lui redonner une place qui est la sienne dans le système. Même malade, le système est fait de tous ceux qui le composent et à ce titre, tous sont capables d'agir sur le système, d'où l'importance pour chacun de se considérer comme faisant partie du problème".

Trajets et la mobilisation de la communauté

L'entreprise Trajets a pour objectif principal de donner une place aux personnes ayant effectués des séjours en institution psychiatriqueau sein de la communauté: par des soins ambulatoire, par le travail, par le logement, par le loisirs, au sein de la communauté. Des entretiens entre Alain Dupont et ses "patients citoyens" visent à organiser des rencontres avec l'entourage du patient afin de mobiliser son propre réseau et se sortir de la solitude, solitude risquant d'engager la personne vivant en institution psychiatrique dans un cercle vicieux. Selon Vité (2000), il s'agit de "mettre en route un ensemble de personnes concernées à un titre ou à un autre pour créer une alliance de travail et une convergence d'actions pour sortir la personne de sa situation problématique". Les relations entre les personnes se modifient adéquatement, ce qui a un effet sur le système lui-même également.

V T-Interaction