Questionnement analytique
Particularités de la méthode
Le questionnement analytique (Paillé et Mucchielli, 2008 ; 2021) est une approche d'analyse des données qualitatives qui consiste à poser et à développer des questions de plus en plus détaillées et pertinentes au fur et à mesure de l'étude du matériel. En posant des questions de plus en plus ciblées, le chercheur développe une compréhension plus fine du corpus de données collectées (comme les documents, les notes d'observations ou les transcriptions d'entretiens), et par conséquent du phénomène étudié.
La méthode découle du postulat qu’une « nouvelle question suppose certaines réponses » (Paillé et Mucchielli, 2021, p. 252). Plutôt que de poser des questions, de recueillir des données et de les « réduire » à des catégories, pour ensuite tenter de répondre aux questions initiales, le chercheur adopte ici une posture consistant à demander et à redemander, mais chaque fois de manière plus précise et plus complète.
Les questions de recherche initiales (par nature assez vastes) orientent l'examen empirique des données. L'objectif n'est pas de tenter de répondre d'emblée aux questions, mais plutôt de multiplier le nombre et la précision des interrogations au fur et à mesure que de nouvelles informations apparaissent. Les chercheurs explicitent, détaillent et corrigent donc les questions, tout en les juxtaposant constamment aux données recueillies. Chaque question initiale donne ainsi naissance à un ensemble de sous-questions qui portent en elles-mêmes les premières indications de réponses.
Finalement, la série de questions née des relectures des données devient « des guides pour l'analyse du corpus, des structures pour les réponses et des balises pour la rédaction du rapport » (p. 249). L'enquête se précisant, des réponses implicites aux questions initiales sont donc apportées « jusqu'au moment où des réponses en bonne et due forme pourront être proposées » (p. 254).
Démarche de questionnement
Le principal outil employé dans cette méthode est le canevas investigatif qui reprend les questions posées au fur et à mesure de l'analyse et qui vise à interroger le corpus de données (Allard, 2012). La confection de ce canevas est suivie d'une analyse du matériel de l'étude (par exemple des transcriptions d'entretien ou des notes d'observation), qui peut apporter des réponses d'abord assez générales, mais surtout générer de nouveaux questionnements plus précis. Ce processus de réexamen du canevas investigatif se répète jusqu'à ce qu'un niveau de compréhension satisfaisant soit atteint. La Fig. 1 reprend le processus d'évolution du canevas investigatif et - plus largement - du questionnement analytique lui-même.
Avantages et limites de la méthode
Avantages
Paillé et Mucchielli proposent cette approche comme une alternative aux approches telles que le codage, qui sont basées sur la transformation ou la réduction des données, et que les auteurs synthétisent par scan-isolate-code-retrieve-count (scanner - isoler - coder - récupérer - compter). Dans ce type d'analyse, le corpus est parcouru pour identifier les unités de signification, leur attribuer des codes, les extraire et les compter. Selon les auteurs, la méthode du questionnement analytique, bien qu'elle ne convienne pas à tous les types de recherche, peut dans certains cas être plus efficace et permettre d'éviter de « [passer] par des détours telles la construction d'une grille thématique ou la décomposition propositionnelle » (2021, p. 248).
En même temps, ils soulignent que la méthode est tout aussi rigoureuse, puisque les questions les plus ciblées sont élaborées en lien avec l'analyse des données empiriques de plus en plus approfondie, de sorte que le corpus est soigneusement examiné à plusieurs reprises dans un processus d’« allers-retours entre les observations et questionnements » (2021, p. 249).
Limites
La méthode de questionnement analytique n'est pas nécessairement applicable à tous les types de recherches. Si on désire analyser rapidement des données, de façon plus superficielle, il est possible que cette méthode longue et générant un approfondissement important ne soit pas la plus adaptée (2021, p. 268).
Le questionnement analytique n'est de plus pas forcément compatible avec toutes les habitudes de recherches, certains domaines, ou encore certains objectifs de recherche. Les auteurs mentionnent ainsi en particulier des recherches visant à comprendre des pratiques qui nécessiteraient davantage de classement et de catégorisation que de questionnement pour être menées à bien.
Exemples d'application
Le premier exemple d'application est l'étude d'un texte. Selon Paillé et Mucchielli (2021), il y a plusieurs postures possible à prendre pour l'analyse. Par exemple, la méthode d'écriture consisterait à prendre des notes à la lecture du texte, afin d'en résumer le contenu selon la compréhension de l'analyste. Une seconde posture consiste pour l'analyste à se poser en état de questionnement, et enchaîne alors des séries de questions pour creuser et analyser le contenu du texte, jusqu'à en dégager une problématique et une compréhension claire.
Ci-dessous, nous décrivons d'autres exemples d'application de la méthode du questionnement analytique, proposés par Paillé et Mucchelli, s'inscrivant dans le cadre des sciences de l'éducation.
Recherche-action-formation
Un exemple proposé est l'étude de l'introduction de pratiques pédagogiques auprès d'une communauté d'enseignants en formation universitaire. Au cours de son observation sur le terrain, le chercheur va collecter ses données et les classer en fonction des réponses qu'elles apportent aux questions de son canevas interrogatif. Par exemple quelles sont les pratiques des enseignants observés, quelles sont leurs pratiques d'interventions, comment ont-ils menés leurs projets etc.
Au fur et à mesure, le canevas interrogatif va évoluer vers de nouvelles questions, plus précises, approfondies, ainsi que des sous-questions de ces dernières, permettant de préciser la réponse. Au fil de son interprétation et de son analyse, le chercheur va réunir des données pour répondre aux premières questions, le premier niveau de réponse va lui permettre de générer de nouvelles questions et ainsi de suite, en faisant évoluer son canevas interrogatif jusqu'à formuler une synthèse des réponses obtenues. Ci-dessous un extrait de l'exemple d'évolution du canevas (2021, p. 265).
Iteration 1 du canevas interrogatif :
- Quelles sont, concrètement, dans la pratique quotidienne des enseignants participant au projet, la place et l’importance de l’interdisciplinarité ?
- À quels modèles interdisciplinaires recourent-ils principalement ?
Iteration 2 du canevas interrogatif, sur la base des réponses apportées aux questions précédentes :
- Comment l’implantation des pratiques interdisciplinaires a-t-elle lieu, la première année, sur le plan organisationnel ?
- À quel rythme ?
- Selon quelles modalités ?
- Suivant quelles étapes ?
Analyse dans un but de documenter un phénomène observé
L'exemple donné ici décrit une synthèse de manuels scolaires, afin de déterminer si leur contenu propose une différentiation de genre au travers des histoires présentées aux enfants. Une approche classique pourrait consister à classer les contenus étudiés dans des catégories. La méthode du questionnement analytique propose de lister des questions découlant directement de la question de recherche, et d'y répondre au travers de l'étude des manuels. Ceci permettant un approche rigoureuse et progressive de la question.
Evaluation de dispositifs à la demande d'un commanditaire
Si des chercheurs sont mandatés pour l'étude qualitative d'un dispositif, éducatif ou autre, ils viennent avec leur « boîte à outils » de méthodes d'analyse. Ils peuvent décider de mener leur recherche en catégorisant les données collectées, en codant puis analysant les codages, etc. Il faut cependant garder en tête que les commanditaires (qui ne sont pas eux-mêmes des chercheurs) attendent de l'évaluation des réponses à des questions qu'ils se posent. L'application du questionnement analytique prend alors tout son sens d'après les auteurs, en particulier si les chercheurs utilisent les questions des commanditaires pour mener leur analyse et en faire le rapport.
Bibliographie
Allard, E. (2012). Une évaluation qualitative d’un programme de préparation à l’examen professionnel québécois à partir de la perception des candidates infirmières (Travail de Master). Université de Montréal.
Paillé, P. (1994). L’analyse par théorisation ancrée. Cahiers de recherche sociologique, (23), 147–181. https://doi.org/10.7202/1002253ar
Paillé, P. & Mucchielli, A. (2008). L'analyse qualitative en sciences humaines et sociales (2e éd.). Paris : Armand Colin.
Paillé, P. & Mucchielli, A. (2021). L'analyse qualitative en sciences humaines et sociales (5e éd.). Paris : Armand Colin.