Violence conjugale: De la femme battue à l'homme battu...

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Par Chantal Cornut, Céline Pittet, Jean-Christophe Contini et Miguel Maneira

"L’homme battu": un phénomène nouveau ? Introduction

Le questionnement qui est à l’origine de ce travail prend source dans la rencontre d’un concept qui semble nouveau de prime abord : "l’homme battu". Ce concept apparaît dans l’ouvrage récemment publié de Sophie Torrent (2001). Ce livre met en lumière l’existence d’hommes victimes de violences exercées par des femmes à leur encontre, il interroge également les questions identitaires vécues par ces "nouvelles victimes", à travers la conduite de multiples entretiens. Ces propos peuvent intriguer, parfois rendre perplexe et curieux celui ou celle qui les entendent. Le présent article proposera des recherches bibliographiques qui devraient permettre de découvrir des discours proches des propos de Torrent. Le premier constat est que ce "phénomène" des hommes battus est, dans une moindre mesure, relayé dans d’autres ouvrages qui l’inscrivent dans le cadre plus large de la violence conjugale.

Les recherches livresques tenteront ainsi de répondre à la question principale qui guide la recherche : comment le phénomène de "l’homme battu" s’inscrit-il dans le paradigme de la violence conjugale ? Les questions secondaires qui en découlent sont multiples : quand est-ce que ce concept est apparu ? Par qui a-t-il été développé ? Quels sont les discours qui relaient ce concept ou qui s’y opposent ? Les éléments qui composent la revue de littérature qui apparaîtra plus loin permettront d’entrevoir certains points qui semblent être récurrents. On s’aperçoit ainsi que le concept d’"hommes battus" se trouve à chaque fois en tension avec celui de " femmes battues " dans le cadre de la violence conjugale qu’il reste à définir. Nous sommes ici confrontés à deux discours contraires entre des groupes de pressions constitués autour de la "souffrance masculine" et les propos issus de certains discours féministes . cette opposition – qui est caractérisée grossièrement entre les deux discours – se dédouble d’une autre opposition dans la désignation des acteurs de la violence conjugale en termes de victime et d’agresseur. Les acteurs sont ainsi stigmatisés, avec des stéréotypes qui désignent de manière massive l’homme comme agresseur et la femme comme victime.

La violence conjugale : où en sommes-nous aujourd’hui ? Des discours en tension. Problématique

La violence conjugale semble être de prime abord un phénomène bien connu de nos jours. Les médias rendent régulièrement compte de ses conséquences, bon nombre d’associations ont été créées pour répondre à l’appel des victimes, une loi sur la protection des victimes a été instaurée, beaucoup de thérapeutes œuvrent également dans ce domaine. Il est question, la plupart du temps, des violences subies par des femmes et exercées par des hommes, il est dans une moindre mesure, question de la violence exercée par des femmes contre des hommes. Ce dernier phénomène reste minoritaire cependant, et fait l’objet de nombreuses critiques. Bien souvent, les discours opposent des mouvements "féministes" à des groupes "masculinistes", les uns dénonçant sans cesse l’ineffable violence des hommes envers les femmes, les autres dénonçant cette vision de l’homme éternellement " agresseur ", allant jusqu’à affirmer que des hommes sont aussi des " victimes " et que la violence peut aussi être l’apanage des femmes. Ici apparaît le concept " d’hommes battus " qui a émergé dès les années septante. Afin de prendre de la distance vis-à-vis de ces deux positions antagonistes, il s’agit tout d’abord d’étudier ce que disent certains auteurs sur la violence conjugale, à la fois sur la violence subie par les femmes et par les hommes.

Ce qu’en disent les livres et leurs auteur(e)s. Revue de littérature

Cette revue de littérature suit la chronologie du questionnement et du cheminement, qui, en commençant part la découverte du concept de "l’homme battu", conduit à approfondir les recherches au concept de la femme battue et à appréhender dès lors le problème social que constitue la violence conjugale, qui englobe les deux autres concepts. La recherche bibliographique a privilégié les ouvrages qui traitent spécifiquement de l’existence du concept de "l’homme battu", dans une actualité la plus récente possible. Peu de littérature existe à ce sujet, cependant, les ouvrages les plus récents (Torrent et Dallaire) font tous les deux référence à l’inscription du concept de l’homme battu dans celui de la violence conjugale. Les investigations ont été élargies à ce domaine, toujours à la recherche du moindre élément concernant la violence faite aux hommes.

Sophie Torrent, dans son ouvrage sur l’homme battu (2001) met directement en question le fait qu’il existe au sein de la vie de couple une violence faite aux hommes, une violence souvent difficile à accepter, celle-ci allant à l’encontre de stéréotypes tels que celui qui considère que la femme est l’élément faible du couple et que l’homme en est le dominant. Dans la première partie de son livre, l’auteure tente tout d’abord d’expliquer ce phénomène atypique de l’homme battu, cet "impensable social" dit-elle. Elle analyse les différents types de violences (physique, sexuelle, psychologique, verbale et économique) pour ensuite orienter son analyse vers la notion de "rôles sociaux". Elle montre comment l’homme violenté est agressé jusque dans les "facettes" qui font son identité . Pour elle "être battu invalide l’homme dans son appartenance à la catégorie sociale homme". Dans la deuxième partie de son ouvrage, Torrent réfléchit sur les différentes stratégies élaborées par l’homme pour gérer des situations difficiles. Elle s’appuie notamment dans son travail de recherche sur des interviews réalisées avec des "hommes battus".

C’est dans une considération assez proche qu’Yvon Dallaire (2002), thérapeute au Québec, aborde le phénomène de la violence faite aux hommes (La violence faite aux hommes. Une réalité taboue et complexe). Il nous rappelle le constat de l’existence ineffable de la violence dans l’humanité, violence souvent fortement médiatisée, mais selon lui, de manière incomplète. En effet, dit-il, notre attention ne serait attirée que vers une forme de violence, soit celle faite par les hommes contre les autres hommes (guerres, voies de fait, suicides), contre les femmes (violence conjugale, viol, meurtre, tueurs en série) et contre les enfants (violence infanticide, meurtre suivi de suicide). Pour Dallaire, une forme de violence a été occultée : la violence des femmes faite envers les femmes, les hommes et les enfants. Le propos de son texte est de démontrer d’une part que des femmes peuvent être tout autant violentes que des hommes, et que d’autre part, l’analyse de la violence conjugale s’inscrit dans un paradigme teinté de sexisme et de discrimination. Pour cet auteur, la violence conjugale ne se décline pas simplement sur le mode victime-agresseur, mais plutôt sur celui de victime-victime, de deux individus qui sont les co-créateurs d’une escalade débouchant sur l’explosion physique. Afin d’alimenter son propos, Yvon Dallaire met en lumière les stéréotypes et les préjugés qui circulent dans le discours commun : l’homme est un être violent, un abuseur d’enfants, un irresponsable, les hommes sont tous des obsédés sexuels, il sont tous infidèles, menteurs et manipulateurs. Dès lors, toute violence féminine est considérée comme relevant de la légitime défense, l’homme est ainsi rendu coupable de toute la violence conjugale. Précisons ici que l’auteur dénonce le discours d’influence féministe qui se déploie dans le contexte québécois. Son objectif est de connaître les réelles dimensions de la violence conjugale, plutôt que de rechercher un coupable à punir, toujours le même : l’homme.

L’ouvrage de Bretonnière-Fraysse et al. (2001), incontournable pour le sujet, propose quant à lui un autre regard qui positionne clairement les femmes en tant que victimes et les hommes comme agresseurs, sans nuances : "on le sait, la violence conjugale a toujours existé ; on le sait aussi : les victimes en sont les femmes et les auteurs, les hommes. Mais elle demeure encore cachée, honteuse, secrète". Cet ouvrage prend un regard anthropologique et historique pour nous montrer la condition de victime de la femme à travers les époques passées et jusqu’à nos jours.

Gillioz, De Puy et Ducret quant à elles (2000), font état des connaissances qui ont fait de la violence familiale et de la violence contre les femmes, un champ d’étude relativement nouveau dans les sciences sociales. Elles nous rappellent que jusque dans les années soixante, la société et avec elle les scientifiques vivent sur le mythe de la famille non violente. Cette dernière étant considérée comme rare et comme étant le fait d’individus déséquilibrés. Dans les années septante, sous l’influence de militantes féministes anglo-saxonnes qui ouvrent des refuges pour femmes battues et portent la question de la violence conjugale sur la place publique, ce phénomène jusque-là occulté est posé comme problème socio-politique. C’est dès lors que les sciences sociales vont s’y intéresser, à travers deux grands courants de recherche. Le premier est constitué par des études portant sur la violence subie par les femmes au sein de la famille et postule, en se fondant sur les prémisses théoriques féministes, que cette violence est spécifique. Ilc il est nécessaire de l’étudier indépendamment des autres types de violence familiale qui relèvent d’autres logiques. Le deuxième courant de recherche, issu de la sociologie de la famille, a pour objet la violence familiale et considère la société et ses institutions comme des systèmes consensuels qui embrassent dans la même problématique l’ensemble de la violence qui se déroule dans le cadre familial. L'ouvrage de Gillioz et all. mentionne également les travaux de Strauss, Gelles et Steinmetz (1977), à partir desquels a été tiré l'affirmation que les femmes sont aussi violentes que les hommes. C’est à ce moment qu’apparaît le concept du "mari battu", des résultats tirés des statistiques de cette recherche, ont permis à l'un des chercheurs de conclure que ce qui était le plus sous-estimé n’est pas la femme battue, mais le mari battu. La validité scientifique reste toutefois fortement contestée, nous en trouvons les arguments dans l’ouvrage de Gillioz, De Puy et Ducret.

Cette revue de littérature se conclut par l’approche systémique de Perrone et Nannini (1995) qui proposent leur livre comme un manuel à l’usage des professionnels appelés à intervenir auprès des familles. Leurs présupposés considèrent que la violence n’est pas un phénomène individuel, mais la manifestation d’un phénomène interactionnel. La violence est ainsi un mode particulier de communication entre partenaires qui sont tous impliqués et par là même responsables au sens interactionnel du terme. Comme Yvon Dallaire, les auteurs ne considèrent pas les acteurs de la violence conjugale en termes de "victime-agresseur", ni en termes "hommes-femmes". Les objectifs et les enjeux que ces deux auteurs proposent s’appuient sur l’idée que chacun doit devenir et se penser responsable de ses propres comportements. C’est également selon cette optique que certains "cliniciens" abordent en partie la question dans leur article (Rey, H et al. 2006).

Des recherches complémentaires nécessaires. Choix et méthodes

En fonction des éléments de la problématique développée jusqu’ici, l’objectif de la recherche a consisté à y voir plus clair en tentant de répondre à la question posée, « comment le phénomène de l’homme battu s’inscrit dans le paradigme de la violence conjugale » ainsi qu’aux questions complémentaires citées dans l’introduction ? Afin de prendre une nécessaire distance vis-à-vis du regard que propose la revue de littérature, il est nécessaire d’orienter les recherches sur d’autres sources d’informations diverses. Il est dès lors intéressant d’examiner si des statistiques existent sur les "hommes battus" et sur les "femmes battues" et dès lors de voir si celles-ci peuvent éclaircir les questions posées. Pour cela nous avons choisi de travailler à partir des statistiques des centres Lavi disponibles à l’office fédéral de la statistique.

Dès lors que le phénomène des "hommes battus" s’inscrit dans le cadre de la violence conjugale notre choix s’est porté également sur la recherche d’éléments de compréhension dans une série de revues spécialisées : « Thérapie Familiale », revue internationale en Approche Systémique, dont nous avons retenu les numéros mentionnant explicitement des articles sur la violence conjugale ou domestique (1995, Vol. 16 no 3 – 1999, Vol. 20 no 4 – 2000, Vol. 21, no 4 – 2001, Vol. 22 no 4).

De plus, pour avoir une vision plus globale, une revue d’articles de presse étudiant quelques articles récents peut être pertinente. Nous avons sélectionnées des articles toujours sur le thème de la violence faite aux femmes et / ou aux hommes. Amnistie: Le magazine pour les droits humains, No 44, février 2006 interviews thématiques du Dr Vannotti, médecin adjoint à la Policinique de Lausanne et de Madame Yakin Ertuk, rapporteuse spéciale de l'ONU sur la violence contre les femmes ; Amnistie, Journal d'action pour les droits humains, janvier 2006 ; Repère Social, No 73, février 2006, article : quand le sexe faible est violent ; Le Courrier du 18 mai 2005, article relatant le 1ier congrès de la condition masculine.

Enfin, nous avons opté pour une recherche mettant en œuvre la conduite de plusieurs entretiens compréhensifs semi-directifs auprès de professionnels de la prise en charge de la violence conjugale ainsi qu’auprès de " victimes " masculines qui accepteraient de nous apporter leur témoignage. A cet effet, nous avons trouvé pertinent de construire deux types de grilles d'entretiens , l'une pour les professionnels, l'autre pour les hommes "victimes". Chaque entretien s'est déroulé, pendant une heure trente, dans un lieu décidé par la personne interviewée. Nous avons mené, dans notre phase d'investigation de terrain, quatre entretiens, dont deux avec des "victimes" masculines de maltraitance conjugale. Nous avons rencontré Denis Chatelain, co-fondateur de l'association Vires. Cet organisme de traitement et de prévention de la violence exercée dans le couple et la famille, vient en aide aux personnes qui ont recours à la violence. Nous avons aussi rencontré la fondatrice d'une fondation prenant en charge des femmes violentes, qui a souhaité garder l'anonymat. Toutefois, il est possible de dire que l’objectif premier de cette association est la prévention de la maltraitance et la violence auprès des enfants, personnes âgées et conjoints. Nous avons réussi, à travers une association luttant pour la condition masculine, prendre contact avec deux hommes se déclarant comme "battus".

Nous étudierons également des sources issues de la Loi Fédérale sur l’aide aux victimes et de Amnesty internationale tout comme des revues spécialisées dans le domaine de la thérapie familiale et plus particulièrement les articles concernant la violence domestique. Ces éléments correspondent à ce que l’on pourrait appeler une "recherche sur le terrain". Nos sources seront ainsi multiples : entretiens ; revue de presse ; statistiques ; revues spécialisées. L’analyse des contenus du matériel récolté, prendra pour point d’appui la désignation des acteurs de la violence conjugale, en termes de stéréotypes (stigmatisation) et dans une approche de genre étudiant les rapports sociaux hommes-femmes par rapport à cette thématique, ainsi que les rapports victimes-agresseurs qui s’y rattachent. L’analyse devrait ainsi permettre de réunir des points de vue différents et ainsi de confirmer ou d’infirmer, voire de "tempérer" ce qui ressort dans la revue de littérature en fonction des auteurs choisis.

Résultats des recherches

La violence conjugale : Historique

Aborder le problème social de la violence conjugale incite à faire un retour vers les années 1970. C’est à cette époque que l’on peut situer les premières recherches sur ce thème mettant en question le mythe de la famille non violente. Les militantes féministes amènent la question de violence conjugale sur la place publique et le posent comme un problème socio-politique. La question de la violence est abordée comme conséquence des rapports de domination, c'est-à-dire des effets de l’exercice d’une influence déterminante d’un groupe, les hommes, sur un autre, les femmes. Tout rapport de domination suppose, en effet, en dehors du rapport de pure violence, un système de justification visant à obtenir un minimum de "volonté d'obéir" de la part des assujettis, note le Petit Robert. Les sciences humaines vont s’y intéresser. De nombreuses études sont entreprises dans les années 1970 et 1980 dans le but de décrire la violence domestique, de pouvoir la chiffrer, de chercher à l’expliquer, d’étudier ses conséquences sur les victimes, et d’examiner les réponses sociétales à ce problème.

Les résultats de l'une de celle-ci, Straus et al.(1977) permettent de dire que femmes et hommes admettent recourir à des tactiques de violence dans des situations de conflits. Ce résultat est basé sur le "Conflict Tactics Scales" (CTS), échelles centrées sur les tactiques de gestion des conflits, qui intègrent une série de comportements allant des plus rationnels aux plus violents. Cette étude permettra à l’une des auteur-e-s, Steinmetz, de tirer la conclusion de l’existence du « syndrome de l’homme battu ». Ce qui sera contesté pour insuffisances méthodologiques. Depuis la plupart de chercheurs et chercheuses renoncèrent à utiliser ce concept.

Dans divers articles de presse

Tout d'abord, Amnesty affiche une grande visibilité de la problématique de la violence conjugale, grâce à son magazine pour les droits humains (février 2006), son journal d'action (janvier 2006) et son site internet, qui tous trois évoquent récemment la violence domestique. En effet, Amnesty a commencé en mars 2006 sa campagne suisse « En route contre la violence domestique », dont l'action principale consiste en un tour de plusieurs cantons du mobile home "sweet home" afin de briser le tabou qui entoure la violence dans le couple, d’améliorer les interventions de l’Etat contre la violence domestique, et de sensibiliser le grand public, en particulier les jeunes et les hommes, notamment dans les régions rurales. Les revendications d’Amnesty International en matière de violence domestique repose sur l’obligation de l’Etat d’agir contre cette forme de violation des droits humains. Car aujourd’hui si la visibilité du débat public sur la violence domestique s’est améliorée, les menaces, coups, contraintes, viols et meurtres auxquels les femmes sont souvent exposées dans leurs quatre murs constituent un sujet rarement perçu comme relevant des droits humains. De la sensibilisation est encore nécessaire pour considérer que l’empêcher ne relève pas de la sphère privée des couples et des familles concernées, et ne pas l’assimiler à un « problème de femmes », mais à une mission publique, qui touche tout le monde. Pourtant il s’agit bien de droit à l’intégrité physique et psychique : droit à la liberté et à la sécurité, droit à la santé, droit à l’absence de torture ou d’autres traitements dégradants et même souvent le plus, droit à la vie. La position d'Amnesty International quant à la violence domestique consiste à considérer sa cause dans les rapports inégalitaires de sexe. L'accent est mis sur les représentations sociales qui ne cessent de faire le lien entre violence et masculinité.

Le numéro du journal Repère Social de février 2006 s'intitule « Quand le sexe faible est violent » et à travers le prétexte de l'ouverture récente à Lausanne d'un accueil pour femmes violentes, aborde ce sujet trop rarement médiatisé de la violence des femmes. L'auteur, Geneviève Praplan, présente les associations Vires et Face à Face à Genève, et Violence et famille à Lausanne. Cette dernière institution travaille depuis sept ans avec des hommes violents, mais accueille depuis novembre 2005 également des femmes violentes. Le Coordinateur et plusieurs intervenants ont été formés au Québec, auprès d'OPTION, institution pionnière fondée par le psychothérapeute Jacques Broué en 1985. A Violence et Famille, c'est ainsi sous forme de thérapie de groupe que se déroule l'accompagnement, après quelques entretiens individuels. Le processus de réflexion engagé avec les auteur(e)s est le même pour les hommes que pour les femmes. Néanmoins, il est spécifié qu'il faut être spécialement vigilant avec les femmes, en vérifiant qu'elles ne sont pas "davantage des victimes que des agresseurs". De plus, rapidement le lien entre passé et présent doit se faire. "Hommes et femmes ne sont pas forcément égaux devant leur violence": dans l'inconscient collectif masculin, il est nécessaire d'affirmer sa virilité, la violence masculine est ainsi plus facilement excusée. Au contraire, les rôles sociaux attribués aux femmes font qu'on la juge plus sévèrement si elle fait usage de violence, mais leur permet de reconnaître moins difficilement que les hommes leurs actes violents. L'auteur met en avant que les chiffres manquent quant à l'ampleur de la violence féminine, surtout exercée envers ses enfants. Par ailleurs les préjugés quant aux données socio-économiques des auteurs de violence perdurent. Cela est en partie dû au fait que les familles en situation précaire sont plus aisément repérées par les services sociaux, vu l'étendue de leurs besoins.

Le Courrier du 18 mai 2005 relate et questionne le 1ier congrès international de la condition masculine a eu lieu à Genève le mars 2003. (en 2005 a eu lieu à Montréal). L’auteure de l’article Virginie Poyetton nous dit que ces colloques font partie d’un mouvement plus large qui met en avant « la crise de la masculinité » en réaction à l’émancipation « trop » radicale des femmes. Si ce courant est minoritaire au sein de la gent masculine, il participe d’une tendance qui remet en question l’avancée des droits des femmes.

Les masculinistes (nom que se sont donnés les défenseurs de la condition masculine) pensent que le féminisme les a forcés à changer et depuis ils se sentent dépossédés de leurs identités et de leurs droits. Ils souffrent d’injustices : discrimination positive au travail faveur des femmes, préjugés favorables aux mères en cas de divorce, fausses allégations de violence ou d’inceste, pensions alimentaires disproportionnées, hausse du décrochage scolaire chez les garçons, augmentation de la prescription d’antidépresseurs.

L’institutionnalisation du concept de violence domestique: Les centres LAVI et les politiques de prise en charge (contexte suisse et suisse romand)

Une loi fédérale est votée (4 octobre 1991), sur l’aide aux victimes. Elle démontre que être « victime de violence» constitue maintenant une déviance secondaire. Les plaignants sont identifiés, l’état institutionnalise leur prise en charge, les centres Lavi sont créés et les consultations augmentent au fil des années. Et si la notion même de « victime » est large, accidenté de la route, attentats, viol, contrainte sexuelle, séquestration, elle comprend spécifiquement les violences domestiques. Dès lors, elle permet également aux femmes victimes de violence conjugale d'être reconnues, visibilées et aidés.

Des centres Lavi, issus de cette loi, sont créés sur le territoire suisse. Ils ont pour but de fournir une aide efficace (conseils, la protection de la victime, la défense de ses droits dans la procédure pénale et l’indemnisation et la réparation morale) aux victimes d’infractions ou d’une atteinte directe à son intégrité corporelle, sexuelle ou psychique et à renforcer leurs droits. La police est tenue d’informer les victimes en transmettant les coordonnées de celle-ci au centre Lavi. On peut constater que ces centres apportent une aide immédiate et des prestations fournies gratuitement ( frais médicaux, d’avocat ou de procédure peuvent également être pris en charge.

Nous constatons également l’étatisation de la prise en charge de la formation du personnel des centres Lavi, et la spécialisation des professionnels qui y sont impliqués.

On peut constater que la prise en compte de la situation des femmes dans le cadre de la violence domestique évolue petit à petit. Il est intéressant de suivre le dépôt d’une initiative parlementaire le 14 juin 2000, par la Conseillère Ruth-Gaby Vermot-Mangold. Ce n’est qu’en novembre 2005, que le Conseil fédéral propose un nouvel article 28b dans le code civil visant à protéger la victime de violence ou de harcèlement en lui donnant le droit de requérir le juge d’instruction d’interdire à l’auteur de l’atteinte de l’approcher, de fréquenter certains lieux ou de prendre contact avec elle. Le nouvel article amène une notion nouvelle, celle de la prévention de la violence domestique, nouvelle tâche des centres Lavi, pour éviter la violence et sa récidive. Le Code pénal sera modifié en ce sens en juin 2006. Désormais les actes de violence domestique seront poursuivis d’office et non plus sur plainte de la victime.

Statistiques des centres Lavi.

Nous espérions obtenir des informations statistiques sur la violence conjugale, or, celles que nous avons pu obtenir par l’intermédiaire de l’office fédéral de la statistique ne peuvent être utilisées que très partiellement. D'une part elles ne recensent pas seulement les victimes de violence conjugale. D'autre part, l'évolution du nombre de consultations démontrent à la fois que les centres Lavi deviennent connus du public, et qu'il devient plus légitime de consulter lorsque l'on est dans une situation de victime. Jusqu’en 2004, les centres Lavi recensaient le nombre de consultations et non pas les personnes. Une consultation peut se rapporter à une infraction commise à plusieurs reprises et une même personne peut être comptabilisée plusieurs fois en l’absence d’indicateur de personnes. Il faut également préciser qu’il n’est pas possible de repérer exactement s’il s’agit de violence conjugale. Les chiffres qui peuvent être intéressants pour nous résultent d’un croisement des items : relation familiale auteur – victime, sexe de la victime, sexe de l’auteur présumé. (Prédominance des femmes dans la consultation (75%), avec des auteurs présumés de sexe masculin (83.5), et l’existence d’une relation familiale, victime – agresseur (52,9%).

statistiques fédérales

Toutefois, il semble important de se questionner sur la mise en forme de certains items. En effet, comment comprendre « avec auteurs présumés de sexe masculin » ? Quelle utilité cet intitulé peut apporter aux concitoyens ? Quelle différence effective avec les auteurs réels de ces actes ? Comment interpréter l’absence des items « avec victimes de sexe masculin » et « avec auteurs présumés de sexe féminin » ? Dans ce cas faut-il comprendre que les femmes victimes consultent plus, alors que les hommes restent cachés? Quelle réalité se cache derrière ces chiffres? De plus, Jean-Philippe BRANDT, du service de presse & relations publiques de la Police de Genève, informe qu’ « il n’est pas fait de différences quant au sexe de la victime en ce qui concerne les violences conjugales. » Comment dans ces conditions, donner une validité fédérale à des statistiques qui ne peuvent pas prendre en compte des réalités cantonales ?

Revue "Thérapie Familiale"

Nous avons jugé opportun d'analyser des numéros de Thérapie Familiale, une revue trimestrielle d'orientation systémique. Cette source représente en effet le point de vue théorique et le constat des pratiques des thérapeutes de famille. Il est pertinent de se demander à quel point le discours de ces professionnels de la famille influence la société et est en retour influencé par elle. Les catégories victime-agresseur y sont-elles aussi clairement définies que dans le sens commun et certains discours? Fait-on une différenciation au niveau de l'étiologie de la violence et de ses conséquences selon le genre? Le contact avec les patients remet-il en question certaines pratiques thérapeutiques et fait-il avancer les models conceptuels? Pour répondre à ces interrogations, nous avions à disposition tous les numéros parus depuis de nombreuses années afin d'observer à quelle fréquence et sous quelle forme la thématique des violences conjugales était abordée. Nous avons porté notre choix sur la période allant de 1995 à 2001, pendant laquelle quatre numéros contiennent des articles dédiés à notre sujet.

Les deux premiers numéros analysés, datant de 1995 et de 2000 sont riches d'informations car rédigés par les mêmes auteurs, qui font part de l'évolution de leur réflexion durant les cinq ans écoulés. Le numéro de 2000 a été écrit par des thérapeutes colombiens, ce qui nous montre la préoccupation internationale des thérapeutes de famille autour de la violence conjugale et leur désir d'échanger à ce sujet. Quant au dernier numéro pris en compte, celui de 2001, il présente la synthèse des théories les plus utilisées à propos de la violence domestique.

Les auteurs des deux premiers numéros analysés sont membres de l'association française Vivre sans Violence, issue d'observations de professionnels travaillant avec des femmes victimes de violence conjugale. Autour de 1985 il y eut de nombreuses interrogations sur les pratiques, mettant en avant les limites de la prise en charge d'alors: les femmes retournaient le plus souvent au domicile conjugal, où les violences reprenaient. De plus, peu de femmes se sentaient prêtes à faire un travail de réflexion sur les événements de violence vécus. Les professionnels ont trouvé certaines réponses en s' inspirant du modèle québécquois de prise en charge des hommes violents de Robert Philippe. La conscience de la nécessité de s'intéresser également aux agresseurs a ainsi émergé et les premières structures de soutien aux auteurs de violence ont apparu. Les auteurs préconisent par ailleurs un changement: le départ de l'auteur des violences du foyer plutôt que celui de la victime. Cela peut constituer en effet une violence supplémentaire à la femme, et signifie à l'agresseur qu'il est laissé seul" dans un état de dangerosité contre lequel nul, même pas la loi, ne peut le protéger".

Les auteurs réfutent l'idée traditionnelle considérant un couple violent comme dysfonctionnel. Ils font référence à Watzlawick et à sa théorie de la communication, envisageant ainsi la violence comme un acte de communication tout comme les comportements réactifs telle la passivité. Ainsi, la victime également communique quelque chose à son agresseur. La violence est un mode d'échange qui a été appris, et n'est donc pas inné.

Leur intervention vise la modification des patterns d'interaction ainsi qu' un « travail sur les représentations différentes que l' homme et la femme se donnent et nous donnent, de leur vécu de la violence ». Soulignons qu'en 1995, il n'y a pas d'injonction thérapeutique pour les auteurs de violence dans le couple, les consultations sont donc uniquement volontaires pour les agresseurs.

En 1999, les mêmes auteurs, dans un numéro consacré au thème « Des violences » expliquent l' évolution de leur réflexion quant à la notion de responsabilité. Ils reviennent sur leur idée de co-responsabilité, de relation complémentaire. Actuellement(en 1999) ils différencient les actes violents en deux catégories: les comportements interactifs vs délits/crimes. En conclusion, les deux acteurs ne sont pas à égalité dans l'interaction: il y a une hiérarchie dans les responsabilités. La victime n'est pas responsable des coups qu'elle reçoit, mais les deux sont responsables du maintien de l'interaction dans laquelle les comportements de violence deviennent redondants et structurants. Les auteurs se démarquent du québécquois R. Philippe en précisant que les violences conjugales ne peuvent se produire que dans un contexte de consensus socio-culturel.

Nous constatons donc grâce à l'analyse de ces deux articles, que les professionnels thérapeutes de famille de par leur pratique, sont menés à une réflexion sur les catégories de victime-agresseur, liées à la notion de responsabilité. De la prise en charge des femmes victimes, et face à ses limites, les thérapeutes commencent à prendre en charge des auteurs de violence. Concepts et pratiques dialoguent sans cesse, puisque reconnaître la nécessité de prendre en charge les deux membres du couple est uniquement compatible avec des théories ancrant l'étiologie de la violence dans les processus interactifs et communicatifs. Le monde de la thérapie familiale a donc une longueur d'avance sur la dichotomie victime-agresseur prégnante dans le sens commun, dans certaines campagnes de sensibilisation pour le grand public, et dans la loi. Par exemple les auteurs prônent en 1995 déjà l'éloignement de l'auteur de violence du domicile, alors qu'en Suisse ce n'est qu'actuellement, en juin 2006, que cette mesure passe dans la loi.

L'expérience des thérapeutes colombiens, relayée dans un numéro datant de 2000, nous montre une initiative étrangère originale. A Bogota il existe des "commissariats de famille" depuis 1996 qui consistent en un "espace de conversation et de concertation dans le but de protéger, d'assister et de guider les familles à propos de leurs droits fondamentaux et de les informer quand aux façons de résoudre les conflits internes." Plus concrètement, une assistance légale, sociale, médicale et psychologique est dispensée dans ces lieux.

Les auteurs sont en accord avec Perrone et Nannini, postulant que la violence n'est pas une maladie, mais un choix et un moyen de contrôle. La responsabilité est à nouveau un thème abordé puisqu'ils postulent que tout individu est garant de sa propre sécurité, en précisant que chacun peut devenir violent dans un contexte déterminé. Encore une fois, c'est donc l'accent sur le contexte, culturel ou interactif, qui provoque la violence, plutôt que des caractéristiques individuelles. Dans son article Déconstruction des idées reçues sur la violence : une alternative à la violence. Kuenzi-Monard présente un Panorama des théories les plus utilisées : L’auteure les répartit selon 7 niveaux :

1.les théories qui localisent la violence à l’intérieur de la personne : la violence est basée sur un problème de santé mentale ; la théorie de l’impulsivité, le manque de contrôle de soi.

2.les théories qui localisent la violence dans le développement : les théories développementales de la violence et de l’apprentissage (expliquent l’abus comme une répétition de comportements pathogènes au sein des familles) ; la théorie du blocage d’origine psycho-sexuel (la personne est bloquée à un stade de son développement).

3.les théories qui localisent la violence au sein des relations humaines : la théorie du contenant (capacité X de tolérer des frustrations, insatisfactions ou colère. Au-delà, c’est l’éclat) ; conséquence : l’homme a peu de possibilités de contrôler cette tension, donc peu de responsabilité quant aux éléments extérieurs qui viennent le saturer. le modèle de la frustration-agression : si je suis frustré, j’agresse.

4.les théories qui localisent l’abus dans des blocages de la communication : la personne violente souffre d’un pauvre développement des qualités sociales et relationnelles. Modèle explicatif intéressant mais qui ne donne pas d’alternative pour apprendre d’autres stratégies.

5.Les théories qui considèrent la violence comme l’effet d’un état chimique différent, comme la conséquence de l’utilisation d’alcool ou de drogues : la théorie de la désinhibition.

6.les théories circulaires sur la violence : celles-ci localisent la violence et la comprennent comme générée au sein d’interactions. La violence occupe une fonction homéostatique, le maintien de l’équilibre de la famille.

7.les théories féministes : l’explication féministe ou socio-culturelle qui voit la violence comme prenant sa source dans les structures sociales. La violence et le comportement abusif sont compris, favorisés, voire encouragés par le fonctionnement social.

8.la théorie fonctionnelle de Léonore Walker : la violence est une explication dynamique, fonctionnelle et non pas causale. La violence fonctionne sur trois phases distinctes, tension, épisodes violents, lune de miel. Walker démontre que la violence est un cercle addictif, les prisonniers de la violence sont dans un cercle infernal.

L’approche de Kuenzi-Monard : la théorie des limites. Elle est basée sur les travaux de Bateson qui prônait qu’une explication « négative » ou « en mouvement » d’un évènement est préférable à une explication « positive » ou « statique ». Ce type d’explication génère du mouvement, incite à s’orienter vers les conséquences des faits et ainsi vise à une prise de responsabilité.

L’auteure conclut qu’il est essentiel de faire une distinction entre l’explication causale et une limitation. L’explication causale clive la dynamique déjà polarisée entre victime et bourreau, elle maintient la violence plutôt qu’elle ne l’élimine. Elle constate que souvent il existe une rupture entre l’intention et l’action du psychothérapeute. Elle pense que le clinicien influence et est influencé par les questions qu’il pose. Les questions linéaires tendent à produire des raisonnements linéaires, il faudrait ainsi favoriser les questions circulaires, ouvrant de nouvelles possibilités.

Le nombre de ces théories, par ailleurs très variées, est on le voit abondant. Il est aisément compréhensible que l'adhésion à l'une ou l'autre de ces théories, liées à des étiologies différentes de la violence, implique des interventions également différentes. Dans notre travail, nous avons principalement abordé les théories féministes ou socio-culturelles et les théories circulaires, dont fait partie l'approche systémique. La théorie fonctionnelle est également très présente dans les réflexions des thérapeutes, et la théorie des limitations est en expension. Ces théories ont en commun de ne pas prendre l'individu comme centre de la problématique de la violence conjugale, mais plusieurs individus et leur relation.

Pour conclure cette analyse des numéros de Thérapie Familiale, une différence flagrante apparaît entre les discours des professionnels publiés dans cette revue de systémique et les discours du sens commun, circulant au quotidien. En effet, les thérapeutes toujours en recherche d'affinement de leurs concepts, par confrontation à la pratique, sont passés par tout une évolution théorique, prenant en compte les deux membres du couple, et débattant passionnément les questions de responsabilité et les notions de victime-agresseur. A l'opposé, les causes de la violence conjugale les plus fréquemment évoquées et ancrées dans les représentations de la population se situent plutôt à un niveau individuel. Une partie est liée au genre, naturalisant les différences de sexe (la violence est inhérente à l'homme, la douceur et la fragilité à la femme...); un autre type d'explications courantes ramène le problème à des causes individuelles (alcoolisme, problèmes personnels...), voire psychologisantes (trouble psychique, traumatismes dans l'enfance, sado-masochisme...). Les catégories victime et agresseur sont clairement séparées dans le sens commun, tout comme l'attribution du terme victime à la femme, et agresseur à l'homme.

Propos issus de quelques entretiens

L’homme battu existe

Pour confronter les stéréotypes affiliés aux genres, nous avons cherché à interviewer des hommes battus. Paul et Luc (prénoms d’empreint) ont un point commun : leur passé d’homme maltraité. Ils ont été, tous les deux, physiquement battus par leur conjointe. Toutefois, il semblerait que la problématique de l’homme violenté intègre, dans sa forme globale, une autre forme de violence, une violence psychologique. Il ressort des entretiens que la forme physique ne semble pas être la forme de violence qui marque le plus. Pour essayer de comprendre au mieux le vécu violenté de ces hommes et plus généralement de toute personne impliquée dans des relations violentes, nous avons questionné la littérature ainsi que des professionnels de terrain.

Pour la travailleuse sociale, Sophie Torrent (2001), « la nature de la violence [à l’égard de la gente masculine] et ses modes d’expression traduisent, dirait-on, une violence spécifiquement féminine, subtile, qui atteint l’intégrité psychique de l’homme.» (p.33). L’homme victime de violence psychologique semble atteint surtout dans sa masculinité, plus précisément dans la représentation de la masculinité qui lui a permis de construire son identité.

« Le harcèlement que j’ai vécu par cette femme tyran m’a amené à perdre, pendant quelques temps, mon identité masculine… C’était quoi être un homme ? Je ne savais plus faire l’amour comme il faut en quittant ma femme. J’ai du réapprendre à accepter de prendre du plaisir. » Luc

La violence ; une histoire d’homme ?

Alors que nous venons de découvrir avec stupéfaction certaines réalités d’hommes maltraités par leur conjointe, comment traiter ces vérités face à notre idéal féminin construit ? Comment même penser à la violence des femmes, alors que celle que l’on exerce à leur égard est de loin la plus établie, la plus reconnue et de ce fait la plus portée par les médias ? De nos jours, la société reconnaît et prend en charge la femme violentée, qu'en est-il de la femme violente ? Il est commun d’entendre qu’une femme violente est une femme malade psychologiquement ou encore que cette dernière n’agresserait que pour se défendre. Pour la psychothérapeute Diane Chayer, ( citée par Ruel & Guéricolas, 1998), il semblerait qu’il n’y ait tout simplement pas de permission sociale à la violence des femmes. « La société dit qu’il est presque normal pour un homme d’être violent. Mais une femme violente, c’est une extraterrestre. »

Pour Yvon Dallaire, « la femme violente peut ressentir de la fierté pour avoir battu plus fort qu’elle. Et la société ne la dénigre pas, elle cherche plutôt à la comprendre et à l’excuser, compatissant souvent à son sort. » (p26) A contrario, pour la responsable d’une structure acceuillant des femmes violentes, « celles et ceux qui passent de la parole aux actes souffrent, ils ont besoin d'aide et y ont droit. Toutefois, la femme violente souffre de discrimination ; on ne veut pas lui reconnaître sa violence. » Il semblerait alors que, paradoxalement, la femme violente souffre des mêmes maux sociaux que l’homme maltraité. Une nouvelle fois, il semblerait que les stéréotypes, affiliés aux genres, décident de ce qui peut être acceptable ou pas.

Le statut de victime/agresseur

La responsable d’un établissement prenant en charge des femmes violentes nous apprend qu’il est difficile de tenir le fil rouge concernant les rôles de victime-agresseur. « On est là pour travailler sur la violence des femmes, en tant qu’auteures de violence et non en tant que victimes. Très souvent, ça dérape en justification des actes qui déplace la position d’agresseuse à celui de victime. » Il semble que souvent, l’agresseur se voit comme victime. Responsabiliser les acteurs(trices) de violence, c’est les aider à prendre conscience de leur violence.

Responsabilité dans la violence

La question est partagée. Alors que pour beaucoup, la responsabilité de la violence doit être assumée par son auteur(e), pour d’autres, elle doit être partagée. En effet, pour Denis Châtelain, co-fondateur d’une association prenant en charge des auteur(e)s de violence, « il faut prendre en compte le potentiel de violence de la victime dans la compréhension de la dynamique ». Pour la responsable d’une association accueillant des femmes violentes, « il est impossible de faire un tel travail si l’on part du principe d’une co-responsabilité dans la réalisation de la violence. En effet, on ne peut pas se permettre de déraper sur l’aspect empathique et comprendre voir d’excuser l’acte de violence au nom d’un statut de victime reconnu. Pour nous, l’acte violent n’est pas excusable, il est inadmissible quelque soit sa source ou sa justification. Ce qui nous paraît important c’est de faire en sorte de ne plus jamais en avoir à arriver là. »

La prise en charge de la violence

Comment aborder la problématique de la violence conjugale et plus particulièrement celle des hommes maltraités et des femmes violentes ? Alors qu’Yvon Dallaire se demande si l’on « ne pourrait pas exploiter l’expertise des centres d’accueil pour femmes au profit des hommes battus et l’expertise des groupes d’entraide pour homme violents au profit des femmes violentes ? » (p29), la responsable d’une structure accueillant des femmes actrices de violence répond que « pour aider les femmes actrices de violence, il faut appliquer un traitement différencié. Les raisons étant parce qu’on n’éduque pas de la même façon une petite fille et un petit garçon, le rapport au féminin n’est pas le même. La violence masculine est légitimée. Par contre, on ne reconnaît pas ce droit à la femme. Cela étant dû aux stéréotypes de mère protectrice d’une part. »

Point de situation

Mouvement féministe...et

A ce stade de notre article, nous pouvons établir difféents constats. Tout d’abord, la découverte de la violence conjugale et de ses effets a pour origine le questionnement du mouvement féministe. Celui-ci repris par des chercheur-e-s, a confirmé et précisé le phénomène de la violence conjugale. La notion d’homme battu, qui nous avions posée comme une construction récente, date des premières recherches sur ce domaine, le syndrome de l’homme battu, développé par une chercheuse du l’équipe de Straus et al. a été un concept rapidement abandonné. Les défauts dans l’opérationnalisation du concept de violence, dans la méthode et dans l’interprétation des données de l’enquête effectuée à l’aide du Conflict Tactics Scales ont été largement reconnus.

...évolution sociale et réponses masculines.

Nous pouvons poursuivre nos constats à partir des travaux d’une chercheuse, rencontrée au détour d’un article de presse, Pascale Molinier, d’une tension qui s’avive entre hommes et femmes dans les années 1980. Certains hommes pro féministes tiennent un discours optimiste concernant la constitution d'une société nouvelle et égalitaire et reconnaissent la domination masculine comme clé d'un changement possible. D'autres hommes tiennent un discours alarmiste et insistent sur le malaise identitaire engendré par cette modification des rapports sociaux source de perte de repères. A partir de là, un autre phénomène apparaît, nous découvrons que des groupes d’hommes se forment autour d’auteurs, (Guy Cornaux au Canada, Jacques Salomé en France, ou plus récemment Y. Dallaire qui avec John Goetelen a organisé le premier Congrès international de la condition masculine à Genève en 2003) avec comme but de réfléchir à l’identité masculine fragilisée. C'est dans cette mouvance que l’on trouve aujourd'hui les protagonistes d'un détournement de la violence masculine au profit d'une violence exercée contre les hommes par les femmes.

La violence domestique, une réponse étatique et institutionnelle

Autre constat que nous pouvons déjà faire, la violence conjugale est un phénomène officialisé et les réponses institutionnelles se développent de plus en plus. Il est intéressant de faire le point sur l'ampleur et les lacunes de l'offre associative et institutionnelle, et prenons pour ce faire l'exemple genevois. La brochure « la violence est inacceptable; violence conjugale que faire? » est la référence et est publiée par le Service pour la promotion de l'égalité entre homme et femme, le Centre de consultation LAVI et Solidarité Femmes. De par les caractéristiques même de ces éditeurs, ajouté au fait que la brochure est rédigée par des auteures, c'est à nouveau sous l'angle des femmes victimes que la problématique est abordée. Dans la rubrique « Répertoire d'adresses utiles », nous constatons qu'il existe à Genève des services d'hébergement; des services médicaux; des consultations juridiques; des services de consultations conjugales, familiales et de médiation auxquels peuvent s'adresser des victimes de violence conjugale. Les foyers d'hébergement cités sont des foyers pour les femmes et leurs enfants exclusivement, dans le cas de difficultés qui ne sont pas restreintes à la violence conjugale, néanmoins dans la pratique ce type de violences représente la majorité des cas. Ce principe de foyer pour femmes en difficultés n'est pas récent, le foyer Arabelle par exemple date de 1964. Solidarités Femmes est la seule association spécifique pour les femmes victimes de violence conjugale. Elle offre écoute; orientiation; information sociale et juridique, hébergement; entretiens individuels et activités de groupe. Excepté l'hébergement, ces prestations sont gratuites. Il existe d'autres services divers pour femmes, tels que Viol-Secours, SOS Femmes, F-Information ou Camarada. Certains organismes sont spécialisés dans les problématiques de violences, sans distinction de sexe, il s'agit des Centres LAVI et au niveau médical du Centre Interdiscplinaire de Médecine et de Prévention de la Violence des HUG. Dans la brochure de 2001, une seule adresse concerne les auteurs masculins de violence conjugale, il s'agit de l'association VIRES. Il est intéressant et très révélateur de constater que depuis sa fondation en 1994, cette association s'est définie de trois manières distinctes: d'organisme pour les hommes ayant recours à la violence dans leur couple et dans leur famille, dans un deuxième temps le terme « hommes » a été remplacé par « personnes ». Actuellement c'est l'expression « Organisme de traitement et de prévention de la violence exercée dans le couple et dans la famille. » qui a été retenue. Si les professionnels de VIRES précisent que ce changement d'appellation est consécutif à une évolution dans la manière de penser et traiter la problématique de la violence conjugale et plus précisément ses sources et ses enjeux, les date de ces évolutions ne sont malheureusement pas précisées. Dans la dernière édition de la brochure sus-mentionnée, parue en 2004, apparaît une nouvelle association, dédiée à la prise en charge des femmes aux comportements violents. Cet organisme créé en 2001 ne se limite pas aux violences exercées dans la sphère familiale.

En conclusion de cet aperçu des diverses offres de soutien sous toutes ses formes adressé aux personnes impliquées dans la dynamique des violences conjugales, une lacune importante transparaît: il n'existe pas à Genève de lieu spécifique aux victimes masculines de violence conjugale, que ce soit un foyer ou un lieu d'information et de soutien. En règle générale, lorsqu'un problème social lié à la violence émerge, ce sont les victimes qui bénéficient en premier lieu de l'institutionnalisation. Par la suite, une réflexion se fait autour des auteurs, considérant qu'eux aussi ont besoin de soutien afin de casser la dynamique de violence. Dans le cas de la violence exercée envers les hommes, les victimes sont ignorées par l'absence de lieu spécifique; alors même que les femmes auteures de violence possèdent une telle infrastructure. Nous pouvons émettre l'hypothèse que cela a un lien avec le stéréotype de femme-victime, la femme perpétrice de violence ayant souvent été elle-même victime, comme nous l'avons vu plus haut. Amnesty relaie cette problématique pour que la violence domestique sorte du domaine privé et soit reconnue comme un problème public. Dans des revues spécialisées différents auteur-es font état de l’évolution des connaissances et des conceptualisations du problème.

L’état fédéral se préoccupe de cette question et modifie le code pénal pour améliorer la protection des victimes de violence domestique. Les centres Lavi travaillent à la transformation de leur statistiques en vue également d’améliorer la visibilité de cette forme de violence.

Conclusion

En fonction de tous les éléments qui précèdent, la conclusion de cet article montre que le concept de violence conjugale apparu dans les années 1970 a trouvé sa place jusque dans la législation. Quant au concept de l'homme battu, il a été mis en évidence lors de l'une des premières grandes recherches sur la violence conjugale. Il est la conséquence d'une méthodologie de recensions des actes de violence, méthodologie contestée quant à sa validité. Les recherches suivantes ne confirmant pas ce résultat, ce concept a été rapidement abandonné. Il réapparaît aujourd'hui, véhiculé par des groupes qui s'intitulent "masculinistes", constitués d'hommes qui se questionnent au sujet de leur identité masculine, identité "fragilisés" suite à l'émancipation féminine.

On peut toutefois considérer que les discours qui circulent sur la violence conjugale sont une construction qui circonscrit la violence dans des stéréotypes caricaturaux stigmatisant à la fois les femmes en tant que victimes et les hommes comme agresseurs. Les représentations véhiculent une image de femme douce, fragile, alors que celle associée au masculin est force et pouvoir voir violence. De cette restriction découle la difficulté d’envisager l’existence d’hommes victimes de violence conjugale, et d’égale manière celle de femmes violentes. Cela a comme conséquence pour les personnes concernées une non-reconnaissance sociale, se manifestant par de forts préjugés à leur encontre, et une absence de spécialisation institutionnelle pour ce type de prise en compte.

Les professionnels de la violence conjugale (médecins, thérapeutes) ont dépassé l'opposition "victime - agresseurs" et ils désignent les acteurs de la violence conjugale à un niveau de co-responsabilité qui ne distingue pas le sexe des protagonistes pour rendre compte de ce phénomène. Il y a ainsi un écart entre les discours dominants et les discours des professionnels, écart perceptible dans l’étude de la littérature et dans l’examen des sources que constituent les revues " thérapie familiale ". Enfin, il faut admettre la thèse selon laquelle la violence conjugale reste un phénomène qui bien que connu de tous, reste difficile à appréhender dans notre société. Criminalisée ici, combattue là, normalisée un peu plus loin. Elle fait partie d’un rapport à l’Autre institué par des règles sociétales contextualisées par un rapport différent d’être au monde « femme » ou « homme ». En effet, il existe des définitions similaires mais superficielles de la violence conjugale qui varient dans leur développement en fonction des positionnements et des valeurs de ceux qui les proposent.

Les statistiques qui rendent compte de la violence conjugale proposent d’autre part des modalités qui ne permettent pas de distinguer précisément les victimes des agresseurs de manière précise et approfondie. Elles ne permettent pas d’affirmer avec précision que les hommes sont aussi victimes de violences, les modalités de genre n’étant pas assez développées dans la prise en compte statistique. Les médias spécialisés (amnesty,)font largement état de l'importance de la violence envers les femmes, violence qui, si elle tend à être dénoncée en Occident est encore naturalisée dans un grand nombre de pays.

Les hommes victimes existent, mais leur visibilité est très faible peut-être du fait que c’est un phénomène qui est en train d’émerger comme problème social. Ainsi, la violence conjugale reste un phénomène complexe et confus dans ses définitions. Enfin, on s’aperçoit que la violence conjugale reste un concept en mouvement sur le plan des institutions, qui proposent des possibilités de prise en charge nombreuses, mais pas suffisamment différenciées si l’on considère la prise en compte de la violence faite aux hommes.

Ces détracteurs pourront s'appuyer probablement dans les années à venir sur les modifications des images féminines, les stéréotypes de la femme douce et soumise ont tendance à s'estomper. Et l'on peut se demander si les jeunes femmes ne se permettront pas plus que par le passé d'exprimer leurs sentiments de colère et violence, là où s'exprimaient auparavant peut-être impuissance, tristesse et dépression.

Difficultés

Le sujet que nous avons abordé tout au long de ce travail est délicat. Nous avons relevé le peu de neutralité émanant des sources existantes sur ce thème, chaque écrit représentant une certaine prise de position, quant à la causalité de la violence conjugale par exemple, ou les convictions cachées derrière l'attribution de statuts victime-agresseur ou victime-victime. Cette subjectivité rentre en interrelation avec notre sensibilité propre, individuelle, qui n'est donc pas la même entre les personnes de notre groupe. Le fait que celui-ci soit constitué de deux femmes et deux hommes est très enrichissant, et même primordial quand on s'attèle à ce type de problématique. Néanmoins, cela implique un investissement conséquent en termes de discussion, explicitation des attentes et valeurs de chacun, en redéfinition continuelle de la problématique. Dans notre tentative d'objectiver notre problématique, nous ne sommes que très peu aidés par les statistiques. Elles aussi disent ce qu'elles ont envie de dire, et sont sans cesse remises en cause par des détracteurs. La conséquence en est qu'aucune statistique ne sert vraiment de référence consensuelle dans la compréhension de la violence conjugale. Dans les statistiques policières, souvent la violence conjugale n'est pas comptabilisée de manière séparée des autres délits de violence; dans d'autres types de statistiques c'est le genre qui n'est pas retenu comme variable pertinente. En effet, derrière les chiffres, on découvre des définitions très variables de la violence: certains ne prennent en compte que la violence physique; d'autres considèrent que de nombreux petits signes de nature verbale ou psychologique sont un pas dans l'escalade de la violence, et les jugent donc de même poids que des coups. Entre ces deux extrêmes, toutes les variations sont présentes... Il est intéressant de relever à quel point certains chiffres sont médiatisés, afin d'avoir un impact sur la population, alors que ces mêmes chiffres sont discutables au niveau statistique. Pour conclure, nous nous sommes rendus compte que malgré une certaine médiatisation, qui n'est pas si récente, de la violence conjugale, nous ne savons pas tellement de choses à ce sujet, ou plutôt il existe peu de consensus, voire la co-existence d'approches inconciliables.

Références bibliographiques

Les lectures citées dans le travail final

  • Amnistie: Le magazine pour les droits humains, Dossier Combattre la violence domestique No 44, février 2006.
  • Amnistie, Journal d'action pour les droits humains, janvier 2006.
  • Dallaire Y. (2002). La violence faite aux hommes. Une réalité tabou et complexe. Québéc: Options santé. Résumé du livre
  • Torrent S. (2001). L’homme battu, un tabou au cœur du tabou. Québec: Option Santé. Résumé du livre
  • Praplan G., Quand le sexe faible est violent in Repère Social, No 73, février 2006.
  • Thérapie Familiale 1995, Vol. 16 no 3.
  • Thérapie Familiale 1999, Vol. 20 no 4.
  • Thérapie Familiale 2000, Vol. 21, no 4.
  • Thérapie Familiale 2001, Vol. 22 no 4.

Bibliographie

Les lectures utilisées mais pas citées dans le travail final

  • Bretonnière-Fraysse et al. (2001). De la violence conjugale à la violence parentale. Eres Résumé du livre
  • Jackson D., Welzer-Lang D. (1998). Violence et masculinité. Toulouse : imprimerie 34.

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