Alain Dupont: un entrepreneur social
Préambule
L'histoire de l'anti-psychiatrie n'a pas encore été faite. Seuls les travaux récents d'Isabelle von Bueltzingsloewen et le livre de Jacques Lesage de La Haye, paru en mai 2010, posent quelques jalons historiques. Wikipedia donne des éléments de base pour saisir rapidement les enjeux principaux [[1]]. Quelques articles récents dans la presse en Suisse romande montrent un questionnement de l'histoire de l'anti-psychiatrie, au moment même où la crise économique touche des pays comme la Grèce et affecte directement les soins psychiatriques. L'article (mettre le lien) "Les fous de l’île de Leros" met en évidence le lien entre restrictions budgétaires (des subventions européennes qui ont servi à financer l’institution de «Leros») et les conditions de vie des personnes. Les restrictions budgétaires imposées par Bruxelles prive la Grèce. Les personnes handicapées mentales plus ou moins privées de voix sont abandonnées à leur sort. Si l'ingérence politique de la résonance financière des géants économiques de l’Union Européenne à l’organisation et à la surveillance des institutions grecques, conditionnelles aux emprunts, devient de plus en plus invivable pour la population grecque, cette “déconfiture“ institutionnelle de l’état grec est une véritable fabrique de personnes oubliées. Parmi elles, ce sont les personnes malades mentales, de part leur vulnérabilité, qui paient visiblement le prix le plus fort. La santé physique et la santé mentale de la population sont de parfaits indicateurs de la santé politique d’un pays. Il est difficilement concevable que le soutien financier des pays européens se fait au péril de la santé de la population grecque.
Diona Furrer
Alain Dupont: un entrepreneur-né pour la valorisation de la personne et de ses rôles sociaux (titre provisoire)
Le récit que vous allez lire est le résultat d'un travail d'intelligence collective dans une communauté de travail de sept étudiantes en Master en éducation spéciale, d'un témoin, Monsieur Alain Dupont et de deux enseignant/e/s, l'une pour le suivi du cours-atelier en histoire de l'éducation spéciale et spécialisée et l'autre pour le soutien technique et théorique au wiki.
Le travail mené au cours de 13 semaines consiste pour les étudiantes à s'approprier minimalement le wiki, à acquérir une méthode de travail collective et une méthode de recueil de témoignage. Il s'agit de recueillir un récit autobiographique (avec enregistrement audio-visuel) et à en rendre compte par l'écrit. Le but poursuivi est de créer une archive audiovisuelle permettant d'alimenter le patrimoine de l'histoire de l'éducation spécialisée, et en particulier celui de la psychiatrie, et d'écrire un récit biographique explicitant le rôle et l'action d'Alain Dupont dans le développement du mouvement de l'anti-psychiatrie à Genève dans les années 1970-1990. L'idée générale est de permettre de construire collectivement une histoire individuelle dans une histoire collective et de mieux comprendre comment se font les interactions et influences entre individu et société.
L'article comprendra une longue introduction générale présentant la méthode, les choix épistémologiques et quelques éléments historiques écrits collectivement.
Le récit biographique d'Alain Dupont sera présenté en quatre chapitres, lesquels correspondent aux 4 recueils de son témoignage, dans 4 lieux différents et abordant, outre des périodes et actions historiques, une réflexion parcourant l'ensemble du texte. Les étudiants seront à même d'apprendre en écrivant ce récit biographique grâce à la retranscription minutieuse des 4 entretiens.
Histoire individuelle et histoire collective: une complexité phénoménale (titre provisoire)
L'histoire de l'anti-psychiatrie s'inscrit non seulement dans l'histoire de la psychiatrie, mais aussi dans celle d'une conception des soins à la personne qui a particulièrement marqué le champ de l'éducation spécialisée dans les années de l'après-guerre. De cette génération des Trente Glorieuses, de la révolution cubaine à celle de Mai 68, bien des acteurs se sont engagés socialement pour des valeurs de justice et d'égalité sociales, promouvant des modèles d'intervention sociale novateurs ou s'inscrivant dans une tradition de l'éducation sociale (communauté d'enfants, communautés thérapeutiques notamment). Ces acteurs et actrices critiques des institutions traditionnelles ont été des contre-pouvoirs souvent créatifs proposant des contre-modèles institutionnels. Les critiques portent autant sur l'école, la prison et l'hôpital psychiatrique qui apparaissent comme des institutions totalitaires. Les travaux de Michel Foucault ont particulièrement abordé leur histoire dans cette perspective et ont été une référence importante pour cette génération. Mais d'autres auteurs ont aussi été des références incontournables comme Yvan Illitch, auteur d'"Une société sans école", Franco Basaglia, auteur de "L'insitution en négation", ou encore Thomas Szasz, ayant écrit "Le mythe de la maladie mentale", renvoyant à une critique de l'institution mais aussi de la norme questionnant ainsi la normalité tout en revendiquant une normalisation de la vie des handicapés et des malades psychiatrisés. Fondamentalement, c'est la critique de l'enfermement qui se déploie, que cela concerne l'enfermement de l'enfant handicapé dans sa famille ou le malade psychiatrique dans l'asile.
Deux grands modèles vont émerger, en France, dans les années d'après-guerre: la sectorisation et les communautés de vie.
Le secteur, groupe de prise en charge ambulatoire et de suivi des malades dans les quartiers, reste tout de même lié à l'hôpital psychiatrique. L'usage des neuroleptiques, dès les années cinquante, a favorisé cette prise en charge ambulatoire. Mais ce sont aussi le manque de structures sociales de prises en charge qui ont empêché de sortir de l'hôpital, d'où la nécessité de créer des lieux alternatifs. Faute de pouvoir sortir le malade de l'hôpital psychiatrique, celui-ci s'ouvre à d'autres pratiques de thérapies sociales telles la sociothérapie ou l'ergothérapie. Le courant de la psychothérapie institutionnelle prône pour les malades psychiatriques un possible retour à la vie normale.
Les modèles des communautés de vie, par exemple, revendiquant une vie comme tout le monde et une certaine "normalisation" de la vie quotidienne pour les handicapés mentaux comme pour les malades psychiatrisés, ont donné lieu à des expériences originales (voir l'exemple en France, dans les années soixante, l'Arche de Jean Vannier [[2]] ou Fernand Deligny à la grande cordée [[3]] et en Suisse, dans les années septante de la communauté de ... film de Catherine Scheuchter. Dans l'aventure du non de la parole). Même si les conceptions ont pu différer dans les pratiques, un objectif les fédérait: l'appropriation de sa propre vie qui apparaissait comme un quasi droit.
Le mouvement anti-psychiatrique participe de cet élan à la fois critique de l'institution et revendicatif d'une normalisation, comme l'a aussi été celui de l'intégration sociale des handicapés prônant une vie comme tout le monde pour les enfants non scolarisés et souvent à la charge de leur famille (jusqu'à l'entrée de l'A.I en 1959). Le monde de la psychiatrie a été bouleversé de l'intérieur, dès les années soixante, par des changements apportés par des médecins, comme à Genève Juan Ajuriaguerra, mais aussi de l'extérieur par la pression des militants et des usagers de la psychiatrie. Une troisième voie semble avoir été l'ouverture de lieux dans la ville-même, obligeant à un certain contrôle des personnes (notamment grâce aux médicaments psychotropes, comme le Gardénal) et à une modification du regard porté sur la folie par la population.
C'est dans ce contexte que s'inscrit le premier engagement d'Alain Dupont, lorsqu'il ouvre un service de sociothérapie à l'hôpital psychiatrique de Bel-Air avec le Dr. Eisenring, en 1972, premier acte d'un itinéraire qui l'amènera progressivement à multiplier les créations sociales (Le Quatre, Trajet, T-Interaction pour les plus connues). Ces créations l'amèneront progressivement à glisser de l'action sociale (privée et publique) à l'entreprise sociale mixte (privée et publique). Des actions et des entreprises de solidarité qui vont incarner des idées et des méthodes travaillées dans des lieux de formation (il est enseignant à l'École de travail social dès 1972), et dans la recherche-action telle qu'elle est prônée à l'université où il entre dans les années 70. Sa pensée est marquée par des thématiques dominantes dans le champ du social et des sciences de l'éducation de cette génération 1970-1990, dont il sera l'un des représentants: la normalisation, la valorisation des rôles sociaux, l'observation, l'évaluation, l'intervention en réseau. Un itinéraire marqué aussi par un engagement social fort, hors des institutions traditionnelles, ralliant un réseau de soutien politique et financier à des idées qui étaient loin d'être dominantes. Entre le respect des institutions et de leurs politiques et l'engagement militant et contestataire des associations d'usagers, le chemin d'Alain Dupont est un entre-deux où domine un goût pour la création, la conduite d'équipe et l'ambition de réussir dans un esprit de liberté. Posture personnelle, politique, philosophique, générationnelle qu'il s'agira de tenter de comprendre.
Le récit biographique: quelques points de méthode
Le récit biographique se construit à partir du témoignage récolté auprès d'Alain Dupont lors de quatre entretiens. Ces entretiens ont été filmés et enregistrés. Ils ont fait dans un premier temps l'objet d'une retranscription. C'est uniquement à partir du texte retranscrit que le récit biographique s'est construit. Puis se sont ajoutés des documents d'archives permettant d'illustrer un point particulier.
LES DÉBUTS «INSTITUTIONNELS» DE MONSIEUR ALAIN DUPONT
En 1966, à l'âge de 20 ans, Monsieur A. Dupont entre en stage dans l'Institut de Serix-sur-Oron (VD) [1]. Un institut au passé lourd, qui a été créé en 1863 comme colonie agricole et professionnelle, comme centre de détention pour enfants et adolescents. Cet institut s’appelait jusqu’en 1991 "Institut Romand d’Éducation". La fondation propose aujourd’hui un internat éducatif qui comporte une école spécialisée.
Au moment où Monsieur A. Dupont entre dans cet institut, il est logé à la même enseigne que les pensionnaires. Il dort dans une petite chambre, sous le toit, où il ne faisait parfois pas plus de 6 degrés en hiver.
Pour Monsieur A. Dupont, cet institut relève plutôt du champ d’éducation que du champ de formation : «il y avait des personnes qui sont venues “former“ les éducateurs, elles nous ont donné des techniques de punitions à employer à l’égard des pensionnaires, des conditions sous lesquelles, il fallait les mettre en isolement (cachot)». Il y avait beaucoup de violence physique et verbale entre les pensionnaires. Monsieur A. Dupont met cela sur le compte de l’enfermement, de l’isolement et de la violence institutionnelle, en somme, les conditions auxquelles ont été exposés les jeunes pensionnaires.
Il y avait alors un événement qui a changé profondément son regard. Il avait placé un adolescent, considéré par l’institut comme sujet difficile, chez un agriculteur de la région. Monsieur A. Dupont prend des nouvelles au bout de quelques mois auprès du paysan, à son étonnement, l’agriculteur considère l’adolescent comme exemplaire à tout point de vue : «il se comporte parfaitement bien à table, débarrasse la table après les repas, fait la vaisselle, il effectue les tâches qu’on lui demande à la perfection, il s’exprime poliment et joue avec les enfants de manière passionnée». Cet agriculteur n’avait pas la moindre critique à faire à l’égard de l’adolescent, mais avait bien au contraire exprimé toutes les manières d’appréciation de qualité envers ce jeune homme.
Probablement, motivé par cette expérience, Monsieur A. Dupont s’engage alors dans une formation d’éducateur de groupe et suit en parallèle une recherche sur l’enseignement et la formation professionnelle pour des personnes déficientes.
En 1970, à la mise en place de Caritas (camps de vacances, colonies), à Genève, il participe à la création d’un centre de formation spécialisée pour des enfants handicapés mentaux.
[1] Madame Martine Ruchat consacre un chapitre entier à l’histoire de la colonie de Serix-sur-Oron dans son ouvrage «L’oiseau et le cachot».
Diona Furrer
Dire et comprendre pour écrire l'histoire (titre provisoire)
31 octobre: Le Quatre, 1972-1979, sociothérapie en déficience mentale (Perrine, Myriam) 106 rue de Carouge, 1er étage
Perrine: Suite à une rencontre avec un neuropsychiatre de talent SON NOM? , vous avez décidé de mettre en place le premier lieu d'accueil à Genève, LE QUATRE, pour des personnes handicapées mentales. Pouvez-vous nous parler de ce lieu d'accueil qui a ouvert le 4 janvier 1977 et qui visait une approche différente, ainsi que de vos expériences antérieures qui ont été probablement à l'origine de ce lieu de rencontre ? J'INVERSERAI LA LOGIQUE!
Myriam: Tout au long de votre vie vous avez œuvré pour une certaine catégorie de personne, à savoir les personnes dites « déficientes » mentales, physiques ou psychiatriques. Quels sont les liens que vous avez tissés avec ces personnes ? Quels ont été les apports de ces rencontres et à quel niveau ? (plan humain, plan professionnel, plan personnel, etc.)
7 novembre: Trajets 1977-1979 (19 juin) (Diona, Sandra) Hôtel, pension Sila, rue Jean-Robert Chouet (arrêt Tram)
Diona : A la fin de votre exposé, sur le Quatre, vous avez parlé de démédicalisation ou désinstitutionalisation?. Peut-on considérer la création de «Trajets» comme une stratégie, une sorte d’encouragement à la continuation de la mouvance antipsychiatrique ?
Sandra: question sur le thème des nuances: désinstitutionnaliser pour libérer les gens: entre "flicage (cf chap 2 "mort de l'asile", P. 51) et "abandon" des patients à eux-mêmes. Quelle procédure de suivi pour respecter au mieux la liberté des patients? Que faire quand la liberté des patients confronte les questions de sécurité de "la cité", des familles, du personnel soignant et du patient lui-même? la société peut-elle participer à la désinstitutionnalisation; à quel prix?
14 novembre: Pyramus T-interaction 2002 (Isabelle, Daphnée) au restaurant-même
Isabelle: À la fin de l’entretien de la semaine passée, vous nous aviez fait part des vives réactions que l’intégration de personnes en rupture sociale a suscitées au sein de la société, en raison des logements et des emplois qui leur ont été attribués. Quelle ampleur ont pris ces mouvements et comment Trajet y a-t-il fait face ?
Daphné: Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à créer T-Interactions à la suite de Trajet sachant que ces deux associations semblent poursuivre les mêmes principes, et visent les mêmes objectifs, c’est-à-dire la mise en œuvre de plans d’action contre l’exclusion ? (Qu’a apporté de plus T-Interactions par rapport à Trajet ?)
Isabelle: Comment a été accueilli ce nouveau projet par la société et dans quelle mesure avez-vous été soutenu par la classe politique, tant du point de vue idéologique que financier ?
Isabelle: Comment avez-vous procédé pour la concrétisation de vos projets, tels que le Cult café, l’hôtel Silva ou la yourte aux fondues ?
Isabelle: Comment un partenariat s’est-il mis en place pour la construction du restaurant « La Pyramus » dans lequel nous nous sommes réunis aujourd’hui ?
Daphné: Pouvez-vous nous parler de votre expérience d’Audit (AD Consultant). Pourquoi vous êtes-vous lancé dans cette voie ? Avez-vous constaté des changements importants dans les pratiques des professionnels ?
Daphné: Depuis les années 70 jusqu’à nos jours, de nombreux progrès sont survenus dans le domaine de la psychiatrie et de l’antipsychiatrie. Quels seraient, selon vous, les domaines qu’il faudrait encore développer pour atteindre un idéal démocratique ?
21 novembre: Café-Cult, place Jargonnant No5: les premiers pas - les motivations premières - les rencontres essentielles (Aline, Martine)
Aline : Est-ce que vous vous souvenez de l'événement ou bien de la rencontre au cours de votre adolescence qui vous a donné envie de faire le stage en premier lieu?
Aline : Pouvez vous nous raconter un peu vos débuts, de votre naissance à ce fameux stage qui a changé votre manière de voir les institutions?
Aline : Est-ce que vous avez toujours voulu faire ce métier?
Aline : Si vous deviez recommencer, est-ce que vous choisiriez cette voie là? Ou bien un autre métier vous tenterait?