« Pionniers de l'intégration scolaire des enfants handicapés à Genève » : différence entre les versions

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== Analyse du discours de certains pionniers de l'inclusion/intégration (Julie)  ==
== Analyse du discours de certains pionniers de l'inclusion/intégration (Julie)  ==


Le 9 février 1979 '''Marie-Laure Beck''', députée au grand Conseil dépose une proposition, [[#Motion_concernant_l.27int.C3.A9gration_des_jeunes_handicap.C3.A9s.2C_M32|la motion M32]], visant à l'intégration des jeunes enfants handicapés physiques et mentaux. Elle argumente sa proposition en expliquant que le domaine de l'éducation spécialisée est en plein changement, que des essais d'intégration se sont déjà faits à Genève, mais que comparativement à d'autres pays comme l'Italie, la Hollande ou l'Angleterre, il y a encore de nombreux efforts à faire afin que les jeunes enfants en situation de handicaps puissent se développer au sein de structures ordinaires.  
Le 9 février 1979 '''Marie-Laure Beck''', députée au grand Conseil dépose une proposition, [[#Motion_concernant_l%27int%C3%A9gration_des_jeunes_handicap%C3%A9s,_M32|la motion M32]], visant à l'intégration des jeunes enfants handicapés physiques et mentaux. Elle argumente sa proposition en expliquant que le domaine de l'éducation spécialisée est en plein changement, que des essais d'intégration se sont déjà faits à Genève, mais que comparativement à d'autres pays comme l'Italie, la Hollande ou l'Angleterre, il y a encore de nombreux efforts à faire afin que les jeunes enfants en situation de handicaps puissent se développer au sein de structures ordinaires.  


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Le Conseil d'Etat partage la préoccupation de Marie-Laure Beck quant à l'intégration des jeunes handicapés et émet un rapport, le 19 novembre 1980 où il se positionne en faveur de cette dernière. A travers ce rapport, on remarque que l'intégration est une préoccupation qui date déjà de plusieurs décennies: le texte parle de 1968 déjà où le service médico pédagogique montrait ses inquiétudes face au nombre grandissant d'enfants signalés passant en enseignement spécialisé. Ce rapport liste certains exemples d'intégrations datant de ces derniers années qui se sont très bien déroulées, dans des classes ordinaires aussi bien à temps partiel qu'à temps plein. Le conseil d'Etat relève toutefois, tout comme Marie-Laure Beck, que pour une intégration réussie, et afin que le travail ne soit pas trop "lourd" pour l'équipe éducative, l'enfant handicapé doit être accompagné dans la classe ordinaire, avec une personne ressource ou une aide. Il est également question dans ce rapport de la place importante qui doit être accordée à la réintégration de l'enfant, à une éventuelle mise en instutution comportant le moins de restrictions possibles, et donc à une prise en compte de l'intérêt et du bien-être de l'enfant. La question de la désinstitutionnalisation est également fortement présente: il n'est pas question de sortir tous les enfants des institutions spécialisées et de fermer ces établissements, mais plutôt de garder ces établissements, nécessaires pour certains enfants dont l'état et la situation familiale justifient le placement et de permettre aux autres enfants d'avoir accès à une scolarité dans un établissement ordinaire.  
Le Conseil d'Etat partage la préoccupation de Marie-Laure Beck quant à l'intégration des jeunes handicapés et émet un rapport, le 19 novembre 1980 où il se positionne en faveur de cette dernière. A travers ce rapport, on remarque que l'intégration est une préoccupation qui date déjà de plusieurs décennies: le texte parle de 1968 déjà où le service médico pédagogique montrait ses inquiétudes face au nombre grandissant d'enfants signalés passant en enseignement spécialisé. Ce rapport liste certains exemples d'intégrations datant de ces derniers années qui se sont très bien déroulées, dans des classes ordinaires aussi bien à temps partiel qu'à temps plein. Le conseil d'Etat relève toutefois, tout comme Marie-Laure Beck, que pour une intégration réussie, et afin que le travail ne soit pas trop "lourd" pour l'équipe éducative, l'enfant handicapé doit être accompagné dans la classe ordinaire, avec une personne ressource ou une aide. Il est également question dans ce rapport de la place importante qui doit être accordée à la réintégration de l'enfant, à une éventuelle mise en instutution comportant le moins de restrictions possibles, et donc à une prise en compte de l'intérêt et du bien-être de l'enfant. La question de la désinstitutionnalisation est également fortement présente: il n'est pas question de sortir tous les enfants des institutions spécialisées et de fermer ces établissements, mais plutôt de garder ces établissements, nécessaires pour certains enfants dont l'état et la situation familiale justifient le placement et de permettre aux autres enfants d'avoir accès à une scolarité dans un établissement ordinaire.


== Intégration et augmentation du nombre d'institutions et fondations (Lorraine)  ==
== Intégration et augmentation du nombre d'institutions et fondations (Lorraine)  ==

Version du 16 mai 2010 à 21:55

 Introduction

A Genève, les pionniers de l'intégration se situent dans une période temporelle particulière, de 15 ans environ, entre 1970 et 1985.

Cette génération, née après la seconde guerre mondiale (génération dite des baby-boomers), à laquelle appartient ces "pionniers" correspond aussi à la cohorte ayant vécu Mai 68 et la politique de démocratisation des études. Elle est contemporaine de préoccupations, dans le champ des sciences humaines et sociales, de justice sociale, d'égalité entre les personnes, de partage de pouvoir, de prise de parole des femmes, des prisonniers, des membres du quart monde et autres marginalisés (appelés "marginaux"). Elle a été à la fois héritière de certains courants de pensées en éducation (éducation nouvelle, psychanalyse, épistémologie piagétienne notamment) et promotrice du courant contestataire de l'institution (désinstitutionalisation), avec ses précurseurs (Ivan Illitch, Fernand Deligny, Célestin Freinet, etc.), et de l'autorité (développement des groupes, de l'autogestion). On peut en effet supposer une filiation entre les générations par la transmission d'idées et de pratiques, et par l'adoption par la génération plus jeune des "leçons" des aînées et aînés.

Cette génération a donc opéré sur le plan de l'histoire une réception d'un patrimoine d'expériences et d'idées, et elle a produit elle-même des expériences et des idées, qu'il s'agit de recevoir au travers d'entretiens (histoire orale) avec quelques représentants de cette générations, entretiens qui formeront un geste de transmission à de jeunes étudiantes en master en éducation spéciale (troisième génération). Cette deuxième génération, dite "sandwich" joue un rôle essentiel dans la transmission aux jeunes générations (par sa longévité due à une espérance de vie allongée).

Ses témoins d'un mouvement de lutte pour l'intégration des enfants handicapés à l'école rendront compte autant de leurs références théoriques (lecture, modèle) expériences, que de leurs valeurs humanistes qu'elle désire transmettre et des représentations de l'individu et en particulier de l'enfant handicapé. Il s'agit donc de comprendre ce qui a mobilisé cette génération des pionniers de l'intégration, quel a été en quelque sorte leur "moteur" idéologique (concepts), politique (intégrer les gens dans la communauté = vie civique) et d'analyser d'éventuel clivages politiques entre la gauche et la droite.

Cet article, fondé à la fois sur une recherche documentaire et sur la récolte de témoignages de pionniers, présentera d'une part quelques précurseurs de l'intégration des enfants handicapés à l'école et d'autre part à travers les témoignages de trois pionniers, les fondements du courant d'intégration des enfants handicapés à l'école publique genevoise. Cette démarche permettra de relever quelques caractéristiques des membres de cette génération: en quoi elle est différente de celle qui la précède? Quelles sont les inspirations? Quelles ont été les réalisations? Quels ont été les objectifs?

Dans un troisième temps, il s'agira de mener une réflexion sur la transmission d'une génération à l'autre des idées, des valeurs et des pratiques dans le champ de l'éducation spécialisée et de leur éventuelle transformation.


Revue de la littérature

Aucune étude portant directement sur la question des pionniers de l'intégration scolaire à Genève n'a été publiée jusqu'à ce jour. L'ouvrage de Martine Ruchat, "Inventer les arriérés pour créer l'intelligence", donne quelques éléments sur ce moment clé de l'histoire de l'éducation qu'est la rencontre de deux approches : la psychologie et la pédagogie. Genève, en particulier, est un lieu pionnier de la psychopédagogie et de l'application de la psychologie à la pédagogie. L'ouvrage montre en la personne de Claparède un précurseur lointain de la prise en compte des enfants "arriérés" et "anormaux". Certes, le courant de l'éducation nouvelle offre nombre d'ouvrages qui ont mis en évidence cette approche centrée sur l'enfant et sur son développement voire son épanouissement intégrant forcément toute différence comme une forme d'humanité à laquelle l'institution, et l'école en particulier se doit de s'adapter.

Ainsi pourrait-on rattacher les ouvrages qui évoquent les grands pédagogues de l'Education nouvelle, mais aussi les courants actuels de l'école moderne (l'école Freinet), ainsi que des auteurs comme Yvan Illitch qui par son approche fait passer l'individu avant l'institution renvoyant bien évidemment au précurseur de la critique des institutions sociales qu'est J.J. Rousseau qui dans l'Emile ou de l'éducation affirme en première ligne de son premier chapitre: "tout est bien sortant des mains de l'Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l'homme".

Par contre nombre d'ouvrages cherchent à définir le concept de génération (voir Attias-Donfus, ...) et à faire de ce concept une voie d'accès à la compréhension de l'histoire. Margareth Mead et Gérard Mendel ont été les premiers a tenter de faire de la génération un accès à la compréhension des manières de vivre, de faire et de penser. Des ouvrage comme ... poursuivent cette analyse de cohorte en tentant de leur donner une certaine cohérence.

Propos méthodologiques

Travailler sur les générations nécessite dans un premier temps de délimiter exactement les périodes temporelles qui correspondent à différentes cohortes (fait démographique) et d'assurer une chronologie nécessaire à une éventuelle filiation. Mais, se sont bien les témoins qui se situent aussi dans leur propre génération qu'ils définiront selon un certain nombre d'événements sociaux qu'ils auront vécus - voire comme le relève Attias -Donfus certains mythe (Attias-Donfus, 1991). Ainsi les acteurs participent aussi à la définition de cette notion complexe. Comme le montre cette auteure, la notion de génération appartient à l'histoire de la connaissance et en particulier d'une représentation de l'histoire (cyclique, linéaire, en zig zag). A mesure que l'on avance dans son histoire (de l'Antiquité à aujourd'hui) cette notion s'enrichit de dimension plus psychologiques comme le sentiment d'appartenance (notamment chez Dilthey), lequel peut s'appliquer, chez Mentré, à différentes sphères (sociale, familiale spirituelle, historique) .

Parler de pionniers d'une innovation demande à articuler finement un temps et une idée, ou une action, "nouvelle". Ici, la "modernité" de l'intégration scolaire des enfants handicapés doit prendre place dans l'histoire de l'éducation spéciale tout en définissant clairement ce qui la différentie d'un temps antérieur, "ancien". Il y a à la fois l'histoire événementielle (lois, institutions, auteurs et acteurs, méthodes, etc.) et il y a une définition "de l'intérieur" faite par des promoteurs d'une idée définie comme nouvelle: l'intégration.

Les idées et pratiques nouvelles vont aussi contribuer à cette "fabrique de l'histoire" en participant à donner forme à cette génération. La période 1970-1985 peut être ainsi caractérisée par l'irruption d'acteurs nouveaux promoteurs d'une nouvelle manière de prendre en considération les marginaux, ceux qui "traditionnellement" sont exclus. L'ouvrage "Les marginaux et les exclus dans l'histoire" publié par l'Université Paris 7 en 1979 apparaît comme un ouvrage symptomatique des préoccupations de cette génération.

L'entrée dans l'histoire par le témoignage est une manière d'accéder aux savoirs accumulés par une génération antérieure dont la génération suivante est en quelque sorte héritière et dans laquelle elle peut se reconnaître ou pas. L'approche par l'entretien est une façon à la fois de recevoir ce savoir (idées, expériences, évaluations de pratiques, etc.), comme un "présent du passé", mais aussi de confronter la génération plus jeune qui le réceptionne à ses propres connaissances du passé et à ses propres savoirs. L'entretien se fait sous deux angles: celui d'un recueil respectueux des souvenirs du témoins (qui en aucune manière ne peut être considéré comme l'histoire comme elle s'est passée, mais bien comme l'histoire tel que le témoin en rend compte) et sous l'angle d'un échange producteur d'éventuel nouveaux savoirs (savoirs émergents) fait de cette rencontre.

Ainsi....


Influences et pionniers

Sans vouloir entrer dans une histoire de l'école, on peut tout de même y voir trois grandes périodes. Une première, jusqu'à la renaissance où l'enseignement élémentaire restait une affaire de famille ou de préceptorat. Il existait bien quelques écoles, mais elles étaient surtout destinées aux enfants qui voulaient entrer dans les Ordres ou étaient axées essentiellement sur la formation religieuse des enfants. <ref>Oury F., Vasquez, A.(1982).Vers une pédagogie institutionnelle?. FM/Fondations.</ref>. Une seconde caractérisé par la République: pour répondre à un certain niveau de développement économique et pour s'assurer l'efficacité du suffrage universel, le principe de l'éducation publique gratuite et obligatoire fut instauré en France en 1791 et ailleurs en Europe à la même époque. L'École se construit alors sans réelle prise en compte des besoins des enfants et agit surtout par souci d'efficacité et de rendement immédiat. Elle vise à faire acquérir des habiletés sociales et à transmettre des valeurs morales. Elle vise également à transmettre des savoirs que les enfants doivent apprendre par coeur. Et une troisième qui débute au XXe siècle, où l'on assiste à une autre révolution pédagogique. Les mots d'ordre sont "libération de l'individu, exaltation des forces naturelles et de la spontanéité créatrice, révolte contre tout formalisme, etc." Cette approche a été particulièrement affirmée par le courant de l'éducation nouvelle.

Cette génération des pionniers de l'intégration (dans les années 1970-1985) a subi des influences de penseurs de l'éducation, de sociologues, de philosophes, mais semble avoir essentiellement agit de manière empirique soit dans le domaine politique (motion Marie-Laure Beck, loi de 1986, etc.), soit dans le domaine des institutions et des associations (sectorisation en psychiatrie, intégration des enfants handicapés physiques et mentaux à l'école, etc.). Elle est aussi dépendante des réactions d'un nouveau pouvoir qu'est celui des parents d'enfants atteints de handicaps et plus largement de ces contre-pouvoirs que sont les "usagers" des institutions qui décident de prendre la parole comme une forme de pouvoir.

En effet, l'investissement des parents d'enfants mentalement handicapés se fait ressentir fortement déjà dans les années 1950. En 1959, les parents se regroupent et créent, le 12 mai 1958 à Genève, l'association des parents d'enfants mentalement handicapés (APMH). Elle a probablement été initiatrice d'un premier courant d'intégration visant essentiellement le travail en ateliers protégés dans la perspective d'une autonomie financière couplée à la rente invalidité. Grâce à loi sur l'assurance invalidité, mis en vigueur le 1er janvier 1960, le jeune handicapé pourrait compléter l'apport financier de son travail. Cette nouvelle perspective lui permettra selon les parents de l'APMH, de réaliser "une vie comme tout le monde".

L’association genevoise de parents et d’amis des personnes mentalement handicapées APMH (Lorraine) :

En 1958, des parents d’enfants avec une déficience décident de se rencontrer, de partager leur expérience et d'oeuvre afin d’éviter à leurs enfants, une fois leurs parents décédés, de se retrouver dans un asile psychiatrique. Ces parents sont dotés d’un esprit militant et novateur et grâce à eux, beaucoup de choses ont bougé depuis la création de l’association de parents d’enfants inadaptés (APMH ) qui changera de nom, en 1962, en Association de parents d'enfants mentalement déficients (elle prend son nom définitif 1972). Jusqu’à aujourd’hui, cette association a mis en place de nombreuses institutions dans le domaine de la déficience mentale.

Tout a commencé par la mise en place de camp de vacances (1959) pour ensuite arriver à la création de nombreuses institutions. Il était plus aisé à cette période de recevoir de l’Etat des subventions et le point de vue des familles avait une place primordiale. On peut noter par exemple la création de la Fondation et du Village d’Aigues-Vertes en 1961, la création de la Fédération Suisse des associations de parents en 1962, la création de la SGIPA 1969, la création du Service d'éducation itinérant (SEI) en 1971, la création de l’école de la Petite Arche (Fondation Ensemble) en 1975, la création de l’ASPEA aujourd’hui Autisme Suisse Romande 1980, la création de la fondation Cap Loisir en 1986, la création de la Fondation Ensemble en 2003. L’APMD devient insieme-Genève. Cette dernière association regroupe aujourd’hui plus de 50 associations de parents au sein de la Suisse.

L’APMD apporte des conseils aux parents par rapport à la recherche d’institution, les demandes pour l’AI, etc. Cette dernière a aussi mis l’accent sur la défense des droits des parents au sein des différentes commissions officielles comme par exemple le DIP ou la DASS.

L’APMH est composée de 500 à 600 membres, des bénévoles qui sont pour la plupart des parents et des secrétaires professionnels (qui ne sont pas des parents). Lorsqu’un parent vient à l’association, c’est déjà pour lui un grand pas. Il reconnait que son enfant a un problème. Au sein de l’association, il y a différents groupes de travail qui s’occupe d’un sujet en particulier. Un des groupe : « Avenir » fait le point sur les institutions dans le canton.

La secrétaire de l’APMH met en avant la notion d’écoute qui est primordiale au sein de cette association. Elle précise que les mentalités ont beaucoup changé depuis la création de l’association. En effet, les parents ne viennent plus pour militer pour les droits des enfants handicapés, mais plus lorsqu’ils ont un problème à résoudre. Ils sont devenus plus individualistes et n’ont plus ce besoin de se réunir pour partager ou échanger comme il cela était le cas au début.

Tiré du Travail d’immersion en communauté sur les enfants autistes, Biljana Krsteva et Marie Schaer, p.31-33 ([1]), juillet 2001 Et de l’historique d’Insieme-Genève ([2])

Le service itinérant créé aussi dans les années soixante visant le soutien des parents et une éducation précoce pour l'enfant déficient a aussi contribué à mettre les bases du mouvement d'intégration scolaire.

Mais ce n'est qu'à la fin des années 70 qu'en 1977 qu'on voit la question de l'intégration atteindre le bancs des députés du Grand Conseil et du Conseil d'Etat. D'abord en 1977, à la suite d'une demande de la conférence de l'instruction publique, le Département de l'Instruction publique mandate une commission d'étude de l'intégration. Et au début de l'année 1979, Marie-Laure Beck dépose une Motion concernant l'intégration des jeunes handicapés, M32. Cette proposition vise à "promouvoir et à faciliter l'accès des jeunes handicapés physiques et mentaux, à tous les moyens d'expression et de communication diffusés aux autres enfants, à tous les degrés de l'enseignement" (Beck, 1979). Quelques mois plus tard, la commission du Grand conseil rend son rapport.

En novembre 1980, le Conseil d'etat répond au Grand Conseil quant à la motion de Marie-Laure Beck. Il encourage l'intégration et la poursuite des actions d'intégration déjà mises en oeuvre, en ayant en tête une idée d'ouverture d'esprit des établissements et des classes spécialisées vers l'extérieur. Il aprouve également la création, par le DIP, d'une commission permanente de l'intégration, réunissant les représentants des divers acteurs concernés.

Et c'est finalement en 1986, que la loi sur l'instruction publique est modifiée: l'intégration des enfants handicapés dans les écoles ordinaires est mise en avant, à travers l'article 4A ( www.ge.ch/legislation/rsg/f/rsg_C1_10.html ) qui stipule que tout élève ou étudiant handicapé a droit à une intégration scolaire totale ou partielle, en fonction de la nature de ses besoins et en étant bénéfique pour ce dernier. En quelque sorte il y aura fallu trente années pour que les pionniers de l'intégration voient leurs efforts "récompensés".

Toutefois, il faudra encore quelques années pour que la lutte des parents de l'association pour l'intégration de leurs enfants ait de réels effets et notamment au niveau du secondaire inférieur. De nombreux parents et professionnels ont alors lancé l'idée d'ouvrir une classe intégrée au sein du cycle d'orientation, afin de faciliter l'intégration de leurs enfants, dans le cursus obligatoire et de leur permettre de poursuivre leur projets pédagogiques. Mais encore en 1994, l'association a du faire face à un refus de la part des autorités du Département de l'instruction publique (DIP). La question de l'intégration qui est envisagé au niveau primaire, reste plus difficile au niveau secondaire et en particulier en ce qui concerne le handicap physique.

En décembre 1994, insieme Genève dépose une pétition sur ce sujet de l'intégration au niveau du C.O) auprès du Grand Conseil et une motion sera adoptée en juin 1995 par le parlement. Or, le 8 septembre 1999, la Présidente du DIP et le Conseil d'Etat refusent cette motion et rejettent toute idée de classe intégrée au cycle d'orientation. Les années suivantes, la Commission consultative sur l'intégration scolaire retravaillera sur la question en formant un nouveau groupe de travail.

En décembre 2003, un projet de loi sur l'intégration scolaire des élèves handicapés est proposé au Grand Conseil ( www.geneve.ch/grandconseil/data/texte/PL09124.pdf ) .

Le 12 avril 2006, la Commission de l'enseignement du Grand Conseil revisite ce projet de loi ( www.geneve.ch/dip/GestionContenu/detail.asp?mod=actualite.html&id=375 ). Le Conseil d'Etat en adopte alors un nouveau, concernant l'intégration des mineurs handicapés ou à besoins spéciaux. L'intégration ne s'arrête donc plus aux enfants en situation de handicap mais ouvre à présent ses portes à un plus large champ, celui des élèves à besoins éducatifs particuliers. On voit d'ailleurs un mouvement qui souvent s'est produit dans l'histoire: celui de faire bénéficier aux "normaux" des pédagogies adaptés aux enfants "anormaux". N'oublions pas que les outils pédagogiques de J.G. Itard conçus pour l'éducation du sauvage de l'Aveyron, Victor, ont été repris par E. Seguin, puis M. Montessori, une des pionnières de l'éducation nouvelle. Ainsi, dans l'objet d'étude qui nous intéresse, il est important de considérer cette lutte des pionniers comme un moteur essentiel d'un changement de conception de l'école. L'institution scolaire, structure avant tout politique est peu encline à la transformation. Bien des précurseurs de l'intégration ont pu énoncer leurs conceptions et expérimenter des écoles différentes sans que l'école publique ait pu en prendre acte.

Mais, il paraît évident que cette génération des pionniers s'est aussi appuyée sur des précurseurs qui ont fait depuis le début du 20e siècle le champ de l'éducation spécialisée.

Valeurs et concepts des pionniers

Même s'ils se rattachent à un courant humaniste (respect des besoins de la personne et en particulier de l'enfant) de l'éducation spéciale et plus généralement de l'éducation et de la prise en charge, alimenté au cours du 20ème siècle par un certain nombre de conventions (droits de l'enfant en 1924, droits....) , les pionniers de l'intégration nourris d'une approche libertaire vont étayer leurs approches par des concepts qui vont être incarnés dans des pratiques sociales et éducative.

Le courant de l'intégration des années 1970 revendiquera autant l'humanisation des soins que la désinstitutionnalisation, la valorisation des rôles sociaux et la normalisation. Dans les écoles,il se manifeste à travers l'École Nouvelle et la confiance envers la nature humaine, dans la nature elle-même et dans la valeur éducative du milieu naturel. Ainsi...


Analyse du discours de certains pionniers de l'inclusion/intégration (Julie)

Le 9 février 1979 Marie-Laure Beck, députée au grand Conseil dépose une proposition, la motion M32, visant à l'intégration des jeunes enfants handicapés physiques et mentaux. Elle argumente sa proposition en expliquant que le domaine de l'éducation spécialisée est en plein changement, que des essais d'intégration se sont déjà faits à Genève, mais que comparativement à d'autres pays comme l'Italie, la Hollande ou l'Angleterre, il y a encore de nombreux efforts à faire afin que les jeunes enfants en situation de handicaps puissent se développer au sein de structures ordinaires.


Ses arguments promouvant l'intégration portent sur quatre aspects:

  1. on tend à une normalisation de l'enfant handicapé, car on connaît mieux le sujet du handicap et on reconnaît la richesse de ces enfants;
  2. il existe une volonté de sortir le jeune handicapé de son isolement et de diminuer son sentiment d'infériorité;
  3. les jeunes enfants en situation de handicap présentent parfois des difficultés communicationnelle, c'est pourquoi l'école au travers de diverses disciplines comme la musique, le dessin, le sport, etc. peut être un tremplin pour le développement et l'expression de ces enfants;
  4. pour les enfants tout-venants, c'est une opportunité d'apprendre la tolérance et le respect des différences.


On voit qu'au travers de sa motion Marie-Laure Beck traite, en 1979, les concepts de l'intégration bien évidemment, mais également de la normalisation et de la valorisation de l'enfant handicapé, ainsi que celui de l'intérêt de l'enfant. Sans parler à proprement dit de désinstitutionnalisation, elle soulève toutefois que la mise en institution spécialisée d'un enfant handicapé n'est pas toujours justifiée.


Durant l'année 1979, diverses séances de commission du grand Conseil ont lieu afin de discuter de la motion M32. Lors de la Séance du 9 mars 1979, Marie-Laure Beck y parle des Sciences de l'éducation, sujet peu abordé précédemment dans les discours. Elle explique le rôle important de cette faculté qui étudie le handicap et comment faire de l'intégration professionnelle et sociétale. Elle aborde à nouveau la question de la normalisation de l'enfant handicapé, en vue de son insertion dans la société, et pour cela, elle soulève un point important: il faut changer les représentations, venir à bout des préjugés. Roland Vuataz, socialiste, apporte son soutien et celui du parti socialiste. Pour lui, l'intégration a un intérêt pédagogique car on s'intéresse à individualiser et différencier l'enseignement, donc il va de soi que l'enfant handicapé puisse avoir sa place dans l'enseignement scolaire ordinaire; elle a également un intérêt pour les enfants handicapés, car c'est par la fréquentation des enfants ordinaires qu'ils pourront se développer au mieux; l'intégration a encore un intérêt social, car il s'agit d'abord d'une intégration scolaire, puis menant à une intégration sociale, en permettant aux enfants ordinaires de se familiariser avec la question du handicap. Il reprend donc les arguments de Marie-Laure Beck. Olivier Vodoz, libéral, montre aussi le soutien de son parti. Il met en avant la place importante des enfants ordinaires dans l'intégration, expliquant que cette dernière passe par eux. On remarque à travers le procès-verbal de cette séance que la politique a une place importante dans la question du handicap et de l'intégration: il est question de finances de l'Etat, de formation de personnel et de place dans les institutions. Or, paradoxalement la question de l'intégration dans les classes ordinaires apparaît le parent pauvre des discussions. L'intégration apparaît dans nombre de discours comme synonyme de placement d'enfant dans une institution!


Le 14 septembre 1979 est émis un Rapport du Conseil d'Etat sur la motion de Marie-Laure Beck, la 4954-A, se centrant davantage sur les besoins d'hébergements des handicapés mentaux. Il y est dit que le Conseil d'Etat a mis en place de nouveaux services spécialisés et a développé des équipements, en créant des institutions et en subventionnant d'autres. Il est fait la remarque durant cette séance que l'équipement genevois en matière d'hébergement est encore insuffisant et que l'Office de la déficience mentale doit poursuivre des observations concrètes et une réflexion afin de proposer des mesures adaptées. On remarque durant cette séance qu'il existe toutefois une contradiction, car le Conseil d'Etat demande qu'il y ait des propositions de mesures qui soient faites, et lorsque c'est le cas, comme par exemple les mesures proposées par Marie-Laure Beck, elles ne sont pas acceptés faute de budget. Cette dernière relève d'ailleurs ce point durant la séance, en se disant déçue que le Conseil d'Etat ne se préoccupe pas assez vite de sa motion et de ce qu'il faut faire. En effet, l'ouverture d'établissement n'est prévu que pour 1980, et 1981 pour deux établissements. Elle soulève qu'il y aurait pu y avoir l'ouverture provisoire de quelques foyers pour permettre aux personnes handicapées mises hors cantons faute de places d'être réintégrées dans le canton de Genève et afin de préparer également le personnel, qu'il faudra de toute façon former pour l'ouverture des deux établissements en 1980 et 1981. On remarque qu'elle aborde ici à nouveau la question du personnel spécialisé, formé spécialement, en lien donc avec les sciences de l'éducation. Elle critique le renoncement à une ouverture d'un home, prévue depuis 1978, à cause de choix budgétaire fait par la Commission administrative des Institutions genevoises de psychiatrie. Olivier Vodoz soutien à nouveau les propos de cette dernière et montre son inquiétude par rapport au manque d'équipements d'hébergements pour adolescents handicapés. On se rend compte ici des difficultés financières que soulèvent ces mesures, des priorités de certaines commissions. Le libéral demande également d'ouvrir un home avant 1 ou 2 ans. Jean-Pierre Bossy, socialiste, est d'accord avec ces propos et favorable à l'ouverture prochaine du home et demande au Conseil d'Etat de prévoir les dépenses nécessaires. Willy Donzé, Conseiller d'Etat, conclut en étant relativement évasif. Si l'on peut combler le trou d'une année d'ici à l'ouverture des 2 établissements prévus, il le fera, mais rien de précis n'est mis en oeuvre de sa part ou accepté.


Le 31 octobre 1979, La commission de l'enseignement et de l'éducation chargée d'examiner la motion M32 sur l'intégration des jeunes handicapés rend son rapport. Elle y a consacré trois séances à son examen et précise qu'il existe une volonté unanime de travailler cette intégration des handicapés. La commission a entendu divers acteurs ayant un rôle dans cette problématique avant de rendre son rapport:


  • Tout d'abord, les représentants de la commission pour l'étude de l'intégration des enfants handicapés: Louis Vaney, à l'époque directeur de l'Office de la déficience mentale; M. Jost, représentant de l'APMH; Gisela Chatelanat, chargée d'enseignement à la faculté de psychologie et des sciences de l'éducation secteur éducation spéciale; etc. L'avis de ces représentants est que l'idée de la mention de Maire-Laure Beck est juste et doit être soutenue. Le texte mentionne 775 enfants handicapés pris en charge par l'enseignement spécialisé, dont 300 pourraient être intégrés. Toutefois, ils ne cachent pas certains doutes: l'intégration conviendra-t-elle à tout type de handicap? Pour parer à ces incertitudes, ils conseillent d'étudier chaque cas, progressivement, en vue du plus grand bien de l'enfant. Ce qu'il est certain, c'est que l'intégration peut se faire de différentes manières et qu'elle demande dans tous les cas des mesures: une formation des enseignants, le contact adapté avec les enfants ordinaires, etc.


  • Les directeurs des divers ordres d'enseignement (primaire, cycle d'orientation, secondaire). Ils soulèvent que des expériences d'intégration se sont déjà faites au cycle d'orientation et au collège et se sont révélées positives, mais jamais lorsqu'il était question de handicap mental. Ils se posent alors la question de savoir si l'intégration ne concernerait pas uniquement le primaire dans ce cas là, compte tenu des exigences du secondaire et des difficultés. Ils ne donnent toutefois pas de réponse précise à cette question.


  • La société pédagogique genevoise. Cette dernière souhaite que l'intégration soit faite mais pas à n'importe quel prix. Elle soulève qu'il est important de ne pas leurrer les parents ni les enseignants, qu'il faut être réalistes quant aux résultats possibles. Elle ajoute qu'aucun représentants des enseignants ne fait partie de la commission pour l'étude de l'intégration alors qu'ils doivent donner leur accord pour une intégration, pour l'allègement de l'effectif de la classe, etc. La commission conclut son rapport en disant que l'intégration doit se faire progressivement. Elle demande ainsi au Grand Conseil d'accepter la motion redéfinie.


Le 7 décembre 1979, un débat a lieu concernant le rapport ci-mentionné. Marie-Laure Beck remercie tout d'abord la commission de l'attention qu'elle porte à sa motion, en faveur d'une normalisation des jeunes handicapés physiques et mentaux. Elle rappelle et clarifie ensuite la notion de handicapés mentaux: il ne s'agit pas de malades mentaux, mais d'êtres tout simplement différents. La différence étant à l'époque quelque chose d'inquiétant(et parfois encore aujourd'hui, ce pourquoi il est important de continuer d'œuvrer contre les discriminations par exemple), de gênant, on a voulu les éloigner de la ville. Marie-Laure Beck fait un lien avec le rejet des étrangers, de certaines communautés, etc. On voit ici que la question de l'intégration ne concerne pas uniquement la population handicapée, mais également les étrangers, les communautés professionnelles, etc. Elle continue, durant le débat, à expliquer que l'intégration n'est pas une chose simple, mais qu'elle doit pouvoir se faire aussi bien au primaire qu'au secondaire. Or, on voit aujourd'hui que ce n'est toujours pas le cas, par exemple au cycle d'orientation où les élèves à besoins éducatifs particuliers ou les personnes en situation de handicaps ont de la peine à trouver leur place. Elle termine son discours par une explication primordiale: les institutions pour personnes handicapées tendent à s'ouvrir et cela est bien, mais ce n'est pas un but en soi! Il s'agit d'un lieu de départ vers la vie en société, et l'école est le premier échelon de l'intégration. D'autres personnes participent également au débat (Mme Martin des radicaux, Mme Aubert des libéraux, M. Maître des démocrates chrétiens). André Chavanne, conseiller d'Etat à l'époque, accepte la motion et précise qu'il est important qu'il y ait un changement, car il s'agit d'un phénomène de société et que l'école n'est donc pas l'unique acteur ayant un rôle dans l'intégration. On voit apparaître ici, à travers les paroles de Marie-Laure Beck et André Chavanne l'importance d'élargir la notion d'intégration aux différentes sphères de la société et de ne pas restreindre cette problématique à l'enseignement primaire.


Le Conseil d'Etat partage la préoccupation de Marie-Laure Beck quant à l'intégration des jeunes handicapés et émet un rapport, le 19 novembre 1980 où il se positionne en faveur de cette dernière. A travers ce rapport, on remarque que l'intégration est une préoccupation qui date déjà de plusieurs décennies: le texte parle de 1968 déjà où le service médico pédagogique montrait ses inquiétudes face au nombre grandissant d'enfants signalés passant en enseignement spécialisé. Ce rapport liste certains exemples d'intégrations datant de ces derniers années qui se sont très bien déroulées, dans des classes ordinaires aussi bien à temps partiel qu'à temps plein. Le conseil d'Etat relève toutefois, tout comme Marie-Laure Beck, que pour une intégration réussie, et afin que le travail ne soit pas trop "lourd" pour l'équipe éducative, l'enfant handicapé doit être accompagné dans la classe ordinaire, avec une personne ressource ou une aide. Il est également question dans ce rapport de la place importante qui doit être accordée à la réintégration de l'enfant, à une éventuelle mise en instutution comportant le moins de restrictions possibles, et donc à une prise en compte de l'intérêt et du bien-être de l'enfant. La question de la désinstitutionnalisation est également fortement présente: il n'est pas question de sortir tous les enfants des institutions spécialisées et de fermer ces établissements, mais plutôt de garder ces établissements, nécessaires pour certains enfants dont l'état et la situation familiale justifient le placement et de permettre aux autres enfants d'avoir accès à une scolarité dans un établissement ordinaire.

Intégration et augmentation du nombre d'institutions et fondations (Lorraine)

Article en construction

Analyse des entrevues de M. Louis Vaney et de Mme Gisela Chatelanat

Article à retravailler, à préciser, etc.:

  • Les deux sont déçus des résultats de la motion Beck et affirment qu'elle n'a pratiquement rien donné.
  • Leurs influences sont différentes.
  • Les deux se méfient de l'intégration scolaire ou plutôt de la structure scolaire pour une réelle intégration.
  • M. Vaney mentionne qu'avec les enfants "ordinaires" il y a du bon et du moins bon et Mme Chatelanat précise la même chose pour ce qui est des personnes en situation de handicap.
  • L'approche de M. Vaney est plus analytique et factuelle alors que celle de Mme Chatelanat est davantage axée sur le vécu, les émotions et le relationnel.