« Droits des femmes » : différence entre les versions

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=== La période  entre 1940-50 : une période restrictive ===
=== La période  entre 1940-50 : une période restrictive ===
Pour comprendre la lutte pour l'avortement comme droit de la personne il nous faut revenir sur le contexte de l'après guerre. Tout comme il a été expliqué dans [[Droits des enfants|le chapitre précédent]], la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (1948) a influencé les mouvements des femmes. Nous allons, tout d'abord, revenir sur ce qui s'est passé avant cette date. En effet, nous savons que la législation suisse sur l’avortement est l’une des plus restrictives d’Europe. Les premières dispositions du Code pénal suisse à ce sujet ont été définies en 1942 et prévoient, à cette époque, l’emprisonnement de la femme qui avorte, ainsi que de la personne qui l’aide à pratiquer cet acte. En revanche, une exception existe : si la grossesse comporte un danger pour la mère et que l’interruption de grossesse est pratiquée par un médecin, l'avis étant approuvé par un second médecin, l’avortement n’est alors pas punissable. On comprend alors que la conséquence a été un nombre considérable d’avortements illégaux. Cependant, la mise en place de dispositifs de préventions et d’une diffusion d’informations a contribué à faire diminuer le nombre d’avortements autant illégaux, que légaux. Par ailleurs, l’Organisation Mondiale de la Santé ([http://www.who.int/fr/ OMS]) a étendu la notion de « santé » en y insérant les dimensions de bien-être psychique et social : « la santé ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ; elle est un état de complet bien-être physique, mental et social. »<ref>Rey, A.-M., 2013, ''Tendance à la libéralisation'', USPDA. Consulté le 7 Novembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/liberal.htm</ref>. Ceci légalise aussi la pratique d’interruption de grossesse et écarte la menace d’emprisonnement. <ref>Rey, A.-M., 2013, ''L'ancienne législation de 1942'', USPDA. Consulté le 7 Novembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/loi_1942.htm</ref>
Pour comprendre la lutte pour l'avortement comme droit de la personne, il nous faut revenir sur le contexte de l'après guerre. Tout comme il a été expliqué dans [[Droits des enfants|le chapitre précédent]], la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (1948) a influencée les mouvements des femmes. Nous allons, tout d'abord, revenir sur ce qui s'est passé avant cette date. En effet, nous savons que la législation Suisse sur l’avortement est l’une des plus restrictives d’Europe. Les premières dispositions du Code pénal suisse à ce sujet ont été définies en 1942 et prévoient, à cette époque, l’emprisonnement de la femme qui avorte, ainsi que de la personne qui l’aide à pratiquer cet acte. En revanche, une exception existe : si la grossesse comporte un danger pour la mère et que l’interruption de grossesse est pratiquée par un médecin, l'avis étant approuvé par un second médecin, l’avortement n’est alors pas punissable. On comprend alors que la conséquence a été un nombre considérable d’avortements illégaux. Cependant, la mise en place de dispositifs de préventions et d’une diffusion d’informations a contribué à faire diminuer le nombre d’avortements autant illégaux, que légaux. Par ailleurs, l’Organisation Mondiale de la Santé ([http://www.who.int/fr/ OMS]) a étendu la notion de « santé » en y insérant les dimensions de bien-être psychique et social : « la santé ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ; elle est un état de complet bien-être physique, mental et social. »<ref>Rey, A.-M., 2013, ''Tendance à la libéralisation'', USPDA. Consulté le 7 Novembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/liberal.htm</ref>. Ceci légalise aussi la pratique d’interruption de grossesse et écarte la menace d’emprisonnement. <ref>Rey, A.-M., 2013, ''L'ancienne législation de 1942'', USPDA. Consulté le 7 Novembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/loi_1942.htm</ref>
Cependant, cette législation attise la colère et entrainela montée d’une révolte. Au début du XXème siècle, nous voyons s’élever des mouvements, tels que les organisations ouvrières, pour lutter en faveur de la décriminalisation de l’avortement.
Cependant, cette législation attise la colère et entraine la montée d’une révolte. Au début du XXème siècle, nous voyons s’élever des mouvements, tels que les organisations ouvrières, pour lutter en faveur de la décriminalisation de l’avortement.
De plus, dans cette période, il existe une différence entre les cantons au niveau de la législation sur l'avortement. Ceci met donc les professionnels dans l'embarra puisqu'ils n'ont pas une pratique généralisée au niveau de l'état, et soulève également une inégalité entre les femmes des différents cantons de la Suisse. Des mesures fédérales strictes ont donc été prises pour tenter de généraliser les pratiques et s'accorder sur la pratique de l'avortement : « l’institutionnalisation juridique d’une interruption de grossesse pouvant être légalement pratiquée par un médecin sous haute surveillance de l’Etat : consultation obligatoire d’un second médecin, qui doit être un spécialiste et en plus agréé par les autorités cantonales compétentes, et qui doit donner par écrit un « avis conforme ». Il faut également le consentement écrit de la femme enceinte. ». Ainsi, à cette époque nous constatons que les femmes n'ont pas la maîtrise de leur corps et par conséquent, la maternité ne peut se contrôler. Ce contexte illustre la réalité des femmes:  soit elles ont la chance de pouvoir trouver deux médecins qui l'estiment en danger, soit elles décident de pratiquer un avortement illégal ce qui comporte de grands risques pour leur santé (hémorragie et infection qui peuvent entraîner la mort de la femme).
De plus, dans cette période, il existe une différence entre les cantons au niveau de la législation sur l'avortement. Ceci met donc les professionnels dans l'embarra puisqu'ils n'ont pas une pratique généralisée au niveau de l'état, et soulève également une inégalité entre les femmes des différents cantons de la Suisse. Des mesures fédérales strictes ont donc été prises pour tenter de généraliser les pratiques et s'accorder sur la pratique de l'avortement : « l’institutionnalisation juridique d’une interruption de grossesse pouvant être légalement pratiquée par un médecin sous haute surveillance de l’Etat : consultation obligatoire d’un second médecin, qui doit être un spécialiste et en plus agréé par les autorités cantonales compétentes, et qui doit donner par écrit un « avis conforme ». Il faut également le consentement écrit de la femme enceinte. ». Ainsi, à cette époque, nous constatons que les femmes n'ont pas la maîtrise de leur corps et par conséquent, la maternité ne peut se contrôler. Ce contexte illustre la réalité des femmes:  soit elles ont la chance de pouvoir trouver deux médecins qui l'estiment en danger, soit elles décident de pratiquer un avortement illégal ce qui comporte de grands risques pour leur santé (hémorragie et infection qui peuvent entraîner la mort de la femme).
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Version du 15 janvier 2014 à 11:43


Introduction


Actuellement, le droit à l'avortement pour les femmes est encore un sujet à contestations et même à une offensive de remise en question: pouvons nous encore le qualifier comme un droit de la femme s'interrogent certains ? Tout au long de cette analyse, nous nous centrerons sur le droit à l'avortement pour les femmes depuis 1970. En effet, les mouvements féministes sont présents depuis longtemps dans l'histoire des droits des personnes. Dans la période de l'après guerre, les femmes se sont mobilisées plus fortement pour acquérir des droits identiques à ceux des hommes. C'est par la lutte pour le droit à un travail rémunéré que les mouvements prennent de l'ampleur  : "L'essort du féminisme dans cette période serait intimement lié à celui du travail salarié" <ref>Riot-Sarcey, M., 2008, Histoire du féminisme, Paris, La Découvertes, Repères. p. 73 </ref>. La question de la procréation est aussi au cœur de leur mouvement, puisqu'il est question de "repeupler" des pays détruits : "Après l'hécatombe de la guerre, jusqu'alors la plus meurtrière, il est nécessaire, plus que jamais de "remplir les berceaux vides"" <ref>Riot-Sarcey, M., 2008, Histoire du féminisme, Paris, La Découvertes, Repères. p. 73 </ref>. Il ne faut pas non plus oublier leur luttes pour l'accès à la politique : plus précisément le droit de vote pour les femmes, qui prend de l'ampleur bien avant la guerre. C'est dans ce contexte d'après guerre, que les femmes réapparaissent pour tenter de faire valoir des droits égalitaires et propres à leur vie.

Cet article est fondé à la fois sur une recherche documentaire et sur la récolte de témoignages de deux personnes pionnières dans l'avancée du droit des femmes à l'avortement. L'article présentera également les différents mouvements féministes conduits dans les années 1970 sur le droit à l'avortement.Ceci nous montrera que la Suisse n’a pas été la première à lutter pour le droit à l’avortement, mais que le phénomène est mondial. Les États-Unis ont sans aucun doute été les précurseurs, mais la lutte s'est largement diffusée et reproduite dans différents pays du monde amenant à des dates différentes sur l'accès à l’avortement. L'article se construira à partir de la lutte des femmes en Suisse et des différentes lois qui en sont ressorties et cherchera à comprendre le rôle qu’ont joué les deux témoins interrogées dans cette récente histoire(1970 à aujourd'hui).


Pour ce faire, nous avons constitué une bibliographie, à partir d’ouvrages sur les mouvements féministes en général, sur la chronologie des contestations. Nous avons lu des articles scientifiques qui présentent la situation en Suisse, épluché les informations sur les deux témoins qui ont été interrogées et consulté les archives contestataires à Carouge. Nous avons également pu rencontrer deux femmes militantes à Genève sur ce thème. Nous avons donc effectué deux entretiens audio avec Madame Amélia Christinat et Madame Rina Nissim pour obtenir leurs témoignages sur l’histoire des mouvements féministes des années 1960 à 1980, principalement sur la question de l’avortement.

L'Histoire du droit des femmes

Actuellement, des auteures telles que Marcella Iacub et Judith Butler font de la problématique féministe une occasion de débattre de la question du genre, des identités sexuelles et des limites entre les sexes (intersexe, queer, etc), celle-ci peut nous aider à repenser la lutte féministe. Or, celle des années 70 (en amont en Suisse de l'accession des femmes à la citoyenneté) est celle d'une longue marche marquée par des féministes de l'après guerre comme Simone de Beauvoir avec sa formule historique "On ne naît pas femme on le devient", soulignant le déterminisme social de la féminité et la "fabrication" culturelle. Pour tenter de comprendre ce qui s'est passé durant cette époque nous allons revenir sur les faits marquants. Pour la compréhension de ce qui va suivre nous vous conseillons de lire la frise chronologique des événements marquants pour le droit à l'avortement en Suisse.

Mouvements féministes : Buts et démarches

Ce n'est que dans la deuxième moitié du XIXème siècle que le féminisme se démarque en tant que mouvement collectif de luttes de femmes. "Ces luttes reposent sur la reconnaissance des femmes comme spécifiquement et systématiquement opprimées, l'affirmation que les relations entre hommes et femmes ne sont pas inscrites dans la nature mais que la possibilité politique de leur transformation existe." <ref>Hirata H, et al,2000, Dictionnaire critique du féminisme, Paris : Presse Universitaires de France, p. 225</ref> En effet, les femmes ont dû faire face à de nombreuses inégalités et cela dans de nombreux domaines: le travail, la santé, la politique... Nous constatons encore aujourd'hui que de nombreuses inégalités persistent concernant le droit des femmes mais elles sont moindres ou de nature différentes que dans les années 1960-80. Pour pouvoir entrer dans un processus de revendication politique du féminisme, il faut qu'il y ait une "relation avec une conceptualisation de droits humains universels;elle s'ancre dans les théories des droits de la personne dontles premières formulations juridiques sont issues des révolutions américaines puis françaises." <ref>Hirata H, et al,2000, Dictionnaire critique du féminisme, Paris : Presse Universitaires de France, p. 225</ref> Il convient de faire une distinction entre les mouvements féministes et les mouvements populaires des femmes. En effet, les mouvements populaires des femmes ne mettent pas directement en avant l'exigence de droits spécifiques pour les femmes. C'est l'emploi du mot féministe qui va changer les représentations que l'on se fait à cette époque. Pour certains les féministes sont "trop bourgeoises au XIXème siècle et au début du XXème siècle trop radicales et ennemies des hommes après les années 1970"<ref>Hirata H, et al,2000, Dictionnaire critique du féminisme, Paris : Presse Universitaires de France., p. 126</ref>. Quant à l'expression "mouvement des femmes", elle est plus souvent utilisée comme raccourci pour mouvement de libération des femmes. Voilà pourquoi elle a pu être associée au féminisme le plus radical et explique la confusion entre les deux termes.

Lorsque nous parlons de "mouvements féministes" nous désignons sous une même dénomination "les diverses formes de mouvements de femmes, le féminisme libéral ou "bourgeois, le féminisme radical, les femmes marxistes ou socialistes, les femmes homosexuelles, les femmes noires et toutes les dimensions catégorielles des mouvements actuels"<ref>Hirata H, et al,2000, Dictionnaire critique du féminisme, Paris : Presse Universitaires de France, p. 127</ref>. Dès lors, l'expression" mouvement des femmes " représente les mobilisations de femmes en Amérique Latine ou les mouvements pour la paix en Irlande ou au moyen-Orient"<ref>Hirata H, et al,2000, Dictionnaire critique du féminisme, Paris : Presse Universitaires de France., p.126</ref> Dans la littérature, deux types de mouvements féministes se démarquent. Une première vague a émergé dans la seconde moitié du XIXème siècle. Elle est souvent représentée autour des revendications du droit de vote. Au début du XXème siècle, où les mouvements sont qualifiés de "néo féminisme", les exigences ne se fondent pas sur une seule exigence d'égalité mais sur une reconnaissance "de l'impossibilité sociale de fondé cette égalité dans un système patriarcal"<ref>Hirata H, et al,2000, Dictionnaire critique du féminisme, Paris : Presse Universitaires de France, p. 126</ref>. Le féminisme des années 1970, se fait connaître par des mouvements anti-autoritaires, par des groupes de parole, il met en avant les formes les plus spontanées de manifestation et refuse toute organisation hiérarchique. " L'appartenance au mouvement représente la mise en acte d'une nouvelle idéologie, la recherche de sens et de valeurs communs." <ref>Hirata H, et al,2000, Dictionnaire critique du féminisme, Paris : Presse Universitaires de France, p.128</ref>. C'est entre la fin des années 1960 et le début des années 1970 que le féminisme connait une ampleur internationale. "L'onde de choc part des Etats-Unis et gagne très rapidement la Grande-Bretagne et l'Allemagne dans les années 60". Il faut ajouter qu'en "dépit de son caractère extra parlementaire, le mouvement de libération des femmes a la capacité de susciter de larges mobilisations auprès des femmes syndiquées, des femmes de partis de gauche et de droite ou des associations luttant pour les droits des femmes comme le planning familial. Ce sont d'abord les campagnes pour la liberté d'avorter qui constituent les événements les plus importants et les plus marquants <ref>Hirata H, et al,2000, Dictionnaire critique du féminisme, Paris : Presse Universitaires de France, p. 128</ref>.

En ce qui concerne la Suisse, c’est dans la continuité du mouvement de la jeunesse estudiantine de 1968 que naît le nouveau mouvement féministe. C’est à Zurich que se sont réunies des femmes de gauche, que l’on appellera « Frauenbefreiungsbewegung » ou plus communément le FBB. Elles critiquent le fait que les femmes sont oppressées et qu’il s’agit d’une « contradiction sociale fondamentale ». Le MLF, pour la Suisse romande et le MFT au Tessin vont très rapidement suivre la création du FBB, avec comme objectif commun de « récuser l’organisation hiérarchique des associations et de la politique traditionnelle » <ref>Commission fédérale, Femmes Pouvoir Histoire, 1.3, p. 1, consulté le 27 Novembre sur http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:UpvKGVSBak0J:www.ekf.admin.ch/dokumentation/00444/00517/index.html%3Flang%3Dfr%26download%3DNHzLpZeg7t,lnp6I0NTU042l2Z6ln1ae2IZn4Z2qZpnO2Yuq2Z6gpJCDdH58hGym162epYbg2c_JjKbNoKSn6A--+&cd=2&hl=fr&ct=clnk&gl=ch&client=firefox-a</ref> inspirés des mouvements français et américains préalablement abordés. Cependant, des divergences existent entre tous ces mouvements sur différentes questions telles que l’avortement ou encore la possibilité pour le sexe féminin de faire l’armée. Une chronologie a été rédigée dans l’article suivant : "Le nouveau mouvement féministe et les organisations féminines depuis 1968" de la Commission fédérale pour les questions féminines de la Confédération Suisse.




La période entre 1940-50 : une période restrictive

Pour comprendre la lutte pour l'avortement comme droit de la personne, il nous faut revenir sur le contexte de l'après guerre. Tout comme il a été expliqué dans le chapitre précédent, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (1948) a influencée les mouvements des femmes. Nous allons, tout d'abord, revenir sur ce qui s'est passé avant cette date. En effet, nous savons que la législation Suisse sur l’avortement est l’une des plus restrictives d’Europe. Les premières dispositions du Code pénal suisse à ce sujet ont été définies en 1942 et prévoient, à cette époque, l’emprisonnement de la femme qui avorte, ainsi que de la personne qui l’aide à pratiquer cet acte. En revanche, une exception existe : si la grossesse comporte un danger pour la mère et que l’interruption de grossesse est pratiquée par un médecin, l'avis étant approuvé par un second médecin, l’avortement n’est alors pas punissable. On comprend alors que la conséquence a été un nombre considérable d’avortements illégaux. Cependant, la mise en place de dispositifs de préventions et d’une diffusion d’informations a contribué à faire diminuer le nombre d’avortements autant illégaux, que légaux. Par ailleurs, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a étendu la notion de « santé » en y insérant les dimensions de bien-être psychique et social : « la santé ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ; elle est un état de complet bien-être physique, mental et social. »<ref>Rey, A.-M., 2013, Tendance à la libéralisation, USPDA. Consulté le 7 Novembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/liberal.htm</ref>. Ceci légalise aussi la pratique d’interruption de grossesse et écarte la menace d’emprisonnement. <ref>Rey, A.-M., 2013, L'ancienne législation de 1942, USPDA. Consulté le 7 Novembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/loi_1942.htm</ref> Cependant, cette législation attise la colère et entraine la montée d’une révolte. Au début du XXème siècle, nous voyons s’élever des mouvements, tels que les organisations ouvrières, pour lutter en faveur de la décriminalisation de l’avortement. De plus, dans cette période, il existe une différence entre les cantons au niveau de la législation sur l'avortement. Ceci met donc les professionnels dans l'embarra puisqu'ils n'ont pas une pratique généralisée au niveau de l'état, et soulève également une inégalité entre les femmes des différents cantons de la Suisse. Des mesures fédérales strictes ont donc été prises pour tenter de généraliser les pratiques et s'accorder sur la pratique de l'avortement : « l’institutionnalisation juridique d’une interruption de grossesse pouvant être légalement pratiquée par un médecin sous haute surveillance de l’Etat : consultation obligatoire d’un second médecin, qui doit être un spécialiste et en plus agréé par les autorités cantonales compétentes, et qui doit donner par écrit un « avis conforme ». Il faut également le consentement écrit de la femme enceinte. ». Ainsi, à cette époque, nous constatons que les femmes n'ont pas la maîtrise de leur corps et par conséquent, la maternité ne peut se contrôler. Ce contexte illustre la réalité des femmes: soit elles ont la chance de pouvoir trouver deux médecins qui l'estiment en danger, soit elles décident de pratiquer un avortement illégal ce qui comporte de grands risques pour leur santé (hémorragie et infection qui peuvent entraîner la mort de la femme).

La période 1960-70 : les premiers changements


Graphique représentant les condamnations des femmes


Le graphique ci-contre nous montre la condamnation des femmes en ce qui concerne l'avortement.<ref>Rey, A.-M., 2013, Interruption de grossesse en Suisse : les faits et les données, USPDA. Consulté le 18 Novembre sur http://www.svss-uspda.ch/pdf/faits-et-donnees.pdf </ref>
En effet, nous voyons que le pic le plus élevé se situe dans l'année 1950, avec 550 condamnées. Puis lors de la commercialisation de la pilule, l'emprisonnement des femmes diminue fortement l'année suivante, passant d'environ 400 condamnations à 260. De manière générale, ce graphique montre que les condamnations sur la période 1960-1980 n'ont cessé de baisser. Les années 60 sont donc marquées par l'arrivée de la pilule contraceptive en Suisse. En effet, en 1961, la commercialisation de celle-ci fait reculer le nombre d'avortements pratiqués en Suisse puisque les femmes ont un contrôle sur leur reproductibilité. Malgré tout, la pilule contraceptive circule à l'époque discrètement, puisqu' aucune loi ne précise son autorisation. En 1965, la création du premier planning familial en Suisse au HUG permettra de conseiller les familles. L'établissement ouvrira donc un pôle dédié à l'information familiale et aux régulations des naissances.<ref>Fert-Bek, D., (s.d.), Historique, Le service du planning familial de Genève a 40 ans,Genève, HUG. Consulté le 18 Novembre 2013 sur http://planning-familial.hug-ge.ch/nous/historique.html</ref> Dans cet établissement les professionnels conseillent les parents sur la manière d'avoir un contrôle sur l'élargissement de leur famille. Ainsi, grâce à cette structure, la pilule contraceptive a pu circuler dans le territoire helvétique. La pilule était considérée pour certain comme un enjeux économique : elle permettait de contrôler les naissances et donc de préserver la richesse, et pour d'autres comme un moyen de débrider la sexualité des femmes<ref>L'illustré, (s.d.) La pilule qui a changé le monde, Archives, Consulté le 18 Novembre 2013 sur http://www.illustre.ch/la_pilule_qui_a_change_le_monde_45372_.html</ref>.

Affiche du Front des Bonnes Femmes

Le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) a démarré aux Etats-Unis, et a encouragé les militants des autres pays à lutter pour améliorer les conditions féminines. Le MLF créé en 1969 à Zurich,que l'on retrouvait également dans d'autres cantons (Genève et Tessin par exemple) se base "sur les mouvements de libération du Tiers monde pour encourager les femmes à se libérer des contraintes inhérentes à la famille nucléaire (Rôle des sexes)." <ref>Jorris, E., 2009, Mouvement de libération des femmes (MLF). Consulté le 19 Novembre 2013 sur http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F16504.php</ref>. Sur le canton de Genève plus précisément, des groupes de certains partis de gauche militaient en ces faveurs (ils étaient très hiérarchisés et ne plaisaient pas à toutes les femmes militantes). C'est donc principalement grâce à Madame Brodmann (qui a milité aux Etats-Unis) et Madame Gramoni qu'il y a eu dans un premier temps le front des Bonne-Femmes (où militait aussi Rina Nissim). Leur premier slogan a été "Femmes décolonisons-nous !" avec des affiches placardées sur les façades des grandes banques : les femmes insistaient donc pour la ré-appropriation de leur corps (avortement, pilule contraceptive, ...).<ref>Roussopoulos Carole, Debout ! Une histoire du mouvement des femmes 1970-80, 1999. Consulté le 19 Novembre 2013 sur http://ballonsonde.org/wikiSonde/videos/Femmes_Debout.htm</ref>

Les femmes pensent donc vivre singulièrement des situations d'exclusions et d'injustices, cependant, en discutant ensemble, elles se rendent compte qu'elles vivent toutes ce genre de situation. Cette prise de conscience favorise donc la mobilisation des femmes pour combattre les injustices dont elles sont victimes. Les communautés ou ce que l'on pourrait appeler regroupements permettent donc aux femmes de prendre conscience mais aussi de prendre du pouvoir dans la société. L'effet de groupe a permis un rassemblement dans les rues des milliers de femmes pour manifester ensemble contre des inégalités entre sexe (MLF).

Dans le même temps, il ne faut pas oublier que les avortements illégaux continuent à être pratiqués à cette période. En effet, le nombre d'avortements, légaux et illégaux, est estimé à 50 000 en 1966. Les avortements légaux s'élevaient à environ 17 000 en 1966 (16 000 en 1978 et 1980, 14 000 en 1985, 13 000 en 1990, 12 000 en 1995, 13 000 en 1996 et 1998). Les avortements clandestins diminuèrent grâce :

  • à la raréfaction avec l'élargissement des indications médicales dans les cantons libéraux (Zurich, Bâle-Ville, Berne, Vaud, Neuchâtel, Genève) dès les années 1950
  • la libéralisation progressive dans d'autres cantons(Tessin dès les années 1970; Argovie, Bâle-Campagne, Glaris, Schaffhouse, Soleure, Jura au cours des années 1990)
  • la généralisation des centres de planning familial, des cours d'éducation sexuelle, la diffusion de moyens de contraception sûrs dès les années 1960
  • le remboursement de l'intervention par les caisses maladie).

On remarque que malgré les mesures juridiques fédérales restrictives, les cantons adoptent des pratiques très différentes les uns des autres. Ainsi, les dimensions d’ordre psychologique et social sont incluses dans les indications médicales des cantons libéraux, alors que la pratique est seulement tolérée dans les cantons conservateurs catholiques. Face à cette inégalité juridique, les cantons libéraux accueillent des femmes vivant dans ces cantons restrictifs pour se faire avorter. On assiste à une forme de tourisme « gynécologique ». Cela amène les cantons à réfléchir sur ces pratiques. Notamment le canton de Neuchâtel, où plusieurs affaires d'avortements sont jugées.



La période 1970-1980 : La période clé


A la suite de ces scandales, le député radical Maurice Favre dépose en mars 1971 une motion en faveur d'une initiative cantonale demandant la suppression des articles 118 à 121 du CP. Cette démarche est suivie du lancement, en juin de la même année, par un comité de cinq personnes, de l'initiative populaire fédérale pour la décriminalisation de l'avortement, largement soutenue notamment par le mouvement des femmes. En 1972, les milieux chrétiens conservateurs font circuler une pétition "Oui à la vie, non à l'avortement". A partir de ce moment-là, nous voyons apparaître les organisations et les mouvements féministes qui manifestent en faveur de l’interruption de grossesses libres et gratuites, ainsi que pour revendiquer la décriminalisation de l’avortement. Deux propositions sont donc faites : accorder un délai pour l'avortement (par exemple : les avortements pourront être légaux pendant les 10 premières semaines de grossesse)ou élargir les motifs pour l'avortement (par exemple : souffrances psychiques, douleurs physiques, ...)

C'est une lutte qui s'engage contre des mentalités traditionnelles où l'homme est dominant dans la société. La prise de conscience des femmes et de leurs conditions se fait petit-à-petit, en prenant plus d'ampleur au milieu des années 70. C'est la réunion de plusieurs milliers de femmes qui implique que l'on puisse qualifier le MLF de mouvement. Ce sont des femmes de tout âge qui se battent pour l'amélioration de leur conditions de vie. Ces mouvements veulent principalement lutter pour le droit du libre choix des femmes ou de manière générale à ce que l'on nomme l'autonomie des femmes. A cette époque, il y a "deux types de femmes" : celles qui font des études mais qui restent à la maison pour materner, ou bien celles qui font des études et qui travaillent. Ces dernières se trouvent confrontées à la réalité sociale : avec le même titre professionnel, les femmes obtiennent des salaires bien inférieurs à ceux des hommes. Suite à cette prise de conscience face au Plafond de Verre,les femmes se réunissent pour échanger leurs histoires. Elles se mobilisent donc afin de pouvoir avoir le contrôle sur leur vie, et sur leur corps. L'une des grandes luttes se concentrer autour du contrôle de leurs corps : ce qu'elles nomment la mobilisation pour la ré-appropriation du corps. Il s'agit de donner aux femmes la possibilité de choisir leur maternité, leur contraception, et leur médicamentation. En 1978, sur le canton de Genève, l'ouverture du Dispensaire des femmes (par Rina Nissim) leur permet d'être accueillies dans un lieu où on leur donne des conseils, des listes de gynécologues tolérants face aux choix d'avorter ainsi que différentes méthodes pour soigner les maladies génitales, ... De plus, les femmes peuvent, si elles le veulent, accéder au groupe action Self-Help du MLF ; qui est un lieu où l'on échange sur son vécu, et où l'on pratique des examens concrets pour découvrir son corps. L'instruction, comme l'évoque Mme Christinat permet aux femmes de comprendre les injustices auxquelles elles sont confrontées et de se mobiliser pour que toutes les sociétés reconnaissent les femmes comme des personnes avec un cerveau.

Dans le même temps, une nouvelle réglementation sur l’avortement est considérée par le Conseil fédéral, et trois variantes sont discutées : la première, appelée "solutions des indications" autorise l’avortement dans les situations où la grossesse menace la vie ou la santé de la femme, en cas de viol, ou encore si l’enfant présente un trouble ou une déficience physique et/ou mentale. Une autre variante est celle des « indications sociales » qui prend en compte la situation sociale précaire de la femme. Finalement, la troisième, « solution des délais », permet l’avortement pendant les douze premières semaines de grossesse. Il va sans dire que les partis politiques, les organisations et les cantons conservateurs catholiques sont en faveur de la solution la plus restrictive, alors que leurs rivaux refusent les trois types de variantes et revendiquent l’avortement libre et gratuit. Le Conseil fédéral rejette l’initiative pour la décriminalisation de l’avortement, mais opte finalement pour la solution des indications élargies, attisant ainsi le mécontentement des deux camps. Face au rejet de l’initiative populaire pour la décriminalisation de l’avortement, l’Union Suisse pour la Décriminalisation de l’Avortement (USPDA) (dont fait partie Amélia Christinat)propose un compromis et lance une initiative qui cette fois rejoint l’idée de la solution des délais. « L’initiative réclame la décriminalisation de l’avortement s’il est pratiqué par un médecin avec le consentement de la femme pendant les douze semaines qui suivent les dernières règles ». Cependant, celle-ci essuie à nouveau un échec : elle est rejetée par la majorité des cantons. Les années suivantes toutes les propositions d'initiatives,pour ou contre l'avortement, sont sans cesse rejetées. Mais les luttes féminines pour le droit à l'avortement s'amplifient durant cette période afin de faire changer les droits de la personne et principalement les droits de la femme. Ce n’est qu’en 1990, que l’idée d’une révision de la loi relative à l’avortement est remise sur le devant de la scène.

Nous constatons que cette période est riche pour la mobilisation des droits des femmes ; de multiples groupes se forment à l'intérieur du MLF, de nouveaux établissements pour les femmes se créent, les partis politiques se questionnent à nouveau, même Le Conseil d'Etat Vaudois, etc. Des femmes se mobilisent également pour d'autres causes qui ne les touchent pas particulièrement puisque nous verrons, dans le dernier chapitre de cet article, que plusieurs d'entres-elles se sont mobilisées pour le droit à l'autodétermination des patient des hôpitaux.

De manière générale, c'est surtout l'envie de faire changer la mentalité de la société pour que les femmes aient les mêmes droits que les hommes, qui se fait ressentir. Nous avions déjà retrouvé ce point en 1791 en France où est apparue la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne se basant sur la version originale et dont le but était de montrer l'égalité juridique entre homme et femme.

Depuis 1990

Les différentes mobilisations des femmes soixanthuitardes ont permis la diminution d'une multitude d'inégalités pour lesquelles elles se mobilisaient. Revenons tout d'abord, en 1994, où l'on constate un net recul du nombre d’avortements légaux. Ceci peut s’expliquer par une diffusion de l’information (éducation sexuelle) et la libre disposition de moyens contraceptifs. Ce phénomène vient appuyer l’idée que la libéralisation ne conduit pas à une augmentation des avortements, bien au contraire. Plusieurs services se sont donc installés suite aux manifestations des femmes dans les rues. A partir de là, les choses commencent à changer et vont en faveur de la décriminalisation de l’avortement. En effet, le Conseil National adopte en 1995 "la solution des délais". En 1996, la Commission des Affaires Juridiques du Conseil National ratifie un projet de loi qui prévoie la décriminalisation de l’avortement pendant les 14 premières semaines après les dernières règles. On voit même les femmes du parti démocratique-chrétien (PDC) aller en faveur du droit de la femme à l’autodétermination et pour "la solution des délais". De nombreuses organisations telles que la Fédération suisse des Eglises protestantes, les groupes des femmes radicales de Suisse, accueillent cette solution des délais comme un compromis tolérable. Toutefois, le Conseil Fédéral rejette une fois de plus la "solution du délai" en 1998. Nous constatons donc que les manifestations pendant plus de 15ans, ne suffisent pas pour que la Suisse autorise l'avortement. En France par exemple, la lutte des femmes a été moins longue en ce qui concerne le droit à l'avortement puisqu'il est autorisé depuis 1975 et suite aux manifestes des 343 de 1971.

Par ailleurs, la pilule abortive Mifegyne (RU 486) est admise et commercialisée en Suisse dès 1999. La notice d'utilisation explique son utilité : "Mifegyne est un médicament qui bloque l'action de la progestérone, une hormone nécessaire au maintien de la grossesse. Mifegyne peut donc provoquer une interruption de grossesse." Cependant cette méthode médicamenteuse est soumise aux mêmes dispositions pénales que l’avortement et est prescrite uniquement par le corps médical.


Finalement, le Parlement adopte la solution du délai en mars 2001 qui est rentré en vigueur en 2002. « Ainsi l’avortement n’est pas punissable pendant les 12 premières semaines de la grossesse à condition que la femme fasse valoir une situation de détresse. Les cantons doivent décider quels cabinets et établissement peuvent pratiquer l’intervention. » <ref>Rey, A.-M., 2013, Régime du délais, USPDA. Consulté le 7 Décembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/loi.htm</ref> De plus, Rey (2013), illustre les modifications entre l'ancienne et la nouvelle loi de 2002, relatif à l'avortement. <ref>Rey, A.-M., 2013, Comparaison ancienne et nouvelle législation, USPDA. Consulté le 7 Décembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/comparaison.htm </ref> Depuis ce jour, la femme est la seule personne qui ait le droit de choisir ou non l'avortement. En aucun cas, une personne tierce (et même si celle-ci a une blouse blanche) ne pourra refuser l'avortement d'une femme dans les douze premières semaines de grossesse.

Nous pouvons donc conclure que « les discussions provoquées en 1971 par l’initiative en faveur de la décriminalisation de l’avortement ont été à l’origine d’un changement des mentalités et d’une prise de conscience ».<ref>Rey, A.-M., 2013, Chronologie des événements dès 1970, USPDA. Consulté le 7 Décembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/chronologie.htm </ref> En effet, nous assistons à une diminution du nombre de condamnations et à une libéralisation de la pratique de l’avortement. Par ailleurs, on se rend compte qu’à travers la mise en place de centres de plannings familiaux et des dispositifs d’informations, comme l’éducation sexuelle, on parvient à lutter contre l’avortement. La prévention prévaut donc à la pénalisation.

Cependant on constate que la réglementation à ce sujet peut encore être modifiée, car ce droit à l’avortement est sans cesse remis en question. En effet, en 2010, le mouvement anti-avortement « Mamma », qui s'intitulait auparavant "Pour la mère en l’enfant" lance une initiative populaire : « Financer l’avortement est une affaire privée ». Il s’agit d’une initiative qui demande que l’IVG ne soit plus pris en compte par les prestations de l’assurance maladie de base, et ce en invoquant l’idée qu’il s’agit d’une décision d’ordre privé, et que de ce fait le financement public n’a pas de sens. Cependant, on remarque que le droit à donner la vie est également de l’ordre du privé, et pourtant celui-ci n’est pas contesté. Rina Nissim, nous met en garde contre la tournure que prennent les événements d'aujourd'hui (concernant le financement de l'avortement). En effet, selon elle, nous serions en pleine régression concernant le libre choix de la femme. A contrario des générations d'après 70, il faut que les générations d'aujourd'hui se mobilisent pour faire en sorte de garder un droit durement acquis par les femmes soixanthuitardes. La votation de Février 2014 qui se prépare pourrait modifier les droits que nous avons jusqu'à présent. Si les générations de maintenant et les suivantes veulent elles aussi avoir la possibilité de choisir leur grossesse, elles se doivent de s'impliquer pour faire en sorte de ne pas perdre les droits acquis.


Le droit à l'avortement est également contesté dans les autres pays Européens. L'Irlande et l'Espagne seraient les deux pays Européens les plus réactionnaires au droit à l'avortement. En effet, le premier ministre devrait sous peu, mettre en place une nouvelle loi sur ce sujet. L'avortement ne sera alors possible que dans l'une des trois conditions (viol, malformation du fœtus ou danger de la mère) et les personnes mineures devront avoir une autorisation des parents. <ref>Magnan, P., (2014) Avortement : le retour en arrière de l'Espagne, premier signe en Europe ?. consulté le 6 Janvier 2014 sur http://geopolis.francetvinfo.fr/avortement-le-retour-en-arriere-de-lespagne-un-premier-signe-en-europe-28245 </ref> Dans le cas de l'Espagne, ce projet de loi fait un retour en arrière dans l'histoire de droits des femmes puisqu'il s'agit de la loi d'il y a 30 ans<ref>"L'Espagne veut revenir à la loi d'il y a trente ans".Tribune de Genève, Avortement, 21-22 décembre 2013, p. 7.</ref>. La crise économique, comme nous l'avait précisé Rina Nissim, influencerait les multiples régressions concernant les droits des femmes ; dont celui de leur intégrité physique.

Les témoins qui ont participé aux changements


Nous avons décidé d'interroger des personnes qui se sont mobilisées en Suisse pour le droit à l'avortement. Elles pourront donc partager des éléments personnels sur le contexte de l'époque, et les problèmes qu'elles ont pu rencontrer pour la mise en place de ce droit.

Nous avons dans un premier temps contacté Mme Christinat Amélia, avec qui l'une de nous avait déjà travaillé il y a quelques années. Cette personne a donc accepté de participer à notre recherche en répondant à nos questions lors d'un entretien.


Dans un second temps nous avons contacté Mme Wenger Salika, marraine de l'association "Ni pute, Ni soumise" qui est actuellement impliquée dans la politique sur Genève puisqu'elle fait partie du Conseil Administratif de la ville de Genève. Deux d'entre nous l'ont connue lors de sa venue à l'émission télévisée Infrarouge (RTS) dédiée aux mouvements des Femens (novembre 2011). Après discussion téléphonique, nous avons eu des éléments pertinents qui pourraient nous intéresser pour notre recherche, cependant Mme Wenger était très occupée et n'a pas pu nous accorder un entretien avant Janvier 2014. C'est pourquoi après réflexion, nous avons décidé de contacter une troisième personne qui pourrait éventuellement être plus disponible : Mme Nissim Rina. Par l'intermédiaire de Mme Ruchat nous avons obtenu ses coordonnées téléphoniques et avons pu avoir un rendez vous rapidement.

Afin de leur éviter un quelconque déplacement,nous avons rencontré ces personnes à leur domicile. De plus, pour des raisons pratiques et également afin de ne pas abuser de leur hospitalité, nous avons décidé de mener ces entretiens par groupes de trois. Nous proposerons aux différents acteurs de partager leurs souvenirs concernant les années 1970 à Genève afin que nous comprenions la situation actuelle du droit à l'avortement.

Retour sur les entretiens

Entretien de Rina Nissim

Notre premier entretien s'est déroulé le mercredi 27 Novembre. Trois étudiantes se sont rendues au cabinet de Rina Nissim. L'entretien qui en découle nous a projeté dans un univers très différent du notre : où la femme n'avait que très peu de droits. C'est de par son discours, que la militante Rina Nissim,a partagé avec nous des informations sur l'ambiance, la mobilisation et la persévérance des actrices de cette époque. C'est par la prise de conscience de plusieurs injustices que les femmes se regroupent pour se mobiliser contre une société qui octroie peu de considération aux femmes. Le MLF, lutte donc de manière générale pour plusieurs droits (droit à l'égalité salariale, droit à la contraception, droit à l'avortement, ...).

Entretien d'Amélia Christinat

Le second entretien s'est déroulé le 5 décembre chez Christinat Amélia. A notre arrivée, nous lui avons dit que nous avions déjà des questions précises à lui poser et que ces questions seraient les mêmes pour tous les groupes. En effet, sachant que c'est une femme très bavarde nous avons préféré poser le cadre dès le départ. Nous avons pu constater en rentrant dans son salon qu'elle avait préparé différents articles concernant le droit à l'avortement - des articles qu'elle nous a présenté tout au long de l'interview -. C'est avec beaucoup d'émotion qu'elle a répondu à nos questions et qu'elle a raconté son combat pour les différents droit de la femme - droit de vote, droit à l'avortement etc.-.A travers ses propos nous avons vraiment ressenti,l'importance que ces combats ont eu pour elle.

Points communs entre les entretiens

Plusieurs points communs ressortent de ces deux entretiens.

Tout d'abord, nous constatons que le droit à la réappropriation du corps ou plutôt à l'autonomie des femmes, comme cité par Rina Nissim, représente l'un des combats des années 1960-80. Si les femmes, par leur combats, manifestations ont réussi à faire valoir leur droit à l'avortement, elles ont aussi lutté pour la mise en place d'autres valeurs telles que le droit à la contraception, le droit de vote, le droit d'accès aux études. Toutes ces luttes sont évoquées par les deux femmes interrogées.

Afin de parvenir à ces changements, il a fallu se réunir entre femmes. A partir du moment où nous souhaitons un changement important, il est nécessaire d'obtenir une mobilisation importante. Rina Nissim part d'un petit groupe, le MLF qui finalement va prendre une grande ampleur et Amélia Christianat s'impose dans la politique. Pour ces deux protagonistes, il paraît évident que pour espérer un changement, il faille se réunir en groupe. La notion de communauté prend donc toute son importance. La notion de communauté est définie comme étant un état de ce qui est commun à plusieurs personnes, similitudes, groupe constituant une société, mise en commun des biens entre époux. Au sens étymologique originel : cum munus. La communauté est donc un groupe de personnes (cum) qui partagent quelque chose ("munus")- un bien, une ressource, ou bien au contraire une obligation, une dette.

Même si le concept de communauté n'est pas cité explicitement dans nos entretiens, il apparaît tout au long, puisque chacune d'entre elles a rejoint un groupe dans lequel elle trouvait des intérêts communs. Chaque membre décide alors en quoi, comment et quand il contribuera à ce groupe. Dans ce cas, Rina Nissim et Amélia Christinat en tant que féministe se sont engagées et ont lutté pour le droit des femmes.

Enfin, il est intéressant de constater que nos deux intervenantes tirent un bilan mitigé de ces luttes pour les droits des femmes. Amélia Christinat dit :" Alors en fait tout changement, toute progression que l’on peut interpréter comme sociale n’est jamais définitivement acquise. Donc en fait, il faut veiller continuellement, défendre continuellement où que vous soyez et avec qui que vous soyez." Quant à Rina Nissim, elle dit :"Malheureusement dans la société c’est comme ça, il faut tout le temps se battre. Ça c’est un point sur lequel on est en recul.", On est en plein recul. Donc y a un ou deux pays qui ont avancé, pour l’instant y en a douze qui ont régressé. Donc cela ne va pas du tout cette affaire, on a une très mauvaise posture." Ainsi, la question des droits pour la personne n'est jamais complètement acquise. Il faut sans arrêt se battre pour continuer à faire valoir ses droits en tant que personne."


Il convient à présent de reprendre l'ensemble des questions posées et d'en ressortir les éléments importants :

- Depuis quand et avec qui vous vous êtes engagée dans la lutte pour les droits de la femme et quel était à ce moment votre statut (ou fonction)? Dans quel contexte s'est inséré cette démarche ?

Les deux personnes interrogées ont un parcours différent et leur action ne s'est pas faite au même niveau. Rina Nissim, après son interruption de grossesse à 19 ans, trouve un tract dans un local d'anarchiste. C'est un tract du MLF qui invite des femmes à rejoindre leur groupe. Rina Nissim est intéressée et entre alors au MLF. Elle est alors la plus jeune de la bande. Il n'y avait pas de statut en tant que tel mais chacune apportait ses connaissances et son envie de se battre pour obtenir plus de droit pour la femme. Quant à Amélia Christinat, elle agit plutôt à un niveau politique et va faire un long parcours en passant par le législatif, le cantonal puis le niveau national afin d'apporter des changements reconnus dans toute la Suisse.


- Y a-t-il eu un événement originel? Pourriez vous nous raconter un ou des événements marquant que vous avez mené ou qui vous ont frappé dans cette période en faveur de ces droits ?

L'un des droits qui a frappé Rina Nissim dans cette période est l'accès à l'avortement libre et gratuit ainsi que l'accès à la contraception. Elle explique que c'est l’accessibilité à l'avortement qui était problématique.Le planning familial a été une grande innovation mais n'était pas encore présent dans les mentalités de tous, et ce, notamment chez les gynécologues qui n'acceptaient pas tous de donner la pilule. Le MLF faisait des listes des médecins qui étaient d'accord de prescrire cette pilule et dirigeaient les femmes au bon endroit. Cependant, elle ne nous décrit pas un événement très précis, une action qu'elle a effectuée qui a pu entraîner ces changements. C'est néanmoins des manifestations importantes et à plusieurs reprises qui ont permis ces évolutions. Amélia Christinat considère aussi que le droit à l'avortement est un événement phare de cette époque et ajoute que le droit de vote pour la femme est aussi l'un des événements marquants. Elle donne comme exemple les luttes ouvrières françaises qui allaient en Belgique pour se faire avorter parce que c'était défendu en France et qu'elles n'avaient pas d'argent. C'est un événement particulièrement marquant et touchant selon elle.


- Quels ont été les changements les plus importants auxquels vous ayez assistés ?

Rina Nissim évoque plusieurs changements auxquels elle a pu assister. Elle parle de la libération des femmes. C'est se considérer comme un individu à part entière, qui peut décider soi-même, d'être un vrai sujet dans leur vie, dans leur sexualité, dans leur contraception, dans leur choix professionnel. D'après elle, il y a donc eu plusieurs droits : celui de l'avortement avec pour commencer le remboursement par les caisses maladies en 81, le droit au divorce, le divorce. Amélia Christinat ajoute à l'ensemble de ces changements le droit de vote, en disant qu'à partir du moment où nous avons le bulletin, c'est quelque chose de très important puisque les femmes sont considérées comme une personne. Nous pouvons rattacher cela à l'ensemble de cette étude qui étudie le droit des personnes. Dans le cas des différentes luttes pour le droit des femmes, nous cherchons à mettre en avant qu'elles sont avant tout des personnes qui doivent avoir la liberté de choisir, de donner leur avis.


- Y a-t-il eu des valeurs que vous avez eu le sentiment d’avoir porter en avant et si oui lesquels  ?

Différentes valeurs sont mises en avant par les deux femmes interrogées. C'est le féminisme, l'humanisme, le socialisme, l'anarchisme. De manière générale l'autonomie des femmes, marquée par la réappropriation de son corps. Dans leurs discours, les deux femmes montrent bien qu'auparavant nous étions considérées comme femme de.., fille de... que les femmes ont toujours du être meilleures que les hommes. Elles devaient tout faire. De ce fait, les femmes n'étaient pas des sujets en tant que tels. Ce n'est qu'après de nombreuses luttes que les femmes ont été considérées comme des personnes à part entière. Elles ont maintenant le même statut, les mêmes droits que les hommes. Bien que comme le relève Rina Nissim et Amélia Christinat cela n'est pas quelque chose d'acquis, et cette évolution à tendance à reculer.

Mais qu’en est-il aujourd’hui de cette lutte et des acquis et des risques de retour en arrière ?

Le maître mot de ces deux femmes est que rien n'est acquis et que la lutte est permanente. Il faut toujours se battre parce que les choses ont tendance à régresser. Aujourd'hui le droit de vote, le droit d'accès aux études est l'un des points acquis. Cependant, la question de l'avortement est remise en cause, et fait l'objet de tensions puisqu'il est question de supprimer le remboursement des avortements. C'est donc l'une des raisons pour lesquelles il faut continuer à se battre et faire valoir ses droits si l'on ne veut pas revenir en arrière.

Conclusion

Dans ce chapitre, nous nous sommes focalisées sur les droits des femmes à l'avortement. En effet, nous avons vu que ce droit n' a été que difficilement acquis après une forte mobilisation des femmes, de la fin des années soixante jusqu'à la fin des années nonante. Les deux actrices que nous avons eu la chance de pouvoir interroger, nous ont communiqué leur passion et leur investissement dans cette lutte qui reste quotidienne. En effet, toutes deux nous ont précisé que le contexte économique engendrait une régression des droits qu'elles avaient acquis auparavant. La lutte, doit continuer avec les nouvelles générations, si elles ne veulent pas perdre leurs droits. Nous avons vu que les femmes se sont impliquées pour revendiquer l'égalité avec les hommes. C'est une lutte pour le droit à l'autodétermination mais aussi à l'intégrité physique qui a été le plus revendiquée à travers le droit à l'avortement. La liberté de pouvoir choisir sa maternité était donc l'un des éléments pointés par nos actrices. Dans le chapitre suivant, concernant le droit des prisonniers nous verrons que les associations se sont également mobilisées pour donner ces droits aux prisonniers. De plus, nous voyons dans le cursus de notre formation que les personnes en situation de handicap subissent également des inégalités fréquentes. En effet, nous sommes sensibilisées par le fait que toute personne a le droit de choisir ce qui la concerne ; c'est ce que l'on nomme l'autodétermination. Plus largement l'autodétermination faisait également partie des revendications concernant les patients à l'hôpital (puisque nous verrons qu'ils ont lutté pour ne plus être des cobayes) et les patients psychiatriques (puisque nous verrons que leurs luttes portaient sur des alternatives aux médicaments et de laisser le choix aux patients psychiatriques).

Références bibliographiques

<references/>


Vidéo :


Documents scannés :

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Archives contestataires de Genève, Mouvements de Liberté des Femmes : 1970-90 Fichier:MLF personne.pdf

Auteurs du chapitre

  • Julie Petot
  • Harmony Godin
  • Nedjma Tabani
  • Tamara Cifo Parra
  • Estefania Medina Martinez
  • Ramos Flores Véronique