Entretien Amélia Christinat

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Nedjma Tabani : Depuis quand et avec qui ou quel groupe vous êtes-vous engagé pour les droits à l’avortement. Et quel était votre fonction à ce moment-là ?

Amélia Christinat : Alors pour pouvoir faire des interventions sur un plan législatif il a fallu que je fasse un long parcours car comme c’était une modification fédérale, il a fallu que je passe par le national. Donc c’est d’abord législatif, la ville, ensuite le canton puis la nation donc conseil municipal, grand conseil…Est-ce que vous avez entendu parler d’un Monsieur Chavanne ? Il a fait 24 ans dans l’instruction publique et il a profité de ce long parcours pour changer beaucoup de choses et alors c’est au moment où lui m’a cédé la place…Il m’a d’ailleurs dédicacé un livre et il est sorti hier soir à la télé… et alors pour pouvoir intervenir sur le plan fédéral… sur le plan cantonal on ne pouvait pas faire grand-chose… Il y a des dates là-dessus ? C’est écrit quoi ? Mon mari il me classait tout… il était mal payé puisqu’il était pas payé du tout… Il y avait tellement de choses avant : le droit de vote, l’avortement, les violences faites aux femmes, c’était impressionnant quand je suis arrivée, moi. Mais j’en avais entendu parler avant que je sois inscrite au parti quand on a obtenu le droit de vote. Toute la partie droit de vote des femmes en Suisse je l’ai faite seule, c’est-à-dire que j’étais dans l’association qui s’appelait pour le suffrage féminin et je suis allée à ces réunions jusqu’à 59 quand les vaudoises ont réussi. Quand on posait la question du droit de vote, il fallait d’abord l’avoir sur le cantonal puis quand on la posait au niveau cantonal, on nous disait qu’il fallait d’abord l’avoir sur le plan fédéral…Et puis les vaudois mine de rien ils ont posé le même jour la même question pour les deux. Et le canton de Vaud était le premier à l’introduire sur le plan cantonal. Et à partir de là, Genève est arrivé tout de suite après. Et depuis 61 où je suis rentrée au parti… J’ai du reste trouvé mon carnet d’entrée…et où dans ma tête à moi comme j’ai compris qu’il fallait passer par la politique pour obtenir quelque chose, mes activités ont commencé en 61… Salaire égaux, droit de vote, interruption de grossesse. Depuis que je suis arrivée à Berne, Monsieur Chavanne m’a laissé sa place en 78-79… Mais pendant toutes ces années précédentes, il y avait des groupes de femmes dont je pense Nissim, parce qu’elle, elle est sous la brèche depuis longtemps, qui revenaient avec des titres différents que je n’ai pas sous les yeux mais que vous pouvez trouver sur Internet… Nous on a échoué pour l’interruption de grossesse sous toutes formes de titre, il y avait les conservatrices religieuses qui avaient leurs principes, ce que nous on arrivait pas à faire comprendre… Ce qui a été exceptionnel, c’est que le droit de vote ça me touche beaucoup, c’est inimaginable pour vous ce que les anciennes ont fait… c’est inimaginable… Moi j’ai vu toutes celles qui ont commencé le combat déjà en 1900, elles défilaient avec leur jupe… c’était incroyable…et alors ce combat je l’ai pris en cours de route et j’ai commencé à regarder tous les titres et en fait on changeait le titre mais avec le même objet. Et il y avait le parti démocrate-chrétien… Vous connaissez les partis hein ? Et eux c’était l’église… avec toutes ces valeurs et je considère que les femmes démocrates-chrétiennes ont eu un certain courage parce qu’elles se sont éloignées de l’Eglise parce qu’elles ont compris qu’il pouvait avoir des cas… On a essayé de faire comprendre que l’on ne s’amusait pas nous de demander une interruption de grossesse, c’est jamais agréable pour une femme de demander un truc comme ça, sauf que quand il y avait un problème avec un couple hein… Le monsieur là… Bah j’m’excuse mais il remontait son pantalon, on le voyait on le voyait plus, mais la fille se retrouvait avec un éventuel bébé sous les bras et alors à partir du moment où il y a la fenêtre là avec les bébés… tout ça, n’est-ce pas ? Alors à mon avis, les femmes… Alors je dirais même en toute socialiste que je suis, peut-être plus que les femmes de gauche, parce qu’elles, elles avaient déjà cette vision de tout ce qu’il fallait faire dans tous les domaines. Mais, elles, elles ont évolué… Du reste, je crois que dans le canton du Valais qui est très catholique... J’avais imaginé que les cantons donc Genève qui a libéralisé, je pense Vaud, Zürich, les cantons les plus progressistes… Mais au moment où il y en a eu quelques-uns et que ça a échoué dans le fédéral, moi j’ai eu l’idée un peu farfelue, l’initiative parlementaire… C’est que j’ai demandé une solution que j’ai appelé fédéraliste. C’est-à-dire qu’on autorise d’une façon légale dans le canton où il existait mais pas en cachette… et même chez moi dans le parti j’ai eu des problèmes parce que mon camarade m’avait dit « je ne suis pas contre ton idée, je suis contre l’interruption, mais pour moi le parti de l’électorat qui était contre, ils ont compris que c’était quelque chose qu’il ne fallait pas faire par tranche, par canton mais sur le plan fédéral. Jusqu’au jour où, en 81, on a réussi à avoir l’interruption de grossesse… Et à partir de là, c’était le gros foutoir. Il n’y avait ni gauche ni droite : il y avait celles qui étaient pour et celles qui étaient contre… Il y a celles qui avaient une idée conservatrice… Si vous voulez, nous, les femmes, on a été obligé de revenir tout le temps car le droit de vote c’était une chose inadmissible. On ne pouvait pas continuer comme ça toute la nuit… J’étais dans une commission et un monsieur m’a dit : « vous, vous dites que votre pays est avancé mais vous n’avez même pas le droit de vote »… Nan mais vraiment c’était une honte donc il a bien fallu venir plusieurs fois. Mais quand ça touche la religion, je me suis rendue compte que Soleure a lancé l’initiative. Moi j’étais persuadée que c’était tellement rentré dans les mœurs qu’il n’y aurait jamais 100'000 personnes qui signeraient l’initiative mais en fait il y en a eu 100'000. Et donc ça va revenir devant le peuple. Et donc nous on avait créé une association en Suisse Romande qui s’appelle l’USPDA : l’Union Suisse Pour Décriminalisation de l’Avortement, pi maintenant, on est en train de contacter les unes les autres. On est déçue parce qu’on était obligée de revenir jusqu’à presque au début… Parce qu’ils avaient trouvé la faille : c’était le payement. Mais nous, à Genève, on avait trouvé un professeur qui s’appelait Geseindorf, donc heu gynécologue responsable de la maternité, il y a du reste un parc qui s’appelle comme ça. C’est peut-être en lien… Je ne sais pas… Qui était très ouvert économiquement, mais qui nous a beaucoup aidé les femmes quand on voulait faire quelque chose à Genève. Et on est un peu au début de ce qui s’appelle le centre du Planning Familial. Il a fallu aller jusqu’à la pointe des pieds, établir un programme qui n’était pas pour l’interruption de grossesse mais pour prévenir la grossesse, donc pour renseigner. Alors je pense que ce bureau il doit fonctionner ?

Estefania Medina : Il fonctionne oui.

Amélia Christinat : Alors je revendique… Nous nous sommes regroupées des femmes un peu toutes tendances avec le professeur Geseindorf et une infirmière qui était assez disposée à… Disons à coordonner un peu tout ça. Donc, quand on a demandé sur le plan fédéral où il y avait le siège pour le Planning familial bah dans la Suisse, je les critique pas, je les aime bien les suisses allemandes, je suis suisse, les filles qui ont besoin de renseignements, ça c’est beaucoup calmé. Je pense être encore en vie au même combat… Gautier c’était un pédiatre qui nous a beaucoup aidé… Vous savez ce travail il faut avoir des hommes qui sont favorables hein… faut leur faire comprendre que c’est bien joli hein d’aller avec les filles chanter fleurette hein puis quand il y a des problèmes il faut avoir des hommes pour les résoudre.

Estefania Medina : Excusez-moi vous avez dit qu’il s’appelait comment cet homme ?

Amélia Christinat : Gautier… G-A-U-T…. oui sans H… ouuuuh… Il me disait qu’avec H c’était un Gauthier quelconque et sans H que c’était le Gautier distingué, genevois… il était dans la commission.

Estefania Medina : Vous pouvez préciser en quoi il vous a aidé spécifiquement ?

Amélia Christinat : C’était un des hommes qui était d’accord avec nous… Il était dans la commission. Il y avait des hommes et des femmes. C’était important qu’il y ait des hommes d’accord avec nous. Parce que par exemple, pour la solution fédéraliste mon parti n’était pas d’accord au départ. Ils me l’ont laissé déposer… Mais à la commission, ils ont foutu un homme qui s’appelait M. Weber. Il était formidable, mais on l’avait mis dans la commission. Chaque parti avait droit à trois ou quatre membres. Mais ils l’avaient mis là pour me surveiller. J’avais une dame… Magnifique démocrate-chrétienne… J’ai sa tête mais son nom m’échappe. Je l’aimais beaucoup. Comme elle était avocate et qu’elle parlait bien français, dans les commissions, des fois, je me mettais côté d’elle parce que je pouvais la suivre un bout. Et quand on parlait de ça … Du reste elle a pas eu d’enfant, elle en a adopté. D’ailleurs, un de ces enfants a foutu des coups de couteau, donc c’est pour vous dire hein… Ça on ne sait pas quand on adopte. Et elle était… Elle souffrait elle-même, elle ne pouvait pas comprendre qu’une femme avec un bébé dans le ventre aille dans le sens de détruire une vie. Pour nous c’était la liberté de choix… Ce qui reste pour moi le fondement : si elle veut le garder elle le garde, si elle ne veut pas garder l’enfant, elle doit pouvoir le faire dans des conditions normales.

Nedjma Tabani : D’accord et tout ce mouvement concernant le droit à l’avortement, c’était quoi le contexte ? C’était libérer la femme et permettre de faire ce qu’elle veut faire ou c’était simplement un moment où la femme, en plus d’avoir le droit de vote, devait être libre ?

Amélia Christinat : Oui, pour moi je dirais que tous les problèmes féminins c’est la liberté de la femme. Je suis contre la prostitution, ils appellent ça un métier mais moi je suis contre. Mais par contre s’il faut trouver une solution pour exercer dans de bonnes conditions… Le problème pour moi c’est de considérer les femmes comme une personne avec un cerveau… On a quelque chose là-dedans, ça fonctionne par moment… Mais chez les hommes aussi. Donc pour moi tout ce qui est la liberté de la femme, c’est elle qui doit décider. Ça c’est important. Moi je suis de langue maternelle italienne, vous vous êtes quoi ?

Estefania Medina : Espagnole.

Amélia Christinat : Yo comprendo español poco… Le fait d’avoir cette ouverture m’a fait voir des émissions. Une gamine de 18ans a décidé et d’assumer de garder son enfant. Tant que c’est comme ça, pour moi c’est bon, c’est son problème. Mais par contre, il y a quand même encore des viols. Moi j’ai fait un truc quand même assez important c’était structurer le viol en bande parce qu’à l’Epoque pour aller avec une fille c’était un peu plus difficile. Et, là, c’était une équipe qui a violé une fille dans les toilettes publiques, ça s’appelait le cas de Prénaville. Et quand on a fait le procès c’était : « c’est pas moi, c’est pas moi, c’est pas moi », c’est personne hein ! Alors comment voulez-vous… On l’avait ligoté… Et tout ça hein… Et donc le viol c’est une chose importante qui est dans la loi… Parce que des filles de Zürich qui m’ont demandé pourquoi j’avais fait ça. Et je leur ai dit que le viol en bande n’existait pas dans la loi. Du reste, la mère de cette fille m’a téléphoné très émue quand sa fille a gagné le procès. Les femmes viennent de loin. Il a fallu en Suisse attendre pour avoir beaucoup de choses. Pour moi la liberté des gens c’est la base, pour tous les sexes, on est une personne quel que soit l’endroit et le sexe.

Estefania Medina : Oui… et comment vous décririez le contexte dans lequel cette démarche pour l’avortement s’est insérée ?

Amélia Christinat : C’était des réunions, c’était… moi j’étais déjà en politique à ce moment-là. Parce que mon combat a démarré avec la protection des consommateuristes hein donc j’suis dans les fondateurs de la société des cofondateurs, car il y avait de l’abus… Je ne peux pas être très claire, mais si vous voulez, il y a toujours eu des noyaux par-ci par-là… Comme Rina Nissim… Il y a toujours eu des noyaux de gens, de femmes, qui se sont rendues compte qu’il fallait gérer pas mal de problèmes… Je dirais que le droit à l’avortement était un peu au même niveau que le droit de vote pour la femme.

Nedjma Tabani : Pour vous, est-ce qu’il y a eu un événement personnel ou autre pour lequel vous vous êtes investi?

Amélia Christinat : Oui, j’ai eu un problème pour lequel j’ai dû m’investir pour pouvoir défendre mon intégrité, moi. Alors mais de toute façon ça faisait déjà partie des problèmes à résoudre qui concernent les femmes. Je vais vous dire une imbécilité mais jusqu’au jour où les hommes ne feront pas d’enfant, nous les femmes on va être emmerdées.

Nedjma Tabani : Vous me l’aviez déjà dit il y a 6 ans.

Amélia Christinat : C’est resté gravé dans ma tête. J’essaye de trouver une solution pour établir l’équilibre mais tant que la science ne trouvera pas le spermatozoïde miracle, on sera toujours pour les études, pour les revendications… Le sexe qu’on dit fort… je me rends compte que n’importe où où je vais il y a 3 hommes et 30 femmes n’est-ce pas ?!

Estefania Medina : Est-ce qu’il y a un événement pendant cette lutte qui vous a choqué ?

Amélia Christinat : Oui il y a eu des ouvrières françaises qui allaient en Belgique pour se faire avorter parce que c’était défendu en France et qu’elles n’avaient pas d’argent. Je comprends pas comment je fais de la politique, c’était pas fait pour moi…. Moi je voyais des ouvrières partir la nuit se faire avorter, rentrer le même soir et reprendre le travail le lendemain. Ça j’ai trouvé ça horrible ! Dans un film, une fille qui était enceinte… La fille était censée aller en prison… Gisèle Halimi … J’l’ai rencontrée dans une réunion avec toutes les femmes du monde… C’est elle qui a pris la défense de la fille… Procurez-vous ce film, ça donne l’état d’esprit qu’il y avait chez nous… En Suisse, jamais on aura une majorité socialiste… Jamais, jamais, jamais ! Parce que l’esprit suisse vous le connaissez, vous avez vécu ici.

Estefania Medina : Et sinon, même si on en a déjà parlé un peu, mais quels ont été les changements les plus importants auxquels vous avez assisté ?

Amélia Christinat: Le plus gros c’est le droit de vote, parce qu’à partir du moment où nous avons le bulletin, c’est quelque chose de très important, on nous considère comme une personne. Ma sœur m’a téléphoné ce matin, et on a parlé de notre mère… Elle était formidable, elle avait déjà l’instinct. Je savais quand quelque chose était bien et quand quelque chose était pas bien sans pouvoir l’expliquer. Beaucoup de fois j’ai perdu devant des congrès du parti parce que j’ai pas su transmettre ce que je ressentais. Et quand mon père partait voter, après la guerre, elle était à la fenêtre et elle disait : « lui parce qu’il a ce qu’il faut, il peut et moi je peux pas. Et je pense que chez les jeunes, parce que vous allez surement être jeune plus tard, il faut faire attention parce qu’il y a des trucs qui se casent dans un coin et puis ça ressort. Alors si vous voulez il y avait tellement de choses en retard dans le domaine qui concernait les femmes… Les hommes se cramponnent quand ils sont sur la chaise… Mais les femmes un peu moins, et on résiste quand même mieux aux coups hein. Mais hier soir j’ai entendu le commentaire d’un ami d’André Chavanne qui a révolutionné l’instruction publique…. Il a précisé que lorsque Chavanne est arrivé… à la même année que moi j’suis rentrée au parti, c’était en 61… C’était une révolution parce que c’était difficile d’avoir un candidat de gauche au conseil d’état. Il y avait 7 radicaux donc il restait juste une ou deux places pour les autres. Nous, les femmes socialistes, on a dit que c’est grâce aux femmes si nous on a avancé à Genève à un moment donné. Parce qu’il y a eu beaucoup de femmes qui ont réalisé qu’il y avait plus d’ouverture ou de compréhension. Ça s’est estompé au fil des ans ; d’abord parce qu’on a obtenu un certain nombre de choses. Mais les femmes à un moment donné, dans les premières années qu’elles ont eu le droit de vote, elles ont modifié un certain nombre de choses un peu partout. La syndic’ de Zürich c’est une homosexuelle… et elle l’a dit… Bah faut déjà avoir fait un sacré parcours…. Même moi je comprends pas… mais bon moi j’suis vieille hein il y a des trucs que je comprends pas.

Nedjma Tabani : Est-ce qu’il y a des valeurs que vous avez le sentiment d’avoir porté en avant ?

Amélia Christinat : On a toujours demandé que les femmes soient meilleures que les hommes… Comme si on était différente, avec d’autres neurones ou j’sais pas quoi. Donc maintenant si on peut reprocher aux femmes comme aux hommes de ne pas aller voter, de pas s’intéresser, de pas comprendre… Et moi je l’ai compris au cours de route… c’est que… On avait des femmes, des braves femmes mères de famille, qui s’entendaient bien avec le mari, il y avait moins de divorce… Les femmes sont devenues maintenant comme les hommes. D’être des femmes de droite, des femmes de gauche, mais moi j’m’en fous. Elles font ce qu’elles veulent si elles ont pas envie d’aller voter… La seule chose c’est que pour femmes c’est un peu plus difficile par ce qu’elles le disent un peu moins, elles ne comprennent rien donc ça ne sert à rien, ils font ce qu’ils veulent. Il faut leur faire comprendre que ce n’est pas vrai. Si c’est vrai que des fois on change… mais bon j’suis un peu brutale c’est surtout les hommes qui changent mais bon… c’est la vie. On est sur le même pied d’estale… On avance : certains à gauche, d’autres à droite. On est rentré dans le circuit de citoyen, de citoyenne un peu près du même niveau… Parce que bon en ce qui concerne les salaires… J’ai regardé l’émission, les salaires en dessous de 4'000 c’est plus les femmes hein… Je vous dirai une chose avant de mourir un de ces quatre matins : je pense que le combat féminin il va être plus ou moins permanent. Parce que je me suis rendue compte que lorsque vous lâchez quelque chose… la femme ne doit pas lâcher… C’est immédiatement détérioré, repris, modifié. Donc, en fait, s’il y a un combat ou une situation qui est bien dans la logique de la vie de tous les jours… Parce que pour moi admettre… Ça va vous faire rire… Quand on a commencé les premières années à se réunir autour de Jaqueline Berensteinbar [(?) 33 sec], qui vit toujours du reste, on allait chez elle, elle n’était pas mariée et elle était professeur au cycle ou je sais pas quoi. Alors, pendant plusieurs séances, c’était condition de la femme, horaire de la femme, gnagna de la femme gnagna et moi j’étais mère au foyer. Et c’est aussi un droit d’être mère au foyer, et c’est une très bonne chose, c’est très important les premières années. Alors j’ai dit à mon mari, si les bonnes femmes socialistes continuent avec leur truc où il y en avait que pour les conditions, les horaires, le travail et tout ça… Moi je vais arrêter parce que c’est pas mon domaine. Et maintenant on arrive quand même à parler de la famille, des choix que les couples font, avec les congés pour le papa. Parce que le papa perdait beaucoup aussi hein. Parce que il y a une femme qui était tessinoise et elle était chez moi puis elle m’a dit : « elle s’agite votre fille ». Et je lui ai dit : « attends je vais regarder l’heure ». C’est drôle hein, mais c’était l’heure où son papa arrivait… Elle le savait hein, il était dans l’ascenseur. Elle a sûrement dû le faire d’autres fois mais comme c’était l’heure du diner et que moi j’étais en train de faire la compote hein je ne l’ai pas vu. C’est pour vous dire… Du reste il y en a qui revendique hein, ceux qui veulent avoir le contact avec leur enfant s’ils ne s’entendent plus avec leur mère. Celui qui a été le plus fort avant c’était l’homme. Maintenant… Moi je me suis beaucoup battue pour que les femmes surtout celles de conditions modestes… Moi je voulais faire des études à l’Université… De vous à moi, par moment, je le regrette. Parce que ça a modifié d’une façon, pour moi, par forcément positive l’attitude de la femme. On a quelque chose qui nous est donné par la nature qui est typiquement féminin. Hein quand il y en a une qui a envie d’avoir un bébé et qui ne l’a pas, il va lui manquer quelque chose. Moi je suis restée pendant plusieurs années hein… Je faisais autre chose puis un jour j’ai dit à mon mari : « je veux un enfant ». Ah bah lui il en avait déjà un, ça ne l’intéressait pas beaucoup, il était divorcé. Mais j’ai senti que si je ne passais pas moi-même ce parcours, je ne serais pas complète. Une femme elle est complète si… Bon c’est aussi son droit de ne pas vouloir en avoir…. Est-ce que vous êtes au bout de vos questions ?

Nedjma Tabani : Non, mais vous venez de dire quelque chose qui m’a interpelée…Est-ce que quand vous avez voulu avoir un enfant c’était pendant cette période où l’on revendiquait l’avortement ?

Amélia Christinat : Si vous parlez avec mes copains, ils diront que je suis une emmerdeuse… J’ai lu quelque part : « si Amélia est quelque part il faut toujours qu’elle prenne la parole »… C’est quelque part…

Estefania Medina : C’est écrit : « Amélia n’a jamais mis son mouchoir dans la poche ».

Amélia Christinat : Eh bah voilà !! Je dois dire que dans tous les pays, pas civilisés, mais peut être européens parce que je connais mieux, la femme assure toujours toujours… Et je vous dirai en toute honnêteté que la solution idéale elle n’existe pas. Les deux sexes étant différents, ils ont des missions différentes. La seule chose c’est qu’il faut respecter la volonté des femmes de la même façon : qu’elles puissent faire et décider comme les hommes… Les femmes battues c’est aussi un sacré problème, avant il y avait des cas… Mais aujourd’hui avec tout ce mélange… Les femmes qui viennent d’autres pays ne sont pas vues avec les mêmes yeux… Je vais peut-être vous choquer avec ce que je vais dire mais pour moi les femmes qui mettent ce truc sur la tête… Pour moi c’est une soumission. Même s’il y en a une qui me dit en face : « c’est moi qui l’ai décidé » je lui répondrais : « c’est pas crédible ». C’est pas crédible… Pour moi c’est une espèce de soumission… Ecoutez il y a un hôtel là au bout… Qui s’appelle le Mandarin oriental… Où il y a des messieurs qui sortent avec des pépettes… Pour toutes sortes de raisons… Mais bon moi j’allais en ville à pied, quand je pouvais marcher… Et il y avait le papa qui était gentiment avec ses gamins et la femme elle était… Derrière… Il y a du reste une chanson qui fait (chante) : «  Elle est toujours derrière, derrière, elle a compris ce que le maire lui a dit, suis toujours son mari swa swa ».

Estefania Medina : Donc par rapport, maintenant, aux valeurs que vous défendiez, est-ce que vous êtes d’accord qu’on pourrait parler d’une réappropriation du corps ? Puisque vous dites que la femme c’est à ce moment-là, avec le droit de vote et le droit à l’avortement qu’elle a pu devenir maîtresse de son corps ?

Amélia Christinat : Il y a pas que ça hein, il y a pas que ça. Il y a eu le droit à l’instruction parce que à un moment donné, il y avait peu de personnes de classe moyenne ou pauvre qui pouvait envoyer leurs enfants à l’Université… Donc heu à mon avis… C’est comment ce que vous avez dit ?

Estefania Medina : Une réappropriation de leur corps… Avoir le droit à l’avortement c’était comme pouvoir se réapproprier leur corps dans le sens où … Nedjma Tabani : Elles deviennent maîtresses de leur corps en fait…

Amélia Christinat : Oui alors ça c’est une partie importante parce qu’il y a eu la libéralisation de cette possibilité… Nous, avec Anne Marie… La première pilule qui est sortie il y a 20 ans, on a crié victoire. Moi je l’ai prise, mais elle ne m’a pas convenue du tout… Il y a eu des cas embêtants en France hein… Des filles qui ne supportent pas… Moi ma circulation ne l’a pas supportée… C’est quand on a réussi à trouver la possibilité d’avoir comme vous l’avez dit la maîtrise de son corps mais avec pas trop de sacrifices hein… Parce que je pense que j’ai pas besoin de vous faire un dessin… Un homme sort avec une fille, il fait l’amour, il a un orgasme, il rentre chez lui et il part travailler. La fille des fois c’est pas toujours facile non plus. Puis elle peut se trouver avec un problème… Moi on m’a dit qu’il pouvait aussi y avoir des problèmes avec des préservatifs… Et puis les hommes eux hein ils aiment pas les préservatifs… Il y en a sûrement pas un qui vous dit qu’il est d’accord… Alors écoutez hein moi je ne l’ai jamais utilisé... Il faisait autrement le père Christinat… Si vous voulez, il y avait tellement de choses importantes… Le droit à l’avortement c’était important, le droit de vote aussi hein… Vous devenez citoyenne… Le droit à l’instruction et à la formation est un gros droit, le droit au salaire égal est un gros droit… Il y a un gros stock… Alors ça dépend dans quel contexte vous vous mettez. On pourrait faire une échelle de valeurs et voir laquelle prime sur l’autre… Moi je n’aime pas trop faire cette échelle de valeurs…. Les femmes on peut faire les choses comme les hommes hein, ils ont une résistance physique… Pour conclure… je dirais que chacun des sexes doit garder ses valeurs, ses envies, ses choix, ses prérogatives… tout ce que vous voulez… Et il faut que les lois lui en donne la possibilité. Pour la femme ça doit être la même chose. Vous vous êtes dans quelle faculté ?

Nedjma Tabani : Sciences de l’Education

Amélia Christinat : Et vous ?

Estefania Medina : Pareil.

Amélia Christinat : Ah d’accord. Je pense que vous êtes une majorité de femmes dans cette faculté ?

Nedjma Tabani : Grande majorité.

Amélia Christinat : Eh bah voilà… Je dis ça comme ça… Je voulais faire des études… Bon moi je voulais être chanteuse mais bon… Et puis lorsque je suis allée à Lugano pour fonder la société des consommateurs de la Suisse italienne parce que moi j’étais du comité, on m’a fait faire une conférence au lycée, ici ça correspond au collège. Alors je passais tous les jours devant, et moi je mourrais d’envie d’aller là-dedans pour apprendre. Et quand l’association qui s’est créée m’a fait donner la conférence dans une salle du Lycée de Lugano, la première chose que je leur ai dit c’est : « ça fait 30 ans que j’attends de passer ce portail, je le passe en étant mariée et mère de famille. Ça me fait une sensation très bizarre ». Vous savez, donner la possibilité aux femmes de choisir un métier d’homme… Moi je suis d’accord qu’un homme s’il veut faire… Sage-femme sage-homme … Ca ne le fait pas… Moi quand j’étais à l’hôpital… Il y a un monsieur qui m’a dit : « madame je vais vous mettre la botte et vous changer la culotte ». Moi je lui ai dit : « nan mais attendez, vous aller faire quoi ? » J’ai dit : « ah, nan vous la botte nan. » J’avais tellement peur qu’il voit mon sexe… Et ça me choque. Parce que je suis d’une génération où on était très prudent… Maintenant les filles… J’ai vu une émission télé en France avec les prostituées… On ne supprimera jamais cette besogne enfin bref… Parce que l’homme, lui, il est demandeur, il a besoin…Une femme elle avait fait fermer les maisons closes… Mais maintenant hein c’est ouvert partout… Alors moi je les plains mais c’est… C’est elles qui ont choisi hein… La chose qui m’a beaucoup choqué, et alors là j’avais fait un papier dans la Tribune… C’est que la péripatéticienne qui s’appelait Griseli Gisreal qui avait des capacités pour faire des livres, qui était aux Pâquis, elle est décédée et quelqu’un a décidé de la transférer dans un cimetière où il y a des artistes et tout ça. Si elle venait de mourir ça passe encore mais là hein ! Moi je m’étais déchainée ! Il faut pas exagérer. J’entendais des gens dire qu’elle n’avait pas de formation et elle n’a donc pas eu le choix. Puis on m’a demandé ce que j’en pensais… Alors j’ai dit : « ah bah si toutes les jeunes filles qui viennent de l’étranger et qui n’ont pas d’argent, font le métier… Alors toutes les femmes de la ville… Ça va devenir le bordel »… Je suis peut-être trop sévère, c’est leur droit hein…. Et il y a beaucoup d’étudiantes hein… Moi je leur flanquerais des gifles hein ! Vous avez fini vos questions ?

Nedjma Tabani : Non, on en a encore une… Par rapport à aujourd’hui et par rapport à la lutte que vous avez faite dans le passé… On voit que le droit à l’avortement il est aujourd’hui remis en question. Alors qu’est-ce que vous en pensez ?

Amélia Christinat : Je vais vous dire une chose, jamais quelque chose dans la vie n’est acquis…. Gardez-le bien dans la tête ! Vous pouvez vous battre réussir une moitié, une partie ou j’sais pas quoi. Mais moi qui croyait que la Suisse était un pays qui quand il décidait quelque chose ça ne changeait plus bah maintenant c’est plus comme ça… Avant c’était un pays où quand quelque chose est décidé, c’est décidé et on le change plus… Eh bah La Suisse a changé par rapport à dans le temps. Parce que, effectivement, avant quand quelque chose était votée, c’était acquis. Alors en fait tout changement, toute progression que l’on peut interpréter comme sociale n’est jamais définitivement acquise. Donc en fait, il faut veiller continuellement, défendre continuellement où que vous soyez et avec qui que vous soyez. Si votre idée c’est ça, il faut la défendre jusqu’au bout. C’est ce que j’ai ressenti à ma grande surprise… Parce que j’ai vraiment constaté que la bataille a été longue, difficile et dure… là du reste j’ai vu qu’il y a une lettre… c’est quoi ça ?

Nedjma Tabani : « L’avortement un droit non négociable », Christiane Pasteur…

Amélia Christinat : Connais pas…. Vous voyez, là-dedans il y a une lettre concernant la grossesse et… Govianni qui était un collègue tessinois du conseil national… Il a été du reste chef de groupe… C’est à ce titre là que je lui ai écrit… Lorsque j’étais dans la commission, moi je parlais pas l’allemand… C’était pas de la tarte. J’avais contacté personnellement les conseillers fédéraux dont je pensais pouvoir compter dessus pour accepter l‘interruption de grossesse. Mais il y avait deux radicaux de Zürich, Mme Coop et Delavurat, un radical vaudois très ouvert, j’avais compté les deux socialistes… Ça fait 4, ils devaient être 7… A 23h, une journaliste me téléphone et me dit que mon truc c’était pas passer et en fait c’était un de chez nous, Otto Stich, qui s’était permis de ne pas voter comme les femmes socialistes. Ce n’était pas moi. Parce que moi j’aurais jamais pu aller de l’avant, si je n’avais pas les femmes socialistes derrière hein… Eh bah le bonhomme a voté contre le projet d’interruption de grossesse… Alors je lui ai écrit une lettre… Mais quand c’est une pauvre petite femme tessinoise qui habite Genève, une ville perdue… Eh bah il m’a répondu après je ne sais pas combien de temps… Et puis excusez-moi, la formule elle est brutale hein mais c’est comme si j’avais pissé dans un violon hein… Oui je sais, j’ai un parler un peu spécial… C’est pour ça que dans le parti, les gens me connaissent… Je suis un peu déglinguée… Et mon mari disais que j’écris de la main gauche parce que moi je traduisais en français ce que je pensais dans ma tête en italien… Alors moi je lui disais « bah maintenant tu me corriges ». Mais des fois on s’engueulait parce que quand lui il écrivait bah ca correspondait pas toujours à ce que moi je voulais dire. Mais disons que c’est extraordinaire le destin des femmes, plus que celui, à l’Epoque, des hommes, parce qu’on part pour apprendre quelque chose, aller faire une formation… Remarquez que ma mère, elle était pas contente que je reste à Genève… Ca elle a beaucoup beaucoup insisté. Mais Genève a un pôle d’attraction qui est énorme. La mentalité… Ils gueulent les genevois… Moi j’aime bien parce que ça me correspond… A Lugano c’est une petite ville où on chantait et on dansait… On pouvait pas rentrer tard, c’était très sévère. On allait tous les dimanches à la messe, c’était notre droit hein… Alors voilà je pense que c’est bon… On a fini ?

Nedjma Tabani : Oui, on vous remercie beaucoup.

Estefania Medina : Merci.