Comment évaluer l'effet d'un outil numérique sur les apprentissages?

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Auteure : Elodie Haefliger

Mon groupe de travail

Je fais partie du groupe Kahlo avec Celina Marques Teixeira et Larissa Santos Vieira. Notre groupe s'intéresse à l'évaluation des dispositifs numériques, plus précisément aux critères sur lesquels se baser pour choisir un outil numérique adapté à une situation d'apprentissage. Nous développons ce thème à travers trois axes principaux: Comment faciliter l'apprentissage en groupe avec les outils numériques? / Comment évaluer l'effet d'un outil numérique sur les apprentissages? / Comment s'assurer de la qualité d'un dispositif de formation hybride utilisant l'outil numérique Articulate au sein d'une formation supérieur ?.

Problématique et questions de recherches

Problématique

Le numérique prenant de plus en plus de place au sein des établissements scolaires et leur diversité étant de plus en plus grande, il peut être complexe pour un enseignant souhaitant intégrer des technologies à son cours de savoir quel outil serait le plus adapté à son cours et ses objectifs. C’est pourquoi, notre groupe tente d’établir des critères sur lesquels se baser pour choisir un outil numérique adapté à la situation d’apprentissage.

Lorsque l’on souhaite choisir un outil numérique adapté à une situation d’apprentissage, une des questions préalables pour pouvoir effectuer ce choix est de savoir quel effet l’outil numérique a sur les apprentissages. Cette production tentera de répondre à la question : Comment évaluer l’effet de l’outil numérique sur les apprentissages?

Répondre à cette question est à la fois utile pour les enseignants intégrant des technologies à leurs cours, cela leur permettra d’identifier si l’outil choisit permet bien d’atteindre les objectifs attendus, mais aussi pour les concepteurs de technologies éducatives qui pourraient sur la base de critères d’évaluation des outils concevoir et évaluer leurs technologies.

Questions de recherche

Quelle est la plus-value des outils numériques dans les apprentissages? (Dimension pédagogique)

Afin d'évaluer l'effet d'un outil numérique sur les apprentissages, il est intéressant d'analyser les éléments pédagogiques de l’outil numérique et leur plus-value par rapport à un autre outil. Cependant, comme le mentionne Tricot : « La littérature empirique sur les apports des outils numériques aux apprentissages académiques, et plus largement aux apprentissages formels, peine à établir des plus-values générales» (Tricot, 2020, p.5). Comme nous le verrons, une manière de faire face à ce problème sera de se focaliser plus précisément sur les fonctions pédagogiques.

Quels sont les effets du numérique sur la motivation à apprendre? (Dimension psychologique)

Il existe l’idée assez répandue qu’intégrer des outils numériques dans les classes augmente la motivation des élèves à apprendre : « Un des arguments les plus entendus à propos des outils numériques est qu’ils favorisent la motivation des élèves, (...) » (Tricot, 2020, p.33-34). La motivation étant un bon prédicteur de la réussite scolaire, évaluer l’effet de l’outil numérique sur la motivation est particulièrement pertinent dans l’évaluation de l’effet de l’outil numérique sur les apprentissages. Un outil facilitant la motivation des élèves devrait donc faciliter les apprentissages.

Quel est l'effet de la maîtrise du numérique dans les apprentissages par des outils numériques? (Dimension numérique)

Tous les apprenants n’ayant pas le même accès aux différentes technologies, il est important d’analyser si une bonne maîtrise d’un outil numérique permet de meilleurs apprentissages que si l’outil est peu maitrisé. Il faudrait dans ce cas s’assurer que tous les élèves aient une maîtrise plus ou moins équivalente de l’outil.

Réponses aux questions de recherche

Les fonctions pédagogiques

Depuis les années 1990, de nombreuses méta-analyses tentent de démontrer une plus-value des outils numériques dans les apprentissages. Cependant, ces méta-analyses peinent à donner une réponse concrète quant à l’effet de l’outil numérique sur l’apprentissage. D’après Tricot (2020), cela s’explique par une vision trop générale de l’apprentissage. En 2001, Erica Vries propose une analyse plus spécifique des apprentissages, elle les divise en différentes fonctions pédagogiques et analyse la littérature s’intéressant spécifiquement à chacune de ces fonctions. Dans son rapport Quelles fonctions pédagogiques bénéficient de l'outil numérique ? Tricot se base sur la même approche, il met, lui 24 fonctions pédagogiques principales en évidence alors que Vries en mettait 8.

Parmi les fonctions pédagogiques identifiées par Tricot, on retrouve, par exemple « présenter de l’information » et « lire et comprendre un texte, apprendre à lire ». La première, consiste pour l’enseignant à montrer une information et « L’activité attendue de la part des élèves est généralement de percevoir et de traiter cette information, mais surtout de la comprendre. » (Tricot, 2020, p.6). Les plus-values de l’outil numérique par rapport à cette fonction numérique, sont entre autres « représenter ce que l’on ne savait/ pouvait pas représenter » (Tricot, 2020, p.7) (p.ex. : des contenus dynamiques) et « favoriser l’interaction avec les contenus » (Tricot, 2020, p.7) (grâce au numérique, l’apprenant peut notamment cliquer sur du texte ou des images). L’intégration du numérique a de manière globale un effet positif pour cette fonction pédagogique. Pour d’autres fonctions pédagogiques telles que « lire et comprendre un texte, apprendre à lire », les résultats sont plus mitigés. En effet, la lecture sur support numérique serait plus exigeante que sur papier, cependant: « De manière intéressante, les deux derniers auteurs montrent que les études qui testent seulement l’efficacité d’un outil ont un effet généralement très faible, tandis que celles qui testent un outil couplé à des modalités d’enseignement pertinentes et à une formation / accompagnement des enseignants, obtiennent des résultats bien plus favorables. » (Tricot, 2020, p.9).

Le rapport de Tricot est à la fois informatif quant à la manière d’analyser l’effet du numérique sur les apprentissages mais aussi quant à l’effet du numérique sur les apprentissages. Il montre premièrement que lorsque l’on cherche à savoir quel est l’impact d’un outil numérique sur l’apprendre, il faut être conscient que les apprentissages sont très divers et il est préférable d’analyser plus spécifiquement les fonctions pédagogiques, afin de trouver des résultats concrets. Il démontre en plus que toutes ses fonctions pédagogiques ne sont pas impactées de la même manière par le numérique. Et qu’alors que dans certains cas le numérique aura un effet positif sur l’apprentissage, dans d’autres pas.

Outils numériques et motivation à apprendre

Mesurer la motivation à apprendre avec des outils numériques

Une des idées les plus répandues quant à l’effet des outils numériques intégrés en classe est qu’ils augmentent la motivation des élèves à apprendre. « Dans l’étude d’Anna Potocki et d’Eric Billottet présentée dans leur rapport pour le Cnesco (2020), plus de 90% des enseignants interrogés sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « les élèves sont plus motivés » avec les outils numériques. » (Tricot, 2020, p.34). La motivation étant définie comme « le tenseur des forces d’origine interne et externe, dirigées ou non par un but, qui influencent un individu sur le plan cognitif, effectif ou comportemental » (Pintrich & Shunk, 1996; karsenti, 1998, cité par Knoerr, 2005, p.3), elle a un impact direct sur les apprentissages et est par ailleurs l’un des prédicteurs de la réussite scolaire (Dweck et Elliot 1983, cité par Knoerr, 2005, p.3). Une outil numérique favorisant la motivation des élèves aura donc des chances de favoriser leurs apprentissages. Mais que disent les études quant à la motivation à apprendre engendrée par les technologies numériques ? Et comment la mesurée ?

Il existe des échelles spécifiquement conçues afin de mesurer la motivation dans le cadre d’intégration d’outils numériques en enseignement. Une de ces échelles est l’EMITICE (Echelle de motivation lors de l’intégration des technologies de l’information et des communications dans l’enseignement). Cette échelle a été conçue par Karsenti et est inspirée de la théorie motivationnelle de Deci et Ryan. Elle permet une mesure quantitative de la motivation.

Effet de l'outil numérique sur la motivation à apprendre

Dans une étude s’intéressant aux changements dans l’attitude, la motivation et les pratiques pédagogiques dus aux TIC, Karsenti (Karsenti, Savoie-Zajc, & Larose, 2001) utilise l’EMITICE afin d’analyser les changements de la motivation d’un groupe d’étudiants inscrits à un cours exclusivement en ligne. Les étudiants remplissent l’ échelle trois fois, une première fois en tout début d’année (lorsque les étudiants ne sont pas encore au courant que le cours sera exclusivement en ligne), une seconde fois après quelques semaines de cours (lorsque les étudiants sont plus au courant du déroulement du cours) et une dernière fois après quelques semaines de cours en plus. Afin de constater si la motivation des apprenants à bel et bien changé, l’auteur calcul la différence entre les sommes obtenues à deux mesures différentes pour un même test. Les résultats obtenus montrent une baisse significative des motivation autodéterminées (motivation qui apparaît lorsque l’acteur se sent responsable de ses choix) entre la première et la quatrième semaine. « Les motivations autodéterminées sont celles, qui selon Deci et Ryan (1985, 1991, 2000) et plusieurs autres (Pintrich & Shunk, 1996), favorisent un plus grand apprentissage et des attitudes positives face à l'apprentissage. » (Karsenti, Savoie-Zajc, & Larose, 2001). Alors que les motivations non-autodeterminées, qui elles sont soupçonnées d’avoir un impact négatif sur l’apprentissage sont en hausse. Cependant, un changement de type de motivation s’opère entre la 1ère semaine et la 13ème, les motivations non-autodeterminées baissent significativement alors que les motivations autodeterminées augmentent.

Cette étude démontre que l’intégration des technologies influence effectivement la motivation dans les apprentissages. Elle engendre tout d’abord une période de démotivation puis de motivation. Selon l’auteur, cette baisse de motivation peut être expliquée par la dissonance cognitive. « La dissonance cognitive est présente lorsqu’un individu est déstabilisé cognitivement et qu’il arrive peu ou pas à prévoir ce qui arrivera. (…) Cette dissonance est certainement causée, entre autres, par le nouvel environnement d’apprentissage que représentent les cours en ligne. » (Karsenti, Savoie-Zajc, & Larose, 2001, p.106). En d’autres termes, l’intégration d’outils numériques en cours influence bien la motivation à apprendre, mais pas toujours de la même façon. La motivation engendrée par l’outil est dépendante d’autres facteurs tels que l’état cognitif de l’apprenant. De nombreuses autres études montrent d’ailleurs un effet positif des technologies sur la motivation, mais toujours dépendamment de différents critères (Grégoire et al., 1996; Lepper & Hodell, 1989, cité par Knoerr, 2005).

La maîtrise de l'outil numérique

Blandin (2012) analyse dans une note de synthèse différents documents afin d’identifier les effets des technologies numériques chez l’adulte. De l’analyse des différents documents, Blandin ressort différentes catégories d’effets d’outils numériques ainsi que certaines conditions mises en évidence par Boulay et al. en 2008 dans lesquelles le numérique a un effet positif chez l’adulte. Une des conditions identifiées est l’expérience d’utilisation d’un ordinateur de l’apprenant. « l’apprenant doit avoir l’expérience d’utilisation d’un ordinateur, voir avoir déjà eu une première expérience de e-learning : c’est facilitant, alors qu’à contrario, l’angoisse d’utiliser un ordinateur est perturbant et peut bloquer le processus d’apprendre. » (Blandin, 2012, p.34). La maîtrise de l’outil numérique est donc une condition favorisant un effet positif de l’outil sur l’apprentissage.

D’autres études mettent cependant en évidence que la maîtrise d’outils numériques dans la vie quotidienne ne facilitera pas forcément les tâches scolaires à effectuer avec ce même outil. André Tricot, montre, par exemple, que la recherche d’information sur internet nécessite deux types de savoir-faire, un savoir-faire instrumental et un savoir-faire informationnel et que la navigation intensive sur le web ne permet que de développer le premier (Tricot, Brot-Delange, Foucault & El Boussarhini, 2000). Dans cette étude, Tricot compare des utilisateurs réguliers du web et des non-utilisateurs dans une tâche de recherche d’information. Les utilisateurs réguliers du web consultent un plus grand nombre de pages web, ils en consultent même trop, ne parvenant pas à des résultats plus pertinents que les non-utilisateurs quant à l’information recherchée. Une utilisation fréquente d’internet en dehors du cadre scolaire permettra donc une meilleure maîtrise de l’outil mais pas de meilleures compétences dans les aspects pédagogiques de la tâche (la recherche d’information).

Il subsiste quelques interrogations quant à la charge cognitive disponible pour apprendre lorsque l’outil numérique est peu maîtriser. « Il s’interrogent même sur une possibilité de concurrence entre la tâche d’utilisation d’un hypermédia et celle d’apprendre en termes de charge cognitive. Ce qui signifie que la tâche principale d’apprendre ne peut mobiliser toute la charge cognitive que lorsque l’instrument est maîtrisé et que son usage devient réflexe, (…) » (Amadieu &Tricot, 2006, cité par Blandin, 2012).

Discussion

Cette production démontre premièrement que lorsque l'on s'intéresse aux effets d'un outil numérique sur les apprentissages, il est nécessaires d'analyser spécifiquement une fonction pédagogique d'intérêt et non pas les apprentissages de manière générale. En effet, l'outil impactera de manière différente les fonctions pédagogiques il est alors peu pertinent de faire une analyse englobant toutes les fonctions pédagogiques. Elle nuance ensuite le mythe selon lequel tout cours intégrant des technologies numériques serait plus motivant pour les apprenants. Les TIC possèdent certaines caractéristiques pouvant en effet influencer positivement la motivation des élèves. Ces caractéristiques ne sont cependant pas suffisantes toutes seules. L'état cognitif de l'apprenant, le type de pédagogie mis en place par l'enseignant, ou certaines caractéristiques des exercices sont entre autres des facteurs ayant été mis en évidence par la littérature scientifique comme ayant un effet sur la motivation engendrée par l'utilisation d'outils pédagogiques. La production insiste pour finir sur l'importance de prendre en compte la maîtrise de l'outil pédagogique des apprenants. En effet, évaluer l'effet d'un outil numérique sur les apprentissages sans prendre en compte les différents niveaux de maîtrise de l'outil pédagogique des apprenants pourrait fausser les conclusions des recherches. On pourrait par exemple conclure qu'un outil est inefficace pour un apprentissage, les élèves n'ayant pas bien réussi la tâche demandée, alors que les difficultés sont peut être simplement dues à une mauvaise maîtrise de l'outil.

Références

  • Blandin, B. (2012). Apprendre avec les technologies numériques: Quels effets identifiées chez les adultes?. L'Harmattan 2 (30), p9-58. doi: 10.3917/savo.030.0009
  • Karsenti, T., Savoie-Zajc, L. & Larose, F. (2001). Les futurs enseignants confrontés aux TIC. Changements dans l'attitude, la motivation et les pratiques pédagogiques. Le renouvellement de la profession enseignante: Tendance, enjeux et défis des années 2000 Volume 29 (1), 86–124.https://doi.org/10.7202/1079569ar
  • Knoerr, H. (2005). TIC et motivation en apprentissage/enseignement des langues. Une perspective canadienne. La motivation, un moteur dans l'apprentissage des langues Vol. XXIV (2), 53-73. https://doi.org/10.4000/apliut.2889
  • Tricot, A. (2020). Quelles fonctions pédagogiques bénéficient des apports du numérique. Centre national d'étude des systèmes scolaires
  • Tricot, A., Drot-Delange, B., foucault, B. & El Boussarghini, R. (2000). Quels savoir-faire les utilisateurs ràguliers du web acquièrent-ils? Journal d'intelligence artificielle, 14 (1/2), 93-112.