L'évolution récente de la définition de la maltraitance des personnes âgées

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Tatiana CAVAGLIANI - Sarah GROSSNIKLAUS - Stefania RODRIGUEZ - Mélanie SAVOY - Germain VON DER MUEHLL - Valérie SCHAUDER


A propos des concepts de maltraitance et de négligence: notre approche du thème

Nous avons choisi de traiter de la maltraitance des Personnes âgées car ce thème est bien trop souvent laissé pour compte. On entend souvent parler d'enfants maltraités, de femmes battues, mais rarement de personnes âgées maltraitées. De plus, lorsque nous pensons à Maltraitance, notre sens commun a tendance à nous renvoyer directement au sens de la maltraitance physique. Coups, blessures, séquestration..., mais aujourd'hui, lorsque l'on rencontre le monde institutionnel, c'est la Négligence qui semble être devenue une forme perfide de la maltraitance.

Nous avons choisi de nous baser sur la canicule de 2003 pour cibler notre recherche. En effet, lors de cet été 2003, environ 1000 personnnes âgées sont décédées en Suisse des suites des grandes chaleurs, du manque d'hydratation. À l'hôpital de Genève (HUG), 352 décès ont été recensés en août 2002 et 385 en août 2003; soit trente-trois décès de plus. Cela correspond à une augmentation d'environ 10 % du nombre de cas. Ce chiffre est représentatif du pourcentage à l'échelle nationale, hôpitaux et institutions confondus, qui oscille entre 10 et 13 %, pour la même période. Suite à ce constat, les proches des personnes âgées ainsi que les institutions ont été au centre des débats. Il leur a été reproché le fait de ne pas avoir suffisament su être à l'écoute de ces personnes et de ne pas avoir prêté suffisamment d'attention à la nécessité pour celles-ci de beaucoup s'hydrater. En d'autres termes, ils auraient fait preuve d'une certaine négligence. La canicule de 2003 semble donc particulièrement liée au terme de négligence. En effet, les problèmes qu'elle a révélés ont contribué à un déplacement des considérations habituellement partagées sur la maltraitance. Négliger de prendre soin d'une personne âgée lorsque la température est très élévée est une forme de maltraitance. Cette visibilisation d'une catégorie de la maltraitance, la négligence, au travers de la canicule et de sa médiatisation, a probablement eu comme effet d'élargir le champ recouvert par cette notion, contribuant ainsi à une évolution de la définition de la maltraitance. La négligence y prend désormais une place importante.

Nous avons décidé de nous pencher sur la période entre 1998 et 2006. Nous avons utilisé plusieurs articles de journaux romands (avant et après l'été 2003), deux éditions (1998 et 2005) de la charte de la Fédération genevoise des établissements médicaux-sociaux (FEGEMS) ainsi que des téléjournaux diffusés durant la canicule (juillet et août 2003).

Notre recherche se limite au canton de Genève. On parlera particulièrement de la négligence comme maltraitance. Nous allons commencer par donner un panel d'informations sur les recherches et les réflexions menées (principalement en ce qui concerne la France) sur le sujet. Ensuite, nous comparerons les articles et les deux chartes afin de retirer un maximum d'informations. Ces dernières se porteront, pour le cas des articles, sur leur nombre avant et après la canicule, puis, sur la base des chartes également, sur leurs formes, leurs précisions et le vocabulaire employé. Nous tenterons de faire des liens entre ces différents niveaux d'analyse et ces différentes informations. Nous essaierons également de voir comment les téléjournaux présentés lors de la canicule nous décrivent la situation et la norme à adopter pour ne pas être accusé de maltraitance ou de négligence, et comment ils ont contribué à l'évolution du terme de maltraitance jusqu'à la négligence. Enfin, nous rencontrerons le Dr Rapin, médecin chef et organisateur du colloque canicule ayant eu lieu en juin 2004.

Il nous apparaît important de mentionner quelques limites. Tout d'abord, le fait que nous ne pouvons lire tout ce qui a été écrit sur le sujet et que les articles que nous avons choisis pour l'analyse ne sont pas les seules et uniques pièces que nous avons trouvées. Une autre limite d'un travail portant sur le thème de la maltraitance est que s'appuyer sur des statistiques représente une grande difficulté. En effet, il est très difficile de recenser les victimes de Violence. Celles-ci ne sont pas toujours prêtes à en parler, que cela soit par peur de représailles ou pour d'autres raisons (telles que peur de l'abandon, peur de briser un lien familial, etc.).

En ce qui concerne la prévalence de la maltraitance envers les personnes âgées au sein des institutions, Hugonot (1990) relève la difficulté d'obtenir des statistiques précises. Il souligne qu'il faut dans tous les cas prendre en compte que les cas décelés ne représentent qu'un cinquième de la réalité: il y a donc une sous-estimation importante. Une raison de ce manque de données est que les observations de violences restent souvent à l'intérieur d'une institution. Le manque de témoignages, la dédramatisation par le personnel et la crainte pour la famille de dénoncer la maltraitance rendent l'estimation de la fréquence réelle difficile. Selon Hugonot, la violence envers les personnes âgées est masquée, car elle est liée aux tabous et à la honte.

Ce qu'en disent les auteurs que nous avons lus

Définitions

Avant de poursuivre notre réflexion, il nous paraît important de donner des définitions nécessaires à la compréhension des termes de maltraitance et de négligence.

Alter Ego, l'Association suisse contre la maltraitance des personnes âgées (2002) définit la maltraitance comme "un acte ou un ensemble d'actes - comportements et attitudes - commis ou ommis, envers une personne au détriment de son intégrité physique ou sexuelle, morale ou psychique, matérielle ou financière. La maltraitance engendre un tort ou une blessure. Elle constitue une atteinte aux droits fondamentaux et à la dignité de la personne". La maltraitance consiste en actions - violence, abus, sévices, contraintes, empêchements - ou en actes ommis, comme la négligence.

La négligence, une forme de maltraitance, consiste selon l'association Alter Ego dans le fait de ne pas donner des soins essentiels à une personne. "C'est omettre de lui donner une nourriture ou des boissons adéquates, les médicaments ou les soins d'hygiène dont elle a besoin" (Alter Ego, 2002). D'autres exemples de négligence sont de donner une alimentation en quantité insuffisante, de ne pas assurer des services adéquats durant la nuit ou de négliger la douleur d'une personne âgée.

Notre article va se baser sur la négligence comme forme de maltraitance.


Revue de littérature

Hugonot (1990) remarque que l'âge des personnes considérées comme vieillards a augmenté au fil du temps. En effet, dans l'Antiquité, les vieillards étaient ceux qui atteignaient l'âge de 40 ans. Aujourd'hui, un vieillard est quelqu'un de plus de 70-80 ans qui devient dépendant. Selon la psychanalyste Bertin (1999), notre société occidentale contemporaine n'accorde pas de place à la Vieillesse. La société refuse de penser à la vieillesse; cette dernière est tabou. L'être humain a du mal à imaginer qu'il va vieillir, c'est quelque chose dont on ne parle pas, que l'on ne veut pas imaginer, particulièrement dans notre société qui valorise la jeunesse. Selon elle, nous vivons dans un monde en perte de références. La famille en tant qu'institution connaît actuellement de grands changements, et nous vivons une époque de confusion des âges et des places dans la famille. L'on ne pourrait penser la vieillesse qu'en se situant dans une lignée faite de générations ayant chacune leurs rôles. Autrefois la vieillesse faisait partie de la société, elle avait une place dans l'univers symbolique de la vie, mais l'on vit actuellement dans une société où les rôles symboliques ont disparu, et où la vieillesse est dévalorisée. En outre, selon De Saussure (1999), il n'est plus rare de voir des familles qui s'étendent sur quatre générations. Les tensions et les conflits au sein de ces familles s'en trouvent accrus et la génération des aînés en fait en quelque sorte les frais, puisque bien souvent la famille s'en désengage petit à petit. Tous ces éléments pourraient expliquer les raisons qui font que les sociétés occidentales gèrent une partie des personnes âgées sur le mode de l'exclusion à travers le placement.

Pour ce qui est du problème de la maltraitances des personnes âgées, Bertin (1999) relève deux axes de réflexion: "Le déni de la mort dans les sociétés occidentales" ainsi que "L'augmentation de la banalisation du mal".

Hugonot (1990) remarque que le phénomène de maltraitance n'est pas nouveau dans sa nature, mais par sa fréquence (augmentation des victimes et des agresseurs). Il montre par exemple des prières d'un vieillard abandonné celles et d'un vieillard qui ne peut pas s'enfuir dans les situations difficiles de 1689.

C'est dès les années 1980 que dans les pays francophones la question tabou de la maltraitance des personnes âgées fût soulevée. On commence à parler de certains comportements, de certains gestes et de certains propos profondément maltraitants pour la personne âgée bien souvent complètement dépendante de l'autre. Le sujet commençait à peine à être traité que les milieux des professionnels concernés essayaient de faire taire ce qui était soulevé, chacun essayant de préserver son institution de toute accusation.

Gavillet et Grandrieux (2006) soulèvent un autre point. Alors que de nombreuses personnes s'attèlent à dénoncer la maltraitance des personnes âgées, celles-ci commencent à se rendre compte que les gestes, les propos et les comportements qu'ils dénoncent ne sont pas les faits de monstres et qu'eux-mêmes commettent ce genre d'actes. Dénoncer ces gestes revient à se dénoncer soi-même. Cette constatation va faire diminuer la volonté de parler de ce problème. Pour ces deux raisons, le sujet fut donc un peu moins traité. Hugonot (1990) souligne notamment l'ignorance en France concernant ce sujet et, en rapport avec cela, le manque d'intérêt des médias. Bertin (1999) reproche également à la société et au monde politique de faire comme si la maltraitance des personnes âgées n'existait pas. Elle dénonce aussi cette habitude de montrer une vitrine parfaite: "Les images que les médias nous présentent sur la vieillesse sont le plus souvent des images d'exception. Les sujets âgés maltraités ou déshumanisés sont interdits de cité dans le monde médiatique."(p.14)

Notons également, comme le souligne Bertin, que notre société actuelle est celle de l'image. Pour qu'une cause soit entendue, elle doit être médiatisée. Cela peut poser problème dans le cas de la violence touchant des personnes âgées quand leurs conditions physiques et psychiques les prédisposent plus à l'isolement qu'à la protestation.

Cependant, parallèlement à ces condamnations, de nombreux témoignages voient le jour. Des personnes âgées trouvent la force de raconter les violences qu'elles subissent, et elles ne baissent pas les bras. De plus, dans son livre, Hugonot (1990) nomme plusieurs congrès européens sur le sujet de la maltraitance des personnes âgées. Cette problématique ne disparaît pas. La question de la maltraitance des personnes âgées apparaît dès lors comme un problème social nouveau.

Nos lectures n’abordent pas directement le concept de négligence, mais tous les auteurs que nous avons lus considèrent la négligence comme étant une forme de maltraitance. Concernant la canicule et ses effets, aucun de ces ouvrages n’en fait mention. Cela est dû, d'une part, au fait que les livres lus ont dû être choisi avant que le thème de l’étude ne soit précisé. D'autre part, nous avons pu constater à travers notre recherche que le lien entre négligence et canicule ne semble pas avoir beaucoup été abordé et approfondi dans la littérature.

Objectif de la recherche

L'objectif de cette recherche est de définir les facteurs impliquant l’évolution récente (entre 1998 et 2006) de la définition de la maltraitance des personnes âgées et plus particulièrement la question de la négligence.

Notre hypothèse de recherche est que les conséquences de la canicule de l'été 2003 et leur médiatisation auraient contribué à un tournant de la définition de la maltraitance.

Méthode

Afin de vérifier notre hypothèse, soit l'effet de la canicule 2003 sur la définition de la maltraitance, nous allons analyser et comparer le contenu de deux chartes d'instituitions, d'articles de presse et d'extraits de téléjournaux. En ce qui concerne les chartes, nous allons vérifier s'il y a eu des modifications au niveau des articles de loi au sein des institutions et au niveau de la terminologie employée. Le but de la comparaison des articles de presse est de voir s'il y a eu des changements dans la manière d'informer la population sur le problème de la maltraitance. Enfin, l'analyse des téléjournaux devra nous permettre d'analyser le type de langage utilisé en lien avec la canicule.


Limites de la méthode

En ce qui concerne la comparaison des articles de presse, nous nous sommes rendu compte qu'il est très difficile d'accéder aux articles pertinents pour cette démarche. Il est possible que les articles choisis ne soient pas tout à fait représentatifs de la manière dont la presse traite de la problématique de la maltraitance.

Analyse

Exploration de la question de recherche sur la base de comparaisons de divers documents

De manière générale, tant lors de nos recherches dans les archives de la TSR que lors de celles effectuées dans la base de données Swissdox, nous avons constaté que le nombre de documents (téléjournaux, émissions, reportages spéciaux, articles, dossiers, etc.) abordant le problème du sort des personnes âgées avait augementé suite à la canicule. Nous pourrions émettre l'hypothèse que la canicule fut un tremplin, voire un très bon "fait divers" pour parler de la situation des personnes âgées dans notre société. Ce sujet fut traité plus qu'abondamment durant la canicule et juste après, puis régulièrement à l'arrivée de l'été les années suivantes. Il nous paraît intéressant de relever la manière dont les médias se sont emparés d'un sujet d'actualité pour en faire un problème social. Il faut peut-être garder à l'esprit qu'un des buts premiers des médias, comme développé dans les cours du professeur Payet (Introduction à la sociologie de l'éducation) est, hormis l'aspect d'information, de faire le plus possible d'audimat ou de lecteurs en accrochant les téléspectateurs ou les lecteurs par des évènements "chocs". Les médias ont tendance à s'emparer d'un problème social (ici la condition des personnes âgées et la maltraitance) pour en faire un fait médiatique. Ce processus est facilité dès lors qu'un problème concerne un grand nombre de personnes, ce qui est le cas avec les personnes âgées puisque chacun en a au moins une dans son entourage ou dans sa famille.


Aspect quantitatif

D'un point de vue quantitatif, nous avons pu constater que le nombre d'articles parus dans la presse romande (24 Heures, Tribune de Genève, le Matin, le Temps, L'Hebdo) avant la canicule a doublé après la canicule. Nous avons trouvé environ onze articles dans la période de 1998 à 2003 et vingt articles de 2003 à 2006. On peut faire le même constat pour les téléjournaux. Le nombre de TJ abordant le problème du sort des personnes agées a triplé suite à la canicule. L'apparition d'un réglement d'application dans la charte de la Fédération genevoise des établissements médico-sociaux (FEGEMS) de 2005 est un ajout pouvant montrer l'importance donnée à la problématique de la maltraitance. Cet article donne une définition beaucoup plus stricte des droits et des compétences du conseil éthique. Cela pourrait refléter le soucis de la Fegems de lutter contre le problème de la maltraitance en institution en donnant un pouvoir de contrôle plus grand au conseil éthique.


Contenu et évolution des termes employés

Dans les trois types de documents que nous avons analysés nous n'avons pas constaté de grandes différences entre les deux périodes. Les définitions de la maltraitance données dans les articles de journeaux restent les mêmes avant et après la canicule. Le terme de négligence est employé dans quelques articles avant et après l'été 2003, et sa signifiation ne semble pas avoir changé. La négligence est mentionnée comme une catégorie de la maltraitance, mais n'est expliquée davantage dans aucun article. Deux articles de la Tribune de Genève, l'un du 8 avril 2003 et l'autre du 21 février 2004, mentionnent le même pourcentage de négligence, soit 17 %, à l'intérieur de la maltraitance. En se basant sur ces chiffres, on ne peut donc pas constater d'effet de la canicule de l'été 2003 sur les cas de négligence. Des articles datant d'avant et d'après 2003 montrent des statistiques selon lesquelles il y aurait entre 5 et 10 % (parfois 20 %) de personnes âgées victimes de maltraitance en Suisse. À Genève, il y aurait donc entre 3000 et 5000 personnes âgées concernées. Dans l'article du Matin Dimanche de 2005, il est précisé que la maltraitance physique pouvait consister dans le fait de ne pas donner à boire. Est-ce que cette précision serait éventuellement une conséquence de la canicule de l'été 2003?

Au niveau du contenu des articles de journaux, nous avons constaté que les changements suite à la canicule n'ont pas été très importants. Nous émettons donc l'hypothèse que la problématique de la maltraitance, quoiqu'elle ait suscité plus d'intérêt par la presse après la canicule (nombre d'articles), est traité de la même façon avant et après l'été 2003.

En ce qui concerne les TJ, il est intéressant de noter que ceux datant de l'été 2003, période de la canicule, n'abordent quasiment pas la situation en Suisse, mais parlent d'effets désastreux en France. C'est seulement un an plus tard que l'on avance les premiers chiffres concernant la Suisse. Il semble que celle-ci ait sous estimé les conséquences de la canicule pour ses personnes âgées. La différence de terminologie et d'approche de la situation entre 2003 et 2004 est flagrante lorsque le journaliste parle de l'été 2003 en disant: "Lever le voile sur la canicule n'était pas encore de saison !". La canicule finira par être abordée comme une routine. Peut-on avancer qu'en une année un fait, unique en son genre et non constaté auparavant, puisse devenir une habitude ? Ou plutôt sous entend-t-on que c'est la vigilance qui devient désormais une habitude ? Nous avons également remarqué que dans tous les TJ que nous avons visionné, il n'est jamais fait mention du terme de "négligence" ou de "maltraitance". Pourrait-on aller jusqu'à dire que c'est bien là une forme de tabou?

La comparaison des deux éditions de la charte de la FEGEMS ne nous a pas amenés à constater de grands changements ; que cela soit dans le vocabulaire utilisé, les buts fixés ou les engagements. Comme nous l'avons mentionné auparavant, le seul aspect nouveau, dans l'édition adoptée en janvier 2005, est l'ajout d'un réglement d'application qui "régit les modalités d'application de la Charte éthique de la Fegems, à savoir l'organisation de l'autorité compétente pour veiller à l'application de la Charte et examiner les requêtes". C'est le "Conseil éthique", constitué de membres élus par l'assemblée générale de la FEGEMS, qui veillera à la bonne application de la Charte. Ce conseil est déjà présent dans la première édition de la charte, et les buts qui lui sont attribués dans cette première édition sont les mêmes que dans celle datant de 2005. Toutefois, l'apparition d'un "réglement d'application" dans cette dernière apporte une définition plus précise et ciblée de son rôle et de ses droits. Ceci peut être interprêté comme la volonté de disposer d'un organe de contrôle plus performant pour lutter contre les cas de maltraitance.


Changements ou modifications

Même si nous ne pouvons pas parler de changements significatifs qui valideraient notre hypothèses, nous avons trouvé quelques modifications, lors de notre recherche dans des supports différents, qui nous sont apparues pertinentes.

Les associations et les spécialistes qui s'intéressent au sujet de la maltraitance des personnes âgées ne semblent pas avoir changé leur discours. L'unique changement pourrait être que les journaux et les TJ accordent plus d'importance aux moyens de prévention. Il y a une différence dans les démarches à prendre pour combattre la maltraitance. Serait-ce peut-être pour combler certaines lacunes du système romand? (Hebdo 2006). En 1999, on évoquait le souhait de créer une ligne téléphonique pour donner la possibilité aux personnes âgées de se confier. En 2004, le journal 24 Heures mentionne la création d'une telle permanence téléphonique par l'association Alter Ego. En 1999, 24 Heures évoque également l'existence d'une brochure préventive au Canada. En 2005, le Matin Dimanche annonce la publication d'une telle brochure par Alter Ego en Suisse. Ces réalisations seraient-elles dûes aux conséquences de la canicule de l'été 2003?

L'importance accordée à la maltraitance des personnes âgées semble avoir augmenté dans les articles après 2003. Ceci se montre dans le fait que la manière d'aborder la thématique se base beaucoup plus sur les manques des systèmes mis en place. Le 24 Heures de 2004 remarque que le problème de la maltraitance des personnes âgées était "encore largement oublié par les études scientifiques". Le Matin Dimanche de novembre 2005 évoque l'"appel à la mobilisation mondiale pour lutter contre les graves violations des droits des personnes âgées" du Secrétaire général des Nations Unies; un appel qui a été fait en février 2002! Les médias commencent donc à souligner la nécessité d'accorder de l'importance à la problématique de la maltraitance des personnes âgées.

Une grande place semble désormais attribuée à la prévention. Le téléjournal du 9 juin 2004 informe par exemple qu'un colloque sur le thème de la canicule a été organisé, dans un but d'information et de prévention, par le Professeur Rapin à Genève en juin 2004. Dans une autre émission, nous suivons une infirmière qui ne s'était absolument pas inquiétée des effets de la canicule et qui découvrait pour la première fois, à la demande des journalistes, l'augmentation relativement marquée du nombre de décès pour le mois d'août 2003 en comparaison avec les chiffres d'août 2002. C'est bien 10 % d'augmentation que l'on peut constater. On constate donc bel et bien une grande préocupation quant à la prévention des conséquences désastreuses que peut engendrer une canicule. Les mêmes erreurs ne doivent pas se reproduire.

De manière générale nous n'avons pas constaté d'évolution importante dans les termes. Cependant, une évolution marquée peut être relevée au niveau quantitatif. La forte médiatisation qu'a suscité la canicule et les problèmes qu'elle a soulevés sont vraisemblablement à l'origine de cet accroissement des articles traitant du sujet de la maltraitance.

Questionnements et redéfinitions

Que dire de l'évolution des notions?

Si, dans les documents que nous avons analysés, nous ne sommes pas parvenus à retirer d'évolutions marquantes de la terminologie employée, ceci nous a permis d'émettre de nouvelles hypothèses et de nous repositionner par rapport à notre question de départ.

Le point que l'on peut relever en terme d'évolution est sans doute ce passage d'une approche anecdodtique de la maltraitance des personnes âgées dans les années précédant la canicule (quelques cas extrêmes d'EMS particuliers) à l'approche actuelle, plus systématique (formations et conférences organisées sur le thème).

Il nous paraît peut être donc plus judicieux de parler d'une évolution des mentalités plus que de la terminologie, dans le sens où il est devenu possible de parler des notions de maltraitance, de négligence et d'abus. Depuis plusieurs dizaines, d'années quelques professionnels, tels que le Professeur Rapin, oeuvrent pour faire passer les informations nécessaires à la prévention et à la dénonciation de ces actes. Après énormément de patience, un Temps Présent fut tourné sur la question, plusieurs articles paraissent ensuite dans différents journaux "tous publics".

Enfin, avec l'arrivée de la canicule, les médias s'emparent d'un réel fait médiatique et traitent de la question lors de tous les TJ (ou presque) lors (et à l'approche) de l'été. Il est intéressant de revenir sur l'angle d'approche de notre hypothèse de recherche dans le sens où ce lien entre négligence et canicule n'a pas réellement été fait (propos du Professeur Rapin). Un des phénomènes que nous avons vu apparaître lors de la canicule était une sorte de fatalisme quant à la situation: "Il faisait trop chaud, mais tout le monde avait trop chaud. De toutes manières on ne pouvait rien faire de plus que de constater" (Rapin, mercredi 31 mai 2006). Il nous semble que le lien le plus important que nous pouvons faire en termes de négligence est bien un lien avec le déni. En effet, tant le discours des professionnels jugeant que tout allait très bien en Suisse que celui des médias dénonçant ce qui se passait chez nos voisins montre bien un déni du problème qui apparaissait pourtant sous leurs yeux. Ne pas reconnaître qu'il y a un problème est bien le dénier. Le déni est donc une forme de négligence.

Revenons sur la question de la négligence. Puisque ce terme nous est apparu comme une évolution de définition de la maltraitance et que cette hypothèse n'a pu être vérifée dans le cadre de notre recherche, nous avons été amenés à formuler une nouvelle hypothèse: le terme de négligence a peut-être effectivement évolué lui-même dans sa définition. Nous avançons l'idée que la définition de la maltraitance aurait subi un élargissement de définition. Par ce fait, beaucoup plus d'actions ou de "non-actions" entreraient dans ce concept de négligence. Ainsi, on pourrait effectivement constater une augmentation de la négligence. Malheureusement, notre recherche ne nous permet pas de vérifier cette hypothèse. Cependant, si l'on regarde les chiffres donnés par RIFVEL (Réseau Internet Francophone Vieillir En Liberté) en 2002 quant à la répartition des différentes catégories de maltraitance, on note 8 % de cas de négligence. Par ailleurs, en regardant les chiffres avancés par ALMA France en 2003 on constate une augmentation des cas de négligences avec 23,2 %. Si les deux sources ne sont pas les mêmes, il est toutefois possible de les comparer dans le sens où en 2003 la négligence apparaît très clairement comme catégorie principale de la maltraitance, alors qu'en 2002 la négligence est la plus petite catégorie de la maltraitance. Est-ce là une marque de l'évolution de cette catégorie qu'est la négligence ? La question reste ouverte puisque nous ne pouvons que constater ce phénomène.


Les médias: promotteurs d'un problème social

Lors de notre rencontre avec le professeur Rapin, nous avons également échangé sur la question des médias et de leurs effets. M. Rapin relève un évènement marquant et déclencheur: la pénurie de cercueils à Paris en août 2003. Il parle d'un "effet télégénique" que nous avons pu relever dans les téléjournaux datant de la période de la canicule.

Nous pensons qu'il est intéressant de considérer les médias sous deux aspects. Tout d'abord, comme acteurs non intéressés à un problème social sérieux et important: le bien être et la santé des personnes âgées. Pendant de nombreuses années le Professeur Rapin et ses collègues ont tenté de les faire parler de cette question. Il apparaît clair que les médias touchent une énorme partie de la population. Le journal télévisé est suivi par des milliers de téléspectateurs, et les quotidienssont lus par de nombreuse personnes. Lors de la canicule, les médias se sont appropriés un problème de société et l'on dénoncé. Cependant, il est intéressant de rappeler que la "prise de conscience" de la part de tous n'eut lieu qu'en 2004 lorsque les chiffres de la canicule parurent. Mille décès furent recensés durant l'été 2003. Ainsi, si l'on parle de négligence, on peut relever la négligence des divers médias ne faisant pas état de cette "dramatique réalité" (Professeur Rapin) qu'est la maltraitance. En effet, refuser de passer l'information concernant les conseils et les recommandations lorsque l'été arrive est une forme de négligence.

Ensuite, on peut voir les médias comme promoteurs d'un problème social. Les analyser comporte donc un intérêt particulier dans le sens où ils sont révélateurs de l'évolution de la perception d'un problème. Nous pourrions relever de nombreux écrits sur la problématique de la construction d'un problème social par les médias et sur celle des mécanismes mis en oeuvre pour ce faire, mais ce n'est pas là le sujet de notre travail.


Situation actuelle

Si la canicule a participé à la mise en place de certaines structures d'aide, ce n'est pas réellement elle qui les a initiées. Ces structures sont extrêmement importantes, et un suivi des personnes portant plainte est nécessaire. Certains "plans canicule" ont été mis en place, des fonds ont été débloqués pour ces fins-là. Cependant, dans de nombreux établissements, personne n'est venu demander ce financement pourtant disponible! À nouveau, c'est le déni qui prédomine. "Rien ne s'est passé ici", "Comment s'est passé la canicule dans mon établissement? Sans problème!" voilà le genre d'échanges que nous a rapporté le Professeur Rapin auxquels il répond clairement: "Si on ne regarde pas, on ne peut pas voir"! Pour pouvoir relever un problème et lutter contre celui-ci, il faut avant tout le voir, et pour le voir il faut regarder. Il est extrêmement difficile d'accepter et d'avouer la réelle catastrophe qu'est la maltraitance des personnes âgées.

Dans la nouvelle charte de la FEGEMS, un accent est mis sur la formation du personnel. Ce point est essentiel. Et pourtant, quasiment aucune formation n'a lieu dans les différents EMS de Genève sur la question de la maltraitance des personnes âgées. En outre, il est important de relever une réelle différence entre les "résidents" des EMS d'il y a quelques années et ceux d'aujourd'hui. Auparavant, on venait dans les EMS de son plein gré, pour finir tranquillement sa vie entouré. Aujourd'hui, les personnes entrant dans les maisons de retraite arrivent en général de l'hôpital et ont des traitements médicaux à suivre. Ceci nécessite également une formation sur le traitement de la douleur. Là également, la question de la négligence reste pertinente: "laisser avoir mal une personne c'est la négliger, surtout lorsque des médicaments et autres remèdes existent" (Rapin, 2006).

Il est important de mentionner que certains établissements ont fait énormément dans le sens de la prévention et de la formation. D'une manière générale, il y a eu une évolution dans ce domaine. Aujourd'hui, on peut dénoncer le problème de la maltraitance des personnes âgées sans risquer de perdre sa place (comme De Saussure après la publication de son livre (De Saussure, 1999)). Cependant, "il ne faut pas faire peur aux vieux" est une phrase à laquelle le Professeur Rapin se heurte régulièrement.

Conclusion

Retour sur la problématique et sur les questions de recherche

Partis sur une question de définition et d'évolution, nous nous sommes rendu compte d'un manque de matière nécessaire à l'analyse. En effet, sur la base de notre recherche documentaire, nous ne pouvons pas tirer de conclusions exhaustives pour les raisons que nous avons mentionnées plus haut; à savoir le manque de temps et peut-être le manque de pertinence du matériel étudié.

Tout d'abord, le premier élément que nous avons pu reclarifier est bien cette définition de la négligence, comme un synonyme d'abus et comme une des formes existantes de la maltraitance. Si elle a toujours été présente dans notre société, celle-ci ne prenait pas réellement en compte le problème des personnes âgées.

Si une évolution explicite n'apparaît pas dans les termes employés dans les chartes, dans les articles de journaux et dans les téléjournaux, notre hypothèse s'avère toutefois en grande partie vérifiée.

En effet l'évolution que nous supposions apparaît, mais autrement que dans les termes, et c'est là que la recherche s'avère intéressante. La canicule de 2003 a été effectivement le moyen de parler davantage d'un réel problème social. Ce phénomène a permis de briser petit à petit le silence autour d'une "problématique sociétale", comme le mentionne le Professeur Rapin. En effet, en Suisse, le problème de la maltraitance des personnes âgées a été conçu comme problème social après les statistiques des décès ayant eu lieu pendant l'été 2003. Comme nous l'avons développé dans notre analyse, on a toujours nié le problème de la maltraitance des personnes âgées.

D'après le Professeur Rapin peu de personnes font un lien entre la canicule et la maltraitance des personnes âgées. Pourtant, il y a bien là de quoi dire. Comment expliquer ce discours tellement "propret" pendant la canicule puis, dès l'annonce des chiffres (en 2004), un étonnement général de les voir tellement élevés? La canicule apparaît dès lors clairement comme un élément important dans cette construction d'un problème social. Après cette courte recherche, nous serions tentés de dire que c'est par la canicule qu'un problème social s'est construit. Par la promotion et la répétition incessantes des problèmes liés à la canicule, au fil des mois, un problème a commencé à être accepté par la population. Nous voyons bien là son rôle publicitaire: certains acteurs tentent déjà depuis plusieurs années de parler de ce problème mais en vain; ensuite, par un "coup de publicité", leur discours commence à être entendu, perçu, voire pris en compte.

Un problème que nous voyons se dessiner est l'excès de cette médiatisation. En effet, le risque de tomber dans la banalisation de la question des grandes chaleurs est à prendre en compte. Chaque année, à l'approche de l'été, on nous rappelle qu'il faut s'hydrater lors des grandes chaleurs. À force de répétitions, on peut imaginer que l'effet de ce type d'annonce diminue.

De même, lorsque l'on parle d'excès, tout acte peut devenir négligent. Par exemple, ne pas donner à boire à une personne âgée est une forme de négligence/maltraitance, mais la forcer à boire l'est également car ceci va à l'encontre de sa propre volonté. Il serait important, à notre avis, de faire des nuances entre les différentes formes de maltraitance et de négligence (ce qui a commencé à être fait dans les associations telles que ALMA France ou Alter Ego) et d'être clair avec les intervenants par rapport à leurs devoirs et obligations professionnelles.

Il ne faut oublier qu'ils doivent prendre soin de ces personnes, qu'un code de déontologie existe, et qu'une grande question doit encore être abordée et clarifiée: Qu'est-ce qui doit primer lorsque ces deux points s'opposent, le choix et la volonté de la personne âgée ou le devoir professionnel face à une personne qui met sa vie en danger?

Les questions liées à la négligence et à ses différentes formes pourraient être abordées à travers une discussion et un travail sur l'éthique professionnelle.

De plus, la formation des professionnels occupe une part importante de la lutte contre la maltraitance et, malheureusement, il reste encore énormément à faire dans ce domaine.

Enfin, nous arrivons à une nouvelle hypothèse selon laquelle la négligence ne serait pas une évolution du terme de maltraitance mais plutôt la conséquence de l'augmentation du nombre de fois où l'on aborde la question de la maltraitance. L'impact de la canicule aurait été une médiatisation soutenue de ce fait, et par là une ébauche de prise de conscience de la part de la population. Cependant, un second niveau d'évolution de définition pourrait être dû au fait de cette reprise incessante de ce thème. À force de parler de la situation souvent dramatique des personnes âgées nous serions sans doute plus attentifs aux faits et gestes qui pourraient s'inscrire dans la maltraitance. Ainsi, on pourrait expliquer l'augmentation trouvée dans les chiffres donnés par RIVFEL et par ALMA France par un simple élargissement de la définition même de la négligence. À partir du moment où les comportements entrant sous "négligence" sont plus larges, par conséquent on constate une augmentation de la négligence.

Nous émettons également l'hypothèse, que le Pr. Rapin partage, que "l'effet canicule" aurait également permis aux victimes de pouvoir parler, de dénoncer des actes maltraitants à leur égard. Les numéros de téléphone des associations telles que Alter Ego en Suisse et ALMA en France furent diffusés à plusieurs reprises. Ainsi, on pourrait expliquer cette augmentation de maltraitance par une augmentation de cas "annoncés". Rappelons qu'il est extrêmement difficile pour une victime de porter plainte et d'entrer dans ce type de démarche, encore plus pour la population à laquelle nous nous sommes intéressés.

Remerciements

Nous remercions le Professeur Charles-Henri Rapin pour son aide précieuse.

Nous remercions également la Professeure Martine Ruchat de nous avoir permis de vivre l'expérience d'intelligence collective et par là-même de découvrir les difficultés méthodologiques auxquelles les chercheurs sont souvent confrontés.

Bibliographie

Livres


Sites Internet

  • www.alter-ego.ch


Articles

  • Avant la canicule

24 Heures (06.10.1999). MALTRAITANCE : LES PERSONNES ÂGÉES SE REBIFFENT: Dépasser les clichés pour mieux combattre la violence.

Le Matin (8.6.2000). EMS: un bilan alarmant - une étude entreprise à Genève montre que les conditions de vie se dégradent rapidement pour les résidents. La faute, d'abord, au manque de personnel.

24 Heures (27.2.2002). MAISONS DE RETRAITE : GROSSE COLÈRE DU SSP ET DES USAGERS: «La maltraitance continue dans les EMS»

Tribune de Genève (8.4.2003). La maltraitance envers les aînés existe. Reste à en parler.

  • Après la canicule

Tribune de Genève (21.2.2004). Les aînés maltraités préoccupent Genève.

24 Heures (2.12.2004). La maltraitance des seniors en question.

Le Matin Dimanche (6.11.2005). Humiliations, injures, coups...le 3e âge relève parfois du calvaire.

Tribune de Genève (1.12.2005). Personnes âgées maltraitées: un tabou à briser.

L'Hebdo (20.04.2006). Maltraitance des personnes âgées: les lacunes romandes


Téléjournaux

Mardi 12 août 2003, 19h30

Jeudi 14 août 2003, TJ nuit (22h)

Mardi 26 août 2003, TJ nuit (22h)

Mercredi 09 juin 2004, 19h30


Chartes

Charte de la Fédération genevoise des établissements médicaux-sociaux (FEGEMS): Editions 1998 et 2005.


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