Retranscription Alain Dupont

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Entretien avec Alain Dupont, le 9 décembre 2013. Durée 1h 15.

AD est Alain Dupont, Léa est l'étudiante interviewant.

Léa: Donc cette année dans le cours de Madame Ruchat, (...) on travaille plus précisément sous l'angle des droits de la personne à partir des années 1960 jusqu'aux années 1990. Cette année on est nombreux dans le cours, on travaille sur différents thèmes, droits des prisonniers, droits des patients, tous les droits des personnes en situation d'exclusion ... Et ma partie est plus particulièrement le droit des personnes en situation de handicap, et donc vous étiez bien à même de... (coupé car téléphone)

La question était de savoir comment vous vous étiez engagé dans ce combat en faveur du droit des personnes en situation de handicap, quel était le contexte dans lequel il s'insérait à l'époque...

AD : dans ma première formation, je vais sûrement reprendre des choses que vous avez lues mais c'est pas grave, comme éducateur de groupe on appelait ça à l'époque, on travaillait en institution, dans la formation, il y avait la dernière année, un choix à faire entre délinquance et handicap, je vais le dire sous cette forme là. Parce qu'on parlait de handicapés, on ne parlait pas du tout de personne. Ce qui me semble important, c'est que pendant une année, je m'étais donc, vous mettez ça vraiment entre guillemets, "spécialisé" dans le champ du handicap, donc j'ai débuté, on était à ce moment là au début des années 70, dans le champ du handicap, à se poser des questions sur ce qu'il est possible de faire avec ces personnes-là, puisque le monde de l'éducation, ça n'était pas du tout sa préoccupation à ce moment-là. Là je parle pour la Suisse, mais c'est pour bien des pays sous cette forme-là. Et puis en voyant ce qui se passait, donc moi, je me suis mis à travailler dans ce domaine-là, et travailler dans ce domaine-là, c'était, je crois qu'on peut le dire, c'était assez l'enfer. L'enfer parce que toutes ces personnes étaient privées totalement de droits. Je crois qu'il faut être clair : on les logeait, on les nourrissait et dans des lieux de soins plus particulièrement. Ou en institutions qui avaient été mises en place par des religieux, que ce soit catholique ou autre mais avec du personnel non formé. Mais on ne va pas jeter la pierre à toutes ses personnes, elles se sont au moins préoccupées de ces gens et des familles qui avaient un souci assez grand par rapport à leurs enfants, d'abord en ne sachant pas comment s'y prendre et ne plus avec un message qui était donné souvent par le monde médical, puisque c'est eux qui posaient le diagnostic à l'époque, qui était de dire, "mais vous ne pourrez pas assumer, donc il faut les placer", donc on les plaçait en institution. Prenez comme exemple Eben Ezer, à Lausanne ça vous dit quelque chose?

Léa: non, ça ne me dit rien...

AD : Eben Ezer, c'est une très vieille institution. Aujourd'hui, ça s'est agrandi, ça s'est ouvert aux enfants... Ça existe toujours, la prairie, la maison Julie Hoffman, la cité des Genevriers,...

Léa: Ah oui...

AD: Et ben c'est Eben Ezer. Mais c'est Julien Hoffman, qui avait mis ça en place. Du reste, J'avais fait un stage ici, c'est comme ça que j'avais découvert le monde du handicap. Parce que même à l'école, quand on parlait du handicap, on parlait de monstres, de gens incurables les "non éducables" pour y remettre les mots. Pour moi, d'entrée de jeu, ça a été une préoccupation de me dire "avec ses personnes, qu'est ce qui est possible d'être réalisé", pas sûr qu'on parlait de droit de la personne au départ...

Léa: oui c'est ça, mais qu'est ce qui fait que vous, parce que parmi tous ces gens, on peut se dire que vous auriez pu rester dans ce courant où c'était comme ça, qu'est ce qui a fait que vous vous soyez dit que ce n'était pas normal et qu'on pourrait peut-être faire autre chose?

AD: comment je peux dire ça. Moi, à la base, je suis pour la liberté, dans le sens ou je ne supporte pas l'enfermement. E je pense que, toutes ses personnes, on était forme à aller en institution. Moi j'ai duré 18 mois en institution, pas plus. Je suis parti pour mettre en place d'autres choses, parce que ça me semblait totalement inadéquat par rapport à ce qu'il était possible d'être fait. C'est ça ma motivation, et puis je trouvais ça assez injuste ... On offrait vraiment le gîte et le couvert et puis un toit... Je dis pas, les personnes étaient nourries logées, elles m'étaient pas forcément à plaindre à ce niveau la mais on parlait, ni activités, on me parlait pas de sortir... Tout ça c'était... Il vous suffit de reprendre des choses qui ont paru mais... Ne vous faites pas de soucis ça existe encore aujourd’hui... Il y a des choses qui se sont modifiées mais on ne va pas dire qu'on est dans l'idéal aujourd'hui : ce n'est pas vrai. À mon avis. Et puis, voyant ceci, ayant un petit côté, un peu délinquant, dans le sens de transgresser les choses, j'ai commencé à mettre en place des choses pour permettre à ses personnes de vivre autre chose. Tout ça en lien avec Einsering, qui est malheureusement décédé et qui était un ami, et qui est venu me demander si je ne voulais pas travailler avec lui, parce qu'il avait mis en place ici à Genève un centre universitaire de soin et de diagnostic pour les personnes déficientes. Et puis on a commencé un travail individuel avec des handicapés. Moi c’est ce que j’ai commencé à faire : on a mis en place un service de socio thérapie, pour pouvoir commencer à mettre en place des choses différentes avec ces personnes. Tout ça c’était fait de façon totalement empirique, parce qu’il n’y avait aucun modèle de référence…

Léa : oui, tout ça c’était le début…

AD : que faire et puis… oui il y avait des choses, entre autres André Rey, vous avez peut-être lu des choses de lui, il était à l’université… Mais il faut savoir qu’il y avait Piaget en même temps et on s’est plus préoccupé de Piaget que du monde de la déficience. Ça c’est comme ça… (… ) mais André Rey c’était un homme assez extraordinaire, qui a mis en place des outils pour le développement de ces personnes. C’était déjà assez extraordinaire à cette époque… On ne parlait toujours pas de personne hein !

Léa : oui c’est ça…

AD : ça vient quand même bien plus tard. Si on regarde la charte des droits des handicapés, c’est 75 si mes souvenirs sont bons… non ? ou 1979 ?

Léa : la charte de l’ONU, ou la convention ?

AD : non non la charte, la toute première…

Léa : oui entre 1975 et 1980… je sais qu’après il y a une une convention mais ça c’est bien plus tard même, en 2006… qui n’a même pas encore été ratifiée…

AD: non non du tout ! C’est pour ça que je dis, quand on regarde ça, elle vient de la charte des droits de l’homme hein, il suffirait de rajouter le mot personne, d’appliquer ça et puis on ferait des miracles. Moi si vous voulez quand ces choses apparaissent, moi je suis en plein dans le fait de travailler ça… la notion de justice donc de droit, d’égalité donc de droit… mais on ne le dit pas comme ça à l’époque quand même, il faut être bien clair, il y a ceux qui savent et puis il y a les handicapés.

Léa : oui oui moi j’ai senti dans le travail qu’on fait, notre recherche commune, que c’est le parent pauvre le handicap…

AD : c’est le parent pauvre !

Léa : Les autres, même les prisonniers …

AD : Ah mais si vous prenez les prisons, les personnes requérantes d’asile ou autre, on en entend beaucoup plus parler que du handicap… On s’autorise… Regardez la semaine passée dans les journaux, un père en Chine qui promène son enfant au bout d’une chaîne, et dans le village, ça n’a pas l’air d’émouvoir beaucoup de monde… Donc c’est quelque chose ou tout le travail est à faire… (il va chercher l’article, me le montre) Et ce n’est pas parce que c’est la chine, ça se passe ici chez nous. Pas sous cette forme là, parce que si quelqu’un faisait ça ici dans la rue, il passerait un mauvais quart d’heure mais si on va dans les institutions, dès le moment où on regroupe, on met à la campagne et on offre des activités infantilisantes, c’est identique à ça, pour moi…

Léa : bien sûr…

AD : parce qu’il n’y a pas de justice, il n’y a pas d’égalité et on ne les traite pas comme des personnes…

Léa : c’est ça…

AD : Ça c’est un point important à relever, la charte des personnes handicapées, ça a été un point marquant à un moment donné. Il y a eu, si vous vous souvenez en 1981, l’année de la personne handicapée…

Léa : c’est l’année de ma naissance mais je vous avoue que je ne m’en souviens pas, c’est malheureux, c’est un peu loin pour moi…

AD : bon

Léa : mais je ne suis pas tombée dessus pendant mes recherches et ça j’aurais pu par contre…

AD : mais je vous le dis parce que cette année là, j’étais formateur à l’institut social à l’époque, donc j’ai un peu plus d’âge que vous, même si j’étais très très jeune à l’époque… simplement moi j’avais relevé, j’avais payé pour recevoir tous les articles des quotidiens et des hebdomadaires de suisse qui parlaient du handicap. Ça représentait 12 ou 15 classeurs A4 d’articles… Cette année là, tout le monde en a parlé. Mais voilà, on en a parlé… A quel moment on passe à l’action ? Pour moi, le droit de la personne handicapée… c’est bien joli de faire une charte. Genève a été le dernier canton avec la loi sur l’intégration, et elle est récente hein ! et elle ne dit même pas intégration sociale… on m’avait demandé mon avis à l’époque, donc j’avais fait des modifications, mais on m’a répondu : « ah non non ça va beaucoup trop loin, ce que l’on veut c’est intégrer les personnes aux institutions ». Merci ! Et puis après ? Mais c’est bien la réalité là aujourd’hui… On a eu les élections récemment, Madame Torracinta a une fille handicapée, vous savez où elle se trouve ? C’est dans tous les journaux… c’est pour ça que je me permets de le dire

Léa : je devrais le savoir alors… elle est dans une institution ?

AD : elle est à Aigues Vertes, donc ne me dites pas qu’on va aller beaucoup plus loin… (…) Si vous allez à Regio Emilia en Italie, il n’y a pas d’institution pour les enfants, ils vont tous à l’école! Donc ils font un parcours ordinaire, mais ça veut dire qu’on se donne les moyens… Une institutrice qui a 20 gamins, 25, à qui on rajoute une personne comme ça, sans aide, vous oubliez… Mais, respecter les droits des personnes… Faudrait que j’aille vous chercher ça… (se lève pour aller chercher la charte des personnes handicapées : la retrouve très vite) Me le lit : c’est le handicapé doit jouir de tous les droits, le handicapé… c’est en 1975 hein ?

Léa : en 1975…

AD : Simplement, si on reprend ça : désigne d’autres personnes, doit jouir de tous les droits énoncés, a essentiellement droit au respect de sa dignité. Le handicapé a les mêmes droits civils et politiques…le handicapé a droit aux mesures lui permettant d’acquérir la plus large autonomie possible (c’est AD qui souligne) Simplement ça… médical, psychologique, … éducation formation, aides conseils, etc… et puis : A droit que ses besoins particuliers soient pris en considération… Tout est dit là dedans, voyez…

Léa : oui et c’était il y a 40 ans, 38 ans

AD : oui, vous m’avez compris… Ça c’était une de mes bases. Ce qui n’a pas pris en Suisse, mais il y a eu un mouvement aussi « les personnes d’abord » qui est parti du Canada, ça vous dit quelque chose ?

Léa : oui

AD : et je crois que ça a fait beaucoup d’effet parce que le Canada a été très loin dans ce domaine là… parce qu’il a été jusqu’à la fermeture d’institutions, puisque moi j’ai participé comme consultat à la fermeture d’institutions, de grandes institutions… avec des projets personnalisés, individualisés… Un téléphone que j’attends, c’est justement un avocat qui me demande si je pourrai recevoir une personne, c’est fréquent on n’arrête pas d’en recevoir ici, dont on ne veut pas recevoir l’enfant à l’école. Parce que derrière personne ne se bat ! Aujourd'hui, je vais être très sévère, mais le monde éducatif vit dans le confort, vous comprenez, et ce n’est pas sa préoccupation les personnes. Eux à 18h ils ont fini… c’est une image vous comprenez. Vous faites 8h par jour, et après ?

Léa : oui bien sûr…

AD : avec des salaires mirobolants. Vous allez voir ailleurs, on est loin de tout ça… Mercredi, on enterre Nelson Mandela. En terme de droit, on s’éloigne du monde du handicap mais c’est pour montrer que c’est un long chemin et qu’il n’est pas encore terminé, je ne sais pas s’il sera terminé un jour… (Mandela) il prévoyait de remettre 30 % des terres aux personnes noires… mais on n’est bien loin de tout ça… Et si vous regardez – je prends juste ça comme image parce que c’est pour faire un lien- il ne suffit pas de leur donner les terres, il faut aussi leur apprendre à les cultiver

Léa : leur réapprendre…

Ad : oui. Oui oui parce qu’elles leur appartenaient… mais avec les générations ils ont perdu la compétence… C’est un peu la même chose… D’abord un, parce que je crois que le monde éducatif vit avec les modes. Moi quand j’ai fait ma formation, les personnes toxicomanes n’existaient pas et on travaillait avec les enfants et les adolescents, on ne travaillait pas avec les personnes adultes, on ne travaillait pas avec les personnes âgées. Aujourd'hui il y a 750 personnes formées à l’HETS, d’ailleurs je ne sais pas où ils vont les placer mais… Vous voyez les mécanismes…

Léa : bien sûr…

AD : alors ça c’est magnifique, l’année 1981 c’est magnifique, il est tenté toute sorte de choses… je prends un exemple : il y a 10 ans, dans le Valais, la Coop avait mis en place un atelier intégré… bravo. J’avais rencontré les personnes déficientes, très bien, elles mettent les marchandises en rayon, c’est très bien fait… et c’est une institution qui est derrière, c’est pas la Coop, qui a un maître socio-professionnel qui travaille à la Coop ! Mais eux prennent leur repas en dehors du personnel vous comprenez ?

Léa : ils vont manger dans une institution ?

AD : non ils mangent à la Coop mais qu’est ce qui est réellement mis en place pour que leurs droits, leur dignité, leurs droits de citoyen soient mis en place ? Et à partir de là, c’était génial, et à Genève, tout d’un coup ils ont découvert cette expérience qui existe depuis plus de 10 ans et ils viennent de l’ouvrir… Mais on continue à les maintenir à l’AI.. Alors que ceux que je connais en Valais, peuvent toucher un salaire comme n’importe quelle personne… On peut se poser la question comment on respecte les droits de ces personnes… comme citoyen, comme travailleur… Même tous les syndicats, personne ne va se préoccuper… Si aux EPI les 300 se syndiquaient… moi je leur dirais de tous se syndiquer ! Mais ce n'est pas leur préoccupations… Alors qu’il y a dans ce milieu des gens extraordinaires, compétents, qui peuvent offrir des choses… (…) Alors c’est ça (la charte) le point de départ pour moi… Allez voir aussi la charte du Québec, qui est allée encore un petit bout plus loin, parce que c’est des gens plus pragmatiques, ce qui ne veut pas dire qu’ils font toujours plus… je me suis beaucoup appuyé sur eux…

Il y a eu un moment donné Teresa Barreau (orthographe à vérifier), qui était ministre, une femme extraordinaire, qui a concrétisé la désinstitutionalisation… il faut aller voir aujourd’hui vous comprenez, il ne suffit pas de mettre les choses en place, il faut voir comment ça va se passer dans la continuité…

Léa : oui, bien sûr…

AD : et sur la durée…parce que pour ces personnes, se battre… si personne ne défend leurs intérêts…

Léa : ils ne le font pas pour eux-mêmes…

AD : ils ne peuvent pas ! Ils n’en ont pas les moyens… Vous allez à Clair-bois là à côté, c’est honteux ! Ils ont un restaurant… le plat du jour est meilleur marché, ils sont cachés, il faut savoir qu’il y a quelque chose là… je veux dire, vous allez manger dans une institution vous ?

Léa : je ne savais même pas qu’on avait le droit, j’ai découvert ça l’année dernière…

AD : ben voilà. On parle d’intégration, de valorisations des rôles sociaux… Ça vous mettez très loin derrière… Là ils ont ouverts « regards croisés », on peut manger des pâtes le midi. Mais ils sont ouverts mardi mercredi jeudi vendredi… 4 jours sur 7… Moi j’y suis allé trois fois, j’étais le seul à manger… Vous êtes subventionnés à 100 , peu importe que vous jetiez la marchandise ou pas…

- (Coupure pour téléphone) Léa : vous avez l’impression qu’on crée des faux droits… quelque chose de superficiel… On fait semblant

AD : et puis pas de supplément… et je me trouvais tout seul. (Digression repas …) conclusion : je n’y vais plus, j’ai tout testé ce que je voulais… Tout ça pour dire que ce n’est pas la vraie vie ! et les droits des personnes handicapées ne pourront être respectés que s’ils sont placés dans la vraie vie. Ils ont besoin de soins, moi ça me va… Mais d’abord moi je les regrouperais pas tous au même endroit. Avec les mêmes sommes, on pourrait acheter des appartements dans des lieux différents. Mais ça veut aussi dire, qu’à partir de là, je forme le personnel et je me porte garant qu’il donne réellement la possibilité aux personnes d’exercer leurs droits. Je pense à une personne, Melissa. Elle nait avec une paralysie cérébrale, elle n’a que es pupilles des yeux qui fonctionnent, c’est tout. Elle a un frère, qui nait avec une paralysie cérébrale – la famille est vraiment gâtée- lui est placé en institution, ça devient un débile profond, comme adulte. Sa sœur va chez Francine, un éducatrice absolument remarquable, qui l’accompagne, au quotidien… Melissa elle est allée au jardin d’enfants… le mari de Francine travaillait à la Nasa donc il lui avait fabriqué des choses… Et elle était dans la vraie vie, à 18 ans elle allait en boîte ! Ok elle était là, avec son fauteuil… Elle ne parle pas, mais elle a des rales et autres et on voit quand elle est joyeuse… (…) Quand elle a pu écrire avec l’informatique, elle a écrit à sa mère, et puis au personnel : des petites choses : « vous m’avez acheté une télé, c’est très gentil, mais elle est tellement petite que je ne vois rien… » ou « je suis une femme, je suis amoureuse, vous pourriez faire en sorte que ça ne soit pas des hommes qui me fassent les soins, la toilette ou autres ? ». Vous prenez une claque quand vous entendez ça… Vous si vous allez à l’hôpital, vous y allez pour une semaine, un mois, après c’est fini… Eux c’est à vie… Est-ce qu’on peut avoir ça comme guide dans sa tête? Et puis se le répéter quotidiennement… Ça vaut la peine de continuer à réfléchir à ça, en tous ça moi c’est toujours ma tasse de thé… avec toujours plus de passion… Pour vous dire, qu’il ne va pas suffire que (la convention) soit ratifiée, et après ? Comment est ce qu’on va l’actualiser ? oui il faut que ça passe au niveau d’un pays, de l’Europe, des Etats, des grands pays de l’Asie et autres… mais comment on va faire passer ça au niveau de la personne et au quotidien, au quotidien… Là Madame Torracinta… Moi je m’occuperai des 12000 personnes qui sont à l’AI et ça me ferait 12000 voix… (rires) Mais ils n’y pensent même pas ! Ils n’exercent pas leur droit civique, rein du tout. On doit se préoccuper de ce qu’est la vie d’un citoyen ordinaire… Le droit aux loisirs…

Léa : oui j’ai eu l’impression que ça commençait beaucoup par là, dans les années 60

AD : oui parce que moi j’ai commencé comme ça, parce que c’était un bon moyen de découvrir, de partager un moment autre avec les personnes… de leur faire découvrir… Mais ça prend des déviations terrifiantes ! Quand vous voyez des associations comme Insieme ou Cap Loisirs, et que tous les étés vous allez à Genolier, depuis l’enfance jusqu’à 65 ans, au bord des voies de chemin de fer. C’est l’horreur, rien que de dire ceci… je ne sais pas si je suis clair…

Léa : Ah si si tout à fait

AD : On n’est pas en réponse aux besoins ! Vous vous faites l’UNI là maintenant, vous avez surement fait 20000 choses avant, vous faites l’UNI. J’espère que c’est un choix, que vous avez pris une décision. J’espère qu’on ne vous a pas imposé ça, vous vous organisez, puis là momentanément ça vous prend plus de temps, vous laissez vos amis, vous réduisez d’autres choses, mais ces choses n’ont pas disparu, elles continuent d’exister… Et si vous ne vivez pas en institution, vous pouvez encore choisir ce que vous voulez manger… Je veux dire rien que ça… Vous connaissez le menu pour toute la semaine…. Si vous n’aimez pas quelque chose, moi j’ai connu des institutions ou, ben tant pis, vous ne mangez pas, c’est aussi simple que ça… Vous, vous pouvez aller faire vos courses, vous pouvez vous déplacer…

Je vais prendre l’exemple de l’adaptation des lieux pour les personnes à mobilité réduite… Il y a eu des gros progrès, on parlait de 1981… Heureusement que vous avez appris à marcher parce que…

Léa : oui, j’ai vu rien qu’avec des poussettes, à Paris, on se dit « c’est quoi cette ville, une personne en chaise elle fait comment ? »

AD : oui ben c’est la même chose… Il n’y avait rien à l’époque… et c’est plus simple de faire ça, que de penser l’accompagnement…

Léa : Et vous avez eu l’impression quand même que c’était un mouvement général dans lequel s’inscrivaient ces droits pour les personnes, mais si c’était un peu le parent pauvre, que ça allait avec le droit des femmes, les droits des enfants…

AD : oui oui c’était un mouvement général. Heureusement. Mais le droit des femmes, on en parle encore.

Léa (rire) Ah oui ça c’est sûr, en tant que jeune maman, dans le couple

AD : en tant que femme

Léa : on voit qu’il y a encore du travail…

AD : mais vous comprenez, vous vous pouvez prendre la parole…

Léa : oui c’est sûr

Téléphone- coupure

Léa : On disait que les femmes, nous on peut s’exprimer

AD : oui c’est pour ça que je parlais des syndicats, ce n’est pas les syndicats, c’est l’accompagnement. Nous les professionnels, moi je pense qu’on est payé pour défendre les droits, défendre les intérêts, défendre les besoins de ces personnes. Ça revient aux professionnels. Eux les professionnels ils sont là devant, ils avancent, ils s’occupent de leurs droits, de leurs convention. Accompagner c’est marcher l’un à côté de l’autre pour soutenir… Je pense que tout ce mouvement, même le droit des femmes, c’est parti bien avant, bien avant… Simplement vous les femmes, vous pouvez le dire, vous pouvez descendre dans la rue

Léa : à partir du moment où on a gagné ce droit oui…

AD : oui mais même pour l’obtenir, regardez ce qui se passe dans d’autres pays… Même sans légiférer (Digression sur le fait d’être mère…) Vous ne changez pas une mentalité comme ça…

Léa : oui c’est ça qui est intéressant dans ce travail

AD : moi j’ai appris, tu gagnes ta vie pour ta famille, Punktschluss, et démerde toi avec ça ! Je reviens aux personnes handicapées : on m’a appris que c’était des monstres. Moi j’étais entouré de Tintin : la Castafiore et le racisme. C’est des choses qu’on nous a appris. Moi en colonie de vacances, il y a des missionnaires qui sont venus d’Afrique pour nous apprendre que là bas, il y avait des sous-hommes. Vous avez ça au fond de vous. Et moi je refuse qu’on me traite de raciste parce que chaque fois, vous avez l’obligation de faire marcher la machine pour dépasser ça, parce qu’autrement c’est le premier réflexe… (Digression sur un repas dans un restaurant du quartier, où les discussions sont « au ras des Pâquerettes »)… Et il n’y a pas de personnes handicapées, alors qu’il y a 5 institutions tout autour… La responsabilité elle est toujours du côté des professionnels… pour faire respecter ça. Je ne jette pas la pierre à la population, ils ne savent même pas qu’ils sont là à côté…

Léa : Donc pour vous la lutte elle se situerait sur l’éducation des professionnels, de leurs pratiques, pour pouvoir vraiment avancer…

AD : oui, pour une grande part… Oui il faut des lois, des chartes, pour pouvoir… Mais après faut-il encore les appliquer ! Ils la connaissant là à côté (la charte), il faudrait l’afficher et qu’elle soit en grand sur les murs pour que ça les frappe… les yeux, le regard Parce qu’autrement vous ne modifierez pas le regard…, on dira « oh ses pauvres », alors surtout en Suisse… En tant que consultants, j’ai vu de la maltraitance, de la part de professionnels, formés…

Léa : on en parle à l’université, régulièrement…

AD : je vous montre des petites vidéos que j’ai tourné, là vous êtes mal pendant quelques jours… Et là je rentre, parce qu’on m’a demandé une expertise par rapport à des personnes déficientes adultes, mais si vous savez la maltraitance qu’ils sont entrain de vivre, une violence qu’on leur fait, vous ne pouvez pas imaginer ! et coupés du monde, ce qui fait que personne ne sait … et c’est dans des pays civilisés, l’Europe c’est civilisé il me semble… et on voudrait apprendre aux Slaves à l’Ukraine à je ne sais pas qui à bien se comporter. Faudrait peut-être déjà balayer devant notre porte… par rapport à ce monde là hein… C’est pour ça qu’on peut regarder ça (photo de la Chine), simplement ça prend d’autres formes ici, avec beaucoup d’argent, vous comprenez… Alors oui tout ce mouvement là il est en route, les choses bougeront : 1981 et puis après, tout le Québec qui a mis en place des choses : en terme d’idées, de concrétisation, ils sont bien en avance… Même si on trouve toujours des extrêmes partout mais euh… ici quand il y a eu la valorisation des rôles sociaux, je peux en parler c’est moi qui ai amené ça ici, c’est pas Monsieur Vaney, le petit livre il ne l’a jamais distribué, je veux dire euh… j’ai amené ça à l’institut social. Si vous prenez ce qu’a fait Wolfensberger, on est dans les années 1969, il se pose ses questions là par rapport aux institutions, et il met en place un outil,… Et ensuite arrive, il avait écrit un livre. C’est les pays scandinaves d’où c’est parti tout ça, et ils continuent, moi je pense qu’il faut aller voir.

Léa : ils sont bien en avance, c’est sûr

AD : Regardez les prisons : vous avez vu, dans les pays scandinaves ils ferment les prisons ! Nous on les agrandit. Comme ministre je me poserais des questions quand même. Là bas, vous êtes prisonniers, vous avez une famille, on vous met à disposition un beau logement ! Enfin bon, vous n’avez pas à partager une cellule avec 4 ou 5 voyez. Vous pouvez recevoir, pas tous les jours, mais vous pouvez recevoir vos enfants ! Là en terme de dignité… Alors oui vous êtes sanctionné pour les erreurs que vous avez faites, moi ça me va, je trouve ça correct. Mais à partir de là, vous restez une personne. Et dans le domaine du handicap, c’est la même chose. ON les sanctionne, ces personnes-là. Essayez de passer votre vie avec des professionnels, qui changent tout le temps…

Léa : oui on en parlait…

AD : Et on vous demande, d’abord ils sont merveilleux parce qu’ils ont une capacité d’adaptation que Monsieur et Madame tout le monde n’a pas… D’abord un, je ne suis pas sûr qu’il faille ça (la charte) : les droits de l’homme suffisent.

Léa : ben oui, bien sûr, c’est évident

AD : Parque qu’on oublie que toutes ces personnes, qui sont une minorité 2,5 à 3 pour cent de la population… c’est très peu. Regardez le téléthon, pourquoi il y a besoin de faire un téléthon ? Il faudrait complètement inverser le processus. C’est bien mais moi si j’étais l’Etat je dirai : bravo pour la solidarité mais je dirais : on a récolté 2.3 million, nous on met la même somme, vous comprenez, pour sensibiliser. Je prends ça comme exemple mais c’est les droits de la personne. Là c’est aussi c’est une forme de ségrégation. Mais il faut passer par là. Moi je rajouterais là dedans (la charte) que ces personnes sont une ressource. Ces gens ont les montre, on fait pour eux, mais pourtant ils sont responsables de leur vie ces gens. Il faut que je modifie mon regard, que j’apprenne à les regarder différemment et si je les regarde comme ça, je verrai les 80 pour cent de positif. Si je ne vois que les corps tout tordus, je vais voir ça. On peut apprendre, depuis l’école enfantine, à vivre avec, ce que fait l’Italie entre autres, et à partager des moments communs et à regarder « qu’est ce que cette personne m’a appris aujourd’hui ». Si vous arrivez à voir en chacun que chacun peut vous apprendre quelque chose, vous êtes une femme heureuse.

Léa : c’est vrai…

AD : regardez, vous avez des enfants. C’est un sacré miroir, si on sait les écouter, ils nous apprennent, c’est à travers eux qu’on grandit. On continue de grandir. C’est ça le cycle de la vie. Si on les met dans la vie, ils vont nous apprendre des choses. Si dans le bistrot de quartier, des personnes viennent manger tous les jours. Parce qu’il y en a qui sont en situation de handicap, parce qu’ils sont alcoolisés…

Léa : oui et ceux là n’ont pas forcément l’accompagnement qui dit à leur place…

AD : Exactement. Quand je viens le midi, ils sont là, à midi ils sont déjà dans un état… (…) On ne se préoccupe pas de ça. Je pense que c’est une histoire de cohésion sociale. Et nous à Genève on a une chance inouïe, parce qu’il y a près de 50 pour cent d’étrangers.

Léa : c’est une richesse culturelle

AD : c’est fabuleux, vous imaginez le nombre de nationalités

Léa : plus de 200 il me semble

Ad : Peut être oui, je sais que a Onex dans une école, il y avait 84 nationalités différentes ! Vous imaginez ce que ça représente, 84… On pourrait se dire que c’est du même ordre, c’est ça que je veux dire

Léa : Oui on fait des liens entre…

AD : Mais faut il encore que les, comment dire, les enseignants ne sont pas formés à accueillir

Léa : enfin on commence … je pense…

AD : oui ça fait longtemps que l’on a commencé, mais enfin on continue à former des enseignants spécialisés, mais pour faire des classes spécialisées, etc… Ici, les médecins ne sont pas formés au monde du handicap, à l’intégration, pas du tout.

Léa : bon, là moi où je travaille, je suis dans un CMP où on fait de l’appui à l’intégration dans l’ordinaire… j’y vais très ponctuellement…

Ad : oui mais le jardin d’enfants du SMP, CMP on dit aujourd’hui

Léa : CMP oui

AD : ça fait combien de temps qu’il existe ?

Léa : oh je ne sais pas s’il n’a pas 20 ans ce centre ?

AD : beaucoup plus, vous comprenez. Et ça reste un lieu médical !

Léa : enfin, là où je travaille pas du tout… c’est un centre d’appui à l’intégration. On envoie les enseignants spécialisés, ce que je fais, dans les écoles ordinaires, pour apporter un travail différencié, pour justement soulager l’enseignante ordinaire dans son travail

AD : d’accord

Léa : c’est très très bien, sauf qu’il y en a très peu. Là il y a un centre, on a 32 enfants, ça commence à devenir ingérable parce qu’il n’y en a pas assez mais le système est vraiment plutôt intéressant,…

AD : oui, je sais pas hein mais ça tient à qui ? une ou deux personnes et puis, ça va disparaître…

Léa : c’est quand même une structure de l’OMP, a priori c’est un peu durable, et c’est sensé se développer, c’est sensé aller dans ce sens là, avec la loi sur l’intégration. Et puis les parents sont de plus en plus armés pour faire des demandes,… tant mieux

AD : tant mieux

Léa : tant mieux effectivement, mais il y a encore du travail, il y en a trop peu (des centres d’appui à l’intégration).

AD : oui hier soir, je lisais le journal de l’association de parents,…

Léa : oui c’est ça, j’ai l’impression que là où je travaille, on cible les cas un peu « faciles »

AD : oui, entre guillemets,…

Léa : qui vont bien, qui ne dérangent pas trop, ils ont un retard mental mais ça va… (ironique) AD : Si vous voulez réussir quelque chose, il faut commencer par les plus touchés.

Léa : oui, on a un cours sur le polyhandicap avec Madame Wolf, c’est très intéressant, ça vous dit quelque chose ?

AD : non, je la connais pas… si vous ne commencez pas avec les personnes les plus touchées… je veux dire, la crème, entre guillemets, c’est assez simple, je veux dire ils n’ont même pas besoin de nous… voyez. Tandis que si vous avez, parce que moi j’ai vu pour la psychiatrie, je veux dire vous êtes là… toutes les personnes qui n’avaient pas besoin, elles s’intègrent d’elles mêmes, je veux dire dès le moment où vous ouvrez les portes, vous comprenez. Mais les autres, celles qui sont vraiment touchées dans leur santé mentale, qui ont les mêmes droits hein. Mais le droit c’est pas simplement la médication ou à sortir dans la rue, parce que ils continueront à paniquer et à faire une bêtise et on dira « ben voyez »… Moi je crois beaucoup à l’accompagnement, au coaching, au fait qu’on est avec la personne, mais tout le temps, et qui se porte garant du projet global de la personne, défend avec elle ses intérêts, pour lui permettre de prendre ses responsabilités. Pour moi une personne déficiente, elle est responsable de sa vie. Quand je dis ça je dis : rendons la responsable de sa vie. Si je la rends pas responsable, vous savez vivre à l’assistance, en Suisse, ça va. Parce que vous pouvez être à l’assistance, avoir votre appart,… Je pense à une personne là en face, elle a son AI, son appart, son job, toutes les rentes complémentaires, elle a aucun souci financier jusqu’à la fin de ses jours. La Suisse hein… Pourquoi j’en ferai plus ? J’ai un job depuis 30 ans, si j’y vais pas, ça ne changera rien, vous comprenez. Si vous, vous ne travaillez pas, ça va avoir une incidence sur votre salaire. Et si vous venez pas pendant tant de temps, on va vous poser les bonnes questions puis si vous les envoyez balader, on va vous dire « la porte est là ». Là on ne se permet pas ça, et c’est dommage. Je dis ça dans le bon sens. Vous voulez être intégré, vous voulez faire partie de la communauté, vous avez des droits, moi je trouve que ce qui manque c’est des obligations. Vous avez des obligations. Vous en avez peut-être pas, moi j’en ai, je peux vous dire. Voyez. Pourquoi eux ils n’auraient pas des obligations ? Mais pas des obligations de règles institutionnelles : je dois mettre mes chaussures en entrant,… ou on s’occupe de moi, et puis ça ça doit être chiant au possible, 24h/24, on vient me réveiller. Mais qu’on m’achète un réveil, vous comprenez. Puis si je veux prendre mon petit déjeuner dans l’institution ou le prendre au bistrot avec un croissant, laissez moi le choix vous comprenez. Pis accompagnez moi, parce que je préfère un expresso que cette lavasse, ça va me faire des brûlures d’estomac. Ok ça fera une consultation chez le médecin mais… Je sais pas si c’est ça que vous voulez savoir…

Léa : Si si c’est parfait. Ça vous dérange si je prends en photo (l’article sur la Chine)

AD : je ne sais pas si vous lisez les journaux. Moi je les lis, tous les jours, avec le café, en termes d’informations… je pense que parfois ça remet,… pour ne jamais quitter ça vous comprenez, parce que c’est très rapide. Qui se préoccupe encore des Phillippines aujourd0hui ? J’écoute la radio, parce que je crois qu’il y a des choses comme ça, pour se rappeler…

Léa : pour rester dans un combat permanent. Parce que ce sont des choses qui se font sur la durée.

AD : oui

Léa : s’il y a quelque chose à retenir c’est ça, c’est que ça se fait sur la durée, que le temps est long et que c’est de notre responsabilité d’aller dans le bon sens.

AD : oui c’est de notre responsabilité et puis en plus, laissons au politique, le macro mais je dois me poser la question : moi là où je suis, comme professionnel, qu’est ce que je peux changer, pour qui, même si c’est une personne, ça vaut le déplacement. S’il y en a une, c’est comme ça que les choses font boule de neige. Moi je suis convaincu de ça. Pas besoin de … Moi je n’ai pas changé tout Genève, ça ne m’intéresse pas, parce que déjà j’en serais bien incapable

Léa : finalement parfois quand on vise trop loin, on ne fait rien…

AD : Mais il y a des petites choses. Parce que vous êtes capable d’accueillir une personne, en ayant tous ces items en tête (la charte) puis voir ça avec elle. Voilà, voilà ce que je peux vous dire.

Léa : Et bien merci, merci beaucoup.