Naissance de la Clinique : Foucault M.

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Introduction (voir vidéo)

Dans les années soixante, Michel Foucault décrit, par une approche historique, la naissance et le développement de la clinique, c'est-à-dire l'avènement de la médecine moderne. L'auteur nous montre qu'elle ne se construit pas que socialement, mais également politiquement, philosophiquement et linguistiquement. Foucault relatera l'archéologie de l'histoire de la clinique, en appréhendant la genèse des structures et du langage qui forgeront un regard nouveau de la médecine. Son évolution a été notamment marquée par deux périodes, le XVIIIème et le début du XIXème siècle, dominées par différents mythes médicaux dont il s'agit de prendre conscience; notamment entre autres l'objectivité, l'un des paradigmes symbolisant le changement historique de la clinique.

La clinique au XVIIIème siècle

Une spatialisation primaire de la maladie

Au XVIIIème siècle, la médecine spatialise successivement le mal de trois manières. Premièrement, la médecine des espèces classifie des maladies selon leur degré de ressemblance. Dans ce paradigme, le médecin abstrait le corps du patient, afin de pouvoir classifier son mal. Le patient est donc mis en parenthèse pour éviter que ces caractéristiques individuelles corporelles et existentielles ne viennent dénaturer l'essence pure de son mal.

Une spatialisation secondaire de la maladie

On voit la limite que comporte cette spatialisation primaire : comment faire correspondre une partie du corps et une catégorie nosologique. C'est pourquoi, par la suite, la médecine procédera à une spatialisation secondaire : la maladie n'est pas tributaire d'un seul organe ou d'une partie corporelle, mais peut se développer au travers d'un réseau d'espaces corporels. Ici, également, le médecin va très peu s'attacher au corps du patient, mais à un réseau de signes qui vont lui permettre de déterminer quelle est sa maladie ou ses symptômes.

Une spatialisation ternaire de la maladie

Foucault dénote également une spatialisation tertiaire qui consiste à décentraliser dans l'espace social, socioprofessionnel et géographique les lieux de soins. Il s'agit de démanteler les hôpitaux et soigner le patient dans sa famille. Il est, en effet, plus pertinent de guérir le malade, là où la maladie s'exprime naturellement et dans tout l'espace social; plutôt que de réunir les malades, seulement dans une région donnée, un hôpital, et ainsi augmenter des contagions conjointes ou la fréquence des maladies. Il faut toutefois un contrôle global des malades et des médecins, afin de traiter au mieux les patients. Ce qui passe par la définition d'un statut politique du médecin, allant de pair avec la constitution à grande échelle d'une conscience médicale chargée d'une tâche d'information, de contrôle et de contrainte, de nature policière. L'activité médicale est donc reconnue par l'élite politique qui lui confère ces privilèges. Cette spatialisation tertiaire naît avec la médecine précédente, celle des espèces, qui nécessite des canevas de catégorisation identiques pour toutes les médecines, donc une standardisation et une globalisation de la pratique médicale. D'autre part, la période précédant la révolution de 1789 voit se développer une deuxième médecine, celle épidémiologique. Cette dernière prône l'étude de la diffusion de la maladie au niveau de la collectivité. C'est à partir de la maladie, telle qu'elle s'exprime à grande échelle dans la société, notamment dans les familles, que les médecins vont prendre des mesures de soins, quelquefois coercitives, sur des patients en présentant les signes. Ce qui nécessite de ce fait une spatialisation tertiaire. Par la suite, le courant libéral, émergeant avec la révolution de 1789, réclame aussi une médecine éclatée, libérale et décentralisée, se pratiquant au sein de la famille. Ce qui nécessite la mise en place de nouvelles normes : politique d'assistance, normes de compétences nécessaires à la pratique, amélioration de la qualité de l'enseignement, protection légale du statut de médecin.

Une spatialisation ternaire qui ne s'est pas complètement réalisée

Malgré tout, dans les faits, cette libéralisation ne s'est pas pleinement concrétisée. L'apprentissage du métier de médecin nécessite tout de même un regard du médecin sur le mal du patient qui peut avoir lieu plus fréquemment à l'hôpital que dans la famille. Une nouvelle vision émerge donc : quand les étudiants en médecine regardent le corps, leur regard clinique doit s'extraire d'un cadre pédagogique qui fait préexister leurs réponses aux questions. Ainsi, une nouvelle clinique renaît dans des hôpitaux : le regard clinique du médecin devient également un savoir hic et nunc. De plus, les riches financent ces structures. Ce qui rend services aux pauvres, mais confère aux premiers le droit de demander une juste contrepartie, c'est-à-dire le droit de prendre comme objet le pauvre et de constituer un savoir utile pour le plus grand nombre, à commencer par les gens les plus favorisés.

Un réductionnisme nominal malgré tout

Pour Foucault, toutefois, ce nouveau paradigme médical n'empêche pas que le champ et le regard médicaux soient liés par des codes du savoir socialement construits : le signe, sa structure linguistique et le cas aléatoire. Dans la médecine traditionnelle, notamment des espèces, le signe dévoile la maladie, il permet de voir l'invisible. Il désigne ce qui s'est passé et se passera. Dans cette nouvelle clinique des hôpitaux, le signe et le symptôme ne sont plus des révélateurs de la maladie, mais sont eux-même la pathologie. Cette médecine clinique se base aussi conjointement sur le raisonnement probabiliste : en observant la fréquence à laquelle un faisceau d'éléments donnés converge, ceci parmi un grand nombre de malades, on pourra dégager ce qu'est la maladie. Selon ce paradigme, le domaine hospitalier et le domaine pédagogique sont donc intimement liés. Mais dans ce processus de construction de savoir, le médecin utilise des mots culturels, il ne peut pas s'en passer. Comme dit l'auteur : « le regard clinique a cette paradoxale propriété d'entendre un langage au moment où il perçoit un spectacle » (page 108). Ce nouveau regard clinique procède donc paradoxalement à un réductionnisme nominal.

La clinique au XIXème siècle

Au final, cette désillusion fait tomber un autre mythe : celui du dire se confondant avec le voir. C'est pourquoi, l'idée se développe que la médecine doit être un art du voir que le médecin maîtrise, impliquant une appréhension globale et immédiate du réel, incluant le toucher également. A partir de là, une nouvelle technologie clinique se développe, celle se centrant sur l'anatomie pathologique et selon la structure organique d'une normalité se livrant entre autres à la dissection. Même si cette dernière était pratiquée auparavant, un changement de paradigme aboutit maintenant : cette médecine s'intéresse à une spatialisation concrète du mal dans le corps, quitte à l'enfoncer ou le pénétrer par diverses techniques ; alors que la précédente s'intéressait à la mise en évidence de processus, de manifestations, de fréquences et chronologies. C'est ainsi que l'anatomo-clinique verra le jour en détectant la maladie par l'exploration des tissus corporels lésés selon une connaissance physiologique. Alors que précédemment la mort était considérée comme la fin de la vie, maintenant la mort fait partie de la vie. Puisque des processus de mortifications atteignent le corps, la mort permet d'accéder à la vérité pathologique car la mort est aussi une maladie. A ce stade la médecine prend donc davantage en compte l'aspect individualisé du corps. Pour l'anatomo-clinique la maladie provient d'une lésion au niveau tissulaire tandis que la clinique fait appel à l'ouïe et au toucher pour établir un diagnostic. C'est ainsi que l'essence et la classification laissent davantage la place à la médecine des organes. Le savoir médical comporte donc en lui une part de contingence et de dialectique historique, vu ces changements radicaux de regard.

Conclusion

En conclusion, Foucault nous montre que la Clinique est un objet qui se construit socialement et historiquement, car elle implique que l'homme soit à la fois sujet et objet du savoir médical, notamment par la reconnaissance progressive de l'individu et l'idée d'une correspondance entre le langage et le regard du médecin ; tout en étant confronté à sa finalité ultime, c'est-dire la mort. Cependant paradoxalement, si on examine notre société actuelle, tous les hommes n'ont pas le privilège de ce regard. La médecine et les pouvoirs politiques instaurent tout de même une certaine distance entre le pouvoir médical et le patient qui, en fin de compte, ne prend pas part activement à la construction du savoir, d'où des dérives possibles et la construction de mythes médicaux. Cette distance leur profitant, l'homme se doit de les percer, afin de se réapproprier pleinement ce regard sur lui-même.