Le Passe-Muraille, journal des prisonniers, année 70, GAP
La santé
Il nous a semblé intéressant de se pencher sur les quelques numéros liés à la santé, qui vont nous permettre de faire ressortir les différentes thématiques que nous avons voulu relever et discuter dans la rubrique "santé" de notre article. Voici les thématiques importantes rencontrées et qui permettent de nourrir le questionnement des années 70 concernant la santé en prison:
-N°9, décembre 1977, dossier santé
- Les conditions sanitaires
Nous apprenons dans ce numéro que certains quartiers cellulaires sont prévus dans les hôpitaux eux-mêmes afin de recevoir les prisonniers qui demandent des soins. Cependant, d’après les dires du Passe-Muraille, tout est mis en place pour que les prisonniers ne fassent pas cette demande. Mauvais accueil, ambiance qui rappelle celle de la prison et qui est même décalquée sur cette dernière, surveillant... A Genève, ce quartier cellulaire se trouvait même au sous-sol. Un exemple de ces conditions sanitaire est abordé avec la question des arrêts de rigueur: comme cité dans le règlement de l’époque, les arrêts de rigueur « doivent permettre au détenu un retour sur lui-même(p.8). Mais on se rend bien compte grâce aux observations rapportées dans le Passe-Muraille que les conditions sont affreuses dans ces prisons. Entre autre, pas de lumière, beaucoup de poussière, la personne qui fait office de médecin est souvent l’officier lui-même…Les conditions de santé dans ces prisons n’ont pas l’air d’être bien respectées à travers l’excuse non justifiable qu’il faut que cet arrêt soit vécu durement. Ce qui semble, selon nous être la même problématique de fond pour tout autre type de prison. Les prisonniers, eux , ne peuvent pas se plaindre des conditions d’hygiène. Un exemple de ces conditions déplorables est donné à travers la description de la prison de Cudrefin, qui est présentée comme une image moyennageuse(p.9).
- L’isolement :
Une des problématique relevée souvent par le Passe-Muraille est celle de l’isolement. En effet, il serait très nocif pour l’individu. Dans ce numéro du Passe-Muraille, une enquête a permis de mettre en lumière certaines effets sur les détenus isolés : -« angoisses et tendances suicidaires ; sautes d’humeur allant de la gaieté à un état dépressif ;état de peur grave ;difficulté croissante à penser logiquement ;diminution de la volonté intellectuelle ; troubles de l’attention ;diminutions des phantasmes et des rêves éveillés ; troubles dans la perception des proportions ; apparition d’hallucination en état d’éveil ; aggravation de l’état de faiblesse face aux influences psychiques. » (p.14). Il faut relever le fait que cette enquête date d’il y environ 40 ans et que dans la source présente, les détails de l’enquête ne sont pas donnés…Cependant, il nous semble que ce ne serait pas trop s’avancer que d'imaginer que certains des effets relevés doivent peut-être se retrouver de nos jours dans les conditions d’isolement, qui ont quand même un quelque peu évolué (et heureusement). L’idée soulevée dans ce numéro est que la justice ne peut pas utiliser l’isolement comme moyen de pression, puisque les conséquences de cet isolement vont dans le sens d’une destruction des individus.
- Le suicide :
Le suicide est une thématique souvent abordée dans le Passe-Muraille. En effet, il s’agit d’une thématique très présente au sein du sujet de la prison. Certaines des conditions rendraient cette nouvelle vie en prison trop insupportable, et davantage pour certaines personnes que pour d’autres. C’est une des raisons pour lesquelles le Passe-Muraille est édité. En effet, il permet de faire le lien entre le monde de la prison et l’extérieur, entre les incarcérés et leur famille. Le suicide est souvent au centre des débats puisque la prison, vue comme un lieu de "redressement" et de réinsertion, ne devrait pas mener à des conclusions aussi tragique, et pourtant, c’est malheureusement ce qui arrive trop souvent. Des extraits de lettres sont publiés dans le Passe-Muraille afin de rendre compte de la dureté de la détention pour certains individus, parfois même ignorés par les acteurs de la prison. Les extraits sont particulièrement poignants. S’en suit, par exemple, l’extrait de la réponse de la chambre d’accusation qui ne semble pas bien prendre en compte ce qui se passe… A la suite de ces témoignages, ils font part d’une liste de suicides commis en prisons… 46 en 3 ans.. Un nombre énorme ! et souvent caché au public.. De plus on se rend vite compte que les tentatives de suicides sont nombreuses pour une même personne… Les détenus semblent déterminés car cette nouvelle vie leur semble insoutenable. Il est relevé dans ce numéro, les conditions du premier suicide à Champ-Dollon le 23 septembre 1977. Le détenu a avalé toute une réserve de médicaments qu’il avait pu se créer au fur et à mesure car on lui donnait tous les médicaments qu’il désirait pour qu’il « se calme ».
-N°14 :psychiatrie et prison, mars 79
- Psychiatrie : Dans le milieu carcéral de cette époque, il n y pas beaucoup de médecins psychiatres et ces derniers ne viennent pas faire des visites de manière continue en prison ( environ 2 fois par mois) car il ne sont pas vraiment jugés « utile » surtout par Evêquoz à Genève; il y 1 médecin psychiatre pur 180 détenus (P.8). Les détenus suivent une journée toute décalquée sur un planning tous les jours identiques, où le temps réservé à soi est quasi inexistant: toujours dans des salles avec le collectif pour travailler et recevoir un petit pécule (jusqu a 6 francs la semaine) pour des travaux vraiment pas très intéressants …( par exemple,le cartonnage p.6).Les toxicomanes ou autres détenus peuvent faire appel à un psychiatre pour faire une expertise psychiatrique.Dans ce numéro, une expertise psychiatrique est relatée. Ce qui ressort de cet entretien est que le détenu est déjà content de voir une autre personne. Mais apparemment le médecin est froid et ne veut uniquement des réponses en termes de oui/non. Le détenu, lui, aurait voulu pouvoir parler de son anxiété. Le centre du levant est une sorte "de prison supplémentaire" pour se préparer au monde extérieur. Certains sont volontaires et d’autres non. Le principal point souligné dans cette thématique est celui du rôle du médecin psychiatre. En effet ce dernier peut effectuer un examen psychiatrique qui peut être demandé par le juge lorsqu’il y a un doute sur la responsabilité d’un inculpé. Ce qui est navrant est que c’est au psychiatrique de juger de la responsabilité de l’individu alors qu’il devrait davantage pouvoir mettre en lumière un comportement anormal et le comprendre et non pas le juger… On peut peut-être expliquer par là le manque d’implication à cette époque des psychiatres dans l’exécution de ces expertises tout simplement en n'acceptant pas de les faire pour les raisons citées ci-dessus. Ce qui est alors souligné est la problématique de la responsabilité pénale et plus précisément de savoir s’il s’agit de « malades mentaux » ou d’individus « tout-venants ».
Les lois suisses de l’époque proposent :
-article 10 code pénal suisse : "l’irresponsabilité si au moment d’agir, l’inculpé à cause d’une maladie mentale, une faiblesse d’esprit ou une grave altération de la conscience n’avait pas la faculter d’apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d’après cette appréciation(p.11)."
-l’article 11 du CPS :" responsabilité restreinte si au moment d’agir l’inculpé par suite d’un trouble dans sa santé mentale ou dans sa conscience ne possédait pas pleinement la faculté d’apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d’après cette appréciation." De nos jours cette question du rôle est soulevée par les médecins eux-mêmes dans leur bulletin :« Il faut que cesse cette hypocrisie psychiatrique au service de la justice » (p.12, Bulletin des médecins suisses n°11).
- Médicaments : Beaucoup de médicaments sont donnés aux prisonniers. Ces derniers peuvent en faire des réserves pour les redistribuer ou les garder pour eux. Dans la section psychiatrie c’est l’inverse, les détenus ne veulent pas en prendre( à part les toxicomanes). Cependant ce qui ressort surtout de tout cela est bien le fait que ces médicaments sont principalement donnés pour « calmer » le détenu, ou pour l' empêcher « de parler ».
Les mineurs
Plusieurs numéros traitent de la question des mineurs en prison, ou in extenso en maisons d'éducation.
On y retrouve le témoignage d'une adolescente (placée auparavant dans un foyer) arrêtée et conduite par la police pour un interrogatoire (no5 et 6, mai 77). Elle nous relate sa première rencontre avec le monde pénitentiaire, la manière dont elle a été traitée, comment le juge use de son pouvoir, le chantâge, les remarques rabaissantes, les gestes humiliants. Elle esquisse quelques solutions pour pallier à cette impunité du pouvoir, dont notamment celle de bénéficier d'un avocat dès l'instruction. Dans un autre article (no 10, mars 78), il est question de l'incarcération de quatre adolescentes et du manque de place pour elles sur le canton de Vaud dans des foyer de type Valmont. Elles se retrouvent alors en prison ordinaire avec des majeurs ce qui, selon le GAP, équivaut à de l'internement administratif, condamné clairement par la convention des droits de l'homme. Il dénonce un quadrillage des adolescents orchestré par les différentes instances judiciaires, policières, pénitentiaires, éducatives et sociales, avec tout ce que cela implique au niveau de perte de liberté et de contrôle total des individus. Toujours en 1978 (no 13, décembre), on nous présente un jeune de 16 ans qui se retrouve pour la troisième fois enfermé au pénitentier de Sion en Valais (où n'existe pas la fonction de Juge des Mineurs). Cette mesure est reconnue et justifiée (ils sont environ 150 mineurs dans ce cas) par le Tribunal fédéral en attendant que des pénitenciers spéciaux pour mineurs soient créés. L'adolescent n'a eu droit à aucune visite, ni droit à un avocat.
Une rubriques est consacrée à la Justice des Mineurs (no 12, septembre 78). Elle épingle tour à tour les différents acteurs, elle critique le fond comme la forme de cette éducation qui se veut individuelle pour mieux museler cette jeunesse. Tout d'abord la justice des mineurs est aussi une justice de classe : pas les mêmes droits si on est jeune d'une famille riche ou non. L'individualisation passe par des examens et des observations poussées en établissements spécialisés comme La Clairière et Valmont qui « violent la personnalité » par une observation de tous les instants. Les éducateurs restent des gardiens malgré leur habillement décontracté et civil. Les Maisons d'éducation comme Diesse ou Vennes ressemblent clairement à des pénitentiers.
Toujours en 1978 (no 13, décembre), un article sur une mesure concernant les jeunes adultes, l'article 100 bis au sujet des maisons d'éducation au travail est elle aussi dénoncée avec force. Représentée par Pramont en Valais, véritable petite prison, dont l'idée est de « réformer la personnailté des gens » demeure inefficace en terme de socialisation.