La maltraitance envers les enfants: entre consensus moral, fausses évidences et enjeux sociaux ignorés, Analyse sociologique des transformations du rapport social à l'enfance dans le cnaton de Genève depuis 1990

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Ce rapport relate une recherche sociologique de type compréhensif concernant la construction du problème social qu’est la maltraitance.

Le rapport souligne la complexité et la problématique de la « maltraitance », concept mal défini et en constante évolution pour finalement aborder la thématique de la bientraitance. Il met également en avant la transformation des mentalités ou sensibilités ainsi que l’évolution des procédures institutionnelles face à ce phénomène.

Le premier constat relate l’augmentation du phénomène de maltraitance depuis le début des années 90 (12 cas en 1989 à 300 cas en 2000), années à partir desquelles il prend une certaine officialité en devenant un problème de santé publique. Plusieurs motions sont alors déposées au Grand Conseil, impliquant le rôle politique dans cette problématique. En 2001 une grille d’évaluation est entre autres publiée au sein du SSJ nommée « recueil de données en matière d’enfants en danger ». Puis, en 2003, toutes les demandes deviennent informatiquement enregistrées (et donc conservées). En 2004, des listes d’indices paraissent afin de favoriser le dépistage. Toutes ces mesures tendent à officialiser ce phénomène ainsi qu’à sensibiliser les acteurs. Les auteurs de ce rapport mentionnent entre autres les acteurs institutionnels suivants : les médecins, les travailleurs sociaux, les psychologues des diverses institutions (Service Santé Jeunesse, Service de la Protection de la Jeunesse, Service du Tuteur Général, Service Médico-Pédagogique). Par ailleurs les acteurs politiques sont également pris en compte ainsi que les médias qui participent à l’officialisation ou à la scandalisation du phénomène.

Quatre catégories de maltraitance sont décrites : physique, psychologique, négligence et abus sexuels. Or dans le courant des années 60, seule la première catégorie était prise en considération, ce qui souligne l’évolution de la notion de maltraitance au fil des ans. De plus, depuis 1999, le SSJ s’intéresse également à « l’enfance en risque d’être maltraité » ce qui participe à l’extension du champ sémantique de la maltraitance.

La procédure de dépistage est décrite de la façon suivante : les enfants ayant un comportement étrange soulèvent l’inquiétude des acteurs institutionnels (souvent les enseignants en premier lieu) et sont signalés. Il s’agit d’enfants montrant un certain écart à des normes jugées sur quatre niveaux et bénéficiant de supports institutionnels: médicales, psychologiques, scolaires, de savoir-vivre. Suite à ce signalement, une enquête est menée (évaluation de la gravité de la situation ou des actes, évaluation de l’état physique et psychique de l’enfant, intérêt envers l’attitude des parents ou des personnes jugées responsables, observation de l’enfant, recueil de données, questions aux enseignants ou aux voisins…) débouchant sur une interprétation de la situation. Les acteurs institutionnels définissent alors s’il s’agit d’un symptôme isolé ou s’il y a récurrence ou conjonction de divers éléments. Si le symptôme est isolé mais d’importance majeure ou s’il y a récurrence de symptômes, le terme maltraitance est alors utilisé en terme de syndrome. Par ailleurs, divers actes sont jugés comme intolérables : abus sexuels, violence physique et absentéisme tandis que d’autres sont considérés comme tolérables (s’ils ne sont guère accompagnés de violence physique ou d’abus sexuels) : manque de soutien scolaire (ou l’inverse), négligence et pression psychologique. On remarque donc l’existence d’une certaine hiérarchie au niveau des valeurs morales et normatives. Les parents sont donc jugés et « classifiés » en termes de défaillants, ou procurant une éducation dite inadéquate.

D’autre part, dans l’identification de la pathologie, il existe quatre registres interprétatifs : un registre éthico-moral (le mode de vie des parents n’est pas jugé adéquat, il existe un dysfonctionnement au niveau de la structure ou de la situation familiale comme des conflits conjugaux, l’indétermination des rôles parentaux…), un registre médico-thérapeutique (ici les difficultés physiques ou psychiques des parents sont mises en avant), un registre socioéconomique (relatant les difficultés d’ordre matérielles de la famille) et un registre culturel (les comportements sont expliqués par les différences culturelles). Les deux premiers registres (éthico-moral et médico-thérapeutique) ont tendance à souligner l’incapacité parentale et à les incriminer tandis que les deux derniers registres (socioéconomique et culturel) ont tendance à déculpabiliser les parents. Les auteurs de ce rapport soulignent par ailleurs le rôle central de l’interprétation des acteurs institutionnels dans le dépistage de la maltraitance.

Diverses mesures sont alors envisagées / envisageables : soutien matériel, appui éducatif, assistance (conseils) ou d’autres mesures plus radicales mises en œuvre dans des cas extrêmes telles que la mise sous tutelle. La réaction parentale (selon la volonté de coopération) a une influence directe sur les mesures envisagées. En effet, le terme de maltraitance n’étant guère bien défini juridiquement, les acteurs institutionnels agissent « au feeling ». Si les parents se montrent coopérants et de bonne volonté, les actes seront mieux perçus et les mesures moins radicales et s’ils se montrent au contraire non-collaborants (absence aux rendez-vous, refus de coopérer), les acteurs institutionnels auront tendance à raidir leurs actions.

Les auteurs mentionnent également la notion de bientraitance. Cette notion aurait tendance à supplanter celle de maltraitance. Les parents se devraient donc de faire au mieux pour leurs enfants et au-delà d’être parents, ils se devraient d’être de bons parents, procurant le meilleur environnement pour leurs enfants. Cette nouvelle notion correspondrait à une nouvelle norme et le terme de maltraitance engloberait ce qui serait déviant à la bientraitance. Ce terme souligne l’évolution du rôle parental, les parents se devraient non seulement d’être parents mais devraient également permettre à l’enfant de développer ses potentialités. Ce qui ne manque pas de poser problème au niveau des différences entre les classes sociales. Par ailleurs, en ce qui concerne les classes sociales, les auteurs soulignent que les parents dits « maltraitants » sont souvent issus de couches sociales défavorisées.

En fin de rapport, les auteurs font part du malaise qu’éprouvent les acteurs institutionnels qui engagent leur responsabilité et dont les choix ont des conséquences énormes. Par ailleurs, si ces acteurs ne décèlent guère les cas de maltraitance ou ne les prennent pas assez sérieusement, ils peuvent être attaqués juridiquement (assistance à personne en danger). Cet élément implique que les acteurs institutionnels ont intérêt à signaler les moindres faits afin de se déresponsabiliser.

Les auteurs de ce rapport mettent donc en avant la complexité du phénomène de maltraitance qui est très mal défini et dont l’évolution sémantique implique une problématique interprétative. Les mesures envisagées sont donc le fruit de l’interprétation des faits par les acteurs institutionnels. Par ailleurs, ils soulignent la part de l’inégalité socioéconomique entre les familles. La qualification de maltraitance serait majoritairement attribuée à des familles défavorisées qui ne pourraient fournir le même contexte éducatif à leurs enfants que des familles aisées ou de couches moyennes. Ils font également part du rôle des médias dans le phénomène de sensibilisation ou d’indignation face à cette problématique.