L’homme battu, un tabou au coeur du tabou

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Résumé de Sophie Torrent (2001). L’homme battu, un tabou au coeur du tabou, Option Santé Québec

par Maniera Miguel

Appartenant à la sphère privée, la violence conjugale a longtemps été ignorée. Il a fallu attendre les mouvements féministes pour mettre à jour ce type de phénomène. Aujourd’hui, la société ne dénigre plus la femme qu’elle soit violentée ou violente. Elle tente, au contraire, de la comprendre, même de l’excuser. L’homme violenté en revanche ne reçoit aucune aide et s’il est lui-même violent, il est aussitôt considéré comme déviant.

Sophie Torrent, diplômée du Département de travail social et des politiques sociales de l’Université de Fribourg, s’est intéressée à l’homme battu, l’homme violenté, à cette réalité ignorée. Dans son livre « L’homme battu, un tabou au coeur du tabou », elle parle de laviolence faite aux hommes, une violence souvent difficile à accepter puisqu’elle va à l’encontre de stéréotypes tels que « la femme est l’élément faible d’un couple et l’homme en est le dominant ».

Dans la première partie de son livre, l’auteure tente tout d’abord d’expliquer ce phénomène atypique, « un impensable social » (p. 21) dit-elle. Ainsi, elle commence par analyser les différents types de violence (physique, sexuelle, psychologique, verbal ou économique) pour ensuite orienter son analyse vers la notion de « rôles sociaux ». Elle montre comment l’homme violenté est agressé jusque dans les « facettes » qui font son identité. L’homme est diminué dans ce qui fait de lui toute sa « masculinité ». Cette violence conjugale atteint la sphère privée (rôle d’amant, de partenaire, de père), mais également la sphère publique (professionnelle, familiale et amicale). De plus, l’homme est blessé dans sa propre identité, l’estime de soi et l’image sociale est ainsi fragilisée. Certains hommes vivent une véritable discordance entre ce qu’ils sont et ce qu’il voudrait être. « Etre battu invalide l’homme dans son appartenance à la catégorie sociale « homme », ce qui n’a jamais lieu quand la femme est victime de l’homme, son statut social de « femme » n’étant pas atteint » (p.68).

Dans la deuxième partie du livre, Sophie Torrent réfléchit sur les différentes stratégies élaborées par l’homme pour gérer les situations difficiles. L’homme violenté porte un stigmate (« attribut qui le rend différent des autres membres du groupe social et qui jette sur lui un profond discrédit (Goffman) » (p. 73) qu’il choisirait, selon elle, soit d’extérioriser (stigmate visible), soit de cacher (stigmate invisible) afin d’éviter le sentiment de honte en mettant en place des stratégies d’évitement (retrait social) ou de déguisement (réalité tronquée/ contradiction identitaire).

Sophie Torrent traite d’autres stratégies de survies, telles les stratégies d’adaptation ou de dénégation utilisée par la victime pour se protéger d’une réalité difficilement supportable. Cette dernière met alors en place un système de justification pour légitimer la situation. Elle cherche à expliquer ce qu’elle subit avec des éléments extérieurs - externalisation des causes (exemples : pathologie, différences culturelles, etc.). Enfin, la victime développerait, face à cette violence, différents comportements. L’homme violenté apprendrait à anticiper le danger, à l’éviter (investissement dans diverses activités) ou à se découvrir des ressources inimaginables et développerait des attitudes de patience, de compassion ou de pardon.

Dans la troisième et dernière partie, Sophie Torrent présente enfin comment la victime peut dépasser le phénomène et tenter de changer la situation. L’homme semble devoir d’abord analyser les sentiments en jeu (amour, honte, culpabilité) et comprendre les rôles qu’il joue dans la relation conjugale : héros (sensation d’être indispensable dans la vie de sa compagne), père présent, etc. Il doit dépasser les bénéfices secondaires (exemple : former un couple marié - une famille représente une image sociale de stabilité, rompre signifierait briser cette image) et la sécurité de la situation (force de l’habitude).

D’après Sophie Torrent, quelques éléments peuvent déclencher un changement de situation : le seuil de l’intolérable, le temps, la violence de la conjointe sur un autre, etc. A ce moment-là, la victime peut tenter de dépasser le phénomène à travers deux processus : la rupture totale ou la victimisation (quête de reconnaissance du statut de victime). Sophie Torrent termine son livre par une annexe dans laquelle elle explique, entre autre, comment elle a choisi les interviewés, les difficultés pour les trouver et une présentation de ces derniers.