Entretien avec Yvonne Bercher

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Au préalable de l'entretien, nous avons envoyé les questions à Mme Bercher. Voici ses réponses :

1. Depuis quand et avec qui (quel groupe) vous êtes-vous engagé/e dans la lutte pour les droits de la personne et quel était à ce moment votre statut (ou fonction)? Dans quel contexte s'est inséré cette démarche?

De 1987 à 1991, j’ai milité à l’ADPS (Association de Défense des Prisonniers de Suisse), syndicat de détenus engagés dans la défense de leurs droits auxquels s’étaient adjoints des personnes sensibles à la question (médecins, juristes, proches de détenus). L’ADPS représentait l’héritier du GAP (Groupe Action Prison), groupe militant présidé par feu Michel Glardon, ancien président de la LDDH VD et fondateur des Editions d’En-Bas où ont été publiés Droit de révolte, de Jacques Fasel et Au-delà des murs d’Yvonne Bercher. Ces éditions critiques représentent un peu l’équivalent suisse des Editions Maspero en France.

2. Il y a-t-il un événement originel? Pourriez vous nous raconter un ou des événement/s marquant/s que vous avez mené ou qui vous ont frappé dans cette période en faveur de ces droits ?

Un évènement originel, bien-sûr, disons plutôt un contexte car nos engagements et nos choix politiques ne sont jamais innocents ni totalement rationnels. Issue d’un milieu conservateur dans lequel on attendait de moi que je me conforme à un rôle, à une image, sans se demander si j’y trouvais mon compte, j’ai très jeune compris le caractère sacré de la Liberté, valeur autour de laquelle j’ai du reste construit ma vie. Jeune gymnasienne, sur le quai de la gare de Lausanne, j’ai croisé des policiers qui transféraient un détenu menotté d’une prison à l’autre ou qui l’escortaient peut-être au tribunal. Avec ce détenu anonyme, dont les traits se sont complètement dilués dans l’oubli, nos regards se sont croisés. La détresse et la révolte qui j’y ai lus ont résonné en moi. C’était comme si il me passait un témoin, si on me disait : « Bouge ! » En 1987, j’ai lu « La Bande à Fasel » de Daniel Bloch. Alors que je me sentais isolée dans ma manière de penser, j’ai enfin réalisé que nous étions au moins deux, voire plus. C’était une bouffée d’air frais et revigorant dans un espace vicié. J’ai immédiatement contacté l’auteur et cette étincelle a consacré le début de mon engagement. Au cours de ma période militante, ce qui m’a le plus frappée était la manière dont l’administration pénitentiaire utilisait les transferts pour étouffer toute velléité de contestation ainsi que quelques évasions dont vous trouverez le récit dans mon ouvrage cité ci-dessus, publié en 1995.

3. Quels ont été les changements les plus importantes auxquels vous avez assistés?

L’irruption d’une population étrangère aux références culturelles complètement différentes des nôtres, ainsi que l’accroissement fulgurant de la population pénale représentent les deux éléments prégnants. Nos prisons sont, qu’on se le dise, des poudrières !

4. Y a-t-il des valeurs que vous avez eu le sentiments d'avoir porté en avant et si oui, lesquelles étaient-elle?

Oui, la transparence car nous nous sommes systématiquement appliqués à démontrer la fausseté du discours sur la réinsertion, notamment, ainsi que le fossé que l’on observe entre le faire et le dire. Débusquer les très nombreuses zones de non-droit a représenté un travail de titan (par exemple pourquoi les plaintes déposées par des détenus contre des brutalités n’aboutissent pratiquement jamais.)

5. Qu'en est-il aujourd'hui de cette lutte et des acquis et des risques de retour en arrière? Sur quoi faudrait-il continuer de se battre de lutter? Est-ce que vous continuer aujourd'hui de vous engager et sur quoi?

Mes dernières visites, actions militantes remontent loin, au début des années 90. Même si ma vie et mes préoccupations m’ont éloignée de cette problématique, je peux sans hésitation dire que la situation est maintenant bien pire, du fait de l’engorgement des prisons. En revanche, le fait d’avoir un code de procédure pénale pour tous les cantons et de pouvoir faire intervenir un avocat dans les commissariats représente un grand pas en avant.

6. Est-ce que vous continuer aujourd'hui de vous engager et sur quoi?

Maintenant, je suis focalisée sur la qualité de la vie en ville, sur le fait qu’on ne laisse pas ceux qui entendent faire du profit la nuit saccager complètement notre sommeil, un besoin vital. Ce quartier est littéralement inondé par l’alcool au point que c’en est terrifiant. Des épiceries alimentent l’ivrognerie publique et les bagarres toute la nuit, c’est révoltant. Dire aux gens « buvez moins » ou « ne buvez pas » ne sert à rien. Il faut leur démontrer que la santé est une valeur pour qui veut faire quelque chose. Il faut donc offrir des perspectives culturelles, sportives etc et montrer toutes celles qui existent car nous bénéficions ici d’une très forte densité culturelle dans un petit périmètre.

Entretien avec Yvonne Bercher

Intervieweur : La première question qu’on voulait vous poser était : Depuis quand et avec qui étiez-vous engagée pour ce qui concerne le droit des prisonniers ? Quand est-ce que vous avez commencé et avec qui vous avez commencé à vous engager?

Yvonne Bercher : Alors j’ai commencé en 1987, après avoir lu le livre « La bande à Fasel », qui est le récit par Daniel Bloch de sa trajectoire qui l’a mené en prison et des années vécues en prison. Alors Daniel m’a présenté d’autres personnes qui m’en ont présentées d’autres ça été un jeu de l’avion si vous voulez et à l’époque nous étions les héritiers moraux du Groupe Action Prison qui avait été fondé dans les années 60-70 par Michel Glardon.

Je ne sais pas les raisons exactes pour lesquelles le Groupe Action Prison avaient cessé d’agir, probablement par manque de temps et parce qu’il estimait qu’il était suffisamment bien secondé avec ce que l’Association de Défense des Prisonniers faisait. Ce qui était nouveau dans l’idée de l’Association de Défense des Prisonniers, c’était qu’on avait un syndicat de personnes concernées qui décidaient de défendre leurs droits. Ce qui signifie une prise en main de son destin, une démarche et évidemment s’adjoignait toutes les personnes, qui pour une raison ou une autre était concernée par la problématique de la liberté. Alors, moi personnellement, j’ai fait 6h00 dans un commissariat français où d’ailleurs je me suis endormie, on m’a coffrée quand j’étais avec Jacques Fasel lorsqu’il a été arrêté, l’arrestation, elle-même était impressionnante parce qu’il y avait douze flics avec des fusils à pompe qui étaient autour de nous. Mais après, on a été tout à fait bien traité. C’était d’une telle détente, que moi, je me suis mise en chien de fusil dans ma cellule puis j’ai dormi alors que je pense, qu’il voulait faire pression sur moi pour que je leur dise des choses. Ils étaient très déçus.

Intervieweur : Vous l’avez rencontré comment Jacques Fasel ?

Yvonne Bercher : Alors si vous voulez c’était très informel, car c’est un milieu libertaire où les contacts s’établissent facilement, c’est Jacques qui donne l’adresse de Pierre qui donne l’adresse de Jean. De temps en temps, les gens sont groupés ou de temps en temps c’était séparément. C’était une structure souple qui n’était pas hiérarchisée si vous voulez. Et d’ailleurs ma difficulté à fonctionner avec eux pour des raisons d’efficacité était tributaire d’un désir d’efficacité car comme c’était des anars. Ils voulaient se soumettre à aucune règle, alors on arrivait à une perte d’efficacité, à des dysfonctionnements qui rendaient toutes tâches infernales parce que ces gens auraient voulu s’éclairer à la bougie à l’époque du nucléaire. Donc moi, c’est vrai que souvent, j’étais en porte à faux en disant : « mais écoutez, s’organiser, ce n’est pas forcément un acte bourgeois, c’est juste un acte efficace s’il vous plait ».

Le docteur Philipe Grin qui était déjà âgé quand j’ai commencé à militer était très concerné par tout ce qui touchait les toxicomanes, on avait un gars malheureusement qui a mal tourné qui était à l’époque un vibrant anarchiste qui faisait des discours incroyables, truffés d’imparfait du subjonctif devant les prisons de la Chaux-de-Fonds. Je ne sais pas ce qui c’est passé, c’est quelqu’un qui ressemblait à Marx, il était très volumineux et impressionnant comme ça. Il avait un coffre pour faire ses discours, mais il est devenu révisionniste et maintenant il est pourchassé par les autorités vaudoises, il est ici et là. Il a pour toute richesse et ça date de 30 ou 40 ans, un sac noir qui trimbale, quand il dort chez les uns ou les autres, mais à l’époque, il était un anar. Quelque fois il était un peu contre productif, parce qu’il s’engueulait avec les autorités alors que justement on essayait d’obtenir quelque chose. Donc, les plus grosses difficultés ont été d’être efficace avec des gens qui peut-être voient les choses un peu à court terme. Dans le sens, ils vont faire ce que leur cœur leur dit mais pas forcement ce qui est opportun ou ce qui serait diplomate de faire.

Intervieweur : D’accord

Yvonne Bercher : Mais bon quand on a 25-30 ans, on a plein d’énergie et puis il y a eu des querelles intestines qui font qu’il y a aussi des gens qui se sont mal conduits, des histoires où ils ont organisé des trafics de stupéfiants avec la boîte de l’association, enfin des choses de ce genre. Et l’association a été dissoute officiellement en 1990. Moi je suis encore allée faire des visites après. Est-ce vous avez lu le livre « La bande à Fasel » ?

Intervieweur : Non pas encore.

Yvonne Bercher : Alors ça c’est vraiment un incontournable classique. Il doit être dans les bibliothèques. Il s’agit de Daniel Bloch qui raconte ses holdups. Il raconte ce qui l’a fait basculer dans la délinquance. Il ne voulait pas grader à l’armée, il avait fait les grenadiers, le plus difficile, c’était un sportif de bon niveau et il a été condamné car il ne voulait pas grader. C’est là qu’il s’est dit : « je n’appartiens plus à cette société et je prends les armes contre elle ». Donc, ça été une démarche tout à fait réfléchie. Et en prison, il a évidemment rencontré d’autres gens et ça été des holdups, un enlèvement... C’est quelqu’un qui a une soixante d’années maintenant. Alors c’est vrai que depuis qu’on milite, une population massive de population étrangère est arrivée, ça commençait déjà à l’époque mais il y en avait quand même beaucoup moins. Il y avait évidement des blocs en fonction des ethnies, des appartenances, moi je me souviens, j’allais voir des italiens à Bochuz et ils se passaient mon adresse. Finalement, j’allais voir plus que les italiens alors qu’il y avait des albanais. Maintenant, je pense que c’est encore plus marqué. Et puis, il y a cette concentration terrible de population qui stimule l’agressivité.

Intervieweur : Qu’est-ce que les détenus attendaient-ils de vous ?

Yvonne Bercher : Ils attendaient déjà de l’air qui vient de l’extérieur. Il y avait déjà les dames de l’association carrefour, qui est une émanation de l’aumônerie protestante de Champs-Dollon, qui étaient actives. Elles allaient les voir, mais elles étaient perçues comme des dames patronnesses, appartenant à l’institution. Alors que nous, on était plus perçu comme des familiers. Si vous voulez, ce qui n’allait pas forcément sans problème. Evidemment, il y a des gens qui vont vous demander de faire telles ou telles choses. À vous de savoir jusqu’où vous voulez aller, pourquoi et comment ? On peut tout faire dans la vie, mais il faut réfléchir et savoir comment on le fait. C’est vrai, que moi, j’allais voir quelqu’un qui était condamné à une longue peine, Jacques Yver, il s’est évadé de deux prisons, il était très fort, Saint-Maur en France et de Bochuz. Les deux fois en prenant le camion poubelle et en fonçant dans la porte. À chaque fois, il avait réussi à corrompre les gardiens pour accéder au camion poubelle. Quand j’allais le voir, il me faisait parvenir des magazines qui étaient truffés de plans d’évasion. C’était complètement abracadabrant ! Finalement, moi j’y pensais beaucoup, j’étais emmerdée, je recevais ça... Je me disais que c’était quelqu’un qui était enfermé, qui avait des attentes, c’était tellement fou que je me suis rendue compte qu’il ne souhaitait même pas forcement que je les exécute. C’était juste pour pouvoir partager ça avec quelqu’un. Il savait très bien que je n’aurais jamais eu la capacité de prendre les cordes et de grimper une falaise, ce qu’il me demandait de faire c’était carrément du Spider-man. (Rire). Je me disais : il est dingue ! Mais quand vous êtes à l’isolement d’abord ça détruit et on a tous besoin de rêver, ça fait parti de la vie.

Intervieweur : Au début, vous avez commencé en disant que ce qui vous avait lancé, c’était d’avoir lu le livre de « La bande à Fasel ». C’est à dire que vous avez lu le livre et puis après vous vous êtes dit il faut que je fasse quelque chose pour être là dedans ?

Yvonne Bercher : J’ai lu le livre et je me suis dis, tout à fait au-delà de l’aspect prison, ce type, il pense exactement comme moi. J’avais moi-même une pensée assez contestataire, dans les zones où j’étais, j’étais assez marginalisée, j’avais pas grand monde avec qui partager ça et en lisant, je me disais, il perçoit les choses de la même manière que moi, il les analyse comme moi, il a les mêmes révoltes face aux mêmes situations absurdes. C’était donc quelqu’un avec qui je voulais parler, on est entré en matière par le biais d’un étudiant à l’université. À l’époque, j’étais assistante à Genève, on se connait depuis 87 c’est quelqu’un qui est très proche de moi.

Intervieweur : Est-il encore en prison ?

Yvonne Bercher : Non, alors il est sorti en 1987, quand le livre est sorti, en avril 1991, il a fait une tentative qui a raté, Il a tenté d’enlever un industriel vaudois, Christopher Wasserman, qui s’est sauvé, il l’avait mal attaché. Ensuite, il s’est évaporé, il est allé au Brésil, il est allé à Belém, dont il garde un souvenir extraordinaire, il peut en parler pendant des heures. Il est rentré car finalement il était un peu perdu là-bas, tous ces gaillards, ils rentrent au pays, car ils ont leurs racines quand même. C’est très paradoxal car Daniel, c’est à la fois un subversif, mais c’est aussi un bon Suisse. C’est quelqu’un qui aime le travail bien fait, la simplicité, c’est d’ailleurs marrant cette contradiction que j’ai aussi. Enfin, il est rentré jusqu’à ce qu’ils l’attrapent en 1995. Donc, il a eu quelques années pendant lesquelles, il a monté avec une équipe de gens qu'il connaissait et qu’il a réactivé. Ils ont fait une méga escroquerie des postes. Il y a avait une imprimerie clandestines à Berne, ils ont créé de faux chèques, faux papiers d’identité et de faux titres de transport. Il y a donc une cinquantaine de personne qui pendant des années ont voyagé dans toute la Suisse avec des abonnements plus vrais que nature. Il y en a seulement un ou deux qui se sont fais pincer car c’était mal fait. C’est vrai que si vous êtes complètement loqueteux et que vous exhibez un abonnement à 2000 balles, ça fait quand même bizarre, la vraisemblance joue aussi. Mais je veux dire sans ça, certains abonnements sont très bien passés. Il a été un petit peu clairvoyant dans les gens qu’il a engagé. Il a été vendu par deux catégories : des toxicomanes qui s’étaient fait pincer et il n’y a rien de plus facile que de faire parler un toxicomane. Et des gens qui voulaient toucher de l’argent parce qu’ils se rendaient compte que la poste avait perdu un paquet. Il y a un gaillard, qui habite dans le quartier et qui s’appelle Giles Roc qui était dans le coup, il est d’abord allé négocier avec la Poste, en disant écoutez-moi je sais qui a fait l’escroquerie contre vous. Mais combien est-ce que vous me donnez ? Étonnement, il s’est fait envoyé promener, il a rien touché. C’est un autre gaillard qui a tout dénoncé à la police genevoise et qui a touché 5000 francs. Ça a pu être prouvé par des procès verbaux. Il y a beaucoup de gens qui ont été impliqués dans cette histoire, moi, j’ai été entendue comme témoin, j’ai aussi eu une perquisition ici, mon fils avait 5 mois, ça s’est très bien passé, ils ont été d’une grande courtoises. Ils se doutaient bien, que je ne dirais pas grand chose. L’inspecteur qui menait cette enquête et qui est malheureusement à la retraite, était quelqu’un de très humain, très intéressant, il était en fait, fasciné par cette bande. Il me disait mais nous, on aime mieux discuter avec des gens comme vous, que d’arrêter des petits toxicomanes, ça nous déprime, on déteste faire ça. Il se rendait compte qu’il y avait une idéologie politique derrière. Il y a eu d’ailleurs de la redistribution car les gens qui allaient au guichet devait faire des versements aux organisations d’aide du tiers monde, ou des parrainages au Nicaragua. Ils ne l’ont pas tous fait mais il y avait cette idée-là, essentiellement de donner du travail et de mobiliser un monde helvétique et de leur faire faire quelque chose de productif. Et puis, la Poste n’était pas une victime comme « un vieux », il y avait une question de légitimité qui avait été pensé. Daniel Bloc, quand il est rentré, en fin 1992, il s’est retrouvé ici avec un mandat d’Interpole aux fesses, à devoir gagner sa vie et il a réactivé cette idée en la faisant passé du stade artisanale au stade industriel. Le problème a été dans le recrutement de gens qui n’étaient pas tous adéquats. Et la cavale, vous savez, c’est une ambiance très usante, il y a une tension terrible. Vous savez que l’arrestation va tomber, mais vous ne savez pas quand, vous ne savez pas comment, alors les gens s’engueulent, ils sont au bout du rouleau, c’est très dur.

Intervieweur : Pour revenir, là nous avons parlé de Daniel Bloch, mais il me semble que dans ce que vous m’aviez écrit et ce que j’avais aussi pu lire en me renseignement sur votre parcours, que vous étiez une fois à une gare et que ce qui vous a poussé à réfléchir sur les droit des prisonniers est-ce que vous avez rencontré un détenu ?

Yvonne Bercher : Oui, mais là c’était bien avant que je lise le livre, je ne devais même pas avoir 20 ans, je faisais le Gymnase à Lausanne et tous les jours, je prenais le train. Un jour, sur le quai de gare à Lausanne, je vois un gaillard menotté entre deux flics, on se croise comme ça et on se regarde. C’était très frappant car dans ce regard, il y avait quelque chose, c’était presque écrit, témoigné, pour moi. Il y avait beaucoup d’intensité, de souffrance, il y avait beaucoup de révolte aussi. C’était un moment fondateur. Et puis, les jours ont passé, j’ai vécu d’autres choses, comme un petit Poucet, j’avais déjà quelques pierres derrière moi quand j’ai lu « La bande à Fasel ». Ça tombait dans un terrain fertil, il y avait une implication, comme je vous l’ai écrit, j’ai manqué moi-même de liberté quand j’étais jeune, c’est clair que je me sentais du côté de ces gens pour qui chaque détail a une importance énorme. C’est ça qui est le plus difficile à comprendre pour les gens qui ne sont pas des détenus. Le détenu, il existe qu’à travers ce qu’il va capter de l’extérieur, il en est complètement dépendant, il est dans un espace où il n’a plus de recul, où il est aux mains d’autrui. C’est un endroit très sonore la prison, vous avez tout le temps des bruits. Il faut comprendre ce que vivent les gens.

Intervieweur : C’est d’ailleurs pour ça qu’on fait des entretiens, c’est difficile de parler du droit des prisonniers, envisager exactement ce que c’est, sans avoir des témoignages. On aurait d’ailleurs dû essayer de contacter un détenu.

Yvonne Bercher : On pourra essayer de contacter Daniel ensemble si vous voulez. Mais, on l’appelle « le général fantôme », sa spécialité, c’est de prendre des engagements et après pour les réaliser c’est la croix et la bannière. Il est basé à Neuchâtel, il vous faudra peut-être vous déplacer.

Intervieweur : Par rapport aux changements entre le début où vous avez commencé à militer et la fin? Est-ce qu’il y a des choses qui ont évolué ? Positivement ? Négativement ?

Yvonne Bercher : Oui disons, moi ce qui m’a frappé c’est que même avec une procédure pénale commune aux cantons, les mentalités cantonales sont très différentes les unes des autres. Là, où on a obtenu la meilleure écoute de la part des autorités c’était dans le canton de Neuchâtel, on a été reçu par des gens qui étaient courtois, qui désiraient entendre ce qu’on avait dire, c’était structuré et j’ai vraiment senti une écoute. On avait obtenu des assouplissements parce qu’il y avait des histoires de droit de promenade non respectées. Les droits des détenus sont les courriers, les promenades, les visites. C’est tout ce qui permet vaguement de sortir de la condition. Ça vous le trouverez sur mon site internet. J’ai aussi écrit un article sur les transferts d’une prison à l’autre : sur ce que l’administration faisait. Il y avait souvent des révoltes ou des contestations où les gens se regroupaient. Il y avait des gens comme Jacques Fasel qui avait un véritable talent pour faire monter la mayonnaise, ça bougeait, ça contestait, ça pétait... Alors quand ça commençait à bouger de trop, on en prenait un qu’on envoyait en Argovie et l’autre à Lugano. Avec un peu de chance, les affaires suivaient ou ne suivaient pas. Il y avait des pertes lors des transferts, des vols, il y a donc eu beaucoup de revendications là-autour. Alors qu’on avait d’un côté une loi qui nous disait que les transferts visent des mesures de sécurité, comme par exemple prévenir une évasion, on voyait bien qu’ils n’étaient pas du tous utilisés comme ça dans la pratique. Ils étaient utilisés pour briser la contestation. On a un contre-exemple, il y a eu une évasion sanglante en 1990, où depuis 15 jours les autorités avaient su par les gardiens qu’il y avait une évasion qui se préparait et que ça serait violent. Et elles auraient dû faire des transferts car on savait qui était plus ou moins dans le coup. Quand, ils ont fait une espèce de fouille et qu’ils sont arrivés dans la cellule de celui qui cachait les armes, il a fait semblant d’avoir un malaise pour se rendre chez le docteur et ça a marché, ils ont suspendu la fouille et ils n’ont pas trouvé ces armes. Mais quelques jours après, ce qu’ils ont fait, c’est qu’au lieu de prévenir, ils ont surarmé la police tessinoise, avec un arsenal pour faire la guerre, ils ont tiré dans le tas et il y a eu deux morts. Il y a eu un gaillard qui s’était fait tirer dans le ventre qui a témoigné dans mon bouquin. Psychiquement, il était foutu car toutes les nuits, il faisait des cauchemars, il revivait ça et il avait des gros problèmes, de santé, intestinaux, et autres épouvantables qu’il garderait sans doute jusqu’à la fin de ses jours.

Ce à quoi il faut être attentif, c’est que le discours et la pratique ne sont pas séparés par un fossé car on a une hypocrisie et un mensonge là-dedans. Si on dit, on est dans un état répressif ça fonctionne comme ça et qu’on l’annonce aux gens au moins ce n’est peut-être pas sympa mais ça a le mérite de l’honnêteté. Mais là, on a un discours suave dans les demies teintes à la Suisse et on a une pratique où on laisse moisir les gens pendant des années. On a toute une zone grise, si vous voulez, contre laquelle on luttait.

Intervieweur : Est-ce vous avez réussi à avoir justement un impact là-dessus ? Quels changements, vous avez pu apporter dans la question des droits des détenus ?

Yvonne Bercher : Moi, quand j’étais en stage d’avocat, j’avais fais un recours pour faire sortir un gaillard d’isolement. Mais juste avant, ils l’ont sorti, pourtant j’avais prévu le coup, même s'il te sorte, il faut rester appuyé, on sentait qu’ils allaient le sortir pour dire après « défaut d’intérêt actuel » et puis c’est ce qu’ils ont fait. C’était de toutes petites victoires si vous voulez. Il y avait des gens dont le courrier était bloqué, c’était des petits trucs vus de dehors mais lorsqu’on est dedans, c’est énorme.

Intervieweur : Vous avez parlé dans ce que vous nous avez écrit qu’au niveau de l’évolution, vous pensiez que c’est pire aujourd’hui à cause des conditions des prisons. Mais est-ce qu’il y a des choses malgré tout qui sont quand même positives et qui se sont améliorées? Et que ces groupements qui luttent, ont quand même un impact ? Afin d’éviter que certaines personnes ne s’engagent plus, en se disant, je ne vais pas militer car il y a seulement des choses négatives qui ressortent? Est-ce qu’il n’y a pas des choses positives au niveau de la liberté des prisonniers ? Des choses qui ont évolué et dont vous avez pu constater ou que vous constatez, aujourd’hui le changement ?

Yvonne Bercher : C’est difficile, mais je dirais que c’est plus que jamais nécessaire de s’engager car la situation est plus serrée, plus difficile. Il y a eu quand même des choses comme avec l’introduction du bracelet pour les courtes peines, ça dégorge un peu, mais ce qui se passe malheureusement c’est que souvent ces mesures qui devraient se substituer, se surajoutent en réalité simplement. Elles s’appliquent à des gens qui de toute façon n’iraient pas en prison. Quelqu’un qui s’est beaucoup intéressé à ça c’est Christian-Nils Robert.

Intervieweur : Oui, nous voulions l’interroger mais il n’avait pas de disponibilités. Madame Ruchat le connaît.

Yvonne Bercher : Ce qu’il faudrait maintenant, c’est un guide à l’usage des proches, comme a voulut faire cette dame qui a fait ce mémoire sur les visites. Ça serait très utile et puis de toute façon les autorités surveillées vont se comporter mieux que des autorités non surveillées. C’est toujours valable. Il y a eu quelques avancées du côté des couloirs intimes, à mon époque c’était encore controversé, je ne veux pas dire que tout est négatif mais de manière générale, on vit maintenant une époque qui n’est plus répressive que dans les années où je vivais. C’était déjà loin mai 68, mais déjà moins loin que maintenant et idéologiquement, on en était encore assez proche. On n’avait pas des mouvements comme le MCG (Mouvement Citoyen Genevois) au pouvoir, il n’y avait pas cette espèce de froid moral qui souffle comme on a aux USA maintenant, par exemple des ascenseurs pour les hommes et des ascenseurs pour les femmes. Il y a un rétrécissement au niveau des mentalités comme toujours en période de crise économique. Je veux dire ce sont des phénomènes qui sont connus. On était plus dans le vent que maintenant, je pense que globalement ça serait plus difficile aujourd’hui. Je ne dis pas que je ne referais pas cette situation, vous savez le fait d’être militante c’est quelque chose qu’on a ou qu’on a pas en soi, mais ce n’est pas un sacrifice. Mais simplement quand on est de ce bois-là, on ne peut pas faire autrement, on va peut-être se focaliser pour d’autres choses aujourd’hui. L’esprit de se mobiliser, de faire valoir ses droits, je pense qui peut être en sommeil provisoirement pour une raison ou une autre mais qui restera toujours.

Intervieweur : Quand vous militiez c’était aussi une façon de faire valoir les droits des prisonniers ?

Yvonne Bercher : Bien sûr, on était des relais, des dépositaires, des sortes de représentants et d’ailleurs on était très mal perçu. Quand Bernard Ziegler, qui est d’ailleurs toujours avocat, était à la tête du Département de Justice et de Police, alors qu’il se prétendait socialiste, il n’y a jamais eu autant de gens à l’isolement. Nous, on avait stigmatisé, on avait fait une conférence de presse, on ne l’avait pas lâché et lors de la segmentation des gardiens, il s’était lamenté d’être persécuté par une association, ça nous avait fait très plaisir car on voyait que ça touchait au moins. Tout ça n’était pas rien. Nous aussi, on se fatiguait.

Intervieweur : Vous avez dit qu’aujourd’hui vous n’aviez plus envie de vous engager en tout cas pour la lutte des droits des prisonniers, mais est-ce que vous vous y intéressez encore ?

Yvonne Bercher : Bien sûr, je lis le journal.

Intervieweur : Par rapport à l’actualité avec cette histoire du droit de sortie avec le tueur présumé d'Adeline ?

Yvonne Bercher : Oui alors moi ça m’a fait vomir cette histoire, que tout le monde soit privé de sortie pendant un mois alors que ça n’avait rien avoir. Tous les gars n’avaient rien avoir, c’est vraiment une gestion populiste faible qui avoue sa faiblesse. Quel est le rapport et j’espère bien que tous ces gens vont faire recours. Car ça mérite le bonnet d’âne public pour des années. Évidemment, ça a remis en question, mais je n’ai pas lu les rapports sur la Pâquerette, mais je trouve très dommage qu’on ait parlé de la Pâquerette que quand il y a une chose comme ça, mais que quand ça allait bien, on ne dit rien. Il y a des quantités de gens qui se sont réinsérés grâce à cette structure.

Intervieweur : On a l’impression qu’on a donné un peu ce droit aux prisonniers, ce droit de sortie et à la moindre erreur, on enlève tout et puis on revient vingt ans en arrière.

Yvonne Bercher : C’est surtout que juridiquement, il y a quand même des convictions, des droits, on ne peut pas enlever tout à tout le monde car une affaire s’est passée. Que ça soit possible, j’étais sidérée !

Intervieweur : Est-ce que vous pensez que dans ce cas-là, il devrait y avoir des droits pour chacun ou peut-être des droits différents en fonction des cas, ou mettre en place des choses différentes en fonction des personnes ?

Yvonne Bercher : Évidemment, mais il y a quand même aussi une escroquerie monumentale concernant les délinquants sexuels. Il faut avoir une cohérence, les enfermer tels quels? On peut juste les neutraliser. Ce qu’il faudrait faire, mais nous n’avons pas l’argent pour le moment, c’est les traiter. Il y a au Canada et dans certains pays du nord, des endroits où ils ont fait des expériences, avec l’asile des fous dangereux où il y a tout un parcours fléché thérapeutique où ces gaillards sont observés sous la loupe, pris en charge, on les analyse. Ce qu’on ne fait pas ici, ici on les mets au trou et puis miraculeusement ils devraient être guéris, mais on ne voit pas pourquoi ?

Personnellement, qu’ils ne sortent jamais ça ne me dérange pas, il faut savoir que c’est qu’une petite partie des détenus et c’est d’autant plus scandaleux qu’à cause de 2 ou 3%, tout le monde soit privé de sortie alors qu’il y a des voleurs, des braqueurs qui vont tuer personne. Ça, ça été totalement scandaleux. La façon dont ça a été géré, je ne sais pas ce qui s’est passé pour que ce gaillard sorte seul avec une jeune femme, ce qui a suivi n’a pas été mieux.

Intervieweur : C’est un sacré retour en arrière.

Yvonne Bercher : C’est désespérant parce qu’on fait un pas en avant et deux pas en arrière. C’est très émotionnel le droit des détenus, les gens réagissent de manière émotionnelle, alors qu’il faut être rationnel. Il faut des analyses.

Intervieweur : Justement, je trouvais par rapport aux autres droits de la personne qui sont traités dans notre cours (enfant, femme), le droit des détenus est plus dur à justifier. Est-ce que ça ne serait pas les dernières personnes auxquelles on penserait dans la liste?

Yvonne Bercher : L’idée du peuple est qu’ils doivent être punis, c’est des salauds, donc il faut leur enlever des droits. Ce qui est une absence de réflexion, une vision à court terme. Tôt ou tard, ces gens vont sortir en principe et ils vont être appeler à se réinsérer et s’ils sortent dix fois plus révoltés qu’ils ne sont entrés, c’est dix fois plus nuisible. Personne n’a rien à gagner. Et moi, combien de fois j’ai fais signer des pétitions et les gens me disaient mais vous y pensez aux victimes? Et je leur répondais, mais justement monsieur nous y pensons. Tout le monde a intérêt que ces gens soient pris en charge d’une manière ou d’une autre.

Intervieweur : C’est très difficile, car les gens s’imaginent tout de suite, prison = meurtrier, assassin.

Yvonne Bercher : C’est la cause populaire par excellence, car il y a tout l’imaginaire qui se met en marche! Et ça, en plus dans une époque de régression économique comme on vit maintenant.

Intervieweur : Par rapport aux années 80-90, est-ce qu’aujourd’hui, on essaye un peu plus de tendre vers la réinsertion, ou l’on est toujours dans le « on les mets de côté » ?

Yvonne Bercher : Honnêtement, je ne peux pas vous répondre, parce que je ne suis plus en contact.

Intervieweur : D’accord, alors dans les années 80, on était déjà entrain de préparer les détenus à la réinsertion ?

Yvonne Bercher : Pas tellement.

Intervieweur : Un grand merci pour cet entretien et de votre investissement.