Entretien avec M. Alain Riesen
Entretien avec M. Alain Riesen
E : Depuis quand et avec qui (quel groupe) vous êtes-vous engagé dans la lutte pour les droits de la personne et quel était à ce moment-là votre statut (ou fonction)?
R : L’engagement proprement dit c’était dans les années ’71-’72, ma première expérience c’était en 1967. À la clinique psychiatrique de Belle-Air, à l’époque on appelait ça Belle-Air. C’était dans un pavillon fermé : admission hommes et pendant un mois j’étais aide soignant avant de décider de faire mon école de ergothérapie. C’est ma première expérience où j’ai vu, ce qu’on appelle la violence institutionnelle, c’est à dire un ensemble de patients dans une salle, à peu près deux foi comme celle-ci (4x2m.), nue, avec deux tables fixées au sol, deux WC ouverts sans portes et puis des hommes mélangés : troubles psychotiques, handicaps physiques en chaise roulante, handicaps mentales enfin un mélange. Ils passaient la journée dans cette salle et il y avait toujours un aide soignant ou un infirmier qui était là en train de les surveiller. On leurs donnait à manger à midi, une espèce de porridge, purée… Ils mangeaient vers 16.30, 17.00 heure et après on les couchaient. Il y en a qui étaient attachés sur leurs lit, soi-disant qu’ils faisaient leurs urines, et ils étalaient leur excréments sur les murs, alors on les attachaient. Ils restaient attachés toute la nuit. Ça c’est ma première expérience, jeune: j’avais 17-18 ans… Dans cette salle là on fermait à clé et puis les infirmiers me regardait à travers les vitres et les rideaux pour voir si j’allais supporter cette réalité-là… Voilà c’est ma première expérience où je me suis rendu compte après, que je ne connaissais pas… c’est vrai que la psychiatrie, c’était la première fois que je voyais des… et je me disais tient, voilà, c’est comme ça qu’on traite des personnes adultes qui ont des problèmes psychiatriques. À partir de là je suis parti faire des voyages en Europe, en Allemagne j’ai aussi vu des associations pour handicapés, j’ai fait des stages à l’hôpital cantonal, comme aide infirmier ou transporteur, je voulais connaître ce domaine et je voulais comprendre si je pouvais y travailler, si j’avais envie, si c’était mon désir de travailler dans ce domaine là. J’ai décidé malgré cette expérience forte: j’ai travaillé à l’hôpital cantonal à Beau Séjour, en rééducation physique et psychiatrie. J’ai décidé de faire de l’ergothérapie. La formation d’ergothérapeute, donc à la base j’ai une formation d’ergothérapeute et puis après mon école j’ai fait des stages à Belle-Idée. C’est pendant mes stages qu’on a créé déjà le premier groupe de réflexion et d’action qui s’appelait le CAS: Comité d’Action de Santé, avec des professionnels, des médecins, des infirmiers, des ergothérapeutes, des socio-thérapeutes pour réfléchir sur la réalité de l’institution, pas seulement psychiatrique, mais aussi globalement dans le domaine de la santé, une réflexion politique, de la politique institutionnelle. Donc voilà mon parcours... Mes premières actions étaient des actions de réflexion, assez rapidement, une années après je me suis engagé en psychiatrie institutionnelle et la question des droits des patients c’est posée; surtout sur le point de vue des conditions de vie, de la question de l’internement psychiatrique, de la question de l’hospitalisation non volontaire, la question de la sortie, toutes ces questions-là, le lien entre ce qu’on a appelé à l’époque la violence institutionnelle, ou institution totalitaire, c’est à dire une notion qui est venue de Goffman, le sociologue. C’est intéressant à lire, même s’il date, mais c’est le premier qui à conceptualisé l’institution totalitaire. Puis après, mes références étaient plutôt Robert Castel, autre sociologue français qui a écrit l’ordre psychiatrique. Pour moi, c’est une des mes références, avec Foucault, Michel Foucault au niveau de la réflexion institutionnelle. L’institution totalitaire se caractérise par l’identité de la personne, la personne est incurable, elle est dangereuse et elle doit être hospitalisée à vie, c’est à dire l’hôpital est le lieu de vie. C’est ça la conception qui vient des années 1850, la psychiatrie moderne se construit de 1850 à 1950, elle se construit sur un siècle de processus de médicalisation de la folie, des troubles psychiques. On 1900 On crée la clinique psychiatrique ici à Genève. Donc il y a deux éléments forts : c’est cette conception de la personne, incurable, dangereuse, on doit l’hospitaliser à vie parce qu’on ne peut pas la soigner dans un lieu clos ; donc on lui donne tous les éléments, on répond à tous ses besoins : manger, dormir, avoir quelques activités et quelques soins. Voilà… c’est un lieu fermé. C’est à partir de cette expérience là et de la prise de conscience de cette manière de concevoir l’autre ayant des troubles psychiques, que petit à petit se révèle la question des droits de la personne, petit à petit dans ce domaine, il surgit la nécessité de changer l’institution, changer les lois, de changer les pratiques etc. Il y a un ensemble d’éléments. Ce qui constitue une politique de santé mentale c’est l’institution. On appelait ça le dispositif institutionnel, c’est la théorie, c’est à dire la psychopathologie, la manière de définir l’identité de la personne, les corps des professionnels, les questions législatives, les droits des patients, le cinquième élément c’est… je ne me rappelle plus. Mais il y a cinq éléments qui constituent une politique de santé mentale, et ces cinq éléments sont articulés les uns aux autres, quand vous changez un élément tous les autres éléments changent, quand vous changez de manière significative. Au moment où il y a l’arrivée des neuroleptiques comme nouveau médicament, on peut enlever les barreaux dans le dispositif institutionnel, on peut considérer les professionnels comme des soignants et pas comme des gardiens de « prison », on peut éliminer les traitements de choc progressivement, etc. Un élément de ce dispositif, lors qu’il change de manière significative, il change aussi les autre, ils sont interconnectés. C’est cette prise de conscience de l’ensemble de ces éléments, puisqu’à l’époque on avait encore les grandes cures de sommeil, on avait les cures d’insuline pour provoquer, on avait les grandes cures d’électrochocs, tout ça se pratiquait sans le consentement du patient, puisqu’il était incurable et qu’il n’avait pas la capacité de discernement, il n’avait pas la capacité de dire « oui » ou « non » ; puisqu’il était fou, donc ce sont ces éléments-là.
L’engagement, l’action plus spécifique pour les droits des patients c’est à partir d’évènements concrets, c’est à dire à partir d’une tentative d’hospitalisation d’une femme commerçante du quartier de Sant-Gervais, parce qu’elle, je ne vous raconte pas toute l’histoire, mais pour vous dire que c’est toujours un événement concret qui fait surgir sur la dimension globale, c’est à dire la micro-conflictualité qui fait surgir une dimension globale et qui fait qu’il y a un débat publique, dans les journaux, à la radio, à la télévision, et que tout le monde s’empare de cette situation. Il y a trois éléments forts dans ces années-là, ‘71-‘75. Une tentative d’hospitalisation d’une commerçante du quartier de Sant-Gervais qui échoue, c’est à dire la police qui arrive avec l’ambulance, les infirmiers, ces commerçants téléphonent à leur avocat pour dire « ils veulent nous hospitaliser » parce qu’ils refusaient de déménager du lieu où ils étaient. Ils refusaient de déménager parce qu’ils avaient un commerce et dans ce commerce un jour la fille a dit « si vous m’expulsez je vais me tuer », elle a fait cette expression-là donc le procureur, toute la juridiction qui était lié à ce commerce a dit « ah, on va faire un examen psychiatrique ». Ils ont fait un examen psychiatrique avec un médecin, le médecin est venu dans le commerce et a fait un bon d’hospitalisation non volontaire, une semaine après l’ambulance arrivait. Durant ce moment très fort, elle a réussie à téléphoner aux avocats, les avocats sont arrivés, il y a des gens de la rue qui se sont attroupés autour du commerce et ils n’ont pas réussi à prendre cette femme pour l’hospitaliser à Belle-Idée, ça a fait la une des journaux, ça a fait un scandale… Cette femme a vécu vingt ans sans problèmes dans son commerce, mais pour vous montrer qu’il y avait une utilisation, de « l’arme psychiatrique » pour résoudre ce que, à l’occurrence, c’était un conflit lié à une personne qui ne voulais pas quitter son commerce, il y avait des mesures d’expulsion pour construire un beau bâtiment. Elle était dans un petit commerce, elle vendait des habits. Voilà je m’arrête là, je vous ai fait un film sur cette situation. J’ai fait une interview avec cette femme qui expliquait comme elle a subit l’examen psychiatrique à l’intérieur de son commerce, le médecin psychiatre est venu dans son commerce pour lui dire qu’elle devait subir un examen psychiatrique et c’est lui qui a fait un bon d’hospitalisation non volontaire.
Donc, en deux mots, c’est à partir de mon expérience et des situations conflictuelles, il y en a trois ou quatre encore que je pourrais citer, qui a émergé la nécessité d’un mouvement pour les droits des patients
E : Est-ce qu’il y a aussi une influence extérieure qui a fait qu’ils ont commencé toutes ces luttes, tous ces débats contre la psychiatrie ?
R : Alors, les événements extérieurs, le moment fort c’est mai ’68. C’est le mouvement qui n’est pas seulement un mouvement, c’est un mouvement global au niveau de l’ensemble des pouvoir institutionnels en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique latine. Il y a un moment de contestation extrêmement puissant des pouvoirs constitués, des pouvoirs institutionnels, que ça soit, la famille, l’usine, la santé, l’éducation etc. Il y a un mouvement de contestation des normes institutionnelles, ça c’est le mouvement global. Nous, comme jeunes étudiants et professionnels, on est dans cette dynamique-là, on est dans une dynamique de réflexion, de contestation des pouvoirs institués. Dans le domaine du champ spécifique de la santé mentale, il y a la création du réseau d’alternative à la psychiatrie. Vous pouvez aller chercher les documents dans les archives contestataires. Il y avait notamment un groupe, une association qui s’était créé pour récolter des archives liées au mouvement des femmes, à la santé, à l’éducation, etc. Et nous nous avons donnés nos archives sur le réseau d’alternative à la psychiatrie. Donc ce qui est extérieur, c’est des professionnels et des patients qui réfléchissent à une autre manière de pratiquer le soin.
Donc c’est l’expérience italienne de Basaglia et Giovanni Jervis, qui est la fermeture de l’hôpital psychiatrique de Trieste. Donc moi, je vais dans les premières réunions qui étaient à Venise, les premières réunions du réseau d’alternative à la psychiatrie avec quatre ou cinq pôles. L’expérience italienne dont la réflexion était: il faut fermer les hôpitaux psychiatriques et développer un dispositif institutionnel sur le territoire. C’est ça l’idée de base. Avec différents courants, ils n’étaient pas tous au même niveau. Il y avait des courants: il y avait le courant Basaglia, institutionnel, il y avait le courant de Giovanni Jervis, dans une des villes italiennes près de Bologne; il y avait plusieurs courants en Italie. En gros, le courant fort était la fermeture des hôpitaux qui va se produire dans les années ’80 avec la Loi X qui dicte la fermeture des hôpitaux psychiatriques. Qui posait là un problème parce qu’il y a des régions qui ont très bien joué le changement et d’autres régions qui n’ont rien fait. Donc les gens se sont trouvés à la rue, sas foyer, sans atelier, etc. Parce qu’il y avait des régions qui étaient plus avancées que d’autres en Italie.
Il y a le courant anglais, c’est la création des communautés thérapeutiques. Ça c’est l’expérience de Laing et Cooper. Cooper a fait partie du réseau d’alternative à la psychiatrie, on a travaillé ensemble avec Cooper. Vous pouvez lire les différents livres de Laing et Cooper. L’idée est de rompre avec l’hôpital traditionnel et de créer des espaces de communautés thérapeutiques avec peu ou pas de médicaments. Où la personne va vivre sa crise psychotique sans médicaments. Une des expériences fortes de ce courant-là, c’est le livre de Mary Barnes, qui a écrit, c’est le patient qui a écrit son parcours pendant deux ans dans la communauté thérapeutique de Cooper et Laing. Ça c’est le courant anglais, anglo-saxon.
Il y a le courant belge, avec un psychiatre marocain-belge, qui a fait une expérience de communauté thérapeutique aux Etats-Unis dans le Bronx. Avec les communautés noires, africaines à New York et qui a développé une expérience en Belgique à Bruxelles, dans le quartier de Schaerbeek, un quartier qui est composé majoritairement de marocains, les populations qui viennent travailler, vivre en Belgique… et qui a développé un réseau d’institutions pour des gens qui ont des problèmes psychiatriques en dehors de l’hôpital psychiatrique.
Il y a le courant hollandais qui a encore une autre approche.
C’est un réseau, après il y a encore le courant français avec Foucault, Castel et Guattari, Félix Guattari, qui ont développé l’institution de la Borde, près de Paris. Une petite institution psychiatrique privée, avec un mode de pratique autogéré. Il y a un directeur, qui existe toujours maintenant. Guattari est décédé, mais il y avait un mode de gestion de la vie quotidienne entre soignants et soignés, où les personnes discutaient chaque jour de comment vivre ensemble, dans un lieu pour des gens qui ont des problèmes psychiatriques, avec une antenne à Paris. Une antenne où les gens qui sortaient pouvaient aller vivre après dans un quartier à Paris et puis il y avait plusieurs lieux de consultation ouverts, avec beaucoup de créativité, dans l’esprit en fait que les gens ont des capacités même si ils ont des troubles psychiques, et donc ces capacités, il faut leurs permettre de vivre avec. Voilà, les influences, c’est le réseau d’alternative à la psychiatrie.
Une des dernières réunions du réseau, ce réseau se faisait, il y a avait des réunions annuelles à Paris, à Trieste, vers Amsterdam, en Belgique à Bruxelles, on réunissait des groupes de professionnels avec des groupes de patients, parce que comme c’est à surgir des groupes de patients autonomes, indépendants, qui commençaient à prendre une certaine place. C’est-à-dire que le point de vue du patient n’est pas seulement une interprétation du professionnel, même bien veillant, même luttant pour ses droits, mais avec l’idée que les personnes concernées peuvent s’organiser pour avoir un réseau entre elles et avoir une parole, une action par rapport à leurs conditions de vie, leurs conditions de soin. C’est à partir d’une expérience, une dernière réunion à Genève, à la maison de quartier de la Jonction, du réseau d’alternative à la psychiatrie, où des équipes de tous les pays européens viennent et on discute des différentes expériences, qu’un groupe de patients de Genève est venu participer à cette réunion. Ils n’ont rien dit, ils ont écouté et, à la fin de cette réunion, ils sont venus vers nous, on était quatre ou cinq, médecins, ergothérapeutes, infirmiers, et ils nous ont dit, dans la rue, je me rappelle très bien, sur le trottoir, ils nous ont dit: « c’est le moment de créer un groupe, une association, un collectif pour défendre nos droits. Nous, seuls, on ne peut pas le faire, c’est trop difficile. Il faut qu’il y a une alliance entre des professionnels, des familles, des patients et des avocats, etc. » On a créé l’ADUPSY, l’association pour les droits des usagers de la psychiatrie. C’était la première association et on a fait un travail pendant plusieurs années pour accueillir les demandes, les plaintes, les critiques des patients. On a fait une permanence, donc c’était un travail hors professionnel, on était tous au même niveau, on était membres de l’association pour les droits des usagers de la psychiatrie. Un des patients, une des personnes qui nous avait sollicité est morte lors d’une hospitalisation à la clinique psychiatrique de Belle-Idée, lors d’une cure de sommeil à haute dose, dans une chambre fermée. C’était un des évènements qui a aussi été extrêmement puissant, qui a mis en évidence la réalité de l’institution psychiatrique. À la suite de ce drame, il y a eu une commission d’enquête qui a été faite et qui a mis en cause… La parole s’est libérée, si vous voulez. La commission d’enquête était composée de professeurs de psychiatrie et de professeurs de droit, qui ont eu l’intelligence d’interviewer pas seulement la direction mais aussi le personnel de la clinique. Tout ce que je vous ai expliqué au début, sur ce qu’on appelle la violence institutionnelle, a surgit. Ca a été un moment de crise important de l’institution, le directeur a été destitué. C’était une décision politique. La dimension du travail dans la communauté a été reconnue comme une dimension importante, à savoir diminuer le nombre de lits à l’intérieur de l’hôpital psychiatrique. On est passé de 600 à 300 lits en plusieurs années, et développer le secteur, la sectorisation, qui est le modèle institutionnel aujourd’hui encore en vigueur. C’est-à-dire diviser la ville en quatre secteurs et à ces quatre secteurs doivent correspondre un centre de consultation, un hôpital de jour, une unité hospitalière, mais où il y a une cohérence entre ses dispositifs institutionnels.
L’histoire du secteur va être trop longue à vous expliquer. Allez voir les textes français sur la sectorisation, ça vient de l’expérience pendant la dernière guerre mondiale. Le drame qui a vécu les patients psychiatriques en Europe, en Allemagne bien sûr, puisqu’ils étaient tués, exterminés beaucoup, handicapés mentaux et psychiatriques. Mais en France aussi, beaucoup de patients sont morts dans les hôpitaux psychiatriques pendant la dernière guerre. Ils sont morts de faim et de froid. C’est à dire qu’il n’y avait pas assez à manger. Donc les médecins de l’époque, les médecins progressistes, ceux qui avaient une conscience, ils ont ouvert les portes des hôpitaux et ils ont laissé aller vivre ces patients à l’extérieur pour éviter qu’ils meurent de faim et de froid. Après la guerre ils se sont aperçus que ces personnes avaient très bien vécu. Ils avaient donc des capacités d’intégration. C’est là qu’on a pensé qu’il fallait développer cela. Bien sûre, qu‘aujourd’hui c’est une évidence. Arrêter que l’hôpital soit le lieu de vie des gens, faire que l’unité de crise soit uniquement pour la crise et puis que les gens vivent à l’extérieur, c’est à dire dans la communauté.
Voilà, ça c’est l’expérience de l’ADUPSY, l’association pour les droits des usagers de la psychiatrie. Puis après j’ai participé à la création de la fondation Pro Mente Sana, c’est une fondation nationale qui a un secrétariat, où on pouvait aller interviewer. Ce sont maintenant des gens extrêmement compétents sur la question des droits des patients. Chirin Atant, est la juriste de cette fondation, secrétariat romand. Julien Dubouché est le secrétaire général, qui fait un travail pour développer, promouvoir, stimuler, accompagner toute la question des droits des patients psychiatriques. Donc j’ai participé à la création de cette fondation, fondation qui existait en Suisse allemande. J’ai participé à la création du secrétariat romand et en 1984, j’ai créé ce lieu avec un collègue.
Donc voilà, un tout petit peu, les éléments du parcours, où on a abouti aujourd’hui à un dispositif des droits des patients multiforme. Nous, on a toujours privilégié le soutien et l’accompagnement des groupes de patients. Aujourd’hui il y a quatre groupes de patients autonomes, c’est-à-dire sans qu’il ait des professionnels dans le groupe.
Le REV, c’est le groupe des entendeurs de voix. Vous avez entendu parler ? Alors, il y a quatre groupes, le REV: réseau des entendeurs de voix. C’est un très beau titre pour dire qu’il y a la problématique de gens qui ont des troubles, classiquement défini comme des hallucinations auditive. Ils se considèrent comme des gens qui entendent des voix et ils se réunissent et ils réfléchissent à la signification de ce que c’est ces processus extra-sensoriels. Ils essaient de sortir de la définition psychopathologique du délire et de l’hallucination auditive, sensorielle, visuelle. Pour réfléchir, ils se réunissent régulièrement, on leurs prêt le local ici. C’est notre contribution au groupe de patient. Ils viennent se réunir là, et une fois par mois ils ont des multiples activités.
Il y a le groupe AETOC, l’association des personnes qui ont des troubles obsessionnels compulsifs, les tocs. Vous voyez ce que c’est ? Ils sont réunis en association et ils font un travail, je dirais, entre eux. Principalement de débat, de réflexion sur la problématique des troubles.
Il y a l’association l’Expérience, qqui a développé des activités. Ils ont un local près de Lignon. Ce sont des gens qui sont à l’AI, qui ont des troubles psychiques et qui ont développé une activité propre. Puis ils font de la photo, ils font de la peinture, ils font plusieurs activités, mais aussi avec l’idée: « ce n’est pas parce qu’on est à l’AI, pour des raisons psychique qu’on ne peut avoir un point de vue sur les questions sociales, sur les questions institutionnelles, sur la question des droits…». Donc c’est un groupe qui s’auto-organise.
Le quatrième, l’association ATB, l’association des personnes qui ont des troubles bipolaires et dépressifs. L’ATBEP, l’association des personnes qui ont des troubles bipolaires et dépressifs, qui font aussi un travail entre elle, de débat, de discussion sur ce que c’est de vivre avec ce type de trouble.
Donc aujourd’hui, si vous voulez, ce qui me parait intéressant c’est l’avancée de ces groupes et la réflexion, le lien qu’on peut avoir avec ces groupes comme professionnels. La question des droits est toujours d’actualité, parce que la question de l’hospitalisation non volontaire et la question du traitement, du type de traitement qu’on propose, je, dis « propose » ou « impose » suivant le niveau de la crise dans laquelle la personne se trouve, est toujours quelque chose qui va être présent historiquement. Même si on trouve des modes d’accueil de la crise différents que le mode traditionnel, c’est-à-dire l’enfermement dans une chambre fermée, j’ai toujours pensé qu’il faillait développer des alternatives à ça. L’alternative qui me parait la plus intéressante, c’est la communauté thérapeutique. Il existe en Suisse une communauté thérapeutique, à Berne, qui s’appelle Soteria, l’association Soteria. C’est un professeur de psychiatrie qui a développé cette association qui existait aux Etats-Unis, qui est un modèle d’accueil de la crise, différent du modèle classique, traditionnel, où la personne est hospitalisé contre son gré, a un traitement de type neuroleptique pour réduire la crise, elle retrouve ses capacités relationnelles et sort de la clinique sur un temps relativement court. La communauté thérapeutique, ce n’est pas, ou peu de médicaments. Le temps de la crise est plu long, il est plus difficile, c’est douloureux de vivre une crise psychotique. Mais la personne a l’occasion de réfléchir sur son processus. Donc ce qui me paraît intéressant aujourd’hui dans le débat c’est la possibilité d’un choix, un choix à l’intérieur du cadre législatif. Je ne pense pas qu’on arrivera à éliminer toutes contraintes par rapport à la question de la crise, à la question de l’urgence psychiatrique; ou du moins le débat est ouvert: « est-ce que c’est possible d’éviter pour toutes situations une contrainte du type médico-policier ? » Parce que c’est ça ce qui se passe quand une personne a une crise. On fait appel au médecin de garde à l’urgence et à la police. Est-il possible ? Une des vraies questions sur les droits est celle-ci : « Est-il possible de développer une autre approche dans la crise qu’une contrainte ? » De mon expérience, je dis non. Je dis non, parce que la réalité de la crise, même si on ne sait pas pourquoi une partie de la population va développer un processus atteint du type psychotique, n’empêche que la crise existe réellement et il y a vraiment une déconnexion de la personne par rapport à la réalité. La question de la dangerosité, que ce n’est pas une question médicale, c’est une question médico-sociale, de société, qu’est-ce que c’est la dangerosité ? Elle est à évaluer, même si c’est deux médecins en face d’une personne en crise qui menace autrui, auront une évaluation de la dangerosité différente. Le médecin qui a 25 ans d’expérience il aura une autre manière d’aborder la dangerosité que le jeune médecin qui a 3 ans d’expérience. La question de l’interprétation et de la compréhension, par exemple, de la notion de dangerosité, qui est une des notions essentielles pour hospitaliser une personne contre son gré, est essentielle. Il faut que la réalité du trouble, il faut que le médecin dit qu’il y a un trouble, il doit dire qu’il y a une dangerosité par rapport à soi-même ou autrui, et il doit dire qu’on ne peut pas faire autrement que le placer dans un hôpital psychiatrique. Il faut ces trois conditions sur la question des droits des patients. S‘il y a une de condition qui n’est pas remplie, on ne le fait pas. Il faut que les trois conditions soient réunies au même moment pour qu’une personne soit hospitalisée contre son gré. Mais tout de suite. Après son hospitalisation, elle doit recevoir ses droits, de dire, elle doit pouvoir contester son hospitalisation forcée. Ça c’est toute la dialectique. Il y a des patients qui disent que la réalité du trouble n’existe pas et, des personne qui contesteront systématiquement leur hospitalisation parce qu’il ne se considère pas comme malade. Ça c’est une question qui faut prendre bien au sérieux, bien entendu. De mon point de vue il n’y a pas tellement des statistiques, mais il doit y avoir un 10-20% de personnes qui ont des troubles, qui font des hospitalisations et qui sortent et qui ne se font pas soigner parce que de leur point de vue, ils ne sont pas malade. C’est la société, c’est vous qui êtes les agresseurs de cette personne. Vous voyez ? Ça c’est un vrai problème parce que ce sont les gens les moins défendus. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas de soin, ils sont dans une zone grise de la société, ils vont plutôt dans des espace de type SDF, pour les gens qui sont en situation précaire, ils vont au Carré, à la Couloure, dans ces espaces là et ils ont une forme de survie. Les autres les considèrent comme ayant des troubles, eux même ne se considèrent pas comme ayant des troubles, donc ils vivent dans ce qu’on appelle, une zone grise de la société. On commence à prendre en considération ces groupes de personnes et on commence à penser qu’il faut aller vers eux, là où ils vivent, des fois dans la rue, des fois dans des squats, des fois dans des lieux de vie précaire, des fois dans des hôtels, etc. Il y a toute une population qui ne démarche pas auprès de l’institution de soin et qui a des besoins spécifiques bien sûre.
E : Y a-t-il des valeurs que vous avez eu le sentiment d’avoir porté en avant et si oui lesquelles étaient-elle ?
R : Des valeurs ? Dans le sens ? Quoi vous pensez comme valeurs ?
E : Par exemple l’autodétermination, la liberté…
R : Oui, tout à fait. L’autodétermination c’est une valeur aujourd’hui qui est dominante. Il faudrait la définir car elle peut être ambiguë... Quelle autodétermination pour une personne qui a une forme de dépendance ou de trouble, qui justement limite son autodétermination ? Donc toute la question de l’autodétermination, c’est un concept intéressant, mais il faut voir comment il s’articule avec la réalité du trouble psychique. Ces valeurs pour moi, je les rapprocherais de ce qui s’est passé avec différents atteintes à la santé comme le SIDA, par exemple. Le VIH, où progressivement s’est mis en place. Pour ces personnes qui avaient le VIH, avec lesquelles on a travaillé ici, pas mal de personnes qui avaient des troubles psychiatriques ont eu le VIH. Pour moi l’autodétermination est beaucoup liée à la capacité de travailler collectivement. C’est-à-dire avoir une solidarité, un lien collectif et qui a fait émerger, ce qu’on appelle, vivre avec, avoir la capacité de vivre avec son trouble. C’est à dire de ne pas avoir l’illusion que ce trouble va disparaître par magie, parce qu‘un médicament, un traitement va pouvoir faire qu’on va retrouver sa pleine santé. Donc la question de l’autodétermination, c’est un nouveau mot, mais moi je l’ai toujours appliqué, depuis que je travaille. En gros on n’est pas dans des rapports de pouvoir, même s’il y a, est institué certaines formes de pouvoir, on accompagne des personnes dans un processus de vie, qui est d’améliorer constamment la qualité de vie des gens. Faire que le maximum de liberté ou d’autonomie, qui est propre de notre métier, l’ergothérapie c’est la possibilité de donner aux gens l’autonomie dans leur vie quotidienne, vie sociale, relationnelle, d’activité au maximum. Mais ça vous devez le faire même si la situation, la santé dégrade, parce que la réalité des personnes qui vivent avec des troubles psychiques, et ça c’est les études épidémiologiques qui le montrent, un tiers des personnes, quelle que soit la prise en charge, le traitement, etc. La situation de base se dégrade, c’est-à-dire ils vont perdre certaines capacités d’autonomie, à la place de vivre de manière indépendant dans un appartement, ils vont devoir aller vivre dans un foyer. Ça c’est sur plusieurs années, quand vous voyez un focus sur un ou deux ans vous ne savez pas si cette personne est dans un processus de dégradation, de stabilisation ou d’amélioration, voire de guérison. Vous le voyez sur des temps long, sur dix ou vingt ans. Donc la question de l’autodétermination elle doit être constante par rapport à la personne et au collectif, mais aussi dans la représentation qu’on peut en avoir, c’est-à-dire une partie, un tiers des personnes la situation va se dégrader. On travaille avec une personne dont on sait qu’elle ne va pas retrouver toutes ses pleines capacités. Un tiers des personnes en situation, ça c’est une étude sur mille personnes, c’est les grandes études qui sont très rares, qui coutent très chère, parce que vous étudiez sur vingt ans l’évolution de la maladie. Deux grandes études, une en Angleterre et une à Lausanne. Et à Lausanne, elle a été reproduite deux fois. Vous pouvez aller voir dans la littérature, les études épidémiologiques de l’école de Lausanne et qui montrent cette évolution. Un tiers des personnes améliorent sensiblement leur état de santé ou guérissent. On n’a pas cette représentation par rapport aux troubles psychotiques. On a plutôt une représentation où les gens vont vivre toute leur vie avec un trouble psychotique. Quand je dis trouble psychotique, ça peut être aussi une dépression chronique, un trouble bipolaire, etc. Ce sont tous les troubles qui handicapent la personne, qui limitent son autonomie. Donc un tiers des personnes améliorent ou guérissent. Quand ces études sont sorties, même les milieux médico n’y croyaient pas. On disant : « ce n’est pas vrai, on ne guérit pas d’une psychose.» Vous voyez ? Mais les études le montrent. Donc voilà, ce sont des valeurs, sur la question de l’autodétermination et de la liberté, ce sont des valeurs aussi qui doivent se construire à la mesure de votre statut. Quand vous êtes professionnel vous avez une certaine compréhension, une certaine vision des troubles. Lorsque vous êtes chercheur, vous avez une autre vision. Lorsque vous êtes patient, vous avez une autre vision. Si vous êtes un avocat, un avocat il va défendre quel que soit la « réalité » du trouble. Il va défendre à fond son client pour qu’il sorte. Si son client est dans l’hôpital et lui dit: « je veux sortir de cet hôpital », il va tout mettre en œuvre pour faire que cette personne sorte de l’hôpital, même si son client est devant lui en train de lui dire qui fait partie de la CIA ou du KGB, etc. Il est dans un rapport où la question de la liberté répond aux besoins de la personne, dans cette expression qu’elle a : « je suis enfermé à cause d’une organisation qui a décidé de m’enfermer.» Quel est la part d’interprétation, d’évaluation, de ce que vous faites… Ça existe la CIA, ça existe des gens qui le font, c’est réel. Qu’est-ce que vous savez que la personne est soumise à… Voilà, c’est facile de dire qu’elle a un délire. Il faut en premier aller voir si elle n’est pas liée à une organisation. Point d’interrogation… Si vous êtes un professionnel de la santé mentale, vous dites ça c’est un délire, si vous êtes un avocat vous dites autre chose… Donc la question de la liberté est aussi relative. Le plus intéressant est de travailler en interprofessionnel, en inter-discipline, parce que vous avez une capacité, vous avez un regard, des regards croisés, donc vous avez une autre approche que strictement un regard de médecin, d’infirmier, de chercheur ou d’avocat, ou de juriste. L’intéressant c’est de toujours se poser les questions avec un point de vue différent.
E : Qu’en est-il aujourd’hui de cette lutte et des acquis et des risques de retour en arrière ? Sur quoi faudrait-il continuer de se battre, de lutter ? Est-ce que vous continuez aujourd’hui de vous engager et sur quoi ?
R : Alors, au niveau de la lutte, c’est entre guillemets. Toute la lutte liée aux droits des patients, elle s’est un peu institutionnalisée. C’est-à-dire qu’il y a des structures qui se sont mises en place pour défendre les droits des patients, les droits des assurés. Tout ça s’est construit, ça c’est un peu figé avec des aspects positifs et des aspects négatifs. Les aspects positifs c’est que c’est pour tout le monde et c’est la possibilité d’accéder à un service, c’est des lois qui ont changées, c’est la reconnaissance par exemple. Il y a la loi sur l’hospitalisation non volontaire, il y a une commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients. Si vous voulez, dans la loi qui est notre expression politique de la question du droit, elle est inscrite dans la constitution, dans les lois. Les droits des patients sont inscrits dans la loi. En 1950, ’60, ’70, ça n’existait pas. Aujourd’hui ce l’est. Cette commission de surveillance des professions médicales et de la santé est composée de représentants, de personnes qui sont dans des organisations de défense des droits des patients. Si quelqu’un conteste une hospitalisation, ou un traitement, il va y avoir une commission composé d’un avocat, d’un médecin et d’un représentant des droits des patients. Vous pourriez y être, si vous êtes dans une organisation qui est reconnue comme faisant partie de la défense des droits des patients. Vous pourriez aller voir ce patient avec un médecin et un avocat et écouter la personne qui va dire pourquoi elle conteste son hospitalisation … Ça c’est nouveau. Ca c’est une vraie avancée de reconnaissance. Est-ce que ça a changé la pratique ? Des fois oui, des fois non. Parce que la puissance du pouvoir médical est toujours très, très forte. Ce n’est pas facile de contester un diagnostic. Est-ce que vous pourriez contester un diagnostic de schizophrénie, dire autre chose ? Non, cette personne n’est pas schizophrène. Aujourd’hui la référence c’est le corps médical psychiatrique qui le donne. La référence, entre guillemets, scientifique et idéologique c’est le pouvoir médical. Donc la question à se poser c’est la place de la force, de la puissance du pouvoir médical. C’est extrêmement rare qu’un médecin soit contesté, même s’il y a trois ou quatre contre expertises. Mais c’est toujours les médecins qui définissent l’identité psychopathologique de la personne. C’est une avancé qui a eu des représentants des droits, mais c’est suivant qu’elle est la personne aussi, les personnes sont importantes, leurs expériences, leur capacité à contester le point de vue du médecin avec l’avocat, il y a toujours un avocat, un juriste. Donc de nouveau, il y a une réunion de trois personnes qui vont aller vers le patient, qui vont l’écouter, puis après qui prennent une décision, et des fois ils prennent une décision que la personne peut sortir: « là, on ne comprend pas pourquoi vous la retenez à l’hôpital…» ; mais c’est plutôt rare. Le pouvoir médical est encore celui qui est puissant dans son expertise, dans sa capacité de convaincre et de faire peur. C’est à dire : « si vous sortez cette personne le risque de dangerosité existe toujours.» Quand vous dites ça à une commission ou à un groupe, le médecin dit : « attention, le risque que cette personne soit de nouveau dangereuse à l’extérieur, puisqu’elle a, imaginons qu’elle a menacé ces voisins. » Vous hésitez à libérer cette personne. Donc il y a des avancées institutionnelles, il y a des droits reconnus, les personnes peuvent y faire appel. On a même à Genève introduit la notion de conseiller accompagnant. Toute personne hospitalisées peut faire appelle à une personne à l’extérieure, simplement pour faire valoir son point de vue. On appelle ça des conseillés accompagnant, on ne peut pas vous opposer, on ne peut pas vous dire : «non, vous êtes trop malade, vous n’avez pas le droit à un conseiller d’accompagnement». Nous c’est ce qu’on faisait comme militant, maintenant c’est institué, il y a un groupe de six accompagnants, dix accompagnants, la personne est à l’hôpital, elle conteste son hospitalisation, elle a la loi où c’est marqué : « vous pouvez faire appel à un conseiller accompagnant ». Pourquoi c’est important ? Parce que quand on a une crise, souvent, tout le réseau autour de vous éclate et vous vous retrouvez seul dans l’institution. Quand vous êtes seul c’est extrêmement dur. C’est pénible de se retrouver seul face à l’institution, d’où l’importance d’avoir une personne de l’extérieur qui va être à coté de vous et qui va vous aider à exprimer votre point de vue. Ça c’est une autre avancé législative, dans la loi il y a cette possibilité-là.
Ce qui a changé: le mouvement général de contestation des formes traditionnelles de la psychiatrie est un peu moins fort qu’avant, ça c’est la réalité. Il y a même des régressions, ça c’est mon point de vue. Devant la montée de l’extrême droite et des mouvements populiste il y a des formes de stigmatisation de groupes, de populations, avant le de l’extrême droit était axée sur les étrangers, sur les populations, sur l’immigration, sur le danger des étrangers qui viennent manger le pain des suisses et prendre la place des suisses. Maintenant ils ont décidé de cibler d‘autres groupes de population, des personnes qui sont assistées, qui abusent de l’assistance, les personnes qui sont handicapés psychiques, qui abusent des revenues de l’assistance. On est dans des formes, aujourd’hui, de régression sociale et politique par rapport à il y a vingt ans. Très concrètement grâce à ces mouvements de extrême droite, qui s’attaque à des groupes de population qui n’ont pas les capacités, d’abord une représentation politique forte, ils réussissent premièrement à, progressivement avoir des stratégies de prise de pouvoir politique, ils sont de plus en plus importants, donc il faut faire très attention à ces groupes là, mais au même temps ils limitent les droits des personnes concernées. Dans le domaine psychique, très clairement, c’est grâce à ces groupes là que la question financière, de financement des hôpitaux est questionnée. Il y a eu une contestation de l’hôpital psychiatrique sur les réductions budgétaires par rapport aux hôpitaux psychiatriques, donc une pression beaucoup plus accrue sur le personnel. Il y a eu un médecin qui s’est suicidé dernièrement, un chef de clinique. un jour après être venu ici avec des patients. C’était un type très, très intéressant, qui a vécu un burnout et s’est suicidé. Il a laissé une lettre qui conteste le pouvoir psychiatrique de son chef. Aujourd’hui, c’est un directeur de la clinique, enfin de tout le dispositif institutionnel, très intelligent, extrêmement fin comme analyse, mais très autoritaire et qui suit la logique de réduction des moyens. Donc il y a une réduction des moyens, une réduction du personnel et il y a une augmentation du nombre de personnes qui sont en crise, qui souffrent. Ça crée des tensions. Donc, on est dans des processus de régression et puis on est, par rapport à la population, on le voit bien, il y a moins de tolérance, il y a moins d’acceptation des personnes qui ont des troubles psychiques. Parce qu’on revient sur le discours sécuritaire, qui est un discours dominant aujourd’hui, c’est–à-dire mettre en place des moyen de sécurité pour la population. Ce discours sécuritaire fait que vous avez souvent des amalgames entre troubles psychiques et danger. On l’a vu dernièrement: la mort de cette jeune femme, vous avez suivi l’actualité… Cet homme qui était en prison et qui a tué cette socio-thérapeute. On voit bien qu’à travers ces événements-là, il va y avoir une augmentation des mesures sécuritaires, des mesures d’enfermement. On va revenir progressivement à des formes, en France ce l’est déjà, la loi a déjà changé par rapport à l’hospitalisation telle que je vous l’expliquait, sous l’effet de deux ou trois événement graves et puis chez nous ça va bientôt se préparer. On est en train de construire la nouvelle prison psychiatrique à l’intérieur de Champ-Dollon. Vous en avez entendu parler? Ils vont construire l’unité psychiatrique à l’intérieur de la prison pour les personnes qui ont des troubles psychiques et qui sont dangereuses.
Donc je dirai il y a des avancés législatives, au niveau des droits, mais il y a des régressions aussi sous l’effet des politiques publiques.
E : Est-ce que vous pourriez juste nous dire si vous continuez être engagé…
R : Toujours au niveau personnel, au niveau de l’esprit. Au niveau concret, un peu moins parce que je suis à la retraite. Je travaille toujours, mais j’ai un peu plus de distance. Avant je faisais partie du conseiller accompagnant. Aujourd’hui, je me tiens à disposition. Enfin, j’ai toujours une pratique ici mais je vais la diminuer progressivement… Après, je crois que j’irai faire un petit peu moins qu’avant, mais je reste toujours disponible s’il faut se battre.
E : J’aurais juste une question, ou réflexion… si dans les années qu’on est en train de voir, années ’60-’80, le niveau d’acceptation, pouvait être lié au fait de connaître ces personnes… aujourd’hui se relie plutôt, comme vous avez dit à tout cette conception de sécurité de la société, de protection…
R : Tout à fait, on est un peu dans ce mouvement-là. Mais le mouvement d’intégration il est quand même fort. Le mouvement d’intégration, les gens, globalement, qui ont des troubles psychiques, ils vivent dans la communauté, ils sont dans des foyers, ils sont dans des… On a créé des néo institutions totalitaires, pour être provocateur. Au lieu d’être 800 dans un lieu clos, ils sont 3'000 - 4'000 dans le territoire, mais dans des mini institutions. Ils viennent chez nous, ils dorment dans un foyer, ils ont un réseau un peu « néo-institution-totalitaire ». C’est-à-dire, est-ce qu’ils sont véritablement intégrés ? Qu’est-ce que c’est l’intégration ? Est-ce qu’ils travaillent dans le même lieu de travail ? Est-ce qu’ils vivent dans les mêmes immeubles ? Est-ce qu’ils côtoient le même… Il y a tous les niveaux là, je pense. Depuis que des gens qui doivent être dans des foyers parce qu’ils n’arrivent pas à vivre concrètement dans un immeuble à leurs besoins de la vie quotidienne, mais il y a des gens qui ont un niveau d’intégration, entre guillemets, normal. Parce que la question du handicap n’est pas liée à la personne, leur handicap c’est une interaction entre des facteurs des contextes d’environnement et des limitations fonctionnelles et relationnelle de la personne. Le handicap c’est cette interaction. Jusqu’à présent on a une vision du handicap liée à la personne : « ah, vous êtes handicapé, vous avez un trouble, vous ne pouvez pas passer l’aspirateur, etc. vous avez un trouble fonctionnel » Mais on ne le voit jamais en fonction du contexte. Pour moi, les limitations dans le handicap c’est cette interaction, qui est presque une construction sociale. Suivant l’environnement, si vous avez un environnement très discriminant, vous êtes bien sûre, entre guillemets, très limité. Si vous avez un environnement complètement intégré, vos limitations ont moins de force. C’est vraiment cette interaction qui est importante pour moi. D’où l’importance d’agir sur l’environnement et pas seulement faire du soin, de l’éducation… il faut faire en sorte que les structures changent, que la société change dans ses formes d’organisation: le logement, l’entreprise, le travail… Il faut avoir une action là-dessus.
E : Juste une dernière… Si on parle des neuroleptiques, il y avait tout un débat dans les années ’60 sur enfermer la folie ou libérer la personne, libérer la folie enfermer la personne. Vu que aujourd’hui il n’y a plus cette notion, cette pratique de vraiment enferment… Les neuroleptiques ça serait plus enfermer la folie ou enfermer la personne en tant que individu, singularité ou possibilité d’expression
R : Oui, c’est très complexe. La question du médicament est très, très complexe parce que le médicament n’agit pas sur les causes. L’étiologie on ne le sait pas, il faut être claire. En tout cas, la communauté scientifique n’arrive pas expliquer pourquoi une personne développe un trouble de type psychotique. On a que des hypothèses, mais une hypothèse n’est pas une vérité. Du coup, ce qu’on a développé comme traitement, c’est des traitements symptomatologiques, on agit sur le symptôme, on agit sur le processus délirant. Le médicament coupe le processus, quand vous arrêtez le médicament le processus revient. Donc on est dans un rapport de… alors, des fois ça fonctionne, ça coupe le délire, ça coupe l’hallucination, mais des fois pas. Le médicament n‘arrive pas, la force du symptôme est beaucoup plus puissante que le médicament. Vous avez des personnes qui ont des symptômes et qui ont encore des processus délirants; mais le médicament agit là-dessus. Alors, la question des médicaments est la question de l’interaction, c’est le rapport entre soignant et soigné. C’est la relation que vous avez avec votre soignant qui détermine la question du traitement. Si vous êtes dans la communauté, vous avez le droit de refuser le traitement, vous pouvez totalement dire : « je n’ai pas besoin, je ne veux pas ce traitement ». Vous avez la capacité, la liberté de dire non. Forcement quand vous faites une crise, deux crises, cinq crises, petit à petit, vous comprenez que le médicament vous évite cela et vous le prenez. Mais le médicament restreint, car le neuroleptique, la première génération il couvrait tout le champ de l’imaginaire, tout le champ de la conscience, donc c’était extrêmement dur à vivre. Le médicament non seulement coupait un symptôme, mais il vous empêchait d’imaginer. Vous aviez des formes de vie figées, même au niveau de l’esprit. Donc pour les gens, à un moment donné, ça devient insupportable; donc ils arrêtaient le médicament. Ils étaient mieux et tout d’un coup les crises reviennent. Le médicament psychotrope est un moindre mal devant quelque chose plus douloureux à vivre. Parce que vivre la crise psychiatrique, si vous avez des témoignages, c’est une souffrance terrible, mais terrible. J’ai donné des cours et je montre des témoignages de patients, de femmes et de hommes, qui décrivent ce que c’est la crise psychotique… c’est vraiment une souffrance infinie. Donc la question médicament est très délicate. Les nouveaux neuroleptique, la nouvelle génération cible de manière plus précise les processus des neurotransmetteurs, donc elle envahit moins la conscience, l’imaginaire, la capacité du désir, du plaisir, des relations, etc. Mais tout de même, ces médicaments restent puissants. Donc à un moment donné, les gens n’en peuvent plus, ils arrêtent. Mais arrêter brutalement, c’est dangereux. Il faut faire un processus de sevrage contrôlé médicalement. Donc la question des neuroleptiques est une question centrale, dans la question des troubles psychiques, que ça soit les neuroleptiques, les antidépresseurs, ou pour les troubles bipolaires ou lithium, ou n’importe quel psychotrope. Donc c’est toujours une question que le soignant, la personne et son entourage doivent se poser. C’est légitime, à un moment donné, dire : « j’arrête ! » ou « Je veux voir comment ça se passe sans traitement.» Il faut toujours donner la possibilité à la personne d’être, justement, dans ce tiers de personne qui va guérir ; qui n’aurait pas besoin, qui n’aurait plus besoin de médicaments. On pourrait faire des heures sur le sujet…