Enfance protégée, familles encadrées, Matériaux pour une histoire des services officiels de protection de l'enfance à Genève

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Dans cet ouvrage, l’auteur se propose d’étudier les contextes d’émergence des organisations de protection de l’enfance. La période étudiée se situe de 1891 (loi sur la puissance paternelle) à 1937 (année marquée par la création de l’Office de l’enfance). Pour se faire, Nelly Delay-Malherbe analyse et s’appuie entre autres sur les mémoriaux des débats du Grand Conseil.

Il semblerait que l’idée dominante de la seconde moitié du XIXème siècle soit celle du pouvoir de l’homme sur la nature. En effet, celui-ci serait doté de la capacité de modifier son environnement, la société ainsi que les hommes. Par ailleurs, cette époque est caractérisée par un changement important au niveau social qu’est le passage à la société industrielle. La bourgeoisie, classe alors dominante, se retrouve face à « un problème » : l’intégration des classes populaires dans son projet de société. Pour se faire, une certaine moralisation, éducation et prise en charge des classes populaires sont nécessaires. L’auteur mentionne par ailleurs que « Les mesures de protection de l’enfance dont il est ici question reposent sur les mêmes principes. Mais elles arrivent en quelque sorte comme une seconde vague destinée à ceux qui n’ont pas pu, pas su ou pas voulu tirer profit des dispositifs généraux d’intégration à la société industrielle » (V).

De plus, la seconde moitié du XIXème siècle est marquée par les progrès de la médecine. En effet, tant au niveau nosologique que nosographique, ceux-ci sont notoires. Les moyens accordés à la médecine sont donc augmentés, le développement des hôpitaux favorisé et la recherche en médecine créditée. Dans ce contexte, trois idées novatrices semblent avoir influencé directement la conceptualisation des problèmes de l’enfance : celle de Mendel (sur les lois de l’hérédité), celle de Pasteur (sur le rôle pathogène des microbes) et celle de Pavlov (sur les réflexes conditionnés). Nelly Delay-Malherbe a remarqué l’influence de ces théories sur les discours des membres du Grand Conseil et postule que celles-ci auraient également motivé des actions au niveau de la protection de l’enfance, comme par exemple celle du dépistage « des foyers microbiens »: « Le dépistage systématique des foyers microbiens – enfants vicieux, situations familiales problématiques, enfants livrés à eux-mêmes – est une condition préalable nécessaire à l’enrayement du phénomène enfance en danger/enfance dangereuse justifiant ainsi le retrait pur et simple des enfants de leur milieu naturel, jugé pathogène ». D’autre part, les avancées en médecine et en en psychologie (bases de références pour juger du développement de l’enfant) auraient également influencé la distinction entre le normal et le pathologique.

De plus, la classe dominante craignait que les manufactures, « lieux de dépravation » où les enfants travaillaient, soient propices au développement d’une autre culture qui serait en défaveur de la bourgeoisie. Le mouvement ouvrier n’a guère apaisé ces craintes. L’école intervient alors comme solution. Rendue obligatoire en 1872, elle contraignait les enfants des classes populaires à sortir de leurs milieux et à se socialiser dans un cadre plus « sain ». Par ailleurs, l’école aurait également servi de prétexte pour transmettre un code moral, de nouvelles habitudes de vie ainsi qu’inculquer certaines normes telles que l’obéissance etc. Cette obligation de scolarisation aurait impliqué des transformations au niveau de la représentation de l’enfant. De plus, la fréquentation de l’école sous-entend un regard de la classe bourgeoise sur la classe populaire : « L’application du principe de l’obligation scolaire va donc exiger la mise en place de contrôles (…) lieu de regroupement de tous les enfants et d’autre part comme lieu de production de nouvelles normes éducatives, l’école porte sur les familles un regard normalisateur et augmente la visibilité de plusieurs éléments de leur mode de vie dont certains sont jugés déviants (…) stigmatise socialement les parents indignes et l’enfance malheureuse » (pp. 24-25).

Dans le chapitre concernant les premières mesures de protection de l’enfance, Nelly Delay-Malherbe met en avant les points suivants : Le 18 février 1890, le Conseil d’Etat réunit une commission consultative afin d’étudier trois projets de lois, celle de la puissance paternelle (adoptée finalement le 20 mai 1891), celle de l’enfance abandonnée (adoptée le 30 mars 1892) et finalement celle de la modification de la condamnation de l’enfant. Ainsi, ces lois (ou ébauches de lois) impliquent l’entrée du pouvoir judiciaire dans la sphère privée, ce qui invitera alors les citoyens à la dénonciation et les autorités au dépistage. A ces dispositions légales seront associées des définitions concernant l’enfance abandonnée, qu’il s’agira de protéger et de laquelle il faut se protéger « d’une part protéger les mineurs contre les parents indignes, contre eux-mêmes et leurs mauvais penchants ; d’autre part protéger la société contre ceux qui menacent sont existence » (p.103). Par ailleurs, « ce n’est plus le Département de Justice et Police qui a la responsabilité du placement, mais le Conseil d’Etat » (p.104). En 1908 une juridiction pénale pour mineurs voit alors le jour. De plus, l’auteur met en avant les points suivants : « on cherchait à voir dans l’infraction non pas une faute mais un prétexte pour intervenir et prendre en charge les mineurs » (p.112) ; « les infractions commises par les mineurs doivent être considérées comme des symptômes de leur inadaptation plutôt que des fautes ponctuelles à punir » (p.116). Il s’agira donc de surveiller les familles et cela se fera au moyen d’un curateur (celui-ci étant lui-même issu de la classe bourgeoise). Or entre 1910 et 1913, les curateurs ne seront plus des bourgeois mais des personnes s’intéressant à l’éducation, des « spécialistes de l’enfance » en quelque sorte (124) et qui obtiendront ainsi une légitimité scientifique. Toujours en ce qui concerne les dispositions légales, le 25 juin 1910 est instaurée la notion de « délit de vagabondage chez les mineurs ». Ainsi entre 1908 et 1913 s’installe une juridiction pour mineurs ainsi qu’un tribunal pour enfants. Les changements judiciaires ultérieurs se situeraient apparemment aux alentours des années 30. En effet, en 1932, un projet de loi instituant un Tuteur Général est accepté.

L’imposition de l’école était profitable pour la bourgeoisie (contrôle des classes populaires) ainsi que pour les ouvriers (conquête sociale). A travers l’école existait également un autre contrôle, celui des maladies (grâce au service médical des écoles). De plus, en 1904 une commission médico-pédagogique est réunie. Le service médico-pédagogique a pour domaine la psychiatrie, la pédagogie ainsi que la psychologie. Ainsi s’installent le contrôle et une prise en charge globale de l’individu. En 1933, il y a une coordination des services de protection qui correspond au regroupement des services para-scolaires (service médico-pédagogique, médical des écoles, social des écoles et d’orientation professionnelle) et sera nommé l’Office scolaire de l’enfance (sous l’égide du DIP) . Une loi est adoptée en 1937 et stipule la création de l’Office de l’Enfance ainsi que celle de la Fondation Officielle de l’enfance (qui a pour but de surveiller les enfants placés et qui possède un droit de regard sur toutes les institutions éducatives). L’auteur met en avant le but de cet Office (en se référant au mémorial du 2 juillet 1937, pp.1098 et ss. Loi sur L’Office de l’enfance, art.premier.) : «… d’assurer la protection et la santé physique et morale de l’enfance et de la jeunesse et d’une façon générale de favoriser son développement. Il coordonne et encourage les efforts de la famille et des institutions publiques et privées ; il aide les autorités judiciaires et administratives dans l’exécution de leur mandat dans ce domaine » (p.166). Il regroupera alors l’Office du service scolaire de l’enfance, le service de protection des mineurs ainsi que le service du Tuteur général. Le conseil d’Etat désignera alors le tuteur général, chargé des tâches de protection de l’enfance, et le directeur du service de protection des mineurs, chargé de la surveillance générale des mineurs et qui « assiste les autorités de tutelle et les tribunaux civils pour mener les enquêtes sociales sur les mineurs et leur famille» et qui « collabore à l’exécution des décisions des autorités judiciaires et administratives relatives à des mineurs » (p.171). Finalement, c’est en 1958 que l’Office de la jeunesse ne dépendra plus que du DIP.