Construction du premier foyer genevois en faveur des enfants IMC

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La construction du premier foyer genevois en faveur des enfants IMC: Clair bois lancy 1975

Fabien Tchéraz
Petit mémoire en histoire nationale
Prof. François Walter
Date ?

Le présent travail se propose de revenir sur les différents moyens mis en œuvre dans les années 1960-1970 à Genève afin d’ériger le premier foyer en faveur d’enfants IMC du canton de Genève. Clair Bois est aujourd’hui une fondation genevoise reconnue en faveur de la personne IMC ou polyhandicapée. La direction générale établie à Plan-les-Ouates gère plusieurs foyers. Outre celui de Lancy qui accueille actuellement des adolescents entre 10 et 18 ans, la fondation compte un foyer à Chambesy (pour les enfants) et un autre à Pinchat (pour les adultes). L’année dernière, dans le quartier des Minoteries, une nouvelle structure proposant une série d’appartements pour adultes a vu le jour. Historiquement le foyer de Lancy est le premier à avoir été conçu. À l’origine, il répondait à un besoin urgent de parents d’enfants IMC établis à Genève et qui ne trouvaient pas de structure dans le canton pour les aider à accompagner et suivre leurs enfants en regard de leur handicap spécifique. La plupart d’entre eux étaient obligés de chercher une solution dans d’autres cantons. Ces parents ont créé une association en 1958 et milité activement pour que leurs enfants puissent être suivis dans leur canton d’établissement. C’est plus tardivement, en 1965, qu’une commission spéciale, soutenue par différents notables genevois, fut créée dans le dessein de construire un établissement spécifiquement consacré aux enfants IMC. C’est cette continuité d’un engagement à toute épreuve de la part des parents, associée à l’action philanthropique de certains notables, qui ont permis la fondation du premier foyer en 1975.

Le présent travail s’attache à retracer le parcours accompli entre la création de l’association de parents jusqu’à l’ouverture du foyer de Clair Bois Lancy. Nous avons choisi d’insister en premier lieu sur les différentes sources abordées. Nous essayons d’en faire état et d’indiquer ce qu’elles ont pu apporter à la recherche. Nous indiquons aussi des sources que nous n’avons pas consultées mais qui pourraient, pour un travail plus approfondi, être d’un recours utile. En deuxième lieu, nous donnons un historique de la période visée, de la fin des années des années 50 au 1er avril 1975, en identifiant les principaux acteurs et les évènements marquants. Enfin, pour conclure nous proposons quelques réflexions relatives à la composition de la Fondation de Clair Bois ainsi qu’à l’intégration des enfants IMC.

Les principales sources

Nous avons eu essentiellement accès aux archives du groupe genevois de l’Association Suisse en faveur des Enfants I.M.C. (ASEIMC). Celle-ci s’est créée le 17 février 1957 ; une année plus tard, en juillet 1958, le groupe régional de Genève est fondé (AGEIMC). L’ASEIMC regroupe essentiellement des parents d’enfants IMC, et quelques membres sympathisants. Aujourd’hui rebaptisée Cerebral, cette association a son organisation faîtière nationale établie à Soleure, et une vingtaine d’associations régionales lui sont affiliées. En 1961, une fondation du même nom a été créée en vue de centraliser la récolte des dons et de financer la cause des personnes IMC.

Dans les archives de l’AGEIMC, nous avons considéré deux types de documents : une série de rapports d’activités, des années 1962 à 1973, ainsi que des procès-verbaux de l’assemblée générale couvrant la période 1963 à 1975. Pour ces deux types de sources, de nombreuses lacunes sont à compter. Ces sources ne sont pas véritablement archivées : elles nous sont parvenues, sous forme de photocopies, par l’intermédiaire de l’association Cérébral. Certains documents sont perdus, d’autres étaient hors de notre portée et les sources à notre disposition ne rendent pas compte de l’intégralité de la période qui précède la création du foyer Clair Bois (1958-1975).

Les rapports d’activités, établis par le président en poste du groupe régional, résument les différentes avancées et actions de l’association pour l’année achevée. Ces rapports offrent un bon aperçu des différentes actions mises en œuvres : recherche d’adhésions, circuits d’informations pour les parents, contacts avec la pédiatrie et avec l’AI, appuis juridiques, mise en place de camps de vacances, groupe des mamans, intégration scolaire, création d’un foyer... De cette façon, il devient possible de suivre l’avancée progressive du groupe genevois jusqu’à la création de Clair Bois Lancy.

En ouvrant la place au débat, les procès verbaux de l’assemblée générale permettent d’accéder plus en détail aux différents problèmes auxquels se retrouvent confrontés les membres de l’association. Ils permettent de mieux cerner la position au sein du groupe de certains acteurs. De plus, assez régulièrement, un invité d’importance, souvent membre du corps médical, fait une intervention. Les PV donnent ainsi de précieux renseignements quant à l’état de collaboration entre l’association de parents et l’ordre médical.

Parmi les différents documents de l’association genevoise se sont glissés deux rapports d’activités de l’organisation faîtière (1957 et 1962-1963) que nous avons également utilisés. Ces documents s’avèrent précieux, puisqu’ils rapportent le moment de la création de l’ASEIMC. Ce faisant, ils donnent un aperçu de la situation des enfants IMC à la fin des années 50, en expliquant les structures existantes dans les différents cantons de suisse.


  • FONDS D’ARCHIVES de la FONDATION CLAIR-BOIS et le FONDS ISELIN

Les archives de la Fondation Clair Bois, déposées à la Direction générale de Clair Bois, à Plan-les-Ouates, ont fait l’objet d’un scrupuleux classement par des étudiants de la Haute école de gestion (HEG), sous la direction de Jacques Davier. Une impressionnante quantité de documents a été archivée sous 9 entrées, indexée selon le type de document, et classée par ordre chronologique. Ce fonds d’archives commence à l’ouverture du foyer de Lancy et ne contient pas de documents susceptibles d’éclairer notre période, à l’exception d’une petite brochure publiée en 2006 par la fondation, rédigée par Jean-Jacques Wyler et intitulée : « Clair Bois : Naissance et développement d’une fondation genevoise ». M. Wyler a été membre et vice-président de la fondation de 1971, année de sa création, à 1999. Il fait partie de ce groupe de notables qui s’est saisi du projet de construction du foyer et a contribué à le réaliser. Sa brochure résume d’une façon claire et synthétique la création et l’évolution de la fondation.

Le fonds Iselin, également déposé à Plan-les-Ouates, contient l’ensemble des documents laissés par Robert Iselin après l’abandon de son poste de président de la fondation à la fin de l’an 2000, poste qu’il avait occupé dès la fin de l’année 1972. Il a bénéficié du même traitement scrupuleux de la part de l’équipe d’étudiants de l’HEG. Tous les documents sont classés par ordre chronologique et, hormis quelques bilans datant de 1964, les plus anciens remontent à l’année 1971, année de la création de la fondation Clair-Bois. Ce fonds très riche contient des actes officiels tels que les actes constitutifs du foyer, ainsi qu’une copie de la constitution de servitude et constitution d’un droit de superficie accordée par la municipalité de Lancy. A quoi s’ajoutent une série malheureusement incomplète de procès verbaux du conseil, des rapports annuels, des rapports de différentes commissions, une importante correspondance classée de M. Iselin qui, en tant que président de la Fondation, entretenait une correspondance régulière avec différentes instances officielles comme l’A.I. ou certains membres du Conseil d’Etat au sujet du plan de financement du projet.

La brochure éditée en 1975 par l’Institut d’études sociales (IES), intitulée « Besoins des adolescents IMC » est le résultat d’une enquête commandée en 1974 par le comité du groupe de Genève de l’ASEIMC à des étudiants de l’IES, en vue de recenser les adolescents IMC du canton<ref name="ftn1">BOULLIANE, Mady, CHAMPOD, Pierre-Alain, DUBATH, Jacqueline, GALLAND, Micheline, Besoins des adolescents IMC, Genève, Institut d’études sociales, Ecole de service social, 1975.</ref>. En effet, le foyer Clair Bois de Lancy devait ouvrir ses portes en 1975 mais il était prévu qu’il n’accueillerait que des enfants jusqu’à 15 ans. L’enquête devait alors chercher à déterminer le nombre d’adolescents IMC jusqu’à 20 ans dans le canton de Genève et voir si le besoin d’une autre institution existait. Cette enquête revient assez en détail sur la spécificité de l’enfant IMC, ainsi que sur les différents moyens thérapeutiques existants ; elle fait aussi le point de la situation, au niveau institutionnel et structurel, telle qu’elle était en 1974 à Genève pour les personnes avec un handicap.

« Traitement et éducation de l’enfant infirme moteur cérébral » est une brochure éditée dès 1960 par l’ASEIMC et rédigée par la doctoresse Elsbeth Köng. Conçu pour aider les parents d’enfants IMC qui ne disposaient à l’époque d’aucune connaissance sur le handicap de leurs enfants, ce petit ouvrage d’une quarantaine de pages explique clairement l’origine et les causes de l’infirmité moteur cérébrale et donne le tableau clinique de ses différentes formes. Il s’évertue aussi à informer les parents des derniers traitements connus, dont la méthode Bobath, mise au point à Londres par Bertha Bobath dès le début des années 40. Elsbeth Köng fut la principale autorité médicale consultée par l’ASEIMC et collabora à la création de l’association en engageant les parents se réunir pour créer des contacts.

Enfin, nous achevons la revue des sources écrites par les procès-verbaux des séances extraordinaires du 25 septembre 1968 et du 18 juin 1969 du conseil municipal de la ville de Lancy, qui accordent un bail de 9 et respectivement 20 ans à l’AGEIMC. Lors de la séance ordinaire du 7 avril 1971, un droit de superficie est octroyé à la Fondation pour la construction d’un foyer d’accueil et d’éducation pour enfants IMC. Ces PV mettent en évidence l’implication de Me Bernasconi, membre du conseil administratif et proche d’un membre de l’AGEIMC (vraisemblablement M. Edgar Volpe), qui défendit avec beaucoup de zèle la cause de Clair Bois à Lancy. Il était lui-même membre du conseil de fondation de Clair Bois.


Sources orales.


Nous avons pu poser quelques questions à Mme Evelyne Besson, infirmière assistante à Clairbois Lancy dès le premier jour de l’ouverture du foyer et connaître ainsi le nombre des premiers enfants admis ainsi que la composition initiale du personnel. Son témoignage nous a éclairé sur la nouveauté que représentait la création d’un tel foyer, pionnier à Genève.

Georges Dupraz a été le principal organisateur du Printemps des IMC en 1974. Il s’agit d’une grande kermesse, qui permit à la Fondation de réunir les derniers fonds dont elle avait besoin pour boucler le budget de la construction et du lancement du foyer. Le témoignage de M. Dupraz donne un bon aperçu de l’ampleur de la manifestation. Étant lui-même chargé d’organiser et de coordonner les différentes activités prévues à cette occasion, il a en outre été en contact avec différents membres de la politique et de la banque genevoise impliqués dans le projet. Son témoignage met en évidence la part d’activité bénévole et philanthropique au service de Clair Bois.

Noël Magnenat, qui travaille actuellement aux Archives de Genève, est le fils de Victor Magnenat qui fut à l’origine avec quelques autres personnes de l’AGEIMC. Souffrant d’infirmité motrice cérébrale, Noël Magnenat avait 3 ans en 1958. Son témoignage souligne une très grande solidarité entre les familles à l’origine du projet.


Le cadre du présent travail étant limité, nous avons laissé de côté plusieurs sources qui seraient cependant essentielles à une recherche plus approfondie. Ainsi, il aurait été intéressant de consulter les archives de la pédiatrie de Genève, pour voir précisément comment le centre de consultation pour enfants IMC dirigé par le Prof. Bamatter vit le jour et apporta une première aide aux parents désemparés. Au reste, la pédiatrie était partie prenante du projet de Clair Bois puisqu’il était prévu de décharger l’Hôpital des enfants grabataires pour les accueillir à Lancy. En outre, les archives du conseil municipal de la ville de Genève auraient pu également nous renseigner sur la participation financière fournie par l’Etat de Genève. Enfin, parmi toutes les sources que nous omettons, mais qu’une recherche plus étendue aurait certainement désigné, les archives de l’AI et de son bureau à Genève feraient sans doute connaître les longues négociations qui ont conduit à la reconnaissance et à la prise en charge des enfants IMC, de même que les conditions imposées par l’AI pour la construction du foyer.


Perspective historique de la création du foyer Clair bois Lancy

Nous voudrions d’abord rappeler brièvement en quoi consiste une infirmité motrice cérébrale<ref name="ftn2">Nous tirons ces renseignements de KÖNG, Elsbeth, Traitement et éducation de l’enfant infirme moteur cérébral, Zürich, Association en faveur des enfants infirmes moteurs cérébraux (ASEIMC), 1970.</ref>. Une infirmité motrice cérébrale survient à la suite d’une lésion du cerveau en cours de développement de l’enfant, soit pendant la grossesse (par une infection ou une intoxication), soit pendant un accouchement difficile ou très long (hémorragie cérébrale ou manque d’oxygène) soit encore après la naissance (un grave accident ou encore une encéphalite ou une méningite, ou la jaunisse du nouveau-né). Suivant l’importance de la lésion, le handicap pourra affecter une partie du corps ou son intégralité. Paralysie, spasticité, mauvaise coordination des mouvements, sont les effets les plus visibles d’un tel endommagement du cerveau. L’infirmité motrice cérébrale peut aussi occasionner des troubles associés au niveau du langage ou des sens, de l’épilepsie, ainsi que des troubles de la perception et du caractère. Des troubles du développement mental peuvent aussi se déclarer, mais ils ne sont pas pour autant toujours présents : on parle alors de personnes polyhandicapées IMC. Il est toutefois possible dans certains cas de réduire l’étendue du handicap par des traitements appropriés qui, plus ils sont appliqués rapidement, donnent de bons résultats – d’où l’importance, nous le verrons, d’établir au sein même de la clinique de pédiatrie de l’Hôpital des diagnostics qui donnent la possibilité d’agir dans ce sens.

C’est à la fin des années 50 que sont apparues en Suisse les premières associations de parents d’enfants IMC et d’enfants mentalement handicapés. Avant cette date, il n’existait pas de structures spécifiquement adaptées pour des personnes avec un tel handicap et aucune assurance invalidité pour aider les familles. Ainsi ces enfants restaient-ils généralement dépendants du cercle familial, ou d’institutions telles que l’Hôpital ou l’Hôpital psychiatrique, sans pour autant bénéficier d’une aide appropriée. Dans le but de briser l’isolement des familles et de créer des centres scolaires et thérapeutiques, l’ASEIMC est fondée le 17 février 1957 à Olten. C’est Hans Leuzinger, un père de jumeaux IMC habitant dans le canton de Berne qui lance l’invitation à cette assemblée. 150 personnes répondent à l’appel pour prendre en main l’avenir des enfants IMC dont le nombre est estimé à cette date à 3000 pour la Suisse. Pour parvenir à contacter les parents, Hans Leuzinger a pu compter sur l’appui de la doctoresse Elsbeth Köng.

Cette pédiatre est une pionnière en Suisse des traitements pour l’infirmité cérébrale motrice. Formée à Zurich, elle succède au docteur Willi Frischknecht au service de consultation externe de l’Hôpital pour enfant d’Affolthern (ZH) au début des années 50. Le Dr Frischknecht mettait déjà en pratiques certaines expériences acquises au « centre pionnier de traitement précoce des handicaps moteurs cérébraux » de Londres. Elsbeth Köng poursuivra dans cette voie en diffusant par exemple la célèbre méthode Bobath en Suisse. Il s’agit d’une forme de physiothérapie qui s’appuie sur une connaissance approfondie du développement neurosensoriel de l’enfant, et permet d’inhiber les mouvements erronés et de régulariser le tonus musculaire, permettant ainsi à l’enfant l’apprentissage des mouvements automatiques plus complexes.

Dès 1955, Elsbeth Köng devient médecin itinérant et intervient aussi à Berne, à Lausanne, à Sierre, à Genève et à Fribourg. En traitant des enfants dans plusieurs régions de Suisse, elle a contribué à mettre en contact les parents et s’est fait le relais de l’invitation à la première assemblée de l’ASEIMC<ref name="ftn3">Elsbeth Köng a obtenu le prix Cérébral 2008. La revue d’information de la Fondation Cérébral lui consacre un article hommage qui rappelle ses principales activités (« Toute une vie au service des enfants handicapés », in Merci, journal d’information de la Fondation Cérébral, 2/2008)</ref>.


Le rapport annuel de l’ASEIMC, pour l’année 1957, revient sur la constitution de l’association, insiste sur l’importance de groupes régionaux comme « cellules actives » et donne une carte de la situation telle qu’elle existe à la fin de l’année 1957<ref name="ftn4">Rapport annuel pour l’année 1957 de l’ASEIMC. Non archivé, ce document nous a été prêté par l’association Cérébral Genève.</ref>. La Suisse alémanique semble mieux armée que la Suisse romande pour répondre aux besoins des IMC. Ainsi, à Berne, sur l’initiative de quelques membres d’un groupe régional nouvellement formé, un institut temporaire « Aarhus » est créé pour accueillir une dizaine d’enfants IMC. Des projets pour l’année suivante sont déjà en place, notamment l’ajout d’une classe spécialisée au niveau du jardin d’enfants, ainsi qu’une plus grande capacité d’accueil. À Winterthur, dès 1956, avant même la création de l’ASEIMC, un couple, les Maurer-Keller, avait de sa propre initiative fondé une classe pour enfant IMC, ce qui a conduit à la formation d’un groupe régional. Des actions sont déjà en cours pour agrandir les classes. À Zurich, un groupe régional se forme en décembre 1957. Le rapport indique que pour l’année 58 des contacts ont été pris avec les autorités compétentes pour la création d’une classe spécialisée et l’ouverture d’un jardin d’enfants. Le rapport indique aussi que, pour Soleure et la « Suisse orientale »<ref name="ftn5">Id.</ref>, des groupes régionaux sont dans l’attente d’être formés.

En Suisse romande, à Lausanne, il existe un centre de consultation à l’Hôpital dans lequel travaille une femme, « Mademoiselle Luthy »<ref name="ftn6">Id.</ref>, qui a suivi une formation en Angleterre. Cette-ci a instauré un rapport de confiance avec les mères d’enfants IMC du canton de Vaud et ce rapprochement contribue à la création d’un groupe régional au début 58. A Genève, le groupe régional n’est pas encore constitué, mais Hans Leuzinger, le président de l’ASEIMC, annonce qu’il espère sa fondation dans un avenir proche.


Le groupe de Genève (AGEIMC)


De fait, le groupe genevois de l’ASEIMC est créé en juillet 1958. Le premier procès-verbal de l’association en notre possession date de 1963, il est donc difficile de connaître le nombre de ses membres initiaux. Il s’agit d’un petit noyau de parents qui ne trouvaient à Genève aucun lieu pour leur apporter une aide spécifique et étaient obligés de se rendre à Lausanne, au centre orthopédique de l’Hôpital où travaillait Mlle Luthy. Avec l’aide de cette dernière et le soutien d’Elsbeth Köng, les parents vont pouvoir obtenir qu’un centre de physiothérapie pour IMC soit créé la clinique de pédiatrie de Genève par le Prof. Fred Bamatter en juillet 1959. Celui-ci devient le principal interlocuteur du groupe genevois et réalise en quelques années plusieurs avancées pour la cause des enfants IMC. Si en 1959, un physiothérapeute avait été engagé, en 1963 les parents se félicitent de pouvoir compter sur un personnel plus important : 4 physiothérapeutes, 1 orthophoniste, 1 logopédiste, 1 ergothérapeute, 1 jardinière d’enfants, 1 maîtresse spécialisée, 1 médecin et 1 « éminent » spécialiste orthopédiste, le Prof Taillard, sont dévoués au traitement de leurs enfants. En 1964, une première classe spécialisée est créée au sein de la clinique de pédiatrie pour compléter le dispositif (aujourd’hui, les classes spécialisées sont regroupées dans le Centre de rééducation et de réadaptation : CRER I et CRER II ).

Outre la persévérance des parents et la collaboration des autorités médicales, c’est l’entrée en vigueur en 1960 de la loi fédérale sur l’assurance invalidité qui appuie ces avancées. Ainsi, le dépistage et le traitement précoces d’une infirmité cérébrale motrice deviennent des questions de santé publique. Avant cela, tous les frais de traitement étaient à la charge des parents. Si l’AI apporte la promesse d’une aide financière, il semble que sa mise en route fut fastidieuse et qu’il fallut attendre la première révision de la loi sur l’assurance invalidité, en 1968, pour que l’aide soit jugée satisfaisante. Toutefois, le président de l’AGEIMC en 1963, Victor Magnenat, mentionne le responsable cantonal de l’AI, M. Lanfranchi, comme un interlocuteur  « disponible et ouvert »<ref name="ftn7">Rapport d’activité de l’AGEIMC pour l’exercice 1963. Non archivé, ce document nous a été fourni par l’association Cérébral Genève.</ref>. La première action de l’association genevoise va consister mettre en route, dès septembre 1961, un service de transports par taxi dont les frais sont couverts à 100 % par l’AI. Deux conductrices s’occupent de mener à la clinique de pédiatrie les enfants, font parvenir leurs facturations à la nouvelle assurance invalidité. Le délai de remboursement est souvent très long et oblige les membres de l’association à faire pression sur les responsables cantonaux. Mais le service tient bon et offre une aide considérable aux parents<ref name="ftn8">Id.</ref>.

Avec l’ouverture d’un centre de physiothérapie à l’Hôpital cantonal et la création d’un service de transport remboursé par l’AI, l’AGEIMC obtient donc deux aménagements importants dans le canton. Le rapport d’activité pour l’année 1963 en souligne l’importance dans un bref historique avant de donner un aperçu du nombre des membres de l’association. Les membres actifs, composés par les parents, sont au nombre de 46. Ce qui signifie que pour les 80 enfants traités à la clinique à cette date, 46 familles sont maintenant regroupées ; au total 128 membres en comptant les membres passifs et sympathisants.

En parallèle au développement de l’AGEIMC, un autre groupe de parents crée à Genève en 1958 l’Association de parents d’enfants inadaptés (qui deviendra APMH : association de parents d’enfants mentalement handicapés, INSIEME aujourd’hui)<ref name="ftn9">Insieme Genève, Historique de l’association et des structures liées au handicap mental à Genève.Sur internet : http://www.insieme-ge.ch/documentation/historique.pdf.</ref>. En 1960 cette association contribue à la création du village d’Aigues-Vertes, pour offrir un lieu d’intégration à leurs enfants. Au début des années 60 on voit donc se profiler une nouvelle dynamique sociale, et des échanges entre les différents groupes s’établissent. En avril 1962, un premier contact entre plusieurs responsables d’associations de personnes handicapées, aussi bien pour adultes que pour enfants, amène à une Union genevoise des groupements d’handicapés. Ce rapprochement permet à la jeune AGEIMC de s’associer à des groupes plus importants comme l’Association suisse des invalides, et d’obtenir ainsi l’accès gratuit à des manifestations d’importance, telles que les fêtes de Genève, l’Arbre de Noël ou encore le cirque Knie<ref name="ftn10">D’après un historique de l’AGEIMC (1958-1972) rédigé par Victor Magnenat, document fourni par l’association Cérébral.</ref>.

En outre, en collaboration avec la clinique de pédiatrie, les premiers camps de vacances pour enfants IMC voient le jour en 1963. L’année suivante, grâce aux efforts des Prof. Bamatter et Taillard qui collaborèrent étroitement avec l’Association des bains de mer, le premier camp à la plage est organisé. De nombreux efforts sont réalisés pour offrir aux enfants des activités qui leur étaient jusqu’alors inaccessibles. Avec l’appui de la Fédération sportive suisse des invalides, des cours de natation, pris en charge par l’assurance invalidité, sont proposés aux enfants dès octobre 1963. L’expérience d’un premier camp de ski est tentée durant l’hiver 64-65, et après de nombreuses démarches, l’intégration d’enfants IMC au sein d’une colonie de vacance (la colonie de Plainpalais) est faite durant l’été 1965<ref name="ftn11">Id.</ref>.

Tout en réalisant ces premières bases pour l’intégration de leurs enfants dans le canton, les membres de l’AGEIMC restent en contact avec l’organisation faîtière et les différents groupes régionaux. Des réunions d’informations réunissent les chefs de groupe régionaux et les tiennent informés de l’avancée de la « propagande »<ref name="ftn12">Rapport d’activité de l’AGEIMC pour l’année 1963. Document non archivé, fourni par l’association Cérébral Genève.</ref>, des contacts avec les autorités et de l’effort de scolarisation fait dans les divers cantons. Chaque groupe en effet s’évertue à appuyer les démarches des parents à l’AI, et mettent en place une structure d’aide souvent avec l’appui d’une assistante sociale et d’un juriste. Un cours organisé pour les membres du comité, à Lucerne, en octobre 1963, resserre les liens des différents parents de Suisse romande. Des contacts sont pris pour aider à la création d’un nouveau groupe en Valais, à Sierre, et deux membres du comité genevois M. Magnenat (président) et M. Meylan (vice-président) assistent à sa fondation en décembre 1963<ref name="ftn13">Id.</ref>. M. Meylan participe aussi à des réunions à Yverdon en vue de la future création d’un centre d’intégration professionnelle pour IMC. Ces déplacements permettent au comité de Genève de se rendre compte des structures existantes dans les autres cantons et parfois à l’étranger. On commence alors à se pencher sur le projet d’un centre de traitement complet pour enfant IMC à Genève.

Soutien du Club du Lundi

En 1964, le président de la Fondation suisse pour l’enfant IMC, le Dr Bernard Krähenbühl donne une conférence au Club du Lundi à Genève. La Fondation, distincte des associations de parents, agit au niveau national pour sensibiliser la population à la cause des enfants IMC, centraliser la collecte des dons et apporter une aide financière aux enfants IMC. Le Club du Lundi avait été fondé en 1955 par d’anciens officiers mobilisés pour perpétuer leurs liens d’amitié. Le but de ces réunions est de :« a) grouper toute personne ayant une profession indépendante ou faisant partie des cadres d’une entreprise ou d’une administration ; b) se réunir tous les lundis et faire appel à des personnalités capables d’orienter les membres sur les problèmes techniques, économiques, sociaux, politiques, militaires et culturels. »<ref name="ftn14">Plaquette du Club du Lundi 2006-2008, fournie par le président actuel Erwin Meyer.</ref> Jean-Jacques Wyler, alors président du Club, déclare dans son historique de la Fondation Clair Bois, avoir été touché par le plaidoyer du Dr Kähenbühl et pris l’initiative de former un groupe de travail pour étudier le problème<ref name="ftn15">WYLER, Jean-Jacques, Clair Bois : naissance et développement d’une fondation genevoise (1971-1999), Genève, brochure éditée par la Fondation Clair Bois, 2006, p. 3.</ref>. En mai 1965, une commission spéciale est mise sur pied, qui réunit le Prof. Bamatter et le Dr Grasset de la clinique de pédiatrie, M. Lafranchi, responsable de l’AI à Genève, M. Pellouchoud de l’office de réadaptation professionnelle, J-J Wyler du groupe du Lundi, M. Bongard, architecte, Victor Magnenat (président de l’AGEIMC), M. Roger Dubois (journaliste à la Tribune de Genève et membre de l’AGEIMC) et Me Edgar Volpé, (avocat et membre de l’AGEIMC), Janine Berthoud, secrétaire de rédaction à la Tribune de Genève et Mme Cordonnier, assistante sociale de Pro Infirmis<ref name="ftn16">Id.</ref>.

Première tentative

Selon M. Wyler, la commission travaille d’abord sur le projet d’un foyer de jour. Un local est mis à disposition par les syndicats patronaux pour une durée de dix ans. Mais le projet d’un externat au chemin Tronchet à Thônex n’aboutit pas. J.-J Wyler invoque plusieurs raisons à cet échec. D’une part, le secret médical empêche les médecins de fournir des informations précises sur l’importance des besoins des enfants ; d’autre part, l’éloignement du lieu aurait été un obstacle « insurmontable » pour la plupart des parents<ref name="ftn17">Ibid., p. 5.</ref>. Ces raisons paraissent cependant étranges, sachant que deux professeurs de l’Hôpital ont accepté de se joindre à la commission et qu’un service de transport remboursé est déjà en place. Quoi qu’il en soit, les premiers fonds récoltés par le Club du Lundi seront versés à Pro Infirmis.

Un terrain à Lancy : le soutien de Me Bernasconi

En septembre 1968, grâce à l’appui de Me Bernasconi, notaire et conseiller administratif de la ville de Lancy, un vote du conseil municipal de la ville de Lancy met gratuitement à disposition une ancienne maison avec terrain<ref name="ftn18">Procès-verbal de la séance extraordinaire du conseil municipal de la ville de Lancy, 25 septembre 1968.</ref>. Malgré quelques résistances quant à l’emplacement du lieu – la proximité d’une école inquiète certains membres du conseil, et les enfants IMC, encore très mal connus, sont perçus comme potentiellement dérangeants<ref name="ftn19">Id. Mme Eardley a beau estimer que « c’est un devoir moral pour la commune de s’occuper de ces enfants », elle craint particulièrement les « cris inarticulés » que peuvent pousser les enfants IMC. M. Laederach accepte quant à lui que la commune de Lancy « handicape » son avenir en accueillant un foyer pour IMC mais craint les plaintes des voisins.</ref> – le projet est relancé mais cette fois sur la base d’un foyer qui puisse accueillir aussi bien des enfants internes qu’externes, et permettre ainsi aux familles de se décharger sans pour autant devoir envoyer leurs enfants dans un autre canton. Les premières négociations sont entreprises peu après avec l’AI, mais celle-ci exige pour entrer en matière à propos d’une subvention qu’un bail de 20 ans au minimum soit obtenu auprès de le ville de Lancy<ref name="ftn20">Procès-verbal de la séance extraordinaire du conseil municipal de la ville de Lancy, 18 juin 1969. Me Bernasconi explique que les subventions seront obtenues seulement sur la base d’un bail de 20 ans.</ref>.

Le 18 juin 1969, l’affaire repasse devant le conseil municipal. En dépit de nouvelles résistances de la part de conseillers qui demandent s’il ne serait pas judicieux de trouver un autre emplacement pour construire à neuf un nouveau bâtiment, un bail de 20 ans est obtenu. La clinique de pédiatrie fait alors une demande pour que le futur foyer puisse accueillir les enfants grabataires IMC<ref name="ftn21">Rapport d’activité de l’AGEIMC pour 1969-1971. Document non archivé, fourni par l’association Cérébral Genève.</ref>. De cette façon, l’Hôpital pourrait « envisager une utilisation plus rationnelle des lits destinés aux enfants justiciables d’une amélioration »<ref name="ftn22">Id.</ref>. Quant au foyer, il pourrait ainsi s’occuper du problème des enfants IMC dans un ensemble cohérent. L’AI répond favorablement et demande qu’un nouveau projet soit déposé. L’importance des travaux de réaménagements qui en découlent oriente le projet vers la démolition de la maison, par ailleurs jugée vétuste, et la construction à neuf d’un foyer.

Le nouveau projet de construction pousse les responsables de la commission à demander un droit de superficie pour une durée de 50 ans<ref name="ftn23">Séance ordinaire du conseil municipal de Lancy, 7 avril 1971.</ref>. Celui-ci est avalisé le 7 avril 1971. Toutefois le conseil municipal reproche au conseil administratif, dont Me Bernasconi fait partie, de l’avoir mal informé des progrès du dossier : un des arguments en faveur du projet à l’avenue du Petit-Lancy était que le bâtiment en question soit de plain-pied et réaménageable ; or, on parle maintenant de détruire l’ancienne bâtisse pour construire un nouveau bâtiment. En outre, le conseil municipal a l’impression d’être mis au pied du mur et de se prononcer devant un dossier plus qu’abouti : la conférence de presse donnée au début du mois d’avril 1971 par le journaliste de la Tribune et membre de l’AGEIMC, M. Dubois, avait annoncé comme un fait accompli la prochaine édification d’un foyer pour enfants IMC à Lancy et présenté une maquette du projet<ref name="ftn24">Id. Ce sont MM. Bosonnet et Laederach principalement qui se plaignent d’un manque de transparence de la part des initiateurs du projet.</ref>. Me Bernasconi se défend d’avoir été mis au courant des intentions du journaliste et répond au conseil municipal que ce sont d’abord les différentes demandes de l’AI qui ont infléchi successivement le projet.

Création d’une Fondation pour la construction d’un foyer pour enfant IMC

Parallèlement à ces démarches, la création d’une fondation pour le contrôle des subventions publiques et l’attribution des fonds est décidée. Le 16 décembre, le comité de l’AGEIMC en accepte les statuts ainsi que la composition de ses membres. Le 1er juin 1971, l’acte de fondation est officiellement enregistré<ref name="ftn25">Actes constitutifs et statut du Foyer d’accueil et d’éducation pour enfants IMC, ainsi que des modifications, cote 10/1, fonds Iselin, Archives de Clair Bois.</ref>. Le premier conseil de fondation complète l’ancienne commission en y ajoutant deux membres : M. Robert Iselin, directeur de la Kredietbank à Genève et Me Bernasconi, membre du conseil administratif de la ville de Lancy et notaire. C’est d’ailleurs ce dernier qui enregistrera l’acte de fondation.

Dans son historique, J-J Wyler résume bien l’ampleur de la tâche à accomplir : « Il fallait réunir l’argent nécessaire, négocier avec les instances qui subventionnent, concevoir le bâtiment en fonction des options de prises en charge retenues, suivre les travaux, convaincre le voisinage du bien fondé de cette construction, organiser une grande collecte pour la récolte des fonds, s’informer sur les expériences faites ailleurs, anticiper les besoins pour déterminer les modes du fonctionnement du futur foyer. »<ref name="ftn26">WYLER, op. cit., p. 5.</ref>.

En effet, entre l’acte de fondation et la pose de la première pierre, lors de l’inauguration du chantier de construction en octobre 1973, le projet évolue considérablement et son budget croit en conséquence. Évalué au départ à 2,2 millions de francs, le coût total de la construction dépassera les 5 millions de francs<ref name="ftn27">Le premier plan de financement apparaît dans le PV de l’assemblée générale extraordinaire de l’AGEIMC (20 avril 1971). L’évolution des budgets et le budget final apparaissent dans le fonds Iselin (cote 40). Pour un résumé des différentes subventions officielles accordées, cf. Tribune de Genève du 18 octobre 1973.</ref>. Les principales subventions seront accordées par l’AI. En prenant parti pour le projet plus total et cohérent d’accueillir les enfants grabataires, l’Office fédéral verse une subvention de deux millions à la fondation, avec un prêt supplémentaire d’un million, sans intérêts. De son côté, l’Etat genevois contribue à l’édification du foyer en versant 900 milles francs. La procédure demande du temps, chaque office attendant de l’autre un engagement définitif pour accorder ses subventions. La Fondation pour les enfants IMC contribue elle aussi en versant un don de 250 milles francs. L’APMH reverse quant à elle à la fondation l’intégralité du bénéfice de sa vente d’allumettes pour l’année 1973<ref name="ftn28">Résumé de l’assemblée générale de l’AGEIMC du 21 février 1974. Document non archivé, fourni par l’association Cérébral Genève.</ref>. Ce geste marque le rapprochement des deux associations autour d’une cause commune puisque le nouveau foyer accueillera aussi des enfants mentalement handicapés. La fondation de son côté essaie de collecter les dons, car elle doit pouvoir avancer un fonds propre de 600 à 800 milles francs<ref name="ftn29">Cf. Tribune de Genève, 18 octobre 1973 et le procès-verbal de l’assemblée générale de l’AGEIMC (10 mai 1973).</ref>.

Le Printemps IMC,1974

Face à cette situation, M. Dubois, à la fois membre du conseil de fondation et nouveau président de l’AGEIMC, lance le projet du Printemps des IMC<ref name="ftn30">Rapport d’activité de l’AGEIMC pour la période 1972-73. Document non archivé, fourni par l’association Cérébral Genève.</ref>. Durant l’été 1972, il contacte M. Dupraz, organisateur de plusieurs grandes kermesses d’envergure dans le canton, et lui propose de se charger de l’organisation<ref name="ftn31">Concernant le Printemps IMC, nous nous basons essentiellement sur le témoignage de M. Georges Dupraz.</ref>. À cette époque, l’infirmité motrice cérébrale est encore méconnue. On l’associe ou on la confond avec un handicap mental, sans connaître ses causes spécifiques. Le projet du Printemps IMC poursuit donc deux buts : d’un côté, il s’agit de rendre ce handicap plus familier à la population et de l’autre, de réunir des fonds pour couvrir la somme nécessaire à l’achèvement de la construction. La manifestation est prévue pour l’année 1974 et comporte plusieurs attractions. Plusieurs ventes (de bougies, de dés, de gravures, d’autographes) sont prévues, ainsi qu’une opération baptisée « Printemps des rues Basses ». Il s’agit d’une foire avec de nombreux stands d’information sur les IMC, différents commerçants s’associant à l’opération en acceptant de verser un pourcentage sur le bénéfice de leur vente à cette occasion. Enfin, une grande kermesse de trois jours est organisée à Lancy pour clore l’opération.

La fondation crée pour l’occasion un comité d’organisation, présidé par André Ruffieux, ancien Conseiller d’Etat qui fait la liaison avec un comité de patronage. Parmi les principaux organismes qui soutiennent la manifestation, on trouve le Groupement des jeunes dirigeants (GJD). Deux de ses membres, Claude Heagi et Guy-Olivier Segond, rejoignent le comité d’organisation et participent activement aux opérations. Le Comité international de soutien aux oeuvres genevoises s’associe de même au projet ainsi que, bien évidemment l’AGEIMC. L’AGEIMC, dont plusieurs membres font partie de la fondation, continue de déployer parallèlement une intense activité d’entraide et d’information. Elle organise de son côté des kermesses pour aider, à son niveau, à la création du foyer. Enfin, la commune de Lancy apporte également son soutien. Grâce aux efforts conjugués de tous ces participants et à l’investissement de son organisateur M. Dupraz, l’opération est un succès retentissant. Plus d’un million de fonds sont récoltés. Le financement de la construction est assuré.

Ouverture de Clair Bois Lancy

En avril 1973, la Fondation et le futur foyer trouvent leur nom, Clair Bois, en raison de la proximité du petit bois qui jouxte le terrain<ref name="ftn32">Rapport d’activité de l’AGEIMC pour la période 1972-73.</ref>. Le 17 octobre 1973 a lieu la cérémonie de lancement du chantier de construction. À cette occasion, de nombreux représentants officiels se déplacent et le Conseiller d’Etat André Chavannes fait un discours pour saluer la grandeur du projet et féliciter les différents acteurs<ref name="ftn33">Tribune de Genève du 18 octobre 1973.</ref>. Le 1er août 1974, Edmond Amblet est engagé par la Fondation, il sera le premier directeur du foyer. Enfin, le 1er avril 1975, le foyer de Clair Bois Lancy ouvre officiellement ses portes, et la première pensionnaire, Patricia Guérig, entre au foyer le 25 avril. Si l’équipe d’éducateurs soignants est déjà prête, les enfants, quant à eux, arriveront progressivement. Durant l’été 1975, un premier groupe d’enfants de 5 personnes est établi. Douze mois plus tard, le foyer accueille 32 enfants, dont 20 internes.

Conclusions

Cette perspective sommaire sur la création du premier foyer pour IMC de Genève ne peut être comprise que comme un préambule de recherche. Pour conclure, nous aimerions nous attarder sur quelques points qui mériteraient d’être développés.

En premier lieu, même si la cause des enfants IMC est ce qui détermine la construction du foyer de Lancy, une recherche plus poussée et cohérente devrait pouvoir proposer une vue d’ensemble sur le problème général du handicap mental. En effet, l’APMH et l’AGEIMC ont entretenu des rapports très forts et ceci dès leur création. Certaines personnes étaient membres des deux groupes, à l’instar de M. Dubois, dont l’implication dans le projet de Lancy fut très importante. Et de fait, les deux associations ont régulièrement milité pour une cause commune. Même si une lésion cérébrale n’implique pas automatiquement une perte des facultés intellectuelles, il faut d’ailleurs souligner qu’une personne IMC demeure vulnérable à ce genre de problème. Se pose alors la question du handicap mental dans sa globalité et du problème général de l’éducation et de l’école spécialisées. Nous avons vu que dès 1965 à la clinique de pédiatrie, un premier effort dans ce sens était réalisé, avec l’apparition d’une classe spéciale. À Genève, l’école d’éducateurs spécialisés de l’IES est créée en 1970. À l’ouverture de Clair Bois Lancy, rares sont les personnes qui possèdent une formation dans le domaine. Les quelques sources en notre possession montrent que ce problème devient central pour les membres de l’AGEIMC, qui recherchent activement comment intégrer leurs enfants à la société, aussi bien à un niveau matériel, en favorisant la création de lieux de vie adaptés à leurs enfants, qu’à un niveau pédagogique. L’examen de l’évolution de la Fondation Clair Bois serait un précieux indicateur sur la mise en place dans la deuxième partie du vingtième siècle de ces structures spécialisées.

La consultation attentive des sources révèle un deuxième axe de recherche qui mériterait d’être développé. La création du foyer Clair Bois répond d’abord, nous l’avons dit, à l’engagement de parents d’enfants IMC qui cherchent à créer une structure susceptible d’accueillir et d’apporter une aide à leurs enfants. Mais sans la rencontre déterminante avec un groupe de personnalités influentes, il est peu probable que le projet ait pu voir le jour. Il serait intéressant d’étudier le caractère mixte de la composition de tels groupes d’influence et de voir leur évolution. Ainsi, en s’écartant d’un paternalisme d’état ou même de l’indulgence d’une action philanthropique extérieure, la Fondation de Clair Bois a fait collaborer un groupe de parents avec quelques personnalités influentes. On pourrait alors se demander si la proportion des parents est demeurée la même ou si le nombre des « notables » n’a pas pris au contraire une place déterminante dans la composition de la Fondation. On pourrait ainsi établir, suivant la composition de ces groupes, le genre de lignes directrices qui sont établies pour l’institution. En somme, il s’agirait de voir si les parents restent en prise directe avec leur projet, ou s’il s’effectue une privatisation et une professionnalisation à l’interne qui écarte progressivement les parents des choix déterminants.

Enfin, il faut souligner que des recherches sur l’intégration de personnes handicapée en Suisse sont actuellement menées à l’Université de Genève, notamment par Martine Ruchat et Charles Magnin de la FAPSE. Dans son étude sur l’histoire de l’enfant déficient en Suisse, Martine Ruchat indique que des associations de parents telles que l’AEIMC et l’APMH « pourraient apparaître comme une rupture essentielle »<ref name="ftn34">RUCHAT, Martine, « L’histoire de l’enfant déficient : passer la porte, mais dans quel sens ? », in Pages romandes, Revue d’information sur le handicap mental et la pédagogie spécialisée, n°4, Sierre, septembre 2006, p. 9. </ref> dans la longue histoire de l’exclusion des personnes handicapées. Toutefois, elle suggère qu’en se battant pour l’intégration de leurs enfants, ces associations ne seraient finalement parvenues qu’à placer ceux-ci dans des institutions spécialisées. Et de conclure que « (l)’intégration sociale d’un individu ne signifie pas, loin s’en faut, son insertion dans un milieu ordinaire »<ref name="ftn35">Ibid., p. 10.</ref>, l’intégration pouvant symétriquement être assimilée à une mise à l’écart, et la spécialisation à un cloisonnement. Or, sans même chercher à savoir en quoi pourrait bien consister un « milieu ordinaire », on peut légitimement supposer que la construction du premier foyer de Clair Bois a contribué à apporter un soulagement autant aux personnes handicapées qu’à leurs familles. Sans doute, ce genre de foyer intègre autant qu’il écarte : il n’en reste pas moins qu’il propose une solution intermédiaire entre les structures non-spécialisées (familles, asiles, hôpitaux) qui jusque-là prenaient en charge les handicapés et un hypothétique état social où la différence n’engendrerait aucune cloison. Dans ce sens, la proximité relativement nouvelle entre des personnes handicapées et un personnel accompagnant spécialisé marque malgré tout une marge d’insertion relative. Il serait alors intéressant de faire l’histoire interne de chaque institution spécialisée en évaluant sa perméabilité au monde environnant ou au contraire son cloisonnement et son inertie.

Bibliographie

Ce travail de recherche a été grandement facilité par le fait que nous travaillons à Clair Bois depuis cinq ans. Nous remercions toutes les personnes qui nous ont accordé leur confiance et qui, soit par le biais de leur mémoire vivante, soit par l’aide qu’elles nous ont fourni en vue d’accéder à différentes sources, ont permis l’achèvement de ce petit mémoire.

Sources

Documents fournis l’association Cérébral Genève :

  • Echo, revue de l’association Cérébral Genève, n°2, juin 2008, Spécial 50ème anniversaire (1958-2008).
  • Rapport annuel pour 1998 : rétrospective des 40 ans de l’association et perspectives.
  • Rapports d’activité de l’ASEIMC pour 1957 et 1962-63.
  • Historique de l’AGEIMC(1958-1972) rédigé par Victor Magnenat.
  • Procès-verbaux des assemblées générales (annuelles ou extraordinaires) de l’AGEIMC : 11 octobre 1963, 21 février 1964, 19 février 1965, 22 avril 1966, 16 décembre 1970, 20 avril 1971, 9 mars 1972, 10 mai 1973, 21 février 1974, 18 novembre 1975.
  • Rapports d’activité de l’AGEIMC pour les années 1964, 1965, 1969-1971, 1971-1972, 1972-1973.

Revue de l’association faîtière de Cérébral Suisse :

  • Cérébral, 50 ans, Association Cérébral Suisse, n°3, août 2007.

Archives de la Fondation Clair Bois, Lancy :

  • WYLER, Jean-Jacques, Clair Bois : naissance et développement d’une fondation genevoise (1971-1979), Genève, Fondation Clair Bois, 2006
  • Projet institutionnel de l’Ecole et Foyer Clair Bois-Lancy, 2ème version, Genève, Fondation Clair Bois, juin 2004.
  • Fonds Iselin : actes et statuts (10), conseil de fondation (20), commission d’organisation (21/9), rapports annuels (22), budgets (40), dons et subventions (43), foyer du Petit-Lancy (61), Histoire (70).

Archives de la mairie de Lancy (photocopies fournies par Mme Diehr, archiviste de la mairie) :

  • Liste des conseillers municipaux de Lancy (1968-1971).
  • Maires et conseillers administratifs de Lancy (1963-1971).
  • Procès-verbaux des séances extraordinaire sdu 25 septembre 1968 et du 18 juin 1969.
  • Procès-verbal de la séance ordinaire du 7 avril 1971.

Presse et Internet :

  • Tribune de Genève, 18 octobre 1973 (compte-rendu de la cérémonie d’ouverture du chantier de Clair Bois).
  • Insieme Genève, Historique de l’association et des structures liées au handicap mental à Genève. Sur internet : http://www.insieme-ge.ch/documentation/historique.pdf.
  • Historique des mesures prises à Genève en faveur des personnes handicapées. Sur Internet : http://www.geneve.ch/handicap/politique/historique.htm
  • « Elsbeth Köng.Toute une vie au service des enfants handicapés », in Merci, journal d’information de la Fondation Cérébral, 2/2008.

Brochures spécialisées :

  • BOULLIANE, Mady, CHAMPOD, Pierre-Alain, DUBATH, Jacqueline, GALLAND, Micheline, Besoins des adolescents IMC, Genève, Institut d’études sociales, Ecole de service social, 1975.
  • KÖNG, Elsbeth, Traitement et éducation de l’enfant infirme moteur cérébral, Zürich, Association en faveur des enfants infirmes moteurs cérébraux (ASEIMC), 1970.
  • Plaquette du club du Lundi 2006-2008, Genève.
  • Journée de Pédiatrie organisée par la Clinique universitaire de Pédiatrie de Genève en l’honneur du Professeur Fred Bamatter, Genève – 20 septembre 1969, Annales Nestlé n59, Vevey, 1970.

Littérature secondaire

  • RUCHAT, Martine, « L’histoire de l’enfant déficient : passer la porte, mais dans quel sens ? », in Pages romandes, Revue d’information sur le handicap mental et la pédagogie spécialisée, n°4 (« Les portes de l’institution »), Sierre, septembre 2006, p. 8-10.
  • RUCHAT, Martine, « Histoire de l’éducation spéciale : une spécificité plurielle », in CHATELANAT, Gisela et PELGRIMS, Greta (eds), Education et enseignement spécialisés : ruptures et intégrations, Bruxelles, De Boeck Université, 2003, pp. 155-169.
  • RUCHAT, Martine, « Généalogie du métier d’éducateur spécialisé », in Bildungsforschung und Bildungspraxis, Education et recherche, Educazione e ricerca, n° 2 (17ème année), Fribourg, Université de Fribourg, 1995, pp. 139-157.
  • RUCHAT, Martine, « L’émergence de la figure de l’enfant-problème dans le « champ » de l’éducation et de l’enseignement spécialisé : une construction sociale handicapante (Genève, 1912-1958), in Traverse, revue d’histoire, n°3, Zürich, 2006, pp. 100-112.
  • MAGNIN, Charles, « L’histoire de l’éducation en Suisse : esquisse d’un bilan et quelques perspectives d’avenir », in Annali di storia dell’educazione e delle istituzioni scolastiche, n°12, Brescia, 2005, pp. 309-315.



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