2.- Interview à Monsieur Dr François Loew
Interview à Monsieur Dr François Loew, Président du Conseil d’Ethique, Fédération genevoise des EMS (Fegems),le vendredi 6 décembre 2013. Transcription vérifié et approuvé par M. Loew, le mardi 10 décembre 2013.
Légende :
Intervieweur 1 (Pierre) Intervieweur 2 (Giannina)
Intervieweur 2 : Bonjour, nous nous présentons nous sommes étudiants de la maîtrise en enseignement spécialisé pour le cours de Madame Ruchat.
Intervieweur 2 : Bonjour Monsieur, donc c'est Monsieur Loi, c'est ça ?
Interviewé : Loew !
Intervieweur 2 : Monsieur Loew, oui qui a accepté cet interview aujourd’hui vendredi 6 décembre. Monsieur depuis quand et avec qui, les institutions, vous vous êtes engagés pour les droits de la personne ? ...notamment des patients.
Interviewé : Monsieur d'accord bien j'ai regardé un peu les questions que vous m’aviez préparées, je dirais 1997-1998, alors voilà donc c’est à ce moment que mes préoccupations se sont orientées vers le respect du droit des patients. Et, dans quel cadre, je travaillais à ce moment-là, j'étais médecins chef adjoint à la policlinique de gériatrie (dirigée par le Pr. Rapin) C’était un des services de gériatrie des HUG, à ce moment -là je commençais une formation spécifique en éthique clinique et mon travail de certification, avec deux collègues infirmières c'était sur les directives anticipées, si vous avez peut-être entendu parler des directives anticipées.
Intervieweur 2 : oui j'ai entendu.
Interviewé : c'était le sujet, le premier travail qu'on ait fait à Genève sur les pratiques cliniques qu'on avaient mes collègues et moi.
Intervieweur 2 : pourriez-vous nous spécifier s’il vous plait les directives anticipées sont fédérales ou cantonales ?
Interviewé : maintenant elles sont fédérales depuis le 1er janvier 2013...
Intervieweur 2 : d'accord, mais à l'époque elles étaient cantonales.
Interviewé : elles existaient dans le canton de Genève, dans le canton de Vaud aussi, je ne pourrais pas vous dire, c'était des avancées du droit mais pas réparties de manière générale pour toute la Suisse
Intervieweur 2 : si vous deviez expliquer les directives anticipées, c'est quoi pour quelqu'un qui ne connaît pas ?
Interviewé : c'est la possibilité pour une personne d'indiquer généralement par écrit ce qu'elle veut ou ne veut pas dans les soins dans le cas où elle n'aurait plus sa capacité de discernement, donc elle exprime ses volontés autour des soins, elle dit par exemple voilà mes volontés, par exemple le 6 décembre 2013, en pleine connaissance de mes moyens, voilà dans le cas où je ne serais plus en mesure de les exprimer convenablement, par exemple je refuse d'être hospitalisé si je suis dans une situation de soins palliatifs à domicile, je souhaite être entouré de mes enfants, jusqu’au dernier moment, je souhaite qu'on calme mes douleurs, c'est une extension du droit fondamental de la personne à disposer d'elle-même, le respect du droit de la personne, juste rappeler qu'au fond tout acte médical est une atteinte à l'intégrité physique, psychique voire sociale, donc le professionnel, le médecin, plus spécifiquement, a l’obligation de demander l'accord, le consentement informé, libre, éclairé de la personne pour par exemple faire une prise de sang, pour vous faire une prise de sang, je vais porter atteinte à votre intégrité personnelle, je suis obligé de vous expliquer le but de cette prise de sang, risques, et à vous de me dire si vous êtes d'accord pas d'accord.
Donc le consentement informé ou bien même le refus informé ça c'est quelque chose de très fondamental dans le droit suisse ou dans le droit de la personne du fait que tout acte médical est une atteinte à l'intégrité physique, en particulier. On doit obtenir le consentement, ça c'est la loi. En pratique on part d'un sort de contrat tacite. Supposons que vous arriviez à mon cabinet si je suis médecin traitant et vous veniez avec une certaine souffrance, etc, je vais vous faire d'office une prise de sang sans vous expliquer. Voilà Madame je vais vous faire une prise de sang c'est une piqûre ça risque de vous faire mal vous aurez des douleurs ou peut-être de l’inflammation. Je ne serai pas obligé de vous expliquer tout cela parce qu'il y a une sorte de consentement tacite : vous êtes dans un cabinet donc on part de l'idée que vous êtes d'accord, la même chose si vous êtes hospitalisé on ne va pas vous réexpliquer tout mais pour certaines maladies qui sont particulièrement menaçantes on aura l'obligation de vous informer des avantages, des risques et puis que vous puissiez vous déterminer en toute liberté pour me dire docteur j'accepte ou alors je refuse, voilà, ça c'est le principe de la loi, d'accord ?
Intervieweur 1 : par rapport à cela quel était le moteur de votre engagement personnel.
Interviewé : c'est à partir de cette exigence d'obtenir le consentement libre et éclairé des personnes, on a vu que dans la pratique, on passait très souvent par-dessus c'est-à-dire qu'on demande trop peu souvent l'avis des personnes. On a une sorte de pratique que l'on dit paternaliste parce que l'on soigne la personne sans demander son avis parce que l'on le fait en ayant la conscience que ça va amener une amélioration dans l'état de la personne donc on va se passer de son consentement et ça c'était l'attitude paternaliste des médecines dans les années 40-50. Ils ne demandaient pas l'avis des patients, les patients acceptaient. C'était une attitude paternaliste où on ne demandait pas l'avis des patients qui ne remettaient pas en cause le bien-fondé de cette pratique parce que c'était pour soigner pour le principe de bienfaisance, c'est pour soigner, ça va de soi que la personne est d'accord, après la deuxième guerre mondiale, les camps de concentration, puis des investigations indues chez des prisonniers on est devenu plus exigeant et on a commencé à dire : attention la personne doit être d'accord. C'est venu lentement dans la pratique et c'est pourquoi Genève est à la pointe dans la défense des droits par rapport à d'autres cantons, je ne pense pas au canton de Vaud, mais par rapport à certains cantons de Suisse centrale qui étaient plus traditionnels, et bien ils avaient inscrits le droit dans les années 1996 de faire des directives anticipées c'est-à-dire, non seulement, je me place dans la position du patient, vous devez me demander mon avis. Si, je suis d'accord avec ce que vous me proposez, mais en plus maintenant j'ai aussi le droit d'écrire ce que je veux ou je ne veux pas si par hasard je tombais dans le coma, je ne peux plus parler etc. Vous voyez ?
Intervieweur 2 : Oui, il faut une trace écrite en fait.
Interviewé : voilà une trace écrite, et ces directives anticipées qui sont inscrites dans la loi, en 1996, ça nous a fait beaucoup gamberger à la policlinique de gériatrie et moi j'ai choisi ce thème parce qu'il était évident qu'il y avait beaucoup d'incompréhension et de conflits autour de ces directives anticipées.
Intervieweur 1 : quel type de conflits par exemple, principaux ?
Interviewé : alors un conflit majeur, par exemple, c'était par rapport à une histoire vécue bien documentée. Une dame avait écrit ses volontés sur un billet : « je refuse l’acharnement thérapeutique en mes derniers jours » (quelque chose comme cela). Elle a été hospitalisée dans un service de gériatrie et elle a fait une attaque cérébrale. Elle ne pouvait plus parler, s'exprimer, donc elle avait écrit ses volontés sous forme très simple. Les médecins ont vu que cette femme perdait du sang et puis ont dit mais on va la transfuser. On va lui donner une transfusion de sang. A un moment donné les médecins donnent l’ordre d'une transfusion de sang. Ce qui peut tout-à-fait se justifier parce que cette dame n'était pas en train de mourir et puis le mari découvre ça, cette transfusion et pour lui c'était une contradiction avec ce qu'avait demandé sa femme. Puis il arrive chez les infirmières et commence à dire « c'est quoi ces guignols qui ne respectent pas les volontés de ma femme ? ». A partir de cette première histoire très très caricaturale on s'est rendu compte qu'au fond l'expression de la volonté d'une personne ne va pas de soi. C’est pas du tout évident de comprendre ce que la personne veut. Cela peut avoir une signification différente pour Madame, pour le mari et pour les infirmières puis encore pour les médecins. Donc, ça c'est un conflit typique sur lequel les gens n'étaient pas d'accord sur l'interprétation de ce texte d'où il ne suffit pas de dire ce qu'on veut, il faut être suffisamment clair dans ce qu'on veut. Et, le législateur avait introduit des balises de prudence. On peut indiquer ses volontés qui doivent être respectées dans les situations précisées dans le texte et qui sont anticipées. Si la dame avait dit je refuse l'acharnement et dans ce cas une transfusion, au cas où je ne pourrais pas parler alors ça aurait été très spécifique, mais seulement parler d’acharnement ce n'est pas suffisant. La notion même acharnement est une notion très très élastique et sujette à interprétation, donc ça c'était la première question sur laquelle on a vraiment croché avec mes deux collègues et on a fait notre travail de certification là-dessus. Moi, j'avais un contre-exemple qui était une patiente que je connaissais bien, on était engagé dans une réflexion sur ses directives anticipées, elle m'a dit oui je suis d'accord. Effectivement si la situation c'était présentée pour elle, on aurait été obligé de respecter ses volontés, donc la manière de dire ses volontés par écrit pose problème parce que c'est sujet à interprétation pour les professionnels. Donc, les directives anticipées c'est bien, mais c'est pas suffisant pour en faire un outil de promotion des droits. Vous voyez un peu le contexte, ça c'était le démarrage de notre réflexion à l'époque.
Intervieweur 1 : qu'est-ce qui serait suffisant pour vous alors ?
Interviewé : c'est que la personne dise très clairement ce qu'elle voudrait dans telle situation. Je vais prendre un exemple de directive anticipée assez extrême, mais suffisamment clair en principe : si je suis dans le coma depuis plus qu'un mois, deux ou trois mois et je demande que l'on interrompe les soins de support, l'alimentation, l'hydratation. Donc si on a les directives de ma personne, donc au bout de trois mois, d'un certain temps il faudra respecter ses volontés. Cela veut dire que ça va forcer les professionnels à arrêter le traitement et ça va être douloureux pour eux parce qu'ils ont appris à soigner les gens et pas à arrêter le traitement même si c'est très très clair dans la volonté de la personne. C’est une grande difficulté morale pour un professionnel de dire je vais arrêter l'alimentation, on va arrêter l'hydratation. Conséquence dans les 15 jours qui suivent cette personne va se dégrader et mourir avec un parent qui est peut-être révolté.
Intervieweur 1 : et c'est là ma question par rapport à notre problématique, je vais quand même vous la poser maintenant, quand on arrive, parce que le but c'est de soigner ça c'est sûr, c'est un but louable, mais en même temps derrière on peut faire des recherches pour comment mieux soigner. On va quand même prendre des informations. Il y a quand même des informations sur ordinateur. En tout cas actuellement, il y a un plan de soins qui est absolument nécessaire et c'est là qu'on peut se demander s'il n'y a pas un paradoxe parce qu'après il y a aussi une volonté de recherche. Là est-ce qu'il n'y a pas une forme de problématique du patient cobaye qui n'est pas volontaire, même si vous voulez, s'il n'y a pas d'anticipation de la personne, pour soigner on peut aller très loin dans les soins. En même temps il y a ce but de recherche mais je suis quand même conscient que le but premier est de soigner la personne.
Interviewé : ce que vous dites c'est la recherche de mieux soigner cette personne-là. Tout ce qu'on proposera ce sera toujours dans ce sens-là. S’il existe une nouvelle technique, un nouveau médicament qui a été validé du point de vue scientifique d'une étude ou de plusieurs études qui montrent depuis que le médicament a été accepté dans la liste des médicaments officiels, le devoir c'est de vous proposer ça. Voilà nous avons telle possibilité de vous traiter de telle manière. C’est pas une recherche dans le sens qu'il y aura une question générale qui va être explorée. Ce sera plutôt la recherche de l'amélioration de la personne. En principe on est toujours dans cette tendance, on offre toujours le meilleur possible connu à tel ou tel Monsieur, telle Madame, connu en décembre 2013, qui va la soulager, lui éviter des souffrances, qui va peut-être lui permettre de vivre trois mois de plus, dans des conditions de vie acceptable. C’est toujours cette obsession de la recherche du mieux, c'est pas une recherche du point de vue scientifique, c'est une recherche de l'amélioration de la santé de la personne qui à partir de la recherche scientifique va dire : on propose, puis on observe, puis on arrête si on voit que cela ne fonctionne pas.
Intervieweur 2 : oui c'est clair.
Intervieweur 1 : oui, mais à un moment donné il peut y avoir une limite éthique à cette recherche du meilleur.
Interviewé : oui alors tout-à-fait ? jusqu'où on est pas en train de faire plus de mal que de bien, je peux vous donner un exemple, moi j'étais tout jeune médecin, face à un patient cancéreux, plein de métastases, en fin de vie. Puis l'oncologue chef m'a dit de proposer un protocole précis, je me sentais très mal à l'aise par ce que je voyais pas le bénéfice mais j'étais obligé de suivre le protocole du médecin chef. J’ai proposé ce protocole au patient qui a dit, vous êtes gentil, mais non. Il a dit non, on a accepté son refus. Je me suis rendu compte que s'il avait accepté on aurait amené le patient vers une série de souffrances, beaucoup de douleurs, pour une qualité de vie ou survie très très médiocre. Cela c'est les limites de la médecine jusqu'où nous pouvons proposer quelque chose. C’est la recherche du bien vivre plus longtemps, avec une qualité de vie dite acceptable. Là c'est toujours la tendance naturelle des médecins de toujours proposer quelque chose. Maintenant, il faut être très très prudent, quelquefois c'est plutôt l'obsession des médecins et les gens en ont un petit peu assez, mais ça dépend. J'ai eu une interview avec le chef d'oncologie ici et qui m'a dit « je passe l'essentiel de mon temps à expliquer aux gens qu'il ne faut pas se lancer dans une nouvelle phase de traitement oncologique ». Ce qu'on peut proposer c'est une recherche de sauver la personne, lui proposer de vivre plus longtemps en imaginant que ce sera mieux pour elle. C'est très très discutable, quelquefois on est dans un forme d’acharnement, on propose un traitement qui n'a pas réellement d'efficacité pour se donner bonne conscience, je parle en tant que médecin. Cela peut être difficile pour une personne de refuser ce que le médecin ou les infirmières proposent ça c'est un autre aspect qu'on n'a pas encore discuté. C’est la manière qu'on a de proposer quelque chose est souvent peu respectueuse des conditions optimales et que si on propose quelque chose et qu'on dit voilà Monsieur ce qu'on vous propose et que vous êtes déjà bien informé, qu'est-ce que vous décidez ? Ce n’est pas la même chose que si je vous dis Monsieur vous avez lu le protocole, le traitement, les bénéfices, les risques que vous pouvez subir, prenez le temps de discuter avec votre épouse, vos enfants et on en reparle dans 3 jours. C'est là qu'on est dans la communication et qu'on se rend compte qu'il y a tout un temps par rapport au respect des droits des gens qui n'est pas du tout exploré car c'est très très difficile de mesurer ça. Mais la manière dont on propose quelque chose, dont on s'assure qu'elle donne un consentement libre et éclairé et très très discutable. On a encore des gros progrès à faire.
Intervieweur 2 : en tous cas, c'est maintenant plus fin pour nous. C'est beaucoup plus clair. Juste pour revenir à la question 3, vous avez pu nous parler de ce moment original où vous faites connaissance avec cette personne en gériatrie puis les événements qui sont revenus là-dessus. On va revenir sur cette question-là, quels ont été les changements les plus importants auxquels vous avez assisté ?
Interviewé : alors j'ai noté deux choses, maintenant on assiste à une obsession de la part des cadres, des professionnels responsables du respect de la volonté de la personne. Ce n’est pas parce que c'est obsession que c'est bien fait, par exemple le chirurgien qui va proposer un examen chez quelqu'un qui a une obstruction au niveau biliaire ou du pancréas, obsédé par son devoir d'informer explique à la personne « voilà je vous propose une oeso grastro duodénoscopie, ça dure tant de temps, ça permet de voir ceci cela, ça permet peut-être de lever l'obstacle, il y a quand même un risque de faire une péritonite biliaire, il y a quand même un risque de ceci cela, voilà est-ce que vous êtes d'accord ? ». C’est une manière catastrophique d'informer et éventuellement obtenir l'accord de la personne, parce que le médecin ne s'est pas du tout préoccupé de ce que la personne savait déjà, quelles étaient ses inquiétudes. Il a simplement débité les informations. Il a fait son job, sur le plan légal à peu près correctement, mais la manière dont il a fait ça c'est une catastrophe psychologique. Je connais une patiente qui a dit « c'est pas possible comme il m'a dit les choses ». Donc, il a fait son job il a respecté la loi pour obtenir le consentement informé de la personne, mais à peu près informée, mais son consentement n'était pas suffisamment libre et cette manière de procéder c'est contre-productif. Voilà, une obsession qui apparaît beaucoup dans les pratiques professionnelles actuelles. C’est bien, mais c'est largement insuffisant parce que ça ne tient pas compte du contexte psychologique de la personne.
Intervieweur 1 : si le médecin se trompe, il y a peut-être des problèmes sur les organes. On sait toutes ces choses, mais après sur les problèmes psychiatriques sur des nouveaux maux qui peuvent survenir et que ça peut-être ambigu. Est-ce que ces médecins essayent d'obtenir le consentement de la personne. Ils peuvent toujours se tromper. Par exemple pour un syndrome, moi je connais une personne qu'on a diagnostiqué pour un syndrome des jambes sans repos puis après elle n'en avait pas c'était de l'anxiété. C’était des choses ambiguës sur lesquelles le médecin a obtenu son consentement. Il peut lui donner des médicaments qui ne vont pas être forcément bons et dans ce cas- là, le médecin veut bien faire, mais là c'est ambigu quoi. Il veut bien faire, si après il se trompe est-ce qu'il est protégé comment ça se passe pour le patient ?
Interviewé : alors moi je vois deux éléments : la manière de communiquer avec le patient, elle est fondamentale. Elle est très peu développée, dans le sens que communément on juge que les gens utilisent un vocabulaire simple, accessible et c'est faux, ce n’est pas vrai du tout. On peut très bien écouter le médecin. On a l'impression qu'on a compris, puis après la personne se demande ce qu'il a dit, puis après elle va demander des explications à l'infirmière. Elle va dire vous allez m'expliquer ce qu'il a dit ». Donc, la manière d'expliquer du médecin, apparemment c'était clair, et c'est pas clair, la personne aura besoin d'explications. C’est souvent comme ça, donc il y a le deuxième élément de ce que vous dites, il peut se tromper.
Intervieweur 1 : dans un cabinet privé, un médecin peut confondre un syndrome des jambes sans repos avec l'anxiété, mais ce n'est pas un truc hyper connu, quoi, peut-être dans les hôpitaux. Il y a des atteintes d'organes, il y a vraiment des trucs connus. Quand on a des syndromes plus cliniques, où on rentre moins dans les organes, parce que le syndrome des jambes sans repos, on va donner des médicaments, mais c'est sur la base d'observations cliniques. On va pas faire des IRM. On va pas observer tout ce qui se passe dans le cerveau.
Interviewé : Non parce que ça ne sert à rien.
Intervieweur 1 : et là le médecin il peut se tromper, il peut confondre cela avec de l'anxiété, la personne bouge les pieds parce qu'elle est anxieuse, et puis il va lui donner des médicaments pour la tête, puis j'ai vu cela à la TSR, il va lui donner des médicaments qui ont des effets secondaires. Puis, ils ont commencé à jouer et ça leur est arrivé des catastrophes pas possible quoi, et surtout si le médecin se tromper là-dessus, là je me pose la question, vraiment sur des syndromes ambigus, quoi, vous voyez ?
Interviewé : le terme d'ambigu me convainc modérément, ou pas. On pourrait plutôt parler par rapport à votre interrogation, l'incertitude diagnostique, le médecin est face à une série de manifestations, il est pas sûr, il réfléchit il se dit : je pense que c'est un syndrome des jambes sans repos, restless legs syndrome, s'il parle anglais. Cela va impressionner encore plus la personne, donc c'est souvent des termes qui impressionnent la personne et il vaut mieux renoncer tout à fait à ces termes. Ce que j'appelle le jargon médical, donc, mais on met un professeur, un généraliste, des bons médecins devant la situation, il est probable que les avis seront divergents d'une personne à l'autre, et ce que l'on appelle l'incertitude diagnostique. En plus, il n'y a pas de preuve, si on prend l'exemple du syndrome des jambes sans repos, c'est uniquement ce que la personne dit, elle dit qu'elle est réveillée par ça, elle dit qu'elle ne dort pas, etc. qu'elle a des secousses, en fonction de ça il va dire c'est probablement quelque chose. Son esprit va s'orienter vers les jambes sans repos, plutôt que vers l'anxiété, ou plutôt vers l'anxiété, puis il va donner un traitement.
Intervieweur 1 : donc l'importance des mots a une valeur fondamentale.
Interviewé : fondamentale
Intervieweur 1 : surtout pour tous ces genres de maux.
Interviewé : pas surtout, tout le temps, pour la médecine, ça c'est vraiment très très important.
Intervieweur 2 : moi je l'ai vécu, en fait je le vis, parce que j'ai des membres de ma famille qui ont des cancers tout type de cancer et ils m'ont fait part. Comment, ils étaient choqués, comment les médecins ont dit pour toi c'est fini. Sache que tu vas passer en salle d'opération, mais des douze patients qui sont sortis, aucun n'est sorti vivant. Mon cousin est le seul à être sorti de l'opération. Il a eu une métastase complète du corps, puis il est encore vivant. C’est incroyable. Derrière ça sa femme est tombée avec deux cancers, mais pas généralisé, et elle m'a raconté la même chose, me disant choquée par la manière comment les médecins leur disaient : écoute tu as attrapé un cancer des seins et maintenant tu as un cancer des os, donc voilà on pourra faire que ça, mais pas plus, voilà c'est fini pour toi, là je sens une limite, le traitement va jusqu'à là, après il y a plus d'espoir.
Interviewé : puis ça c'est très difficile pour un médecin d'en parler, il sait qu'il n'y aura plus d'espoir, un nouveau traitement possible. Il peut proposer encore quelque chose, mais il n'y croit pas. Il fait juste pour la personne, mais ça ne servira à rien, et dans ces situations les médecins sont très malheureux, surtout pour certains cancers, de ce qui est possible de faire en termes de guérison ou de stabilisation. Là, il y a quelque chose qui a été je pense un grand bénéfice avec le développement des soins palliatifs, on a arrêté de dire « maintenant c'est fini, on ne peut plus rien pour vous ». C’est horrible, non maintenant ceux qui sont formés en soins palliatifs, connaissent les traitements qui stabilisent le cancer ou bien des métastases « maintenant il n'y a pas d'autres traitements possibles, par contre on peut vous proposer des médicaments qui vont limiter vos douleurs, vos nausées, bien sûr on donne des médicaments qui endorment un petit peu ».
Intervieweur 2 : donc c'est assez efficace maintenant ces traitements palliatifs ?
Interviewé : ces traitements palliatifs c'est-à-dire qu'on arrive à calmer les symptômes, la manière de dire à la personne qu'on est arrivé au bout du chemin, des traitements qui modifient radicalement la trajectoire de la personne. Maintenant, on peut s'occuper du confort, des douleurs, faire ce qui est important en fin de vie, régler des problèmes avec ses proches, être entouré des gens qu'on aime. Cela est ça c'est assez récent ça date des années 1990, 1980 en Angleterre, lors du fameux mouvement des hospices anglais, où on traitait de manière systématique les douleurs, alors que dans les hôpitaux traditionnels on laissait les gens avoir mal, parce qu'on pensait que si on donne de la morphine aux personnes elles allaient devenir des toxicomanes. Enfin des stupidités quoi, et donc au moins les hospices, les soins palliatifs ont amené une certaine tranquillité en fin de vie.
Intervieweur : mais il y a des études qui ont été faites. On se posait des questions, donc à un moment donné, on s'est dit ça peut leur faire du mal, mais on va quand même avancer pour leur bien.
Intervieweur 2 : on revient sur votre question, là, votre obsession.
Interviewé : non ce n’est pas une obsession, non mais je vous dis ça gentiment ça été une question que les cliniciens se sont posées à travers toutes les personnes qui ont pris de la morphine, alors oui on peut dire que c'était une recherche, mais c'était une recherche où on partait des soins optimaux, ensuite publiés, et on voyait ce qui se passait pour tant de patients. C’est à travers ce questionnement sur la morphine, qu'on a réalisé dans le journal le plus prestigieux de médecine, on s'est rendu compte qu'il fallait traiter 10'000 cancéreux, pour qu'il y en ait une qui devienne toxicomane, c'était une fausse peur, c'était un fantasme des médecins.
Intervieweur 1 : a un moment donné il a fallu dépasser ce cap des observations, il a fallu qu'un médecin donne de la morphine et on observe ce qui se passe. Cela aurait pu mal se passer, mal se finir, ça c'est bien passé avec la morphine et puis on a constaté que ça allait bien.
Intervieweur 2 : c'est la même chose avec la chimiothérapie, je cite un exemple, les effets de la chimiothérapie, nausées, perte d’appétit, perte de sommeil, vomissements, fatigue, fatigue énorme…voilà j'avais demandé ici, on m'a dit que dans les laboratoires en Suisse, on pouvait concernant l'homéopathie, trouver dans les laboratoires d’homéopathie. On pouvait trouver la formule qui allait convenir pour aller toucher ces conséquences de la chimiothérapie, sans toucher le principe de chimiothérapie, parce qu'on m'a dit attention. On ne peut pas donner n'importe quoi pour baisser les effets secondaires de la chimiothérapie. Ma famille avait décidé de ne pas utiliser cela, avec les principes d'un laboratoire ici en Suisse, toi tu cites la morphine, mais avec la chimiothérapie c'est la même chose, en donnant autre chose, mais à un moment donné est-ce qu'on arrête avec cela les effets de la chimiothérapie ?
Interviewé : ça c'est une incertitude médicale, biologique, je ne sais pas, je ne pourrais pas répondre, mais disons qu'on a toujours essayé des médicaments pour que les gens aillent mieux ou moins mal.
Intervieweur 1 : ça je n’en doute pas.
Interviewé : donc la morphine existe depuis très très longtemps, elle a toujours soulagé les douleurs des gens, depuis qu'elle existe. Avant on donnait de l'opium, avant de pouvoir extraire la morphine ou l'héroïne. Les premiers hospices en Angleterre ils donnaient de l'héroïne c'était de l'héroïne purifiée.
Intervieweur 1 : là, il y a des effets avec l'héroïne ?
Interviewé : c'est pratiquement la même chose qu'avec la morphine, mais c'était de manière très très contrôlée, et les gens étaient soulagés de leurs douleurs, c'était quand même bien il a fallu passer par-dessus la hantise de la toxicomanie.
Intervieweur 1 : oui c’est ça parce qu'il y a toute une légende sociale.
Interviewé : c’est exactement euh pour montrer que correctement donné cette thérapie en petite dose administré selon un schéma suffisamment rigoureux dans la journée et la nuit. Et bein les gens n’allait plus mal et puis ils ne mouraient pas. Les gens continuait à vivre mais mieux soulagés de leurs douleurs ou suffisamment soulagés de leurs douleurs. Ça c’était quand même grâce à ces pionniers de soins palliatifs qui ont dit leur obsession qu’on soulage les douleurs et les symptômes plutôt que l’obsession de leur faire vivre encore quelques jours quelques semaines de plus
Intervieweur 1 : oui cela je ne m’en doute absolument pas.
Interviewé : vous voyez et c’est grâce à cette évidence progressive que maintenant on enseigne aux médecins à traiter les douleurs de manière suffisamment agressive mais qui respecte la biologie de la personne. Ce qui fait que la personne ne meurt plus comme avant. Elle vit et continue à vivre avec une qualité de vie meilleure.
Intervieweur 2 : la dernière question est-ce qu’il y a des valeurs que vous avez eu le sentiment de porter en avant pendant les dernières années racontées ? vous avez eu le sentiment ? + Interviewé : alors vous voyez moi il me semble avoir quand même apporté ma pierre à l’édifice si on peut dire édifice (rires) en tout cas la contribution où j’ai passablement insisté par rapport à ce que d’autres collègues ont apporté. J’ai apporté une grande importance à l’écoute des gens, à écouter ce qu’ils disent d’avoir. D’abord écouter les gens avant de leur parler. Si on veut vraiment communiquer avec quelqu’un il faut d’abord l’écouter.
Intervieweur 1 : oui c’est clair.
Interviewé : ah oui mais ce n’est pas toujours évident. Imaginez comme les choses peuvent se passer dans un lit d’hôpital. Le médecin arrive, visite il y a les infirmières avec lui. Puis il va peut-être dire « comment ça va aujourd’hui ? ». S’il dit ça, ça vas déjà pas trop mal et s’il dit : « écoutez, bonjour Monsieur alors on a les derniers résultats de sang voilà ce que je vous propose » Il n’a pas du tout pris le temps d’écouter la personne sur ce qu’elle pense sur son état +sur ce qu’elle redoute sur ce qu’elle souhaite, rien. Il a tout de suite proposé quelque chose. C’est la manière technologique classique de proposer. Si on veut avoir la confiance de la personne il faut faire autrement.
Intervieweur 1 : l’aspect psychologique est important dans la guérison de la personne. Est-ce qu’il peut avoir des effets même sur l’aspect physiologique de la personne, j’ai même entendu qu’il y a des effets placebo. Le placebo pouvait même amener les personnes à se guérir. Il y a ce côté psychologique qui est important.
Interviewé : oui je pense qu’il n’y a pas quelque chose d’évident. Il y a quand même des choses qu’on sait très bien. On sait par exemple qu’il y a des médecins qui soignent très bien leurs patients. Leurs patients sont bien avec, ils sont en confiance, etc. Mais, il y a d’autres pour qui les choses ne se passent pas très bien. Les médecins multiplies les examens mais bon. Il y a aussi des malades qui aiment bien les médecins angoissés qui aiment bien les médecins qui font beaucoup d’examens donc il y a quelque chose de l’ordre d’une chimie relationnelle qui est relativement peu claire. Est est-ce qu’il y a une qui marche bien et une autre qui marche pas bien en termes de guérison, je ne sais pas moi. Euh, on ne sait pas. J’ai fréquenté des oncologues qui disent : « la psychologie et le cancer moi je n’y crois pas » C’est leur position parce que ce n’est pas qu’ils ne soient pas inintéressée à la psychologie. C’est qu’ils ne voient pas de lien entre les événements vécues par la personne par exemple le cancer, la guérison au contraire la récidive. On ne sait pas ; donc ça c’est à mon avis ça fait partie des questionnements encore. Il y a quand même certaines personnes qui ont un rôle. Je dirai l’effet placebo ça c’est clair.
Intervieweur 1 : j’ai une formation de psychologue et je sais qu’on a même opéré les gens. On a fait croire à des gens. Il faudrait que je trouve les sources. Mais, on a fait croire à un groupe contrôle qu’ils étaient traités pour l’Alzheimer, opérés et à un autre groupe qu’il n’était pas traité donc on a fait croire au groupe contrôle qu’ils étaient soignés et ce n’était pas vrai.
Interviewé : l’effet placebo pour le cas de l’Alzheimer, je ne crois pas, donc je pense que ça dû être une autre histoire et ça ne devait pas être pour l’Alzheimer. En tout cas, l’effet placebo est bien connu et si vous donnez un médicament qui a un effet placebo à une personne qui sort du cabinet ça va renforcer ses chances d’amélioration donc l’effet de donner quelque chose a un effet positif pour la personne. C’est quand même extraordinaire.
Intervieweur 1 : oui mais c’est quand même psychologique parce que la personne se met dans un était où elle croit qu’elle va guérir.
Interviewé : c’est psychologique mais tant mieux.
Intervieweur 1 : si vous arrivez justement vers une personne qui peut avoir ou voilà que son état on ne sait pas et que vous lui dites qu’il puisse mourir peut-être que vous pouvez influencer son état de santé.
Interviewé : oui par exemple je sais qu’il y a des manières de parler qui ne font pas du bien aux gens. Ça c’est clair mais est-ce que ça change vraiment leur trajectoire.
Intervieweur 1 : en tout ils vivent moins bien.
Interviewé : ils vivent moins bien (ton de la voix change) en tout cas moins bien ça c’est clair. Et, je trouve que c’est plus agréable et important d’être dans un environnement dans lequel on a confiance où on se sent écouté, on se sent compris, plutôt que d’être dans un environnement où on doit combattre pour défendre ses droits. Cela, c’est clair.
Intervieweur 2 : je voulais revenir sur la valeur que vous avez cité donc l’écoute lorsque vous dîtes écoute vous le faîtes en lien en tant que médecin Vis-à-vis de la condition du corps du patient, comme il se sent avant d’être traité. Quand vous dites : le matin on arrive et on dit voilà vous allez suivre ce traitement là et vous dites d’abord il faut écouter le patient. Quand vous dîtes j’écoute vous dîtes d’écouter ce qui ressent son corps, c’est ça ?
Interviewé : oui, voilà c’est ça, oui.
Intervieweur 2 : et que vous ayez un retour de la condition du patient avant d’aller plus loin Interviewé : oui et surtout les mots que la personne va utiliser puisque si vous utilisez tel mot eh si j’ai pas compris ce mot que vous avez utilisé je vais vous demandez « mais qu’est-ce que : vous voulez dire par là » ça c’est un élément. Tandis que si j’ai compris ou si je crois avoir compris «ah oui je crois à propos de l’acharnement, je vais demander « est-ce que vous avez des expériences dans votre famille ?, ça c’est mal passé ? « et vous allez me raconter quelque chose une expérience de votre vie parmi vos proches, etc et puis oui d’accord. Enfin donc là, je connaîtrai un petit peu votre attitude, votre représentation de ce qu’il y a derrière le mot « acharnement » .ça c’est sont des choses importantes qui ne sont pas du tout travaillées ou développées dans le cursus de formation de médecins mais je pense que grâce à l’écoute, la parole des gens à partir de ce que les gens disent, les mots qu’ils utilisent qu’on peut rentrer vraiment en contact avec la personne. Vous voyez parce que culturellement vous êtes péruvienne vous êtes quoi Monsieur ?
Intervieweur 1 : je suis de nationalité italienne.
Interviewé : vous êtes italien moi je suis suisse de Neuchâtel, etc donc chaque cas a une histoire donc les mots que chacun entre nous utilisent sont liés à l’histoire personnelle de chacun et je pense que c’est important de rentrer en contact avec les représentations de la personne mais avant d’essayer de négocier quelque chose avant pour savoir juste où la personne a vraiment envie, savoir si elle inquiète.
Intervieweur 2 : de se connaître aussi un peu plus entre soignant et soigné, non ? de se connaître un peu plus dans la communication.
Interviewé : oui, disant rentrer en contact avec une personne pour connaître ce qui vous correspond vraiment plutôt que si je vous parle d’emblée. Je mets mon langage mes mots etc et vous allez me dire : « oui, oui » ou « d’accord » mais jusqu’où j’aurai compris oui, oui voilà donc il y a plein d’histoire donc où les gens étaient chez le médecin, il leur a annoncé une mauvaise nouvelle et le médecin leur a parlé un quart d’heure et en sortant les gens disent : « mais qu’est-ce qu’il m’a dit, qu’est-ce qu’il m’a dit ? ».
Intervieweur 1 : pour vous ce quoi bien écouter par exemple ce qui concerne les psychologues, les psychiatres dans le milieu psychiatriques, une personne bien par exemple elle commence à parler de sa vie et plus encore par exemple dans une optique clinique avec des psychiatres. Ils savent qu’il y a tel médicament qui fait du bien. Ils peuvent diagnostiquer une personne en tant que dépressive par exemple mais c’est sur la base des mots donc là. Pour vous est-ce qu’il y a une bonne écoute ou une mauvaise écoute. Est-ce qu’une mauvaise écoute ? bon vous n’êtes pas dans ce champ là mais Est-ce qu’une mauvaise écoute peut amener le médecin à donner des mauvaises décisions puis parce qu’il y a l’importance de mots. Vous dites donc un médecin peut écouter bien la personne mais ça c’est sûr dans un endroit où la parole est plus importante mais après ?
Interviewé : mais je pense que dans les milieux que ce soit la psychologie, la psychiatrie, la psychanalyse les paroles, les mots ont une grande importance mais ils ne sont pas suffisants. Il faut quand même sentir la personne voire dans quelle trajectoire elle est pour pouvoir dire « je me demande si elle n’est pas dépressive ». C’est un grand diagnostique. C’est un diagnostic que ce n’est pas facile à faire c’est-à-dire : « elle a utilisé ces mots-là, elle est un peu Down comme si mais ce n’est pas une dépression ». Elle n’est pas en dépression car elle continue à se faire à manger, elle rencontre des gens, etc donc elle parle comme un dépressive mais elle n’est pas en dépression. Vous voyez dont c’est ça donc il y a cette subtilité qu’il faut sentir avec les gens dans leurs contexte, etc puis donc c’est évidemment très important en psychologie ou en psychiatrique. On est un peu moins subtile dans les soins somatiques mais je pense qu’il faut avoir une certaine exigence de subtilité. Moi il y a quelque chose que j’avais noté que je trouve important c’est que j’ai appris aussi des choses à part l’écoute des gens et je me suis beaucoup battu. Et c’est, c’est (répétition), il faut encore répéter en 2013 ou 2014 qu’il faut écouter les gens avant de leur donner quelque chose. Il y a une expression en petit peu bête mais qui dit bien ce qu’il veut dire : « pour remplir le verre de quelqu’un il faut d’abord qu’il vide ce qu’il a dans son verre » Il faut d’abord qu’il vide son verre et ensuite nous on peut rajouter quelque chose dedans dans son verre qu’il va ensuite boire. Il faut d’abord que la personne vide son verre avant d’essayer de verser quelque chose dedans. Cela, je pense que c’est important et l’autre chose que j’ai appris c’est qu’il faut écouter les différents professionnels qui sont autour. C’est que j’appelle la démocratie, la démocratie délibérative c’est-à-dire que quand on est dans une équipe de soins on écoute les uns aux autres et ils vont dire oui je pense qu’elle comme ça cette dame, etc à bon, non mais je l’ai vu là elle m’a donné vraiment cette impression, etc. Donc, chaque observation est intéressante, ça vait pas dire qu’elles sont toutes justes mais je pense qu’on doit apprendre à écouter ce qui disent les uns et les autres parce que chacun a des compétences dans son champ, dans son histoire, etc mais chacun a ses compétences. Donc, il faut apprendre ça, utiliser ça, faire parler les gens et à utiliser ça pour faire dégager quelque chose qui est suffisamment convainquant pour tout le monde, ça je pense (il est interrompu).
Intervieweur 1 : ça je pense socialement.
Interviewé : ça s’est construit en groupe, voilà. Ça c’est fait pas tout seul.
Intervieweur 1 : pour le patient quel pourrait être ça place dans le groupe parce que le patient, vous voyez, un jour peut-être bien, mal. Un jour, à un moment donné les informations recueillies sur le patient peuvent être aussi pas toujours à cent pour cent et être intersubjectif. D’après vous quelle pourrait être la place du patient dans ces discussions de groupe ? Est-ce qu’il devrait prendre part ? Est-ce qu’il ne devrait pas prendre part ? Est-ce qu’il pourrait se défendre ? parce que moi si je vais dans un hôpital par exemple et qu’il y a un groupe d’infirmières et l’équipe médicale qui va observer mon comportement peut-être à mon insu. Il y a peut-être des choses que je réagirai contre. Ce seraient des interprétations que ce n’est pas mon ressentie. J’ai l’impression là-dedans le patient qu’est-ce qu’il peut faire, peut-être dans ce savoir qu’il est construit autour de lui auquel lui il ne peut pas prendre part.
Interviewé : oui ça c’est vrai disant dans le milieu où je travaille et en psychiatrie en particulier c’est la participation du patient euh et là disant par apport à sa participation concrète dans l’équipe ou pas euh disant souvent on joue et je dirai que le professionnel il faut qu’il soit complétement d’accord. Il faut qu’il ait déterminé quelle est le vrai problème disant c’est le plus important pour ce patient dans le couloir, dans sa chambre ou à la cafétéria et ça c’est sont les compétences des professionnels qui doivent s’exprimer parce que ce sont eux qu’ils savent quels sont les risques pour cette personne. Quelles sont les choses plus importantes à proposer ?
Intervieweur 1 : ça je ne m’en doute pas.
Interviewé : d’accord alors donc une fois qu’ils ont déterminé et qu’ils sont suffisamment clairs dans la manière qu’il faut rentrer en contact avec le patient. Cela est une question subtile et difficile Cela peut être une personne de référence qui va rentrer en contact, ça peut être deux, trois quelques fois deux personnes, un groupe médecins-infirmières. Cela peut faire comme ça,.Cela peut-être la personne dans laquelle, elle a particulièrement confiance. Ça peut être dans certains cas faire venir la personne dans l’équipe : voilà on a bien discuté de votre situation euh voilà ce qu’on a constaté qu’est-ce que vous en pensez ? voilà. Puis, en fonction de ça qu’est-ce qu’on pourrait continuer. Il y a plusieurs possibilités qu’est-ce que vous en pensez, ça peut-être ça ?
Intervieweur 1 : ça c’est fait actuellement ?
Interviewé : en psychiatrie
Intervieweur 1 : et dans les années 60-80 c’était comme ? il n’y avait pas tout ça ?
Interviewé : je pense que le patient était quand même relativement satellisé, enfin on lui faisait très peu participé, oui
Intervieweur 2 : et si on revient là, à la gériatrie pour suivre la question suivante, qu’en est-il aujourd’hui de cette lutte et des acquis et des risques de retour en arrière ?
Interviewé : oui, moi je veux juste rajouter quelque chose parce que là je croyais que c’était important. C’est ce que j’ai découvert et les valeurs que j’ai eu le sentiment d’avoir porté euh : le respect de la personne, le respect de soi, la connaissance de soi parce que souvent peut-être tant qu’on n’est pas suffisamment au clair avec soi-même ce qui est important pour soi-même on ne peut pas être un bon professionnel donc la connaissance de soi avec les valeurs qui sont notre en avant moteur et au même le respect des autres avec leurs propres valeurs. C’est une confrontation souvent des valeurs qui sont souvent importants d’avoir à l’esprit. Cela je pense, on peut rentrer vraiment dans une sorte de négociation ou de décision commune qui a du sens. Vous serez contente, moi je serai content parce qu’on aura mis en évidence qu’on aura compris quelque chose où on était vraiment d’accord. Et, là on aura mis en évidence certaines valeurs et ça c’est aussi une de mes obsessions actuelles. Moi, je travaille dans les formations, je travaille beaucoup là-dessus : valeurs personnelles, valeurs professionnels, valeurs de l’institution qui ne sont pas forcément les mêmes.
Intervieweur 2 : alors quand vous dîtes que vous travaillez aujourd’hui est-ce que vous pourriez dire ce que vous faîtes aujourd’hui ?
Interviewé : oui par exemple quand je donne une formation et qu’on me demande de faire une formation assez souvent sur l’éthique et sur les soins palliatif, une des premières choses que je fais c’est de prendre un acte ultra simple qu’un des participants cite par exemple injection de morphine voilà très bien. Alors je dis : « injection de morphine » et je dis : « pour quoi vous faîtes ça ? » faire apparaître ensuite la valeur fondamentale qui apparaît derrière ce geste. (M. Loew questionne) pourquoi vous faîtes ça comme ça ?, vous avez dit vous rentrez en contact avec cette personne vous lui dites bonjour ou bien vous lui dites pas bonjour vous faites comme ça ou vraiment vous prenez du temps pour d’abord savoir comme elle va ce matin et quand vous commencez ce contact avec : « comme t’allez-vous ce matin ? », je montre que j’attache de l’importance, d’abord à la relation que j’ai avec vous et je me soucis de comme je vais d’abord. Cela veut dire que je vous fais la preuve que je me préoccupe de comment vous allez. Vous vous sentirez comprise dans votre inconfort d’être malade, d’être dans votre lit, etc (le patient) ah il est sympa ce médecin au moins lui ou bien cette infirmière, elle me demande. Ensuite, je fais donc voilà une valeur fondamentale c’est la préoccupation, le souci de l’autre et de la relation et c’est une valeur très forte chez les infirmières qui est beaucoup moins forte chez le médecin. Chez le médecin, le souci premier quand je viens c’est : on va faire une piqûre chez vous, je lui donne de la morphine parce que je veux qu’il ait moins de douleur, etc. Donc c’est relativement proche du souci de l’infirmière mais ce n’est pas la même chose et donc c’est des choses que je souhaite faire apparaître chez ceux qui suivent la formation. C’est de la formation continue ce n’est pas des étudiants en psycho ou à l’école des soins infirmiers. Et, pour qu’ils comprennent tout ce qui fait la richesse d’un acte, les choses qui sont importantes dans ces actes et la manière de faire cet acte. Vous voyez. Ça c’est une chose par exemple que j’insiste beaucoup là-dessus.
Intervieweur 2 : ça me touche beaucoup et c’est très parlant, je me situe par apport au corps on a mal et je peux dire (à mon médecin) que j’ai mal.
Interviewé : peut-être comme vous réfléchissez, je vais vous perturber. Vous venez de dire « j’ai mal » ça c’est quelque chose que dans les soins palliatifs et ça c’est quelque chose que ce n’est pas moi qui a amené cette notion. La douleur au moment la personne dit j’ai mal, on ne cherche pas à savoir si elle a vraiment mal ou si elle n’a pas vraiment mal. On dit « elle a mal ». Elle dit qu’elle a mal donc elle a mal. Puis peu importe, je ne sais elle est psychologiquement perturbé, c’est pour ça qu’elle a mal (M. Loew réitère) « elle a mal » donc j’accepte le mot douleur comme étant la preuve qu’elle a mal alors qu’avant on mettait en doute la réalité de la douleur ou la gravité de la douleur.
Intervieweur 1 : dans les années 60-80 c’était comment ?
Interviewé : ah dans les années 60, on mettait en doute donc on ne donnait pas de la morphine. On donnait pas quelque chose qui marchait bien parce que la morphine c’est quelque chose qui marche très bien sur la douleur et il y a d’autres médicaments mais cet aspect- là de croire la personne quand elle dit j’ai mal. C’est très fondamental parce que là vous vous sentez comprise.
Intervieweur 2 : et alors le patient dit je peux lui faire confiance.
Interviewé : voilà et après ça-y-est ils vont créer la confiance. Quand je parle avec mes étudiants ou étudiantes c’est : « il faut créer la confiance mais cela ne se fait pas comme ça»
Intervieweur 1 : toute cette recherche de contact dans les années 60-80 c’était néant.
Interviewé : moi, écoutez je n’étais pas là. Je suis mal placé pour vous dire quelque chose. J’ai quand même l’impression qu’on a fait des progrès mais ce que je vois en 2013, la médecine est devenue tellement technique, il y a tellement de possibilités que l’obsession de la technique, l’obsession de l’efficacité fait en sorte qu’un moment donné la psychologie alimentaire on l’oublie et c’est dommage parce que ce n’est pas qu’on est dans un hôpital super sophistique qu’on doit pas être écouté correctement .
Intervieweur 1 : c’est là où revient cette obsession de technicité qu’après on dépasse les limites éthiques par rapport à ça parce qu’on veut aller tellement loin dans l’éthique de toute façon on veut être performant. On veut faire quelque chose de louable et présent chez tous les médecins mais on peut arriver loin, carrément on peut parler de robotique. Cela peut aller loin tout ça dans une optique de reconstruire la personne. Est-ce que après on ne peut pas y avoir cet aspect patient-cobaye qui revient ? mais inconsciemment sans se rendre compte carrément parce qu’actuellement il y a pas mal de recherches qui se font donc mais toujours dans un dessin positif donc je ne dis pas (change de phrase) j’utilise le terme cobaye mais à un moment donné on voit une évolution technique et la recherche qui peut être aussi important que vouloir soigner la personne. Vous comprenez la question ?
Interviewé : je comprends mais je ne vois pas cette inversion comme vous le dites en tout cas.
Intervieweur 1 : qu’il n’ait pas une inversion qu’on arrive à ce qu’une même chose puisse rentrer en concurrence.
Interviewé : ce qui est un progrès indéniable et là je parle par rapport aux années 60 c’est qu’on arrive à verbaliser beaucoup mieux. On arrive à conceptualiser beaucoup mieux les droits des gens, les droits des patients, ça c’est clair. Par contre, jusqu’où on va et pour quoi on va quand vous parlez de robotique. Quel est les sens par exemple d’une pouce, un débrifilateur sous la peau qui fait que, quel est le sens de ça jusqu’où est qu’il y a du sens pour la personne. Là je pense que tout le monde est complice, c’est-à-dire qu’on va proposer des choses et il y a toujours beaucoup des gens qui vont être d’accord. Vous voyez et c’est ce qu’on voit. Actuellement vous voyez des personnes très âgées, mal fichues. On leur propose telle ou telle chose, ah oui, d’accord (les personnes répondent) ah oui, etc. Il y en a même de celles qui répondent et un des problèmes qu’on parlait et qu’on disait tout à l’heure des directives anticipées c’est qu’il aura un certain nombre des demandes qu’elles seront très claires : « je veux pour moi des soins maximum, je veux pouvoir rentrer en soins intensifs , comme est-ce qu’on va faire quand un professionnel dit non, on ne va pas prendre aux soins intensifs cette dame ou ce monsieur parce qu’elle n’a pas les critères disant d’efficacité. On va être très très inconfortable. Mais actuellement, on est plutôt dans ce désir sans fin. Je crois que le désir d’immortalité est quelque chose de fou tout le monde a un petit peu. On accepte avec peine le fait que notre vie est limitée et qu’il faudra mettre en terme et que la manière disant de mettre un stop disant une limite à ce qu’on fait ça je pense que c’est très important.
Intervieweur 1 : justement par apport à ce que vous dites donc ce sont les valeurs sociétales carrément qu’elles vont influencées la médecine.
Interviewé : mais qui influence déjà, bien sûr, Il n’y a qu’à lire la presse et on voit que tout va toujours dans le même sens. On parle de la robotique comme étant progrès, on parle de la génétique comme étant ça nous permettre de n’être plus vieux, etc. Et c’est toute la société qui fonctionne comme ça. Tout le monde n’est pas d’accord évidemment mais c’est la technique. La technologie cette sorte de progrès éternel. On voit très très bien décrit dans certains romans, ou de sciences fiction ou dans certains films ou des bandes dessinées qui sont extraordinaires parce qu’elles montrent ça très clairement. Donc, je pense que retour en arrière ce n’est pas un retour en arrière c’est je pense une fuite en avant où on ne sait pas où est-ce qu’on va et je pense que c’est une fuite vers quelque chose où on perd le sens de qu’est-ce qu’on fait dans ce monde. Pour quoi on est là est-ce que c’est. Puis on perd le sens du vieillissement. A quoi ça sert de vieillir, ça sert à quelque chose, il faut accepter de vieillir. Il y a plein de gens qui disent je ne veux pas vieillir, je veux pouvoir vivre 100 ans. Il y en a beaucoup qui tiennent un discours inverse jusqu’au moment où ils sont âgés et là ils sont envie de continuer, etc. Donc, ce n’est pas un retour en arrière et je ne sais pas quelle arrière. Je ne sais pas quoi trop vous dire. Je pense que les droits des gens sont mieux respectés par contre les gens ne se posent pas beaucoup la question du sens donc cette question de « l’autonomie décisionnelle » C’est par apport à l’attitude paternaliste de l’époque mais aujourd’hui il y a d’autres questions qui se posent. Le sens de ce qu’on fait. Certains se posent la question du sens de la maladie et on se rend compte que notre vie, elle est limitée. Puis, que si on est proche de la fin bein c’est difficile pour tout le monde.
Intervieweur 2 (question de précision) donc que vous êtes actuellement.
Interviewé : je suis médecin, éthicien, consultant, gériatre, formateur puis oui on peut me demander de faire un projet comme consultant et en suite je vais travailler ne pas comme consultant pur mais sinon comme médecin éthicien. Ce sera un petit peu ça mon job principale c’est ça.
Intervieweur 2 : et c’est là où vous dites que vous êtes à l’écoute de patients et vous avez parlé aussi tout au début de l’acharnement.
Interviewé : oui, oui tout à fait.