De l'enfance en danger à l'enfant maltraité ou l'intrusion progressive de l'Etat dans les familles du XIXème siècle à nos jours

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Emergence des différents acteurs au fil du temps

(Katiavdl)


Il existe de nos jours bon nombre de professionnels qui s’occupent de la maltraitance infantile. Nous pouvons entre autres citer les médecins, les psychologues et différentes instances telles que l’Office de la Jeunesse. Pour comprendre l’implication de ceux-ci, il nous est paru nécessaire de nous pencher sur les fondements de la protection de l’enfance. Nos recherches se sont donc, dans un premier temps, tournées sur le contexte et les origines des interventions de ces différents acteurs. Nous souhaitions par ailleurs découvrir quelles étaient leur légitimité, leur évolution et de manière plus générale leurs influences sur la prise en charge ou la définition de la maltraitance. Ce retour aux origines nous a permis de mieux comprendre la problématique actuelle, le processus de prise en charge ainsi que l’implication des différents professionnels.

Pour se faire, nous nous sommes référées à la littérature et principalement aux ouvrages suivants : N. Delay-Malherbe (juin 1982), Enfance protégée, familles encadrées, matériaux pour une histoire des services officiels de protection de l’enfance à Genève, Cahiers de la Recherche sociologique, Genève ; F.Schultheis, A.Frauenfelder & C.Delay (avril 2005), La maltraitance envers les enfants: entre consensus moral, fausses évidences et enjeux sociaux ignorés, Université de Genève, Faculté des sciences économiques et sociales, Département de sociologie ; Commission externe des politiques publiques (décembre 2004), Evaluation du dispositif de protection des enfants victimes de maltraitance, sur mandat de la commission de gestion du Grand Conseil, Genève ; Actes du Congrès de Toulouse (janvier 1990), L’enfant maltraité, du silence à la communication, Editions Karthala, Paris, ainsi qu’au site Internet officiel de l’Office de la Jeunesse (www.geneve.ch/OJ).


La classe bourgeoise et les philanthropes ou leurs valeurs en péril

Au XIXème siècle, la bourgeoisie, classe alors dominante, craint une croissance de « démoralisation » des classes populaires, mettant ainsi ses valeurs en péril : "(…) l’ouvrier apparaît proche de l’étranger et du sauvage ; adonné à des jouissances sensuelles et grossières, aux plaisirs égoïstes ; prodigue, insoumis, cruel, dissipant au cabaret le gain juste suffisant à l’entretien de sa famille, désertant le foyer domestique ; son intérieur est sale ; sa femme volage. Il est aussi question de milieux dangereux et immoral, de milieu impur, de bouges infâmes ; de contacts immondes desquels il faudrait arracher l’enfant, d’exemples effrayants, d’enseignements terribles, de traitements odieux, de foyers de corruption morale et de déchéance physique. Manque de surveillance des enfants, exemples pernicieux, mauvaise éducation, passion du vagabondage et vices funestes, tout semble concourir, de l’avis des philanthropes, à précipiter l’enfant des milieux populaires dans le crime, à moins d’une intervention pour couper le mal à la racine" (M. Ruchat, L’oiseau et le Cachot, 1993, Editions Zoé, p.12). Ainsi, les enfants des ouvriers dits, sous l’influence des théories pavloviennes, « conditionnés par de mauvais modèles », deviendront une préoccupation majeure de la classe dominante. Il s’agira alors de les remettre sur le droit chemin, de les protéger de leur environnement malsain… C’est donc à travers un idéal de civilisation que les philanthropes souhaitent améliorer le sort de ces classes tout en ayant comme intention sous-jacente de garder la main-mise sur celles-ci. C’est ainsi que naissent des associations visant la protection de l’enfance. De plus, autre fait important, le XVIIIème siècle est marqué par un sommet d’abandons ce qui inquiète les philanthropes. Ils vont donc créer des réseaux et des comités dans le but de détecter « l’enfance abandonnée ». Des enquêtes sont alors menées et un Comité pour l’éducation de l’enfance abandonnée voit le jour. Ces éléments marquent bel et bien le début de la préoccupation et de la volonté d’action envers les enfants « en danger ».


L’Etat

Les conditions de vie des classes populaires au XIXème siècle, comme dit précédemment, semblent être problématiques. La philanthropie et la classe bourgeoise tentent donc d’y palier à travers la charité. Cela dit, l’Etat s’intéresse également à ce « mal ». En effet, des questions sur l’enfance abandonnée apparaissent dans les discours politiques du Grand Conseil. L’Etat promulgue donc en 1872 une loi sur l’obligation scolaire, contraignant les enfants à se socialiser dans un milieu considéré « sain » et emprunt de valeurs respectables. De plus, l’école apparaît également comme lieu privilégié de repérage des familles pauvres. Elle joue donc un rôle extrêmement important face à la problématique de l’enfance abandonnée ou de l’enfance en danger: "L’école commence donc à jouer un rôle doublement central : d’un côté en définissant l’enfance abandonnée, l’enfance en danger, potentiellement dangereuse (…) de l’autre côté en étant le lieu privilégié de la moralisation, de l’intégration sociale pour les enfants dont le milieu social n’offre pas les garanties suffisantes d’une bonne socialisation. L’école devient donc lieu de dépistage et de traitement de le délinquance juvénile" (N. Delay-Malherbe, Enfance protégée, familles encadrées, Cahiers de la Recherche sociologique, Genève, 1982, p.54). L’importance du dépistage est donc soulignée. Il s’agira de repérer l’enfant en danger, de le signaler et d’intervenir. Cela dit, pour des raisons économiques, toutes les familles ne peuvent laisser leurs enfants fréquenter l’école car ceux-ci représentent un revenu supplémentaire. Le problème ne semble donc guère résolu.

Le Conseil d’Etat réunit donc une commission constituée de 35 personnes en 1890 afin de traiter les questions relatives à la protection de l’enfance. Les débats se situent entre les radicaux, prônant une structure officielle de prise en charge de l’enfance abandonnée et les démocrates, partisans de la charité privée. Finalement, le parti radical l’emporte. De nouvelles lois sont alors promulguées en 1892 (pour plus de détails, se référer à la partie consacrée à la législation). L’Etat souhaite alors réduire l’influence des associations charitables privées car celles-ci semblent être incapables de réduire le paupérisme. L’enfance devient donc « affaire d’Etat ». Les lois sur l’enfance abandonnée ainsi que sur la puissance paternelle marquent un tournant décisif dans la prise en charge des jeunes : l’Etat peut alors prendre sous sa protection les enfants dits « matériellement » ou « moralement » abandonnés. Cette législation sous-entendra la définition de « mauvais parents »… « Le législateur visait trois catégories de familles : "(…) soit des parents malhonnêtes qui abandonnent volontairement leurs enfants ou qui les exploitent (…) soit des parents honnêtes mais pauvres, incapables de diriger l’éducation de leurs enfants, de les surveiller (…) soit encore des parents récalcitrants. Si les parents refusent leur consentement à l’intervention de l’Etat(…)" (N. Delay-Malherbe, Enfance protégée, familles encadrées, Cahiers de la Recherche sociologique, Genève, 1982, pp.56-57). Nous pouvons donc constater que l’Etat devient un acteur principal en ce qui concerne la protection de l’enfance ainsi que dans le dépistage de l’enfance abandonnée en légiférant « des normes », en institutionnalisant des mesures à entreprendre et en mettant à mal la puissance paternelle.


La Commission centrale ou les prémisses de l’Office de l’Enfance

Si nous mentionnons ici la Commission centrale en tant qu’acteur primordial, c’est qu’il s’agit-là des prémisses de l’Office de la Jeunesse que nous connaissons aujourd’hui, Office qui s’occupe entre autres de la maltraitance infantile.

Non seulement l’Etat promulgue deux lois concernant la puissance paternelle et l’enfance abandonnée mais en plus, il créé une Commission centrale, en 1892, qui aura pour but de favoriser le dépistage de ces enfants. Cette Commission est élue par le Grand Conseil et le Conseil d’Etat et est constituée du Procureur Général et du Chef de Police. Les personnes y siégeant ne sont autres que le Procureur Général, le Chef de Police ainsi que des conseillers d’Etat chargés du Département de l’Intérieur ou de l’Instruction Publique. Cette composition souligne l’étendue du problème de l’enfance abandonnée et met en évidence les secteurs concernés : "La composition de la Commission centrale atteste bien que l’enfance abandonnée et l’indigence en général sont affaire de police, de justice, d’ordre public et d’éducation" (N. Delay-Malherbe, Enfance protégée, familles encadrées, Cahiers de la Recherche sociologique, Genève, 1982, p.62). Pourtant, cette Commission n’est malgré tout rattachée à aucun Département.

Comme dit précédemment, elle aura pour mission de favoriser le dépistage des enfants abandonnés et deviendra, au fil du temps, l’élément central de la protection de l’enfance : « Si par son statut, son mode de recrutement et d’élection, la Commission centrale diffère sensiblement des services actuels de protection de la jeunesse et du tuteur général, les tâches qu’on lui attribue sont bel et bien à l’origine de ces deux services (…) Le dépistage de l’enfance en danger et de l’enfance dangereuse est donc bien organisé, du moins formellement. La Commission, avec l’aide des comités de quartier, enquête sur les cas d’abandon qu’on lui signale, notamment sur la situation, la moralité et les ressources des parents » (N. Delay-Malherbe, Enfance protégée, familles encadrées, Cahiers de la Recherche sociologique, Genève, 1982, pp.64-65). Ainsi, les conseillers municipaux surveilleront à leur tour les enfants fréquentant l’école et dénonceront à la Commission centrale ceux qui s’en abstiennent. Par ailleurs, selon son règlement, l’action de l’Etat peut s’exercer par trois biais : pas l’intermédiaire de l’œuvre de protection de l’enfance abandonnée, par le surveillance ou le contrôle des Départements de l’Intérieur et de Justice et Police et finalement par la mise à disposition d’allocations financières. Nous voyons donc bien l’implication de l’Etat, à travers la Commission centrale ou à travers d’autres instances, dans la protection de l’enfance. Par ailleurs, cette commission peut également collaborer avec des associations privées bien qu’elle soit chargée de les contrôler. Cependant, les commissaires qui la constituent ne sont guère des personnes professionnelles, il s’agit-là de bénévoles. Ce n’est qu’à partir de 1897 qu’elle disposera d’un directeur salarié et ceci marquera le début de l’autonomisation de la prise en charge.

L’Etat, ne possédant que l’Hospice Général (réservé aux genevois) pour la mise en placement, va décider de subventionner la création d’un établissement. Ce premier lieu spécialisé ressemblera à un centre d’observation et sera nommé « l’Asile temporaire de Lancy ». La création de ce centre représente un pilier pour le développement de la psychiatrie et de la psychologie : « A l’enquête sociale sur l’enfant et son milieu faite par le Procureur général et le Département de justice et police se substitue l’observation scientifique d’un individu placé dans une situation particulière, celle d’une institution fermée où il est coupé de son environnement habituel. Autrement dit, l’enfance ne sera plus seulement et exclusivement affaire d’Etat, mais encore affaire de spécialistes : médecins, psychiatres, pédagogues, psychologues, etc. » (N. Delay-Malherbe, Enfance protégée, familles encadrées, Cahiers de la Recherche sociologique, Genève, 1982, p.68). Cela dit, l’implication de l’Etat se remarque à travers la composition du comité. La moitié du comité de l’Asile sera issue de la Commission centrale et l’autre moitié proviendra d’associations privées pour la protection de l’enfance. Nous pouvons donc remarquer la jonction entre les secteurs public et privé.

La Commission Centrale ne dispose cependant d’aucun pouvoir d’action. En effet, elle se retrouve dans l’obligation de soumettre ses requêtes au Procureur Général. Or celui-ci n’est guère tenu d’y donner suite. C’est alors qu’en 1896 est promulguée une loi concernant la suspension de la puissance paternelle, une alternative quelque peu moins radicale à la déchéance paternelle. Comme vu précédemment, les parent peuvent se voir retirer la garde de leurs enfants pour une durée de trois ans et renouvelable si nécessaire. La commission peut donc désormais demander une suspension de puissance paternelle au Tribunal. Puis, en 1898, la Commission obtient un statut équivalent à celui du Procureur Général: « Deux ans plus tard, le 28 mai 1898, la Commission est confirmée dans son rôle de plaideur : on lui accorde le droit de demander non plus seulement la suspension, mais aussi la déchéance de la puissance paternelle. (…) Ainsi, pour plaider les actions en déchéance ou en suspension de la puissance paternelle, la Commission se trouve juridiquement sur le même pied que la parenté jusqu’au 4ème degré et le Procureur général ; socialement, elle a des chances de les surpasser puisqu’elle est l’interlocutrice privilégiée pour les questions relatives à la protection de l’enfance et qu’elle est en train de constituer un corps d’intervenants spécialisés qui ne tarderont vraisemblablement pas à acquérir une légitimité certaine auprès des juges du tribunal » (N. Delay-Malherbe, Enfance protégée, familles encadrées, Cahiers de la Recherche sociologique, Genève, 1982, p.75).

Dans cette optique de prise en charge de l’enfance, une Commission pédagogique est parallèlement créée en 1904, ce qui aboutira au service médico-pédagogique. Ce service s’occupera du traitement, de la prise en charge médico-pédagogique ainsi que du placement des enfants. Il aura entres autres un pouvoir de décisions en ce qui concerne les élèves, comme par exemple les changer de classes, les placer dans des institutions spécialisées… Ce service comprendra des psychiatres, des psychologues, des pédagogues, des psychomotriciens, des logopédistes, des orthophonistes ainsi que des psychopédagogues. Possédant un contrat avec l’université de Genève, il se retrouvera donc, de par sa légitimation, à une place privilégiée au sein des écoles par rapport au service médical.

Cet élément est d’une importance capitale en ce qui concerne les acteurs liés au problème de la maltraitance infantile. En effet, le service médico-pédagogique occupe actuellement une place importante au sein de l’Office de la Jeunesse qui, elle, tente de lutter contre cette problématique.

En 1908, le Grand Conseil aborde un point essentiel en ce qui concerne le sort des enfants « délinquants », celui-ci était jusqu’alors l’affaire du Procureur Général. La création d’un Tribunal pour enfants est alors en question. C’est ainsi qu’est mise en place la Chambre pénale de l’Enfance en 1913. Le Procureur Général sera donc tenu de décider (après dénonciation) si l’enfant doit être jugé par la Chambre pénale de l’Enfance ou alors par la justice ordinaire. Ainsi, la Commission se voit attribuer un plus grand de responsabilités car dès 1913, la Chambre pénale de l’enfance a la possibilité de lui transmettre certains dossiers.

Un autre élément important est à souligner ici en ce qui concerne la Commission centrale : celle-ci a favorisé la professionnalisation des personnes s’occupant de l’Enfance abandonnée.


De la Commission Centrale à l’Office de l’Enfance

Le contrôle social s’effectue donc à différents niveaux tels que juridique, administratif ou même au travers de structures scolaires ou para-scolaires. D’un point de vue juridique ou administratif, celui-ci s’exerce à travers la Commission Officielle de Protection des Mineurs (née de la Commission Officielle de l’Enfance abandonnée), à travers la Chambre pénale de l’enfance ou par le Tuteur Général. D’un autre point de vue, le contrôle s’exerce également à travers les structures scolaires proprement dites ou à travers les structures para-scolaires qui elles, comprennent des professionnels tels que médecins, psychologues ou même pédagogues.

L’Office scolaire de l’Enfance est créée le 7 juillet 1933 afin de regrouper certains de ces secteurs. Par ailleurs, elle se retrouve sous l’égide du DIP. Ainsi, le service médical des écoles, le service médico-pédagogique, le service social des écoles et le service d’orientation professionnelle sont réunis. Ces quatre services seront coordonnés par une commission administrative qui elle, sera chargée d’en assurer la bonne marche ainsi que d’étudier les questions relatives à la protection de l’Enfance.

Puis c’est en 1937 que sont créées l’Office de l’Enfance ainsi que la Fondation Officielle de l’Enfance. Le but de l’Office, figurant dans le Mémorial du 2 juillet 1937 (pp.1908 ss. Loi de l’Office de l’Enfance, art. premier), est le suivant : « Assurer la protection et la santé physique et morale de l’enfance et de la jeunesse et d’une façon générale de favoriser son développement. Il coordonne et encourage les efforts de la famille et des institutions politiques et privées ; il aide les autorités judiciaires et administratives dans l’exécution de leur mandat dans ce domaine ». Nous pouvons donc constater que le champ d’acteurs impliqués dans la protection de l’enfance s’étend. De plus, divers avantages sont stipulés quant à la création de l’Office : « … permettra de faire rendre au maximum les différents services, en évitant les enquêtes à double ou à triple, les fiches fragmentaires et notamment l’utilisation incomplète des ressources en personnel » (Mémorial du 29 mai 1937, p.936, exposé des motifs).

En créant par ailleurs la Fondation Officielle de l’Enfance, les tâches de gestion des biens sont séparées des tâches de protection des mineurs (dont s’occupe l’Office de l’Enfance). La Fondation devra également veiller aux enfants placés dans les institutions. Cela dit, celle-ci n’est pas sous l’égide du DIP (pour des raisons financières) bien qu’elle soit soumise au regard d’un contrôleur de l’Etat.

Finalement, c’est en 1958 que ces différentes structures seront regroupées et deviendront l’Office de la Jeunesse, Office qui ne déprendra dès lors plus que du DIP.

De l’origine de ces structures à la prise en charge actuelle

S’il nous a semblé important de revenir sur ces éléments, c’est qu’ils sont constitutifs de la prise en charge de l’enfance actuellement. Ainsi, la légitimité des différents acteurs et leur évolution est explicitée. Ceci nous permet de mieux comprendre ou du moins percevoir pour quelles raisons et dans quelle mesure l’Office de la Jeunesse est impliquée dans la problématique de la maltraitance. Par ailleurs, cela soulève une réflexion quant aux intentions et aux buts cachés ou non de la protection de l’enfance.


Le Département de l’Instruction Publique comme acteur principal

Le Département de l’Instruction Publique est bel et bien sous l’égide de l’Etat et comprend l’Office de la Jeunesse. Les différents secteurs dont se charge l’Office de la Jeunesse sont les suivants : médical (où il est question de promotion et de protection de la santé, qu’elle soit psychologique ou physique), juridique et social (évaluation et surveillance des institutions dans lesquelles sont placés les mineurs, exécution des mandats tutélaires ainsi que juridiction pénale pour les jeunes de 7 à 15 ans) ainsi que celui des loisirs. Il semble donc que la Jeunesse soit abordée globalement « L’Office de la Jeunesse regroupe tout un ensemble de services sociaux et médicaux pour la protection des jeunes et la promotion des droits de la jeunesse » (propos recueillis sur le site www.geneve.ch/oj). Il est intéressant de tracer ici un parallèle entre ces différents secteurs et ceux mentionnés dans la partie consacrée à l’enfance abandonnée: « La composition de la Commission centrale atteste bien que l’enfance abandonnée et l’indigence en général sont affaire de police, de justice, d’ordre public et d’éducation » (N. Delay-Malherbe, Enfance protégée, familles encadrées, Cahiers de la Recherche sociologique, Genève, 1982, p.62). De plus, différents services sont présentés sur le site Internet de l’Office de la Jeunesse : le Service de Protection des Mineurs (SPMI) où il est question d’aider les familles dans leur tâches éducatives, de protection de leurs enfants, d’évaluations sociales demandées par les tribunaux ainsi que d’exécution de la juridiction pénale pour les enfants âgés de 7 à 15 ans ; le Service du Tuteur Général (STG) qui exécute les mandats confiés par les Tribunaux et qui répond aux besoins des personnes sous mandats ; le Service des Loisirs ainsi que le Service Santé Jeunesse (SSJ) qui a pour mission de « promouvoir la santé des enfants et des jeunes au sens de bien-être physique, psychique et social ; protéger la santé et le développement contre des menaces à leur intégrité et leur bien-être ; prévenir des atteintes à la santé et limiter les conséquences sanitaires et sociales des maladies chroniques et handicaps » (propos trouvés sur le site www.geneve.ch/ssj). Dans ce dernier service, nous trouvons des travailleurs sociaux tels que des infirmières de santé publique, des éducateurs de la santé, des médecins, des psychologues… Nous pouvons donc remarquer qu’au fil des années, différents acteurs sont entrés en jeu et ceux-ci sont désormais professionnalisés.


Quel(s) rôle(s) ces professionnels ont-il joué dans la problématique de la maltraitance ?

Il semblerait que le SSJ (Service Santé Jeunesse) ait joué un rôle majeur dans la problématique de la maltraitance et particulièrement dans sa « publicité » : « En effet, le fait que la maltraitance soit reconnue au départ- suite à l’investissement du SSJ au début des années 90- comme un problème de santé publique véhicule des significations et justifie des pratiques toutes autres que la reconnaissance de la maltraitance en tant que problème politique. Construction d’une évidence qui est celle de lutter contre la maltraitance » (F.Schultheis, A.Frauenfelder & C.Delay, La maltraitance envers les enfants: entre consensus moral, fausses évidences et enjeux sociaux ignorés, Université de Genève, Faculté des sciences économiques et sociales, Département de sociologie, avril 2005, p.30). Dans ce même rapport, il est également stipulé que « Les professionnels de la médecine sociale impliqués dans la diffusion de ce problème social (…) ont cherché à sensibiliser la population, les médias (…) cherché à développer une conscience accrue d’un tel phénomène (…)» (mêmes références, p.33). Il semble donc évident que l’action du SSJ favorise la « publicité » de la problématique de la maltraitance et rende les acteurs institutionnels attentifs à ce phénomène. De plus, il aurait publié en 2001 une grille d’évaluation pour reconnaître « l’enfant en danger ». Ainsi, des critères sont établis et un dépistage est recommandé…

En ce qui concerne le DIP, il reste un acteur majeur de part les nombreux services qui le composent et de par les publications qu’il édite. Dans ce même rapport, est mentionné un bulletin d’information du DIP relatant l’importance de la lutte contre la maltraitance et la nécessité d’y remédier : « Dans le bulletin d’information du DIP daté du 19 janvier 2004, les acteurs du dépistage sont vivement incités à prendre leur responsabilité et signaler davantage les cas d’enfants en danger. Le directeur général de l’enseignement primaire rappelle très clairement la position de l’institution scolaire, à savoir son obligation à agir lorsque des mineurs sont exposés à de la violence et à des situations de maltraitance et le rôle des partenaires médicaux et sociaux dans le dépistage, à qui faire appel et à quel moment. Pour les aider dans cette tâche, une liste d’indices supposant un mauvais traitement hors du milieu scolaire présentée comme malheureusement non exhaustive figure dans le bulletin. Il peut s’agir entre autres : d’un état de santé inquiétant ; de traces de blessures non accidentelles sur la peau ; de confidences d’un enfant qui se sent rejeté, dénigré, maltraité ; de brusques changements d’attitude ; de comportements ou de propos liés à la sexualité ; de chocs émotionnels… » (mêmes références, p.34). Ainsi, de plus en plus de procédures et d’éléments suspicieux à prendre en considération sont présentés.

Il semble donc que le DIP ainsi que les différents services qui le composent se retrouvent au cœur de la problématique de la maltraitance. En effet, il institutionnalise le problème, forme des professionnels, alerte les différents acteurs des services publics…

En outre, il semblerait que ces acteurs aient également influencé la terminologie incombée à cette problématique. Se basant sur des rapports du SSJ, ils mettent en évidence les changements « d’appellation » au fil des années : en 1997, il s’agirait « d’enfants maltraités », en 1999 « de maltraitance », en 2001 « d’enfants en danger » et finalement « d’enfants à risque » en 2003. Au changement d’appellation correspondrait un changement de conception de la problématique.

En ce qui concerne l’évaluation de l’efficacité de ces instances et services, une enquête a été menée en 2004 et mandatée par la commission de contrôle et de gestion du Grand Conseil genevois. Elle souligne la difficulté de la prise en charge de la maltraitance ainsi que la problématique que pose la coordination de ces différents services « Avec la montée de sensibilisation face à la maltraitance dans les années 90, plusieurs services ont élaboré des protocoles et directives afin de pallier les manques décrits précédemment. Fruit d’une réflexion propre à chaque service, ces protocoles expriment souvent des logiques de territoire ou d’action. Ainsi, chaque instance retient ses définitions de la maltraitance » (Evaluation du dispositif de protection des enfants victimes de maltraitance, décembre 2004, p.6 et disponible sur : http://www.geneve.ch/cepp/doc/rapport_maltraitance/Rapport_allege_Maltraitance.pdf). Ainsi il semble bien que la notion de maltraitance contient bon nombre d’aspects subjectifs. Dans quelle mesure parle-t-on de maltraitance ? que représente-t-elle exactement ? telles sont les questions auxquelles tentent de répondre des professionnels.


Les spécialistes de la santé physique ou psychique

Comme dit précédemment, l’asile temporaire de Lancy a favorisé le développement de la psychiatrie et de la psychologie. D’autre part, l’école représentait un lieu favorisant la transmission des maladies mais également un lieu favorisant le dépistage de celles-ci. Ainsi, le Bureau de Salubrité Publique s’est très vite vu chargé de l’inspection sanitaire des écoles. Les médecins étaient donc des professionnels de plus en plus considérés, ils pénétraient dans les familles par différents biais, comme par exemple à travers le service médical des écoles. Entre 1907 et 1908, le Bureau de Salubrité Publique a été réorganisé par l’Etat et est devenu le Service d’hygiène cantonal. Puis, grâce à une augmentation de ressources, ce Service s’est voit attribuer l’examen individuel des enfants. Il était alors composé de douze médecins et de trois spécialistes. A nouveau, l’Etat a réorganisé le Service en 1915 et lui a attribué un directeur scientifique ainsi qu’un directeur administratif. On lui a soustrait l’inspection médicale des écoles qui est alors sous l’égide du DIP (Département de l’Instruction Publique). En 1916, le Grand Conseil a en outre adopté une loi concernant les compétences et l’organisation du service médical des écoles, ce qui a impliqué la création de postes d’infirmières.

Pour quelle raison avons-nous décidé de mentionner ces quelques éléments ? La création de postes d’infirmières à l’école nous semble être extrêmement importante. En effet, le dépistage de la maltraitance s’effectue dans les écoles « grâce » aux infirmières scolaires : « Il est possible de résumer les opérations que font les acteurs institutionnels (…) en suivant la carrière d’un dossier ; tout commence par un fait déclencheur signalé par le SSJ : l’enfant se fait remarquer au SSJ par une infirmière, qui, très vite, est amenée à soupçonner la famille ; elle signale alors les faits au SPJ qui met en œuvre un appui éducatif (…) Nous avons ici affaire à un fait déclencheur : c’est à l’école que l’infirmière constate un symptôme (…) qui est associé rapidement à une maltraitance possible… » (F.Schultheis, A.Frauenfelder & C.Delay, La maltraitance envers les enfants: entre consensus moral, fausses évidences et enjeux sociaux ignorés, Université de Genève, Faculté des sciences économiques et sociales, Département de sociologie, avril 2005, p.87). Il semble donc évident que les infirmières scolaires jouent un rôle important dans le dépistage de la maltraitance. Certes, celles-ci sont rattachées au DIP et plus particulièrement au SSJ, mais la raison pour laquelle nous avons décidé de ne point les mentionner à la partie consacrée au DIP est la suivante : lorsque nous faisions des recherches sur la maltraitance, nous avons découvert un article qui lui était consacré dans le Forum médical suisse (Forum Med Suisse, numéro 20, 14 mai 2003). C’est pourquoi nous avons décidé de réserver une place distincte au paradigme médical, qu’il s’agisse d’infirmières scolaires, de médecins aux HUG ou tout simplement de généralistes…

Cet article met en évidence quels critères sont à prendre en considération dans le dépistage de la maltraitance. Il est par ailleurs illustré de différents schémas représentant des enfants sur lesquels sont mises en rouge certaines zones. Dans la légende accompagnant ces schémas, nous pouvons lire : « Localisation des hématomes accidentels et des hématomes en relation avec une maltraitance ». Par ailleurs le titre de l’article est assez révélateur : « Maltraitance infantile- quelque chose m’échappe-t-il ? ». Nous pouvons donc remarquer l’impact de cette problématique et la volonté d’y remédier. Les médecins semblent donc également être des acteurs primordiaux dans son dépistage : « La protection des enfants est un des principaux devoir de notre société et elle est la responsabilité de chaque individu (…) La protection de l’enfance suppose un processus multidisciplinaire et ne peut jamais être prise en charge par des personnes isolées. La tâche du médecin praticien est de reconnaître précocement la maltraitance infantile et de collaborer ainsi à la prévention de ses conséquences souvent désastreuses » (Forum Med Suisse, numéro 20, 14 mai 2003, p.469). Il semble donc évident que les médecins ont un rôle bien particulier à jouer dans cette problématique. De plus, la Commission externe d’évaluation des politiques publiques stipule l’existence d’un groupe pluridisciplinaire informel, le Groupe de protection des enfants ou GPE qui agit de manière interne et externe aux HUG (dans son rapport sur l’Evaluation du dispositif de protection des enfants victimes de maltraitance, décembre 2004). Ainsi c’est l’ensemble du corps médical qui est concerné par la problématique de la maltraitance et a le dépistage pour tâche ou devoir.