Droits des femmes

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Introduction


Actuellement le droit à l'avortement pour les femmes subit encore des contestations et même une offensive de remise en question: pouvons nous encore le qualifier comme un droit de la femme s'interrogent certains ? Tout au long de cette page nous nous centrerons sur le droit à l'avortement pour les femmes depuis 1970. En effet, les mouvements féministes sont présents depuis longtemps dans l'histoire des droits des personnes. Dans la période de l'après guerre, les femmes se sont mobilisées plus fortement pour acquérir des droits identiques à ceux des hommes. C'est par la lutte pour le droit à un travail rémunéré que les mouvements prennent de l'ampleur  : "L'essort du féminisme dans cette période serait intimement lié à celui du travail salarié" <ref>Riot-Sarcey, M., 2008, Histoire du féminisme, Paris, La Découvertes, Repères. p. 73 </ref>. La question de la procréation est aussi au cœur de leur mouvement, puisqu'il est question de "repeupler" des pays détruits : "Après l'hécatombe de la guerre, jusqu'alors la plus meurtrière, il est nécessaire, plus que jamais de "remplir les berceaux vides"" <ref>Riot-Sarcey, M., 2008, Histoire du féminisme, Paris, La Découvertes, Repères. p. 73 </ref>. Il ne faut pas non plus oublier leurs luttes pour l'accès à la politique : plus précisément le droit de vote pour les femmes, qui prend de l'ampleur bien avant la guerre. C'est dans ce contexte d'après guerre, que les femmes resurgissent au front pour valoriser des droits égalitaires et propres à leur vie.

La question de la maîtrise de la contraception comme droit de la personne a fait l'objet à la fois de lutte (manifestation, création de centres de santé des femmes notamment), d'études et d'écrits (voir ci-après).

Cet article est fondé à la fois sur une recherche documentaire et sur la récolte de témoignages de deux personnes pionnières dans l'avancée du droit des femmes à l'avortement. L'article présentera également les différents mouvements féministes réalisés dans les années 1970 sur le droit à l'avortement. Il expliquera la lutte des femmes en Suisse et les différentes lois qui en sont ressorties et cherchera à comprendre la part qu’ont joué les deux témoins interrogées dans cette histoire récente (1970 à aujourd'hui).

Pour ce faire, nous évoquerons dans un premier temps, le mouvement de départ de ces contestations des situations faites aux femmes. Cette approche globale, nous montrera que la Suisse n’a pas été la première à lutter pour le droit à l’avortement, mais que le phénomène est mondial. Les Etats-Unis ont été sans aucun doute les précurseurs, mais la lutte s'est diffusée et reproduite dans différents pays du monde amenant à des dates différentes à autoriser l’avortement.

Dans un second temps, nous étudierons les différents mouvements qui ont eu lieu entre les années 1960-1980, en Suisse. compléter sur les questions que l’on va se poser…ce que cela amène comme nouveauté…

Pour ce faire, nous avons constitué une bibliographie, à partir d’ouvrages sur les mouvements féministes en général, sur la chronologie des contestations. Nous avons lu des articles scientifiques qui présentent la situation en Suisse, épluché des informations sur les deux témoins qui ont été interrogés et consulté les archives contestataires à Carouge.

Dans un troisième temps, nous avons effectué deux entretiens audio avec Madame Amélia Christinat et Madame Rina Nissim pour obtenir leur témoignage sur l’histoire des mouvements féministes des années 1960 à 1980, principalement sur la question de l’avortement.

Revue de la littérature

Actuellement des auteures telles que Marcella Iacub et Judith Butler font de la problématique féministe une occasion de débattre la question du genre, des identités sexuelles et limites entre les sexes (intersexe, queer, etc), laquelle peut nous aider à repenser la lutte féministe. Or, celle des années 70 (en amont en Suisse de l'accession des femmes à la citoyenneté) est celle d'une longue marche marquée par des féministes de l'après guerre comme Simone de Beauvoir avec sa formule historique "On ne naît pas femme on le devient", soulignant le déterminisme social de la féminité et la "fabrication" culturelle. Pour tenter de comprendre ce qui s'est passé durant cette époque nous allons revenir sur les faits marquants. Pour la compréhension de ce qui va suivre nous vous conseillons de lire la frise chronologique des événements marquants pour le droit à l'avortement en Suisse.

Mouvements féministes : Buts et démarches

Ce n'est que dans la deuxième moitié du XIXème siècle que le féminisme se démarque en tant que mouvement collectif de luttes de femmes. "Ces luttes reposent sur la reconnaissance des femmes comme spécifiquement et systématiquement opprimées, l'affirmation que les relations entre hommes et femmes ne sont pas inscrites dans la nature mais que la possibilité politique de leur transformation existe."[3] En effet, les femmes ont dû faire face à de nombreuses inégalités et cela dans de nombreux domaines: le travail, la santé, la politique... Nous constatons encore aujourd'hui que de nombreuses inégalités persistent sur le droit des femmes mais elles sont moindres ou de nature différentes que dans les années 1960-80. Pour pouvoir entrer dans un processus de revendication politique du féminisme, il faut qu'il y ait une "relation avec une conceptualisation de droits humains universels;elle s'ancre dans les théories des droits de la personne dontles premières formulations juridiques sont issues des révolutions américaines puis françaises." <ref>Hirata H, et al,2000, "Dictionnaire critique du féminisme", Paris : Presse Universitaires de France, p. 225</ref> Il convient de faire une distinction entre les mouvements féministes et les mouvements populaires des femmes. En effet, les mouvements populaires des femmes ne mettent pas directement en avant l'exigence de droits spécifiques pour les femmes. C'est l'emploi du mot féministe qui va changer les représentations que l'on se fait à cette époque. Pour certains les féministes sont "trop bourgeoises au XIXème siècle et au début du XXème siècle trop radicales et ennemies des hommes après les années 1970"<ref>Hirata H, et al,2000, "Dictionnaire critique du féminisme", Paris : Presse Universitaires de France., p. 126</ref>. Quant à l'expression "mouvement des femmes", elle est plus souvent utilisée comme raccourci pour mouvement de libération des femmes. Voila pourquoi elle a pu être associée au féminisme le plus radical et explique la confusion entre les deux termes.

Lorsque nous parlons de "mouvements féministes" nous désignons sous une même dénomination "les diverses formes des mouvements de femmes, le féminisme libéral ou "bourgeois, le féminisme radical, les femmes marxistes ou socialistes, les femmes lesbiennes, les femmes noires et toutes les dimensions catégorielles des mouvements actuels"<ref>Hirata H, et al,2000, "Dictionnaire critique du féminisme", Paris : Presse Universitaires de France, p. 127</ref>. Dès lors, l'expression" mouvement des femmes " représente les mobilisations de femmes en Amérique Latine ou les mouvements pour la paix en Irlande ou au moyen-Orient"<ref>Hirata H, et al,2000, "Dictionnaire critique du féminisme", Paris : Presse Universitaires de France., p.126</ref> Dans la littérature, deux types de mouvements féministes se démarquent. Une première vague a émergé dans la seconde moitié du XIXème siècle. Elle est souvent présentée autour des revendications du droit de vote. Au début du XXème siècle, ou les mouvements sont qualifiés de "néo féminisme", les exigences ne se fondent pas sur une seule exigence d'égalité mais sur une reconnaissance "de l'impossibilité sociale de fonder cette égalité dans un système patriarcal"<ref>Hirata H, et al,2000, "Dictionnaire critique du féminisme", Paris : Presse Universitaires de France, p. 126</ref>. Le féminisme des années 1970, se fait connaitre par des mouvements anti-autoritaires, par des groupes de parole, il met en avant les formes les plus spontanées de manifestation et refuse toute organisation hiérarchique. " L'appartenance au mouvement représente la mise en acte d'une nouvelle idéologie, la recherche de sens et de valeurs communs." <ref>Hirata H, et al,2000, "Dictionnaire critique du féminisme", Paris : Presse Universitaires de France, p.128</ref>. C'est entre la fin des années 1960 et le début des années 1970 que le féminisme connait une ampleur internationale. "L'onde de choc part des Etats-Unis et gagne très rapidement la Grande-Bretagne et l'Allemagne dans les années 60". Il faut ajouter qu'en "dépit de son caractère extra parlementaire, le mouvement de libération des femmes a la capacité de susciter de larges mobilisations auprès des femmes syndiquées, des femmes de partis de gauche et de droite ou des associations luttant pour les droits des femmes comme le planning familial. Ce sont d'abord les campagnes pour la liberté d'avorter qui constituent les événements les plus importants et les plus marquants <ref>Hirata H, et al,2000, "Dictionnaire critique du féminisme", Paris : Presse Universitaires de France, p. 128</ref>.

En ce qui concerne la Suisse, c’est dans la continuité du mouvement de la jeunesse estudiantine de 1968 que naît le nouveau mouvement féministe. C’est à Zurich que se sont réunies des femmes de gauche, que l’on appellera « Frauenbefreiungsbewegung » ou plus communément le FBB. Elles critiquent le fait que les femmes sont oppressées et qu’il s’agit d’une « contradiction sociale fondamentale ». Le MLF, pour la Suisse romande et le MFT au Tessin vont très rapidement suivre la création du FBB, avec comme objectif commun de « récuser l’organisation hiérarchique des associations et de la politique traditionnelle » <ref>Commission fédérale, Femmes Pouvoir Histoire, 1.3, p. 1, consulté le 27 Novembre sur http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:UpvKGVSBak0J:www.ekf.admin.ch/dokumentation/00444/00517/index.html%3Flang%3Dfr%26download%3DNHzLpZeg7t,lnp6I0NTU042l2Z6ln1ae2IZn4Z2qZpnO2Yuq2Z6gpJCDdH58hGym162epYbg2c_JjKbNoKSn6A--+&cd=2&hl=fr&ct=clnk&gl=ch&client=firefox-a</ref> inspirés des mouvements français et américains préalablement abordés. Cependant, des divergences existent entre tous ces mouvements sur différentes questions telles que l’avortement ou encore la possibilité pour le sexe féminin de faire l’armée. Une chronologie a été rédigée dans l’article suivant : "Le nouveau mouvement féministe et les organisations féminines depuis 1968" de la Commission fédérale pour les questions féminines de la Confédération Suisse.




La période entre 1940-50 : une période restrictive

La législation suisse sur l’avortement est l’une des plus restrictives d’Europe. Les premières dispositions du Code pénal suisse à ce sujet ont été définies en 1942 et prévoient, à cette époque, l’emprisonnement de la femme qui avorte, ainsi que de la personne qui l’aide à pratiquer cet acte. En revanche, une exception existe : si la grossesse comporte un danger pour la mère et que l’interruption de grossesse est pratiquée par un médecin, l'avis étant approuvé par un second médecin, l’avortement n’est alors pas punissable. On comprend alors que la conséquence a été un nombre considérable d’avortements illégaux. Cependant, la mise en place de dispositifs de préventions et d’une diffusion d’informations contribua à faire diminuer le nombre d’avortements autant illégaux, que légaux. Par ailleurs, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a étendu la notion de « santé » en y insérant les dimensions de bien-être psychique et social : « la santé ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ; elle est un état de complet bien-être physique, mental et social. »<ref>Rey, A.-M., 2013, Tendance à la libéralisation, USPDA. Consulté le 7 Novembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/liberal.htm</ref>. Ceci légalise aussi la pratique d’interruption de grossesse et écarte la menace d’emprisonnement. <ref>Rey, A.-M., 2013, L'ancienne législation de 1942, USPDA. Consulté le 7 Novembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/loi_1942.htm</ref> Cependant, cette législation attise la colère et la montée d’une révolte. Au début du XXème siècle, on voit s’élever des mouvements, tels que les organisations ouvrières, pour lutter en faveur de la décriminalisation de l’avortement. De plus, dans cette période, il existe une différence entre les cantons au niveau de la législation sur l'avortement. Ceci met donc les professionnels dans l'embarras puisqu'ils n'ont pas une pratique généralisée au niveau de l'état, et cela soulève également une inégalité entre les femmes des différents cantons de la Suisse. Des mesures fédérales strictes ont donc été prises pour tenter de généraliser les pratiques et s'accorder sur la pratique de l'avortement : « l’institutionnalisation juridique d’une interruption de grossesse pouvant être légalement pratiquée par un médecin sous haute surveillance de l’Etat : consultation obligatoire d’un second médecin, qui doit être un spécialiste et en plus agréé par les autorités cantonales compétentes, et qui doit donner par écrit un « avis conforme ». Il faut également le consentement écrit de la femme enceinte. ».

La période 1960-70 : les premiers changements


Graphique représentant les condamnations des femmes


Le graphique ci-contre nous montre la condamnation des femmes en ce qui concerne l'avortement.<ref>Rey, A.-M., 2013, Interruption de grossesse en Suisse : les faits et les données, USPDA. Consulté le 18 Novembre sur http://www.svss-uspda.ch/pdf/faits-et-donnees.pdf </ref>
En effet, nous voyons que le pic le plus élevé se situe dans l'année 1950, avec 550 condamnées. Puis lors de la commercialisation de la pilule, l'emprisonnement des femmes diminue fortement l'année suivante, passant d'environ 400 condamnations à environ 260. De manière générale, ce graphique montre que les condamnations sur la période 1960-1980 n'ont cessé de baisser. Les années 60 sont donc marquées par l'arrivée de la pilule contraceptive en Suisse. En effet, en 1961, la commercialisation de celle-ci fait reculer le nombre d'avortement pratiqué en Suisse puisque les femmes ont un contrôle sur leur reproductibilité. Malgré tout, la pilule contraceptive circule à l'époque discrètement, puisque aucune loi ne précise son autorisation. En 1965, la création du premier planning familial en Suisse au HUG permettra de conseiller les familles. L'établissement ouvrira donc un pôle dédié à l'information familiale et aux régulations des naissances.<ref>Fert-Bek, D., (s.d.), Historique, Le service du planning familial de Genève a 40 ans,Genève, HUG. Consulté le 18 Novembre 2013 sur http://planning-familial.hug-ge.ch/nous/historique.html</ref> Dans cet établissement les professionnels conseillent les parents sur la manière d'avoir un contrôle sur l'élargissement de leur famille. Ainsi, grâce à cette structure, la pilule contraceptive a pu circuler dans le territoire helvétique. La pilule était considéré pour certain comme un enjeux économique : elle permettait de contrôler les naissances et donc de préserver la richesse, et pour d'autres comme un moyen de débrider la sexualité des femmes<ref>L'illustré, (s.d.) La pilule qui a changé le monde, Archives, Consulté le 18 Novembre 2013 sur http://www.illustre.ch/la_pilule_qui_a_change_le_monde_45372_.html</ref>.

Affiche du Front des Bonnes Femmes

Le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) a démarré aux Etats-Unis, et a encouragé les militants des autres pays à lutter pour améliorer les conditions féminines. Le MLF créé en 1969 à Zurich,que l'on retrouvait également dans d'autres cantons (Genève et Tessin par exemple) se base "sur les mouvements de libération du Tiers monde pour encourager les femmes à se libérer des contraintes inhérentes à la famille nucléaire (Rôle des sexes)." <ref>Jorris, E., 2009, Mouvement de libération des femmes (MLF). Consulté le 19 Novembre 2013 sur http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F16504.php</ref>. Sur le canton de Genève plus précisément, des groupes de certains partis de gauche militaient en ces faveurs (ils étaient très hiérarchisés et ne plaisaient pas à toutes les femmes militantes). C'est donc principalement grâce à Madame Brodmann (qui a milité aux Etats-Unis) et Madame Gramoni qu'il y a eu dans un premier temps le front des Bonne-Femmes (où militait aussi Rina Nissim). Leur premier slogan a été "Femmes décolonisons-nous !" avec des affiches placardées sur les façades des grandes banques : les femmes insistaient donc pour la ré-appropriation de leur corps (avortement, pilule contraceptive, ...).

Dans le même temps, il ne faut pas oublier que les avortements illégaux continuent à être pratiqués à cette période. En effet, le nombre d'avortements, légaux et illégaux, est estimé à 50 000 en 1966. Les avortements légaux s'élevaient à environ 17 000 en 1966 (16 000 en 1978 et 1980, 14 000 en 1985, 13 000 en 1990, 12 000 en 1995, 13 000 en 1996 et 1998). Les avortements clandestins diminuèrent grâce :

  • à la raréfaction avec l'élargissement des indications médicales dans les cantons libéraux (Zurich, Bâle-Ville, Berne, Vaud, Neuchâtel, Genève) dès les années 1950
  • la libéralisation progressive dans d'autres cantons(Tessin dès les années 1970; Argovie, Bâle-Campagne, Glaris, Schaffhouse, Soleure, Jura au cours des années 1990)
  • la généralisation des centres de planning familial, des cours d'éducation sexuelle, la diffusion de moyens de contraception sûrs dès les années 1960
  • le remboursement de l'intervention par les caisses maladie).

On remarque que malgré les mesures juridiques fédérales restrictives, les cantons adoptent des pratiques très différentes les uns des autres. Ainsi, les dimensions d’ordre psychologique et social sont incluses dans les indications médicales des cantons libéraux, alors que la pratique est seulement tolérée dans les cantons conservateurs catholiques. Face à cette inégalité juridique, les cantons libéraux accueillent des femmes vivant dans ces cantons restrictifs pour se faire avorter. On assiste à une forme de tourisme « gynécologique ». Cela amène les cantons à réfléchir sur ces pratiques. Notamment le canton de Neuchâtel, où plusieurs affaires d'avortements sont jugées.



La période 1970-1980 : La période clé


A la suite de ces scandales, le député radical Maurice Favre dépose en mars 1971 une motion en faveur d'une initiative cantonale demandant la suppression des articles 118 à 121 du CP. Cette démarche est suivie du lancement, en juin de la même année, par un comité de cinq personnes, de l'initiative populaire fédérale pour la décriminalisation de l'avortement, largement soutenue notamment par le mouvement des femmes. En 1972, les milieux chrétiens conservateurs font circuler une pétition "Oui à la vie, non à l'avortement". A partir de ce moment-là, nous voyons apparaître les organisations et les mouvements féministes qui organisent des manifestations en faveur de l’interruption de grossesses libres et gratuites, ainsi que pour revendiquer la décriminalisation de l’avortement.

C'est une lutte qui se fait contre des mentalités traditionnelles où l'homme est dominant dans la société. La prise de conscience des femmes et de leurs conditions se fait petit-à-petit, en prenant plus d'ampleur au milieu des années 70. C'est la réunion de plusieurs milliers de femmes qui fait que l'on puisse qualifier le MLF de mouvement. Ce sont des femmes de tout âge qui se battent pour l'amélioration de leurs conditions de vie. Ces mouvements veulent principalement lutter pour le droit du libre choix des femmes. A cette époque, il y a "deux types de femmes" : celles qui font des études mais qui restent à la maison pour materner, ou bien celle qui font des études et qui travaillent. Ces dernières se trouvent confrontées à la réalité sociale : avec le même titre professionnel, les femmes obtiennent des salaires bien inférieurs à ceux des hommes. C'est suite à cette prise de conscience face au Plafond de Verre, que les femmes se réunissent pour échanger leurs histoires. Elles se mobilisent donc afin que de pouvoir avoir le contrôle sur leur vie, et sur leur corps. L'une des grandes luttes se fait autour du contrôle de leur corps : ce qu'elles nomment la mobilisation pour la ré-appropriation du corps. Il s'agit de donner aux femmes la possibilité de choisir leur maternité, leur contraception, et leur médicamentation. En 1978, L'ouverture du Dispensaire des femmes (par Rina Nissim) leur permet d'être accueillies dans un lieu où on leur donne des conseils, des listes de gynécologues tolérants face aux choix d'avorter ainsi que différentes méthodes pour soigner les maladies génitales, ... Les femmes peuvent si elles le veulent accéder au groupe action Self-Help du MLF ; qui est un lieu où l'on échange sur notre vécu, et où l'on pratique des examens concrets pour découvrir son corps.

Dans le même temps, une nouvelle réglementation sur l’avortement est considérée par le Conseil fédéral, et trois variantes sont discutées : la première, appelée "solutions des indications" autorise l’avortement dans les situations où la grossesse menace la vie ou la santé de la femme, en cas de viol, ou encore si l’enfant présente un trouble ou une déficience physique et/ou mentale. Une autre variante est celle des « indications sociales » qui prend en compte la situation sociale précaire de la femme. Finalement, la troisième, « solution des délais », permet l’avortement pendant les douze premières semaines de grossesse. Il en va sans dire que les partis politiques, les organisations et les cantons conservateurs catholiques sont en faveur de la solution la plus restrictive, alors que leurs rivales refusent les trois types de variantes et revendiquent l’avortement libre et gratuit. Le Conseil fédéral rejette l’initiative pour la décriminalisation de l’avortement, mais opte finalement pour la solution des indications élargies, attisant ainsi le mécontentement des deux camps. Face au rejet de l’initiative populaire pour la décriminalisation de l’avortement, l’Union Suisse pour la Décriminalisation de l’Avortement (USPDA) (dont fait partie Amélia Christinat)propose un compromis et lance une initiative qui cette fois rejoint l’idée de la solution des délais. « L’initiative réclament la décriminalisation de l’avortement s’il est pratiqué par un médecin avec le consentement de la femme pendant les douze semaines qui suivent les dernières règles ». Cependant, celle-ci essuie à nouveau un échec : elle est rejetée par la majorité des cantons. Les années suivantes toutes les propositions d'initiatives,pour ou contre l'avortement, sont sans cesse rejetées. Ce n’est qu’en 1990, que l’idée d’une révision de la loi relative à l’avortement est remise sur le devant de la scène.

Depuis 1990

En 1994, on constate un net recul du nombre d’avortements légaux. Ceci peut s’expliquer par une diffusion de l’information (éducation sexuelle) et la libre disposition de moyens contraceptifs. Ce phénomène vient appuyer l’idée que la libéralisation ne conduit pas à une augmentation des avortements, bien au contraire. A partir de là, les choses commencent à changer et vont en faveur de la décriminalisation de l’avortement. En effet, le Conseil national adopte en 1995 "la solution des délais". En 1996, la Commission des affaires juridiques du Conseil national ratifie un projet de loi qui prévoie la décriminalisation de l’avortement pendant les 14 premières semaines après les dernières règles. On voit mêmes les femmes du parti démocratique-chrétien (PDC) aller en faveur du droit de la femme à l’autodétermination et pour "la solution des délais". De nombreuses organisations telles que la Fédération suisse des Eglises protestantes, les groupes des femmes radicales de Suisse, accueillent cette solution des délais comme un compromis tolérable. Toutefois, le Conseil fédéral rejette une fois de plus la "solution du délai" en 1998.

Par ailleurs, la pilule abortive Mifegyne (RU 486) est admise et commercialisée en Suisse dès 1999. Cette méthode médicamenteuse est soumise aux mêmes dispositions pénales que l’avortement et est prescrite uniquement par le corps médical.


Finalement, le Parlement adopte la solution du délai en mars 2001 et est rentré en vigueur en 2002. « Ainsi l’avortement n’est pas punissable pendant les 12 premières semaines de la grossesse à condition que la femme fasse valoir une situation de détresse. Les cantons doivent décider quels cabinets et établissement peuvent pratiquer l’intervention. » <ref>Rey, A.-M., 2013, Régime du délais, USPDA. Consulté le 7 Décembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/loi.htm</ref> De plus, Rey (2013), illustre les modifications entre l'ancienne et la nouvelle loi de 2002, relatif à l'avortement. <ref>Rey, A.-M., 2013, Comparaison ancienne et nouvelle législation, USPDA. Consulté le 7 Décembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/comparaison.htm </ref> Depuis ce jour, la femme est la seule personne qui ait le droit de choisir ou non l'avortement. En aucun cas, une personne tierce (et même si celle-ci a une blouse blanche) ne pourra refuser l'avortement d'une femme dans les douze premières semaines de grossesse.

Nous pouvons donc conclure que « les discussions provoquées en 1971 par l’initiative en faveur de la décriminalisation de l’avortement ont été à l’origine d’un changement des mentalités et d’une prise de conscience ».<ref>Rey, A.-M., 2013, Chronologie des événements dès 1970, USPDA. Consulté le 7 Décembre sur http://www.svss-uspda.ch/fr/suisse/chronologie.htm </ref> En effet, on assiste à une diminution du nombre de condamnations et à une libéralisation de la pratique de l’avortement. Par ailleurs, on se rend compte qu’à travers la mise en place de centres de plannings familiaux et des dispositifs d’informations, comme l’éducation sexuelle, on parvient à lutter contre l’avortement. La prévention prévaut donc à la pénalisation.

Cependant on constate que la réglementation à ce sujet peut encore être modifiée, car ce droit à l’avortement est sans cesse remis en question. En effet, en 2010, le mouvement anti-avortement « Mamma », qui s'intitulait auparavant "Pour la mère en l’enfant" lance une initiative populaire : « Financer l’avortement est une affaire privée ». Il s’agit d’une initiative qui demande que l’IVG ne soit plus pris en compte par les prestations de l’assurance maladie de base, et ce en invoquant l’idée qu’il s’agit d’une décision d’ordre privé, et que de ce fait le financement public n’a pas de sens. Cependant, on remarque que le droit à donner la vie est également de l’ordre du privé, et pourtant celui-ci n’est pas contesté. Rina Nissim, nous met en garde sur la tournure que prend les événements d'aujourd'hui (concernant le financement de l'avortement). En effet, selon elle, nous serions en pleine régression concernant le libre choix de la femme. A contrario des générations d'après 70, il faut que les générations d'aujourd'hui se mobilisent pour faire en sorte de garder un droit durement acquis par les femmes soixanthuitardes. La votation de Février 2014 qui se prépare pourrait modifier les droits que nous avons jusqu'à présent. Si les générations de maintenant et les suivantes veulent elles aussi avoir la possibilité de choisir leur grossesse, elles se doivent de s'impliquer pour faire en sorte de ne pas perdre les droits acquis.

Les témoins


Nous avons décidé d'interroger des personnes qui se sont mobilisées en Suisse pour le droit à l'avortement. Elles pourront donc faire ressortir des éléments personnels sur le contexte de l'époque, et les problèmes qu'elles ont pu rencontré pour la mise en place de ce droit.

Nous avons dans un premier temps contacté Mme Christinat Amélia, avec qui l'une de nous avait déjà travaillé il y a quelques années. Cette personne a donc accepté de participer à notre recherche en répondant à nos questions lors d'un entretien.


Dans un second temps nous avons contacté Mme Wenger Salika, marraine de l'association "Ni pute, Ni soumise" qui est actuellement impliquée dans la politique sur Genève puisqu'elle fait partie du Conseil Administratif de la ville de Genève. Deux d'entre nous l'ont connue lors de sa venue à l'émission télévisée Infrarouge (RTS) dédié aux mouvements des Femens (novembre 2011). Après discussion téléphonique, nous avons eu des éléments pertinents qui pourraient nous intéresser pour notre recherche, cependant Mme Wenger est très occupée et ne pourra pas nous accorder un entretien avant Janvier 2014. C'est pourquoi après réflexion, nous avons décidé de contacter une troisième personne qui pourrait éventuellement être plus disponible : Mme Nissim Rina. Par l'intermédiaire de Mme Ruchat nous avons obtenu ses coordonnées téléphoniques et avons pu avoir un rendez vous rapidement.

Afin de leur éviter quelconque déplacement,nous avons rencontré ses personnes à leur domicile. De plus, pour des raisons pratiques et également afin de ne pas abuser de leur hospitalité, nous avons décidé de mener ces entretiens par groupes de trois. Nous proposerons aux différents acteurs de partager leurs souvenirs concernant les années 1970 à Genève afin que nous comprenions la situation actuelle du droit à l'avortement.

Retour sur les entretiens

Entretien de Rina Nissim

Notre premier entretien s'est déroulée le mercredi 27 Novembre. A trois étudiantes nous nous sommes rendues au cabinet de Rina Nissim. L'entretien qui en découle nous a projeter dans un univers très différent du notre : où la femme n'avaient que très peu de droits. C'est de part son discours, que la militante Rina Nissim, nous a partagé des informations sur l'ambiance, la mobilisation et la persévérances des actrices de cette époque. C'est par la réalisation de plusieurs injustices que les femmes se regroupent pour se mobiliser contre une société qui octroie peu de considération envers les femmes. Le MLF, lutte donc de manière générale pour plusieurs droits (droit à l'égalité salariale, droit à la contraception, droit à l'avortement, ...).

Entretien d'Amélia Christinat

Nedjma Tabani : Depuis quand et avec qui ou quel groupe vous êtes-vous engagé pour les droits à l’avortement. Et quel était votre fonction à ce moment-là ?

Amélia Christinat : Alors pour pouvoir faire des interventions sur un plan législatif il a fallu que je fasse un long parcours car comme c’était une modification fédérale, il a fallu que je passe par le national. Donc c’est d’abord législatif, la ville, ensuite le canton puis la nation donc conseil municipal, grand conseil…Est-ce que vous avez entendu parler d’un Monsieur Chavanne ? Il a fait 24 ans dans l’instruction publique et il a profité de ce long parcours pour changer beaucoup de choses et alors c’est au moment où lui m’a cédé la place…Il m’a d’ailleurs dédicacé un livre et il est sorti hier soir à la télé… et alors pour pouvoir intervenir sur le plan fédéral… sur le plan cantonal on ne pouvait pas faire grand-chose… Il y a des dates là-dessus ? C’est écrit quoi ? Mon mari il me classait tout… il était mal payé puisqu’il était pas payé du tout… Il y avait tellement de choses avant : le droit de vote, l’avortement, les violences faites aux femmes, c’était impressionnant quand je suis arrivée, moi. Mais j’en avais entendu parler avant que je sois inscrite au parti quand on a obtenu le droit de vote. Toute la partie droit de vote des femmes en Suisse je l’ai faite seule, c’est-à-dire que j’étais dans l’association qui s’appelait pour le suffrage féminin et je suis allée à ces réunions jusqu’à 59 quand les vaudoises ont réussi. Quand on posait la question du droit de vote, il fallait d’abord l’avoir sur le cantonal puis quand on la posait au niveau cantonal, on nous disait qu’il fallait d’abord l’avoir sur le plan fédéral…Et puis les vaudois mine de rien ils ont posé le même jour la même question pour les deux. Et le canton de Vaud était le premier à l’introduire sur le plan cantonal. Et à partir de là, Genève est arrivé tout de suite après. Et depuis 61 où je suis rentrée au parti… J’ai du reste trouvé mon carnet d’entrée…et où dans ma tête à moi comme j’ai compris qu’il fallait passer par la politique pour obtenir quelque chose, mes activités ont commencé en 61… Salaire égaux, droit de vote, interruption de grossesse. Depuis que je suis arrivée à Berne, Monsieur Chavanne m’a laissé sa place en 78-79… Mais pendant toutes ces années précédentes, il y avait des groupes de femmes dont je pense Nissim, parce qu’elle, elle est sous la brèche depuis longtemps, qui revenaient avec des titres différents que je n’ai pas sous les yeux mais que vous pouvez trouver sur Internet… Nous on a échoué pour l’interruption de grossesse sous toutes formes de titre, il y avait les conservatrices religieuses qui avaient leurs principes, ce que nous on arrivait pas à faire comprendre… Ce qui a été exceptionnel, c’est que le droit de vote ça me touche beaucoup, c’est inimaginable pour vous ce que les anciennes ont fait… c’est inimaginable… Moi j’ai vu toutes celles qui ont commencé le combat déjà en 1900, elles défilaient avec leur jupe… c’était incroyable…et alors ce combat je l’ai pris en cours de route et j’ai commencé à regarder tous les titres et en fait on changeait le titre mais avec le même objet. Et il y avait le parti démocrate-chrétien… Vous connaissez les partis hein ? Et eux c’était l’église… avec toutes ces valeurs et je considère que les femmes démocrates-chrétiennes ont eu un certain courage parce qu’elles se sont éloignées de l’Eglise parce qu’elles ont compris qu’il pouvait avoir des cas… On a essayé de faire comprendre que l’on ne s’amusait pas nous de demander une interruption de grossesse, c’est jamais agréable pour une femme de demander un truc comme ça, sauf que quand il y avait un problème avec un couple hein… Le monsieur là… Bah j’m’excuse mais il remontait son pantalon, on le voyait on le voyait plus, mais la fille se retrouvait avec un éventuel bébé sous les bras et alors à partir du moment où il y a la fenêtre là avec les bébés… tout ça, n’est-ce pas ? Alors à mon avis, les femmes… Alors je dirais même en toute socialiste que je suis, peut-être plus que les femmes de gauche, parce qu’elles, elles avaient déjà cette vision de tout ce qu’il fallait faire dans tous les domaines. Mais, elles, elles ont évolué… Du reste, je crois que dans le canton du Valais qui est très catholique... J’avais imaginé que les cantons donc Genève qui a libéralisé, je pense Vaud, Zürich, les cantons les plus progressistes… Mais au moment où il y en a eu quelques-uns et que ça a échoué dans le fédéral, moi j’ai eu l’idée un peu farfelue, l’initiative parlementaire… C’est que j’ai demandé une solution que j’ai appelé fédéraliste. C’est-à-dire qu’on autorise d’une façon légale dans le canton où il existait mais pas en cachette… et même chez moi dans le parti j’ai eu des problèmes parce que mon camarade m’avait dit « je ne suis pas contre ton idée, je suis contre l’interruption, mais pour moi le parti de l’électorat qui était contre, ils ont compris que c’était quelque chose qu’il ne fallait pas faire par tranche, par canton mais sur le plan fédéral. Jusqu’au jour où, en 81, on a réussi à avoir l’interruption de grossesse… Et à partir de là, c’était le gros foutoir. Il n’y avait ni gauche ni droite : il y avait celles qui étaient pour et celles qui étaient contre… Il y a celles qui avaient une idée conservatrice… Si vous voulez, nous, les femmes, on a été obligé de revenir tout le temps car le droit de vote c’était une chose inadmissible. On ne pouvait pas continuer comme ça toute la nuit… J’étais dans une commission et un monsieur m’a dit : « vous, vous dites que votre pays est avancé mais vous n’avez même pas le droit de vote »… Nan mais vraiment c’était une honte donc il a bien fallu venir plusieurs fois. Mais quand ça touche la religion, je me suis rendue compte que Soleure a lancé l’initiative. Moi j’étais persuadée que c’était tellement rentré dans les mœurs qu’il n’y aurait jamais 100'000 personnes qui signeraient l’initiative mais en fait il y en a eu 100'000. Et donc ça va revenir devant le peuple. Et donc nous on avait créé une association en Suisse Romande qui s’appelle l’USPDA : l’Union Suisse Pour Décriminalisation de l’Avortement, pi maintenant, on est en train de contacter les unes les autres. On est déçue parce qu’on était obligée de revenir jusqu’à presque au début… Parce qu’ils avaient trouvé la faille : c’était le payement. Mais nous, à Genève, on avait trouvé un professeur qui s’appelait Geseindorf, donc heu gynécologue responsable de la maternité, il y a du reste un parc qui s’appelle comme ça. C’est peut-être en lien… Je ne sais pas… Qui était très ouvert économiquement, mais qui nous a beaucoup aidé les femmes quand on voulait faire quelque chose à Genève. Et on est un peu au début de ce qui s’appelle le centre du Planning Familial. Il a fallu aller jusqu’à la pointe des pieds, établir un programme qui n’était pas pour l’interruption de grossesse mais pour prévenir la grossesse, donc pour renseigner. Alors je pense que ce bureau il doit fonctionner ?

Estefania Medina : Il fonctionne oui.

Amélia Christinat : Alors je revendique… Nous nous sommes regroupées des femmes un peu toutes tendances avec le professeur Geseindorf et une infirmière qui était assez disposée à… Disons à coordonner un peu tout ça. Donc, quand on a demandé sur le plan fédéral où il y avait le siège pour le Planning familial bah dans la Suisse, je les critique pas, je les aime bien les suisses allemandes, je suis suisse, les filles qui ont besoin de renseignements, ça c’est beaucoup calmé. Je pense être encore en vie au même combat… Gautier c’était un pédiatre qui nous a beaucoup aidé… Vous savez ce travail il faut avoir des hommes qui sont favorables hein… faut leur faire comprendre que c’est bien joli hein d’aller avec les filles chanter fleurette hein puis quand il y a des problèmes il faut avoir des hommes pour les résoudre.

Estefania Medina : Excusez-moi vous avez dit qu’il s’appelait comment cet homme ?

Amélia Christinat : Gautier… G-A-U-T…. oui sans H… ouuuuh… Il me disait qu’avec H c’était un Gauthier quelconque et sans H que c’était le Gautier distingué, genevois… il était dans la commission.

Estefania Medina : Vous pouvez préciser en quoi il vous a aidé spécifiquement ?

Amélia Christinat : C’était un des hommes qui était d’accord avec nous… Il était dans la commission. Il y avait des hommes et des femmes. C’était important qu’il y ait des hommes d’accord avec nous. Parce que par exemple, pour la solution fédéraliste mon parti n’était pas d’accord au départ. Ils me l’ont laissé déposer… Mais à la commission, ils ont foutu un homme qui s’appelait M. Weber. Il était formidable, mais on l’avait mis dans la commission. Chaque parti avait droit à trois ou quatre membres. Mais ils l’avaient mis là pour me surveiller. J’avais une dame… Magnifique démocrate-chrétienne… J’ai sa tête mais son nom m’échappe. Je l’aimais beaucoup. Comme elle était avocate et qu’elle parlait bien français, dans les commissions, des fois, je me mettais côté d’elle parce que je pouvais la suivre un bout. Et quand on parlait de ça … Du reste elle a pas eu d’enfant, elle en a adopté. D’ailleurs, un de ces enfants a foutu des coups de couteau, donc c’est pour vous dire hein… Ça on ne sait pas quand on adopte. Et elle était… Elle souffrait elle-même, elle ne pouvait pas comprendre qu’une femme avec un bébé dans le ventre aille dans le sens de détruire une vie. Pour nous c’était la liberté de choix… Ce qui reste pour moi le fondement : si elle veut le garder elle le garde, si elle ne veut pas garder l’enfant, elle doit pouvoir le faire dans des conditions normales.

Nedjma Tabani : D’accord et tout ce mouvement concernant le droit à l’avortement, c’était quoi le contexte ? C’était libérer la femme et permettre de faire ce qu’elle veut faire ou c’était simplement un moment où la femme, en plus d’avoir le droit de vote, devait être libre ?

Amélia Christinat : Oui, pour moi je dirais que tous les problèmes féminins c’est la liberté de la femme. Je suis contre la prostitution, ils appellent ça un métier mais moi je suis contre. Mais par contre s’il faut trouver une solution pour exercer dans de bonnes conditions… Le problème pour moi c’est de considérer les femmes comme une personne avec un cerveau… On a quelque chose là-dedans, ça fonctionne par moment… Mais chez les hommes aussi. Donc pour moi tout ce qui est la liberté de la femme, c’est elle qui doit décider. Ça c’est important. Moi je suis de langue maternelle italienne, vous vous êtes quoi ?

Estefania Medina : Espagnole.

Amélia Christinat : Yo comprendo español poco… Le fait d’avoir cette ouverture m’a fait voir des émissions. Une gamine de 18ans a décidé et d’assumer de garder son enfant. Tant que c’est comme ça, pour moi c’est bon, c’est son problème. Mais par contre, il y a quand même encore des viols. Moi j’ai fait un truc quand même assez important c’était structurer le viol en bande parce qu’à l’Epoque pour aller avec une fille c’était un peu plus difficile. Et, là, c’était une équipe qui a violé une fille dans les toilettes publiques, ça s’appelait le cas de Prénaville. Et quand on a fait le procès c’était : « c’est pas moi, c’est pas moi, c’est pas moi », c’est personne hein ! Alors comment voulez-vous… On l’avait ligoté… Et tout ça hein… Et donc le viol c’est une chose importante qui est dans la loi… Parce que des filles de Zürich qui m’ont demandé pourquoi j’avais fait ça. Et je leur ai dit que le viol en bande n’existait pas dans la loi. Du reste, la mère de cette fille m’a téléphoné très émue quand sa fille a gagné le procès. Les femmes viennent de loin. Il a fallu en Suisse attendre pour avoir beaucoup de choses. Pour moi la liberté des gens c’est la base, pour tous les sexes, on est une personne quel que soit l’endroit et le sexe.

Estefania Medina : Oui… et comment vous décririez le contexte dans lequel cette démarche pour l’avortement s’est insérée ?

Amélia Christinat : C’était des réunions, c’était… moi j’étais déjà en politique à ce moment-là. Parce que mon combat a démarré avec la protection des consommateuristes hein donc j’suis dans les fondateurs de la société des cofondateurs, car il y avait de l’abus… Je ne peux pas être très claire, mais si vous voulez, il y a toujours eu des noyaux par-ci par-là… Comme Nina Nissim… Il y a toujours eu des noyaux de gens, de femmes, qui se sont rendues compte qu’il fallait gérer pas mal de problèmes… Je dirais que le droit à l’avortement était un peu au même niveau que le droit au vote pour la femme.

Nedjma Tabani : Pour vous, est-ce qu’il y a eu un événement personnel ou autre pour lequel vous vous êtes investi?

Amélia Christinat : Oui, j’ai eu un problème pour lequel j’ai dû m’investir pour pouvoir défendre mon intégrité, moi. Alors mais de toute façon ça faisait déjà partie des problèmes à résoudre qui concernent les femmes. Je vais vous dire une imbécilité mais jusqu’au jour où les hommes ne feront pas d’enfant, nous les femmes on va être emmerdées.

Nedjma Tabani : Vous me l’aviez déjà dit il y a 6 ans.

Amélia Christinat : C’est resté gravé dans ma tête. J’essaye de trouver une solution pour établir l’équilibre mais tant que la science ne trouvera pas le spermatozoïde miracle, on sera toujours pour les études, pour les revendications… Le sexe qu’on dit fort… je me rends compte que n’importe où où je vais il y a 3 hommes et 30 femmes n’est-ce pas ?!

Estefania Medina : Est-ce qu’il y a un événement pendant cette lutte qui vous a choqué ?

Amélia Christinat : Oui il y a eu des ouvrières françaises qui allaient en Belgique pour se faire avorter parce que c’était défendu en France et qu’elles n’avaient pas d’argent. Je comprends pas comment je fais de la politique, c’était pas fait pour moi…. Moi je voyais des ouvrières partir la nuit se faire avorter, rentrer le même soir et reprendre le travail le lendemain. Ça j’ai trouvé ça horrible ! Dans un film, une fille qui était enceinte… La fille était censée aller en prison… Gisèle Animi… J’l’ai rencontrée dans une réunion avec toutes les femmes du monde… C’est elle qui a pris la défense de la fille… Procurez-vous ce film, ça donne l’état d’esprit qu’il y avait chez nous… En Suisse, jamais on aura une majorité socialiste… Jamais, jamais, jamais ! Parce que l’esprit suisse vous le connaissez, vous avez vécu ici.

Estefania Medina : Et sinon, même si on en a déjà parlé un peu, mais quels ont été les changements les plus importants auxquels vous avez assisté ?

Amélia Christinat: Le plus gros c’est le droit de vote, parce qu’à partir du moment où nous avons le bulletin, c’est quelque chose de très important, on nous considère comme une personne. Ma sœur m’a téléphoné ce matin, et on a parlé de notre mère… Elle était formidable, elle avait déjà l’instinct. Je savais quand quelque chose était bien et quand quelque chose était pas bien sans pouvoir l’expliquer. Beaucoup de fois j’ai perdu devant des congrès du parti parce que j’ai pas su transmettre ce que je ressentais. Et quand mon père partait voter, après la guerre, elle était à la fenêtre et elle disait : « lui parce qu’il a ce qu’il faut, il peut et moi je peux pas. Et je pense que chez les jeunes, parce que vous allez surement être jeune plus tard, il faut faire attention parce qu’il y a des trucs qui se casent dans un coin et puis ça ressort. Alors si vous voulez il y avait tellement de choses en retard dans le domaine qui concernait les femmes… Les hommes se cramponnent quand ils sont sur la chaise… Mais les femmes un peu moins, et on résiste quand même mieux aux coups hein. Mais hier soir j’ai entendu le commentaire d’un ami d’André Chavanne qui a révolutionné l’instruction publique…. Il a précisé que lorsque Chavanne est arrivé… à la même année que moi j’suis rentrée au parti, c’était en 61… C’était une révolution parce que c’était difficile d’avoir un candidat de gauche au conseil d’état. Il y avait 7 radicaux donc il restait juste une ou deux places pour les autres. Nous, les femmes socialistes, on a dit que c’est grâce aux femmes si nous on a avancé à Genève à un moment donné. Parce qu’il y a eu beaucoup de femmes qui ont réalisé qu’il y avait plus d’ouverture ou de compréhension. Ça s’est estompé au fil des ans ; d’abord parce qu’on a obtenu un certain nombre de choses. Mais les femmes à un moment donné, dans les premières années qu’elles ont eu le droit de vote, elles ont modifié un certain nombre de choses un peu partout. La syndic’ de Zürich c’est une homosexuelle… et elle l’a dit… Bah faut déjà avoir fait un sacré parcours…. Même moi je comprends pas… mais bon moi j’suis vieille hein il y a des trucs que je comprends pas.

Nedjma Tabani : Est-ce qu’il y a des valeurs que vous avez le sentiment d’avoir porté en avant ?

Amélia Christinat : On a toujours demandé que les femmes soient meilleures que les hommes… Comme si on était différente, avec d’autres neurones ou j’sais pas quoi. Donc maintenant si on peut reprocher aux femmes comme aux hommes de ne pas aller voter, de pas s’intéresser, de pas comprendre… Et moi je l’ai compris au cours de route… c’est que… On avait des femmes, des braves femmes mères de famille, qui s’entendaient bien avec le mari, il y avait moins de divorce… Les femmes sont devenues maintenant comme les hommes. D’être des femmes de droite, des femmes de gauche, mais moi j’m’en fous. Elles font ce qu’elles veulent si elles ont pas envie d’aller voter… La seule chose c’est que pour femmes c’est un peu plus difficile par ce qu’elles le disent un peu moins, elles ne comprennent rien donc ça ne sert à rien, ils font ce qu’ils veulent. Il faut leur faire comprendre que ce n’est pas vrai. Si c’est vrai que des fois on change… mais bon j’suis un peu brutale c’est surtout les hommes qui changent mais bon… c’est la vie. On est sur le même pied d’estale… On avance : certains à gauche, d’autres à droite. On est rentré dans le circuit de citoyen, de citoyenne un peu près du même niveau… Parce que bon en ce qui concerne les salaires… J’ai regardé l’émission, les salaires en dessous de 4'000 c’est plus les femmes hein… Je vous dirai une chose avant de mourir un de ces quatre matins : je pense que le combat féminin il va être plus ou moins permanent. Parce que je me suis rendue compte que lorsque vous lâchez quelque chose… la femme ne doit pas lâcher… C’est immédiatement détérioré, repris, modifié. Donc, en fait, s’il y a un combat ou une situation qui est bien dans la logique de la vie de tous les jours… Parce que pour moi admettre… Ça va vous faire rire… Quand on a commencé les premières années à se réunir autour de Jaqueline Berensteinbar [(?) 33 sec], qui vit toujours du reste, on allait chez elle, elle n’était pas mariée et elle était professeur au cycle ou je sais pas quoi. Alors, pendant plusieurs séances, c’était condition de la femme, horaire de la femme, gnagna de la femme gnagna et moi j’étais mère au foyer. Et c’est aussi un droit d’être mère au foyer, et c’est une très bonne chose, c’est très important les premières années. Alors j’ai dit à mon mari, si les bonnes femmes socialistes continuent avec leur truc où il y en avait que pour les conditions, les horaires, le travail et tout ça… Moi je vais arrêter parce que c’est pas mon domaine. Et maintenant on arrive quand même à parler de la famille, des choix que les couples font, avec les congés pour le papa. Parce que le papa perdait beaucoup aussi hein. Parce que il y a une femme qui était tessinoise et elle était chez moi puis elle m’a dit : « elle s’agite votre fille ». Et je lui ai dit : « attends je vais regarder l’heure ». C’est drôle hein, mais c’était l’heure où son papa arrivait… Elle le savait hein, il était dans l’ascenseur. Elle a sûrement dû le faire d’autres fois mais comme c’était l’heure du diner et que moi j’étais en train de faire la compote hein je ne l’ai pas vu. C’est pour vous dire… Du reste il y en a qui revendique hein, ceux qui veulent avoir le contact avec leur enfant s’ils ne s’entendent plus avec leur mère. Celui qui a été le plus fort avant c’était l’homme. Maintenant… Moi je me suis beaucoup battue pour que les femmes surtout celles de conditions modestes… Moi je voulais faire des études à l’Université… De vous à moi, par moment, je le regrette. Parce que ça a modifié d’une façon, pour moi, par forcément positive l’attitude de la femme. On a quelque chose qui nous est donné par la nature qui est typiquement féminin. Hein quand il y en a une qui a envie d’avoir un bébé et qui ne l’a pas, il va lui manquer quelque chose. Moi je suis restée pendant plusieurs années hein… Je faisais autre chose puis un jour j’ai dit à mon mari : « je veux un enfant ». Ah bah lui il en avait déjà un, ça ne l’intéressait pas beaucoup, il était divorcé. Mais j’ai senti que si je ne passais pas moi-même ce parcours, je ne serais pas complète. Une femme elle est complète si… Bon c’est aussi son droit de ne pas vouloir en avoir…. Est-ce que vous êtes au bout de vos questions ?

Nedjma Tabani : Non, mais vous venez de dire quelque chose qui m’a interpelée…Est-ce que quand vous avez voulu avoir un enfant c’était pendant cette période où l’on revendiquait l’avortement ?

Amélia Christinat : Si vous parlez avec mes copains, ils diront que je suis une emmerdeuse… J’ai lu quelque part : « si Amélia est quelque part il faut toujours qu’elle prenne la parole »… C’est quelque part…

Estefania Medina : C’est écrit : « Amélia n’a jamais mis son mouchoir dans la poche ».

Amélia Christinat : Eh bah voilà !! Je dois dire que dans tous les pays, pas civilisés, mais peut être européens parce que je connais mieux, la femme assure toujours toujours… Et je vous dirai en toute honnêteté que la solution idéale elle n’existe pas. Les deux sexes étant différents, ils ont des missions différentes. La seule chose c’est qu’il faut respecter la volonté des femmes de la même façon : qu’elles puissent faire et décider comme les hommes… Les femmes battues c’est aussi un sacré problème, avant il y avait des cas… Mais aujourd’hui avec tout ce mélange… Les femmes qui viennent d’autres pays ne sont pas vues avec les mêmes yeux… Je vais peut-être vous choquer avec ce que je vais dire mais pour moi les femmes qui mettent ce truc sur la tête… Pour moi c’est une soumission. Même s’il y en a une qui me dit en face : « c’est moi qui l’ai décidé » je lui répondrais : « c’est pas crédible ». C’est pas crédible… Pour moi c’est une espèce de soumission… Ecoutez il y a un hôtel là au bout… Qui s’appelle le Mandarin oriental… Où il y a des messieurs qui sortent avec des pépettes… Pour toutes sortes de raisons… Mais bon moi j’allais en ville à pied, quand je pouvais marcher… Et il y avait le papa qui était gentiment avec ses gamins et la femme elle était… Derrière… Il y a du reste une chanson qui fait (chante) : «  Elle est toujours derrière, derrière, elle a compris ce que le maire lui a dit, suis toujours son mari swa swa ».

Estefania Medina : Donc par rapport, maintenant, aux valeurs que vous défendiez, est-ce que vous êtes d’accord qu’on pourrait parler d’une réappropriation du corps ? Puisque vous dites que la femme c’est à ce moment-là, avec le droit de vote et le droit à l’avortement qu’elle a pu devenir maîtresse de son corps ?

Amélia Christinat : Il y a pas que ça hein, il y a pas que ça. Il y a eu le droit à l’instruction parce que à un moment donné, il y avait peu de personnes de classe moyenne ou pauvre qui pouvait envoyer leurs enfants à l’Université… Donc heu à mon avis… C’est comment ce que vous avez dit ?

Estefania Medina : Une réappropriation de leur corps… Avoir le droit à l’avortement c’était comme pouvoir se réapproprier leur corps dans le sens où … Nedjma Tabani : Elles deviennent maîtresses de leur corps en fait…

Amélia Christinat : Oui alors ça c’est une partie importante parce qu’il y a eu la libéralisation de cette possibilité… Nous, avec Anne Marie… La première pilule qui est sortie il y a 20 ans, on a crié victoire. Moi je l’ai prise, mais elle ne m’a pas convenue du tout… Il y a eu des cas embêtants en France hein… Des filles qui ne supportent pas… Moi ma circulation ne l’a pas supportée… C’est quand on a réussi à trouver la possibilité d’avoir comme vous l’avez dit la maîtrise de son corps mais avec pas trop de sacrifices hein… Parce que je pense que j’ai pas besoin de vous faire un dessin… Un homme sort avec une fille, il fait l’amour, il a un orgasme, il rentre chez lui et il part travailler. La fille des fois c’est pas toujours facile non plus. Puis elle peut se trouver avec un problème… Moi on m’a dit qu’il pouvait aussi y avoir des problèmes avec des préservatifs… Et puis les hommes eux hein ils aiment pas les préservatifs… Il y en a sûrement pas un qui vous dit qu’il est d’accord… Alors écoutez hein moi je ne l’ai jamais utilisé... Il faisait autrement le père Christinat… Si vous voulez, il y avait tellement de choses importantes… Le droit à l’avortement c’était important, le droit de vote aussi hein… Vous devenez citoyenne… Le droit à l’instruction et à la formation est un gros droit, le droit au salaire égal est un gros droit… Il y a un gros stock… Alors ça dépend dans quel contexte vous vous mettez. On pourrait faire une échelle de valeurs et voir laquelle prime sur l’autre… Moi je n’aime pas trop faire cette échelle de valeurs…. Les femmes on peut faire les choses comme les hommes hein, ils ont une résistance physique… Pour conclure… je dirais que chacun des sexes doit garder ses valeurs, ses envies, ses choix, ses prérogatives… tout ce que vous voulez… Et il faut que les lois lui en donne la possibilité. Pour la femme ça doit être la même chose. Vous vous êtes dans quelle faculté ?

Nedjma Tabani : Sciences de l’Education

Amélia Christinat : Et vous ?

Estefania Medina : Pareil.

Amélia Christinat : Ah d’accord. Je pense que vous êtes une majorité de femmes dans cette faculté ?

Nedjma Tabani : Grande majorité.

Amélia Christinat : Eh bah voilà… Je dis ça comme ça… Je voulais faire des études… Bon moi je voulais être chanteuse mais bon… Et puis lorsque je suis allée à Lugano pour fonder la société des consommateurs de la Suisse italienne parce que moi j’étais du comité, on m’a fait faire une conférence au lycée, ici ça correspond au collège. Alors je passais tous les jours devant, et moi je mourrais d’envie d’aller là-dedans pour apprendre. Et quand l’association qui s’est créée m’a fait donner la conférence dans une salle du Lycée de Lugano, la première chose que je leur ai dit c’est : « ça fait 30 ans que j’attends de passer ce portail, je le passe en étant mariée et mère de famille. Ça me fait une sensation très bizarre ». Vous savez, donner la possibilité aux femmes de choisir un métier d’homme… Moi je suis d’accord qu’un homme s’il veut faire… Sage-femme sage-homme … Ca ne le fait pas… Moi quand j’étais à l’hôpital… Il y a un monsieur qui m’a dit : « madame je vais vous mettre la botte et vous changer la culotte ». Moi je lui ai dit : « nan mais attendez, vous aller faire quoi ? » J’ai dit : « ah, nan vous la botte nan. » J’avais tellement peur qu’il voit mon sexe… Et ça me choque. Parce que je suis d’une génération où on était très prudent… Maintenant les filles… J’ai vu une émission télé en France avec les prostituées… On ne supprimera jamais cette besogne enfin bref… Parce que l’homme, lui, il est demandeur, il a besoin…Une femme elle avait fait fermer les maisons closes… Mais maintenant hein c’est ouvert partout… Alors moi je les plains mais c’est… C’est elles qui ont choisi hein… La chose qui m’a beaucoup choqué, et alors là j’avais fait un papier dans la Tribune… C’est que la péripatéticienne qui s’appelait Griseli Gisreal qui avait des capacités pour faire des livres, qui était aux Pâquis, elle est décédée et quelqu’un a décidé de la transférer dans un cimetière où il y a des artistes et tout ça. Si elle venait de mourir ça passe encore mais là hein ! Moi je m’étais déchainée ! Il faut pas exagérer. J’entendais des gens dire qu’elle n’avait pas de formation et elle n’a donc pas eu le choix. Puis on m’a demandé ce que j’en pensais… Alors j’ai dit : « ah bah si toutes les jeunes filles qui viennent de l’étranger et qui n’ont pas d’argent, font le métier… Alors toutes les femmes de la ville… Ça va devenir le bordel »… Je suis peut-être trop sévère, c’est leur droit hein…. Et il y a beaucoup d’étudiantes hein… Moi je leur flanquerais des gifles hein ! Vous avez fini vos questions ?

Nedjma Tabani : Non, on en a encore une… Par rapport à aujourd’hui et par rapport à la lutte que vous avez faite dans le passé… On voit que le droit à l’avortement il est aujourd’hui remis en question. Alors qu’est-ce que vous en pensez ?

Amélia Christinat : Je vais vous dire une chose, jamais quelque chose dans la vie n’est acquis…. Gardez-le bien dans la tête ! Vous pouvez vous battre réussir une moitié, une partie ou j’sais pas quoi. Mais moi qui croyait que la Suisse était un pays qui quand il décidait quelque chose ça ne changeait plus bah maintenant c’est plus comme ça… Avant c’était un pays où quand quelque chose est décidé, c’est décidé et on le change plus… Eh bah La Suisse a changé par rapport à dans le temps. Parce que, effectivement, avant quand quelque chose était votée, c’était acquis. Alors en fait tout changement, toute progression que l’on peut interpréter comme sociale n’est jamais définitivement acquise. Donc en fait, il faut veiller continuellement, défendre continuellement où que vous soyez et avec qui que vous soyez. Si votre idée c’est ça, il faut la défendre jusqu’au bout. C’est ce que j’ai ressenti à ma grande surprise… Parce que j’ai vraiment constaté que la bataille a été longue, difficile et dure… là du reste j’ai vu qu’il y a une lettre… c’est quoi ça ?

Nedjma Tabani : « L’avortement un droit non négociable », Christiane Pasteur…

Amélia Christinat : Connais pas…. Vous voyez, là-dedans il y a une lettre concernant la grossesse et… Govianni qui était un collègue tessinois du conseil national… Il a été du reste chef de groupe… C’est à ce titre là que je lui ai écrit… Lorsque j’étais dans la commission, moi je parlais pas l’allemand… C’était pas de la tarte. J’avais contacté personnellement les conseillers fédéraux dont je pensais pouvoir compter dessus pour accepter l‘interruption de grossesse. Mais il y avait deux radicaux de Zürich, Mme Coop et Delavurat, un radical vaudois très ouvert, j’avais compté les deux socialistes… Ça fait 4, ils devaient être 7… A 23h, une journaliste me téléphone et me dit que mon truc c’était pas passer et en fait c’était un de chez nous, Otto Stich, qui s’était permis de ne pas voter comme les femmes socialistes. Ce n’était pas moi. Parce que moi j’aurais jamais pu aller de l’avant, si je n’avais pas les femmes socialistes derrière hein… Eh bah le bonhomme a voté contre le projet d’interruption de grossesse… Alors je lui ai écrit une lettre… Mais quand c’est une pauvre petite femme tessinoise qui habite Genève, une ville perdue… Eh bah il m’a répondu après je ne sais pas combien de temps… Et puis excusez-moi, la formule elle est brutale hein mais c’est comme si j’avais pissé dans un violon hein… Oui je sais, j’ai un parler un peu spécial… C’est pour ça que dans le parti, les gens me connaissent… Je suis un peu déglinguée… Et mon mari disais que j’écris de la main gauche parce que moi je traduisais en français ce que je pensais dans ma tête en italien… Alors moi je lui disais « bah maintenant tu me corriges ». Mais des fois on s’engueulait parce que quand lui il écrivait bah ca correspondait pas toujours à ce que moi je voulais dire. Mais disons que c’est extraordinaire le destin des femmes, plus que celui, à l’Epoque, des hommes, parce qu’on part pour apprendre quelque chose, aller faire une formation… Remarquez que ma mère, elle était pas contente que je reste à Genève… Ca elle a beaucoup beaucoup insisté. Mais Genève a un pôle d’attraction qui est énorme. La mentalité… Ils gueulent les genevois… Moi j’aime bien parce que ça me correspond… A Lugano c’est une petite ville où on chantait et on dansait… On pouvait pas rentrer tard, c’était très sévère. On allait tous les dimanches à la messe, c’était notre droit hein… Alors voilà je pense que c’est bon… On a fini ?

Nedjma Tabani : Oui, on vous remercie beaucoup.

Estefania Medina : Merci.

Références bibliographiques

<references/>

  • Boutin, G., 2006, L'entretien de Recherche qualitatif, Presses de l'Université du Québec.

– Hirata H, et al,2000, "Dictionnaire critique du féminisme", Paris : Presse Universitaires de France.


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