L'anorexie: une forme d'auto-maltraitance socialement déterminée

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Revue de littérature

Questions de recherche et méthodologie

Première partie

Qu'est-ce l'anorexie mentale?

Symptômes de l'anorexie

Selon le DSM-VI, les critères ci-dessous doivent être remplis pour que le diagnostic d’anorexie mentale puisse être posé :

  • a) refus de maintenir le poids corporel au-dessus de la normale minimale (moins de 85 % pour l’âge et la taille
  • b) peur intense de prendre du poids ou de devenir obèse, malgré une insuffisance pondérale
  • c) perturbation dans la manière dont le poids corporel, la forme ou la silhouette est perçue
  • d) influence exagérée du poids corporel ou de la silhouette sur l’estimation de soi
  • e) aménorrhée pendant au moins trois cycles consécutifs chez les femmes menstruées (aménorrhée secondaire)

Très généraux, ces critères tracent les contours de la maladie, mais ils rendent difficile de s’en faire une représentation claire. En effet, les points énumérés ci-dessus impliquent des comportements concrets, dans le rapport que l’anorexique entretien avec son corps et avec sa personne en général. Elle s’inflige en effet des traitements extrêmement sévères qui débouchent sur des dysfonctionnements physiques pouvant être très grave, voire entraîner la mort. Selon Vanderlinden (2003, p.15) 5 à 15% des personnes touchées en décèdent. L’anorexie est donc une maladie psychosomatique, c’est-à-dire qu’elle est « caractérisée par des symptômes physiques dont les causes sont multiples, mais où des facteurs émotionnels jouent un rôle important » (Bérubé, L., 1992, p.130).

Examinons à présent quels sont les comportements les plus courants chez les anorexiques, ainsi que leurs conséquences. Petite précision : le féminin sera utilisé dans ce texte pour parler des anorexiques, puisque l’on sait que seul 1 à 5% des personnes souffrant d’anorexie sont des hommes. L’anorexie commence, dans l’immense majorité des cas, par un simple régime, justifié ou non. La personne affirme vouloir perdre juste quelques kilos (deux ou trois) et elle y arrive sans peine. Mais atteindre son objectif ne lui suffit pas. L’amaigrissement continue, le poids descendant souvent au-dessous du poids minimum médicalement acceptable, soit un IMC de moins de 18 (l’IMC est l’indice de masse corporelle, obtenu en divisant le poids en kilos par le carré de la taille en mètres). On parle d’anorexie à partir d’une perte de 15% du poids initial. Paradoxalement, l’anorexique continue de se trouver trop ronde et développe une véritable phobie de grossir. Son poids et son alimentation deviennent ses principales préoccupations. Elle se pèse plusieurs fois par jour et développe toutes sortes de stratégies pour maigrir encore ou pour se maintenir à un poids très bas. On distingue deux types d’anorexie, caractérisés par des comportements différents : l’anorexie restrictive et l’anorexie purgative.

Dans les cas d’anorexie restrictive, la jeune fille réduit progressivement son apport calorique, bannissant, l’une après l’autre, toutes les catégories d’aliments de son régime (graisses et sucres, puis féculents et protéines). Elle saute parfois des repas ou jeûne et fait beaucoup d’exercice. Dans « L’ombre de toi-même » (Barraud, 1998), brochure informative éditée par l’Association Boulimie Anorexie (ABA), M., 19 ans, raconte cet engrenage : « D’abord, j’ai éliminé les pâtisseries, puis tous les aliments que je considérais comme étant caloriques. Je connaissais par cœur les tabelles de calories. […]Je ne perdais pas encore assez de poids. Alors, j’ai réduit les portions et je ne prenais plus que du light. […] » (p. 10)

Dans les cas d’anorexie purgative, les restrictions draconiennes que la jeune fille s’impose finissent par déboucher sur des fringales irrépressibles qui l’amènent à s’empiffrer. Ces crises de boulimie sont suivies de comportements visant à compenser l’excès. Il peut s’agir de vomissements, de prise de laxatifs et/ou de diurétique, de jours de jeûne ou encore d’exercice forcené. Dans « Vaincre l’anorexie », Vanbderlinden (2003) décrit le cas de H., 21 ans : « [H.] suit un régime depuis l’âge de 16 ans. […]Après environ deux ans de jeûne tenace, elle s’est rendue compte qu’il n’était pas nécessaire de se priver de toutes ces bonnes choses : elle pouvait s’empiffrer et puis sans difficulté se faire vomir ou prendre des laxatifs. Et ainsi, elle arrivait à maîtriser son poids. […] Après une crise, H. essaie de s’en tenir à un jeûne strict de 24 heures […]. En alternant ainsi jeûne, boulimie et vomissements, elle arrive à maintenir son poids au-dessous de 43 kg. » (p.21)

Dans un cas comme dans l’autre, la dimension sociale de l’alimentation détruite. La jeune anorexique invente toutes sortes de prétextes pour éviter les repas en famille. Les rares fois où elle vient à table, elle trie le contenu de son assiette, découpe les aliments en tout petits morceaux, qu’elle mâche très longuement. Parfois, elle finit par les avaler, parfois elle va les recracher discrètement, les cacher et les jeter ensuite. Les repas deviennent des moments de tension, où les disputes éclatent, comme en témoigne M. : « [Mes parents] essayaient de me faire manger, de me faire venir à table avec eux. Il y avait des conflits épouvantables autour de mon assiette […].» (Barraud, 1998, p. 11) Le rythme de vie que l’anorexique s’impose est à l’image de son régime. Comme l’explique Vanderlinden (2003), « la plupart des anorexiques sont décrites comme très perfectionnistes. Elles exigent beaucoup d’elles-mêmes et visent la performance. […][Cela] se manifeste souvent par le caractère forcené de leur étude, de leur serviabilité et de leur pratique du sport » (p.22). Fréquemment premières de classe et désireuses de le rester, les anorexiques étudient tard dans la nuit, se lèvent tôt. Le manque de sommeil, les privations alimentaires et l’épuisement dû à l’exercice rendent la réussite scolaire de plus en plus dure à atteindre. Pourtant, l’anorexique nie généralement son mal-être et refuse toute aide.

Conséquences physiques

L’ensemble de ces comportements ont des conséquences désastreuses sur le corps de jeunes filles, dont voici les principales.

  • a) Problèmes cardiaques : les vomissements provoquent une perte de potassium, électrolyte indispensable au fonctionnement de la cellule. Si le taux de potassium baisse, l’activité électrique intra-cellulaire se réduit dans les muscles et particulièrement dans le muscle cardiaque, dont l’activité est perturbée. Si de plus, le poids est insuffisant, le muscle cardiaque s’affaiblit, ce qui peut déboucher sur un problème mortel.
  • b) Problèmes digestifs : l’estomac et les intestins deviennent paresseux, ce qui entraîne des ballonnements et de la constipation. Les filles qui se font vomir s’exposent à une inflammation de l’œsophage, voire à sa perforation.
  • c) Problèmes hormonaux : au-dessous d’un certain poids, les règles disparaissent. Si cet état se prolonge, le risque de stérilité devient réel.
  • d) Problèmes dus à des modifications métaboliques : tout le métabolisme passe à un régime d’économie : le rythme cardiaque se ralentit (le pouls descend au-dessous de 60 pulsations par minute), la tension artérielle baisse, la respiration se ralentit également. La décalcification osseuse s’accélère, multipliant les risques d’ostéoporose à moyen terme, de fractures à court terme. La croissance peut être stoppée, surtout chez les très jeunes filles.
  • e) Autres problèmes : la peau se déshydrate, la pousse des cheveux est altérée, les ongles sont fragilisés. L’émail dentaire est altéré par l’acide gastrique remis lors des vomissements. L’anorexique a toujours froid, le cerveau ne contrôlant plus la température corporelle. En réaction, le corps se couvre d’un duvet noir appelé lanugo.

Psychologiquement, la jeune anorexique connaît également une grande détresse. Elle rompt progressivement tous ses liens d’amitié, de peur d’avoir à partager des repas et entretient des relations compliquées avec sa famille. Elle se replie sur elle-même, s’enferme dans un état dépressif, organisant sa vie autour de ses deux obsessions, la nourriture et la balance. L’anorexique a une piètre image d’elle-même. Elle ne se porte ni estime, ni amour. Elle ne se supporte pas et cherche à se faire du mal, en se privant de nourriture et en s’épuisant physiquement, comme nous l’avons vu, mais aussi, souvent, en s’automutilant ou en faisant un ou plusieurs tentatives de suicide. Le moindre excès doit être rigoureusement puni. Malgré cela, l’anorexique s’obstine à dire que « tout va bien », parfois des années durant. C’est pour cette raison qu’elle ne demande pas toujours de l’aide à temps et que la maladie peut s’avérer fatale…

L'anorexie: un comportement autodestructeur

L'anorexie: un comportement auto-maltraitant

Deuxième partie

L'historique de l'anorexie

1. Introduction partielle

Dans ce présent article, nous souhaitons démontrer la part grandissante, voire prépondérante de la société dans le maintien et l'accroissement de l'anorexie mentale aujourd'hui. Pour ce faire, nous avons besoin de nous référer au passé pour comprendre à partir de quel moment les privations alimentaires ou l'incapacité à s'alimenter sont devenues des paradigmes et des concepts médicaux à part entière (anorexie, boulimie, boulimarexie, TCA etc.).Il existe aujourd'hui tout un champ sémantique concernant les troubles alimentaires qui s'amplifie et qui s'est construit au cours des siècles passés. Il n'y a pas une histoire linéaire de l'anorexie. Les syndromes de l'anorexie, tels qu'on les connaît aujourd'hui sont similaires à ceux d'antan. Ce sont les discours sociaux et les acteurs qui analysent ce phénomène qui évoluent. Le contexte change lui aussi suivant les événements qui surviennent dans un même espace-temps. Ce qui nous montre déjà que les individus traitent et considèrent l'anorexie différement suivant les siècles et les systèmes en présence (géographique, social, cultuel). La société joue un rôle a chaque époque dans la manière dont elle va classer les personnes qui ont des conduites anorexiques. Elle peut approuver, voir valoriser ces conduites, tout comme elle peut les juger comme anormales et inquiétantes, nécessitant une prise en charge par les institutions sociales elles-mêmes. S'appuyer sur l'histoire de l'anorexie mentale est fondamentale pour nous. C'est le moyen de prouver que les anorexiques ont existé à toutes époques et dans toutes les sociétés. La question intéressante, qui ne fera pas l'objet de notre travail aurait été d'essayer de comprendre pourquoi nous avons deux extrêmes dans la reconnaissance du problème anorexique dans l'histoire et suivant les sociétés. En effet, non seulement le jeûne au Môyen-âge est toléré mais il est en plus dans la seconde partie de cette époque valorisé et encouragé. Tout comme dans les sociétés primitives et orientales, l'abstinence alimentaire est un précepte et une ligne de conduite à suivre. Qu'en est-il dans nos sociétés post-industrielles, occidentales, libérales? Si dans nos sociétés, certains ouvrages de phitothérapie encourage la pratique du jeûne, elle vise à une amélioration de la condition physique de l'individu. Prenons par exemple cet extrait de Mes remèdes de grand-mère d' Henri Puget (2000) : "Les cures de jeûne ont de tout temps été recommandées pour éliminer les toxines de l'organisme et reposer la dynamique de l'être humain". Le jeûne est ici présenté comme un bienfait pour le corps. A l'inverse, les privations et les jeûnes prolongés sont sources de troubles (menant jusqu'à l'auto-destruction psychique et mentale). Depuis l'instant ou la médecine a pris en charge le problème de l'anorexie et l'a catégorisé comme comportement déviant, le nombre d'anorexiques n' a cessé d'augmenter. Il faut prendre en compte le fait que le corps médical ne s'est pas contenter de pointer les risques pour la santé des anorexiques, mais qu'ils ont aussi développer en parrallèle tout une campagne sanitaire en créant des normes (poids en fonction de la taille), rations alimentaires conseillées par personne et selon le genre, type d'aliments à privilègier au niveau de la nutrition (fruits, légumes etc.) etc. L'anorexie en Occident est considérée comme un problème éminament social. La médecine qui ne désinvestit pas ce champ et qui continue à classifier les comportements, place l'anorexie comme une sociopathologie. Le social au cours de l'histoire est toujours présent mais à des degrés plus ou moins importants (tout dépend du contexte de l'époque). Etonnement, il se trouve que c'est le Moyen-âge qui offre un nombre assez importants d'exemples plus ou moins similaires à ceux que nous possèdons avec les anorexiques mentales à l'heure actuelle (on parle de saintes anorexiques ou encore de mystiques). S'il est vrai que la littérature d'aujourd'hui est remplie de témoignages de jeunes filles, il persiste à travers le temps d'autres témoignages d'acteurs sociaux qui ont eux aussi eu à faire face à ce problème. A l'aide de quelques témoignages antérieurs et contemporains d'acteurs sociaux (religieux,mystiques, prêtres, membres du corps médical, anorexiques) nous pourrons peut-être mettre en lumière ce qui relève du social et en exergue les autres facteurs. De même nous pourrons par ces mêmes sources authentiques comprendre à quel point l'anorexie mentale ainsi que le jeûne mystique, non assimilable l'un à l'autre mais furieusement proches (surtout dans les syndromes) reflètent explicitement une forme "d'auto-maltraitance". Qu'est-ce qui pousse ces jeunes filles à s'auto-maltraiter? Quelle responsabilité et quelle rôle la société a vis-à-vis de ces jeunes femmes? N'y a t-il pas des acteurs sociaux qui au nom de certaines valeurs et idéaux (représentation des fonctions de la femme dans la société) maltraitent les femmes à un niveau psychique, voir physique au Moyen-âge et à chaque époque. Par la force des discours, des croyances liées le plus souvent à leur corps (image et fonction) sont inculquées aux femmes. Ce point va être plus fortement développé par la suite. Dans la majorité de nos ouvrages, quatre grandes phases se succèdent dans l'histoire des jeûneuses en Europe occidentale. Elle ne marque pas la fin d'un siècle ou d'une époque mais plutôt les changements dans l'interprétation globale (car elles sont toujours mutliples à toutes les époques) du phénomène anorexie.

Du Vème au XVIème siècle ( bas et haut Moyen-âge): Peut-on se nourrir uniquement du "corps du Christ"?

Par quel miracle, la "nourriture spirituelle" peut-elle transcender les besoins vitaux du corps? Jusqu'à quel point la souffrance physique peut-elle mener à la "jouissance" de l'esprit. Faut-il froler la mort pour pénétrer les voix impénétrables de notre seigneur? Toutes ces questions auraient pu être posées aux mystiques pour comprendre les démarches qu'elles poursuivaient en refusant de s'alimenter. Nous avons des réponses partielles dans la partie concernant le jeûne au Moyen-âge. Pour éviter de faire des amalgames entre les mysituqes et les anorexiques mentales ajourd'hui, il faut comprendre que les sociétés dans l'Occident médiéval (durant le haut Moyen-âge et le bas Moyen-âge) sont patriarcales (maintien de la loi salique) et totalement régie par le clergé et ses membres. Toutes conduites doit être justifiée par un discours théologique. Less saintes anorexiques ne jeûnaient pas pour obtenir un changement physique (maigreur du corps). Elles jeûnait pour améliorer leur capacité à rentrer en contact avec dieu.

On dénombre une quantité assez importante de jeunes femmes qui se livraient à des jeûnes prolongés pour des motifs religieux (les saintes anorexiques) dans les sociétés occidentales moyennageuses. Nous nous sommes basées sur deux ouvrages pour construire cette partie de l'historique, celui de Bell (1995) Holly anorexia (Les saintes anorexiques) et celui de Nathalie Fraise (2000) L'anorexie mentale et le jeûne mystique du Moyen-âge. Ces livres sont entièrment consacrés à l'étude de la pratique du jeûne au Moyen-âge et à la signifaction de celle-ci pour les contemporains de l'époque et les historiens de notre temps. Le souci des auteurs de ne pas faire d'analogies ou d'anachronismes est réel et leurs affirmations sont soit nuancées (suppositions) soit affirmées à l'aide de témoignages authentiques dans leurs livres. La littérature théologique offre un éventail d'exemples de jeunes filles jeûnant jusqu'au refus alimentaire complèt. A l'époque, ces conduites sont considérées soit comme un signe d'élection divine, soit comme un signe de possession démoniaque... Ce qui peut mener à la canonisation ou au bûcher. L'augmentation des jeûneuses au cours du Moyen-âge fait pencher la balance en la défaveur de ces jeunes femmes qui sont perçues comme une menace pour la prospérité de l'église (fortement dirigée par des hommes). Les hommes suspectent les mystiques d'hérésie. Ils soupçonnent ces femmes qui se nourrisent d'un "feu intérieur" et non de "nourriture terrestre" d'être manipulées par le diable. Leur méfiance grandissante va faire évoluer leur discours et les religieux qui autrefois admiraient les mystiques pour leur force moral et leur engangement envers dieu vont inverser leur raisonnement. Les saintes anorexiques se nourrisant uniquement de l'hostie (et donc du corps du Christ) et s'infligeant des mortifications très violentes avaient au début du siècle gagné le respect  des ecclésiastiques. Leur nombre grandissant, elles deviennent dérangeantes, on les marginalisent et on fait en sorte qu'elles soient accusées de sorcellerie. En étant conscient que la société moyennageuse était fortement marquée par la religion, on comprend à quel point les détenteurs du pouvoir pouvaient avoir de l'influence sur  les considérations populaires de l'époque. De nos jours, la religion n'a plus la même force publique qu'elle avait au Moyen-âge, et les explications de la privation alimentaire s'expriment donc différemment. Le diagnostique médical est devenu plus facile à appliquer à des femmes qui dérangent. On les déclare aujourd'hui "folles" comme naguère on les déclarait "sorcières". 

Des interrogations persistent aujourd'hui entre "continuistes" (il y a une continuité entre l'anorexie médiévale religieuse et l'anorexie mentale moderne) et "discontinuistes"(cela n'a pas de sens d'appliquer un diagnostique moderne sur des pratiques médiévales) pour déterminer le degré de ressemblance entre les mystiques et les anorexiques mentales.

Du 16ième au 18ième: L'abstinence alimentaire, un moyen de sublimer le réel Les causes surnaturelles restent l'explication la plus probable du refus alimentaire, mais le jeûne commence à intéresser le corps médical qui se demande comment l'on peut survivre sans alimentation, et pendant combien de temps. Aux jeûnes prolongés du XVième siècle se succèdent des cas plus problématiques pour les observateurs de l'époque. Les cas d'abstinence prolongés sont de plus en plus rattachés à des causes organiques et considérés comme des symptomes d'une maladie plus que comme un signe d'intervention surnaturelle. C'est le début de l'intégration de ces conduites dans la sphère médicale.

Laïcisation de la lecture des comportements, professionalisation de la médecine à travers la médicalisation de ces mêmes comportements. C'est à cette période que l'on divulgue des faits divers (observations de jeûneuses qui ont connu la mort) hors du cercle médical. Le refus de manger présenté auparavant comme un acte religieux devient un symptome d'une maladie complexe. Complexe, car elle ne se limite pas à des facteurs organiques purs. Elle serait en lien avec l'état psychique de individus qui s'y soumettent. Elle devient donc une entité diagnostique. On parle d'anorexie depuis 1689, le livre de Richard Morton intitulé "Phtisiologie: sur la maladie de consomption" énumère les syndromes d'inanition (survenant à la suite d'un jeûne prolongé). Il insiste sur les effets physiologiques (perte d'appétit, aménorrhée et amaigrissement).

On constate déjà une légère évolution dans l'intérêt des acteurs sociaux pour ce problème. Alors qu'avant les religieux jugeaient acceptables (bas Moyen-âge) ou non (haut Môyen-âge) les comportements d'abstinence alimentaire. Les changements politiques et la perte de pouvoir progressive des discours religieux sur le public ne va pas forcément faire disparaîtres les cas d'anorexiques. Les syndromes vont être sensiblement identiques sur le plan physique. En revanche les facteurs du problème vont prendre d'autres forme. Le changement des acteurs sociaux qui investissent le problème explique cette évolution du problème. C'est ainsi que les médecins vont à leur tour faire de la maigreur un problème. Les causes spirituelles ne vont plus suffires pour légitimer le refus de s'alimenter. D'autant plus qu'avec le développement de la technique, les conditions de vie s'améliorent et les populations peuvent se nourrir à leur faim (si l'on ne tient pas compte de la pauvreté qui reste plus ou moins forte à chaque époque). Choisir de ne pas s'alimenter alors que l'on n'est pas en période de restriction et que ce n'est plus socialement valorisé (y compris par les religieux) va paraître suspect et sera considéré comme anormal. C'est le point de départ d'une réflexion qui s'intéresse à d'autres facteurs pour expliquer l'anorexie (naturalistes, physiologiques, social, psychique et psychiatrique). Que ce soit Gull ou Lasègue, tous deux décrivent des cas de jeunes filles de bonnes familles, qui restreignent leur alimentation et maigrissent, tout en augmentant leur temps d'activité physique sans qu'il y ait des causes physiques. Cet état est pour ces deux médecins, en partie nerveux (nervosia anorexia). Cela dit, Gull adhère et conçoit le concept "d'anorexie nerveuse"alors que Lasègue (en France) penche plus fortement pour une explication qui se rapprocherait du caractère pathogène des individus. Ces dernières (des femmes en majorité) auraient une tendance forte à tomber dans des crises d'hystérie. L'anorexie serait alors une forme de manifestation de ce trouble hystérique.

Du 16ième au 18ième: L'abstinence alimentaire, un moyen de sublimer le réel

====Milieu du 19ième siècle: histoire du concept "d'anorexie"

Le XXème siècle: L'anorexie, une épidémie sociale dans les sociétés occidentales

L'anorexie: une maladie sociale

Introduction : qu’est-ce qu’une maladie ?

Selon le Petit Robert, une maladie est : « une altération organique ou fonctionnelle considérée dans son évolution, et comme une entité définissable ». Notre tâche dans cet article, va donc être de définir de manière précise l’anorexie. Qu’entend-on exactement par anorexie à l’heure actuelle ? Peut-on parler de maladie dans ce cas-là ? Si oui, de quel genre de maladie s’agit-il exactement ? Comment la caractériser ? Telles sont les questions qui vont structurer notre raisonnement, tout au long de cet article.

L’anorexie : une maladie organique

Comme vu précédemment (partie : qu’est-ce que l’anorexie mentale), l’anorexie est une maladie qui touche aussi bien l’organisme physique (la perte de poids et l’aménorrhée en sont les symptômes les plus marquants) que psychiques (peur de grossir, représentation biaisée de son propre corps). De manière synthétique, Berubé (1992, p.130) la qualifie de maladie psychosomatique, dans le sens ou des « facteurs émotionnels » rentrent en ligne de compte pour expliquer l’état physique de ces malades. Le psychiatre P. évoque quant à lui un « moteur » de l’anorexie d’ordre « psychogène », c'est-à-dire d’ordre psychique ou psychologique. Ainsi, nous avons vu que l’anorexie relève bien d’une « altération organique », une atteinte physique, qui serait motivée par un psychisme perturbé. Ces troubles seront plus détaillés par la suite (cf automaltraitance)

Or, si les dimensions physiques et psychologiques sont incontournables lorsqu’on essaie de comprendre l’anorexie, il en existe une troisième non négligeable. Nous aborderons ici la maladie sous son aspect social.

L’anorexie : une maladie socialement déterminée

Comment cette maladie est-elle perçue dans nos sociétés ? Quel regard pose les spécialistes sur la maladie, les médias ? Ont-ils une influence ? Un bref regard historique peut nous aider à faire la lumière sur ces questions. Nous l’avons vu précédemment, l’anorexie est une maladie récente (cf. partie historique. je développerai plus, ou moins, quand j’aurai toutes les infos, histoire d’éviter les redondances), apparu « médicalement » au XIXème, elle est reconnue officiellement dans les années 60s, lorsque des médecins, psychiatres, se font « spécialistes » de l’anorexie. Parallèlement, cette maladie est, petit à petit, révélée au grand jour. Des célébrités souffrant d’anorexie se mettent en valeur, la presse se fait de plus en plus éloquente à ce sujet. L’anorexie s’affiche (etc. paragraphe à réajuster)

L’anorexie, une maladie du XXème siècle ? Certains auteurs ne sont pas de cet avis. Guillemot A. & et Laxenaire M. (1997) relèvent qu’on peut identifier des comportements symptomatiques de l’anorexie dès 895. Cependant, il convient de s’interroger sur leur nature. En effet, l’histoire nous a montré que la définition de l’anorexie, et par conséquent de ces symptômes associés, a toujours été sujette à réajustements. Définie, puis redéfinie, l’anorexie est aujourd’hui cadrée par les critères du DSM IV. D’autres auteurs adoptent le point de vue adverse et parlent de « pathologie sociale » (Darmon, M., 2003). Gordon, R., A., 1990 va dans le même sens. Il titre son livre « Anorexia and bulimia, anatomy of a social epidemic”. Particulier à une certaine culture (la société occidentale moderne), l’anorexie est ce que Devereux appelle un « culture bound syndrome (syndrome lié à la culture)». Pour être plus précis, il s’agit d’une maladie, d’un « syndrome » qui n’existe, et ne peut être compris comme entité que dans une culture particulière, et par des personnes appartenant à cette même culture. Plusieurs recherches iraient dans ce sens. Guillemot A. & et Laxenaire M. (1997) relève par exemple qu’aucun cas d’anorexie n’a été diagnostiquée dans la population noire jusque dans les années 80. Les autres auteurs vont dans le même sens. L’anorexie semble être un trouble propre à la culture « caucasienne » occidentale. L’anorexie serait donc une maladie « sociale », puisque le facteur « société » semble être déterminant dans le déclenchement de la maladie. Il convient alors de décortiquer ce facteur sociétal plus en détail.

Une société ambivalente (à compléter)

--Stéphaniebauer 23 mai 2006 à 22:30 (MEST)

L'ambivalence de la société et la création et le maintien des conduites anorexiques (et boulimiques) aujourd'hui

Comme nous le voyons ci-dessus, certaines idéologies sociales affectent les troublées du comportement alimentaire. Nous pouvons distinguer trois concepts sociaux suscitant des comportements alimentaires auto-maltraitant :

  • l’image de beauté, la minceur.
  • l’idéologie du rôle de la femme dans la société moderne : entre maternité (famille) et carrière.
  • La société de consommation abondante.

Nous allons à présent voir comment ces trois facteurs sont représentés dans la société et comment ils peuvent entraîner des comportements alimentaires dangereux.

1. l’image de beauté, la minceur :

DDans son analyse, Hepworth remarque que dès le début du 20ème siècle, la femme est généralement présentée comme un corps de minceur qui satisfait les critères de beauté de l’homme, ce qui n’était pas le cas avant. La minceur devient un culte selon Guillemot et Laxenaire. Dans notre décortication des magazines pour femmes et jeunes filles, cet aspect-là ne pouvait pas passer inaperçu. Toutes les images de femmes, que ce soit pour vendre un produit quelconque ou pour décorer, représentent une femme mince, souriante et ‘belle’. Il ne faut pas oublier que le terme ‘belle’ est culturellement biaisé. Ce qui est considéré comme beau dans un lieu à un certain moment ne l’est pas à un autre. Par conséquent les dessins ou les photographies de femmes perpètrent les valeurs de beauté reconnues par la société occidentale d’aujourd’hui. Guillemot et Laxenaire observent qu’aujourd’hui les femmes désirent toutes ressembler au nouveau modèle féminin que véhiculent les medias.

Les magazines ne servent pas seulement à transmettre les images du corps idéal de la femme mais ils sont aussi là pour nous donner les outils nécessaires pour atteindre cet idéal (régimes, crèmes amincissantes, programmes de sport, adresses de fitness) remarque Darmon. Par exemple, dans le magazine Questions de femmes apparue en avril 2006, un article sous la rubrique ‘Beauté’ décrit « 15 stratégies sur mesure pour perdre ses kilos en trop » (Questions de femmes, p. 32). Au tout début le magazine conseille d’éviter les régimes « drastiques » et de suivre les « bons principes » (Questions de femmes, p. 32). Toutefois, certaines des stratégies proposées sont : « je pèse mes aliments et je compte les calories pour parvenir à une précision supérieur » (Questions de femmes, p. 34) afin de « [maîtriser] parfaitement mon alimentation d’une manière instinctive et je reste mince » (Questions de femmes, p. 34). Ces stratégies sont souvent pointer du doigt quand les médecins craignent un comportement troublé de l’alimentation, comme le mentionne Gordon.

L’article conseille aussi de « faire de l’exercice » (Questions de femmes, p. 35) et de fréquenter les salles de sports tout en faisant « confiance à ces machines » (Questions de femmes, p. 35).

(à compléter)

2. Les rôles de la femme dans la société

La société de nos jours, donne deux grands rôles à la femme occidentale. Le premier rôle fait référence à son image biologique, perpétrée pendant des siècles : celle de la mère féconde. Le second rôle est une représentation plus récente qui a débuté avec les mouvement féministe bourgeois du fin du 19ème siècle qui permet à la femme de s’acharner pour accéder à une place professionnelle au côté de l’homme. Comme il est décrit par Guillemot et Laxenaire, ces deux rôles contradictoires offrent deux images contradictoires de la femme. De nos jours, la minceur est vue comme un signe de volonté et de maîtrise de soi-même. Elle est la nouvelle condition de la réussite sociale. Donc une femme mince est celle qui a une ambition professionnelle et celle qui trouvera sa place dans le monde des hommes, comme si les rondeurs renvoyaient trop directement à l'image stéréotypée de la femme au foyer, maternelle.

Comment régler ce conflit de rôle ? Malheureusement les médias, notamment les magazines sont là pour donner réponse à cette opposition. Un exemple démonstratif est l’article : « Comment devenir une exécutive woman » apparu dans le magazine Edelweiss en mai 2006. Nous pouvons d’abord nous interroger sur les sous-entendus du terme ‘executive woman’ : une femme qui a une carrière et qui l’assume bien, une femme qui est parfaite dans tous les domaines de la vie qui est forte et n’a pas besoin d’aide, et reconnue en tant due tel. Autant dire, une super-woman ou une femme aux qualités idylliques d’un homme.

Bibliographie

Bibliographie de la première partie

Vanderlinden, J. (2003). Vaincre l’anorexie mentale (J.-M. Huard, trad.). Bruxelles : de Boeck.

Bérubé, L (1991). Terminologie de neuropsychologie et de neurologie du comportement. Montréal : La Chenelière.

Barraud, R. (1998). L’ombre de toi-même. Anorexie et boulimie : comprendre pour agir. Lausanne : Narbel.

Site de l’Association Boulimie Anorexie, consulté le 5 mai 2006 dans http://www.boulimie-anorexie.ch/troubles.php#anorexie_1


Bibliographie de la deuxième partie

Bérubé, L (1991). Terminologie de neuropsychologie et de neurologie du comportement. Montréal : La Chenelière.

Darmon M.(2003).Devenir anorexique, une approche sociologique. Paris. La découverte.

Fraise, N. (2000). L'anorexie mentale et le jeûne mystique du Moyen-âge. L'harmattan.

Gordon R.A.(1990).Anorexia and bulimia, anatomy of a social epidemic. Oxford and Cambridge. Basil Blackwell.

Guillemot A. & et Laxenaire M. (1997). Anorexie mentale et boulime le poids de la culture (2e éd.). Paris: Masson.


Hepworth J. (1999). The Social Construction of Anorxia Nervosa. Londres: Sage.